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Une vie d’aventure dans l’une des armées les plus mystérieuses
La plus célèbre et assurément la plus mystérieuse armée du monde, la Légion étrangère, attire des jeunes hommes de tous les pays depuis sa fondation en 1831. Les Néerlandais ont été nombreux à rejoindre ses rangs. Qui étaient-ils et pourquoi se sont-ils enrôlés dans une armée qui n’est pas celle de leur pays?
La Légion étrangère française est l’une des plus mystérieuses armées du monde. Les képis blancs, les épaulettes vertes et rouges, la lente cadence du pas lors des défilés, la discipline sévère, les chants, les défilés conduits par des hommes de haute taille portant des tabliers de cuir, des haches et de longues barbes, parlent à l’imaginaire. Surtout les batailles dans des terres lointaines, de jungles étouffantes en déserts brûlants, éveillent la curiosité du non-initié.
Pionniers du 1er Régiment étranger au défilé du 14 juillet 2013 sur les Champs-Élysées à Paris. On les voit portant le képi blanc, les épaulettes vertes et rouges, le tablier de cuir, une hache à l'épaule. © Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons
Mais ce qui a contribué particulièrement au mystère de la Légion, c’est que des étrangers y soient acceptés. Des citoyens ordinaires se figurent difficilement en effet qu'un homme accepte d’aller se battre sur des champs de bataille lointains pour un pays qui n’est pas le sien. C’est là que les récits ont commencé: des histoires censées expliquer à ceux qui restent à la maison pourquoi des milliers de jeunes gens s’engagent dans cette étrange armée qui marche toujours au pas.
On prétend souvent que la Légion étrangère française serait essentiellement composée de criminels. Qu’on recruterait dans de sombres tripots. Que les recrues recevaient un nouveau nom. Que des mineurs étaient enrôlés de force. Qu’une fois dans la Légion, on n’en sortait plus. Presque tous les jeunes qui fuguent de chez eux et disparaissent ont dû se retrouver dans la Légion étrangère française. Même s’il n’existe pas la moindre preuve, et que la Légion affirme ne pas les connaître.
Déjà, lors de la fondation de la Légion étrangère française le 10 mars 1831, le type de recrutement souhaité par la Légion elle-même était clair. La France connaissait un chômage important, tandis que les guerres et les révolutions à l’étranger provoquaient des afflux de réfugiés errant sans but. On voulait s’en débarrasser. En même temps, le gouvernement souhaitait un nouvel élan, des conquêtes en Afrique du Nord, l’annexion de l’Algérie. La Légion étrangère a donc été créée pour utiliser les réfugiés errants afin de mener des conquêtes et des campagnes qui rendraient sa grandeur à la France.
Une affiche de recrutement de la Légion étrangère
La nouvelle formule a rencontré immédiatement un succès retentissant. L’Europe était peuplée d’innombrables vétérans des guerres passées qui possédaient bien au moins un métier, celui de soldat. Des hommes de tous pays s’enrôlèrent avec enthousiasme et on les envoya en Algérie où les combats, les maladies et le soleil impitoyable ont immédiatement exigé leur tribut. Parmi ces hommes en route vers un nouvel avenir se trouvaient des Néerlandais. Beaucoup de Néerlandais, d’ailleurs: un bataillon spécial avait même été constitué pour les Belges et les Néerlandais.
Des Néerlandais dans la Légion
Après les campagnes en Afrique du Nord, en Espagne, en Crimée, au Mexique et en Italie et la guerre franco-allemande, la Légion étrangère française s’est révélée être un baromètre de ce qui se passait dans le monde. Si une guerre éclatait quelque part, si des gens étaient persécutés, aussitôt les premiers venaient s’inscrire pour servir dans la Légion. Si une guerre avait eu lieu, alors arrivaient les vaincus. Entre les guerres s’engageaient des mécontents, des vétérans sans but, de jeunes rêveurs, des aventuriers, des amoureux déçus, des endettés ou des hommes partis sur un coup de tête. Il en allait pour les Néerlandais de la Légion étrangère comme pour tous les autres. Inconnus dans un monde qui ne les comprenait pas, ils devenaient des camarades appréciés dans un monde nouveau qu’ils aidaient eux-mêmes à exister.
Le Frison Ebe Rinders Kooistra avait combattu lors de la Campagne des dix jours contre les rebelles belges. Après avoir effectué son temps dans l’armée néerlandaise, il avait travaillé un moment à l’étranger. Mais Kooistra ne pouvait plus s’adapter aux Pays-Bas et se présenta à la Légion étrangère. Il avait 30 ans.
Jan Koops de la province de Drenthe se plut tellement comme soldat dans l’armée néerlandaise qu’il en fit son métier. Quand son contrat ne fut pas prolongé, il se présenta à la Légion étrangère. C’était en 1840.
Le capitaine Johan Stöcker, de Leeuwarden, a servi durant 30 ans.
Johan Stöcker, de Leeuwarden, descendait d’une famille de mercenaires allemands. Il rêvait d’une carrière de militaire, mais être fourrier chez les dragons dans la Frise paisible, n’était qu’une besogne ennuyeuse. Stöcker s’est présenté en 1856 à Alger pour un nouveau travail et une vie nouvelle, il a servi durant 30 ans et a terminé sa carrière comme capitaine et Français. Il a combattu en Algérie, en Italie, au Mexique, a participé à la guerre franco-allemande et s’est distingué par un fait d’armes alors que sa garnison était attaquée par des insurgés français durant la Commune de Marseille.
Le père de Willem de Thouars était général de l’armée néerlandaise. Attendait-il trop de son fils? Après une violente querelle familiale en 1885, Willem est parti pour la France et s’est engagé dans la Légion étrangère.
Hendrik Jongbloed était fabricant de cigares à Beverwijk. Lui-même ne savait pas trop pourquoi il était parti à la Légion. À haute voix, il se demandait ce qui s’était passé. Un caprice? Soudain, il en avait eu assez de son travail et il était parti.
Le Limbourgeois Ernst Lamberty savait très précisément pourquoi il s’était engagé au début des années 30. Il voulait effectuer un voyage autour du monde sur un voilier et, avec un peu de chance, son service dans la Légion lui permettrait d’économiser de l’argent et d’apprendre les techniques de survie.
La Première Guerre mondiale
La soif d’aventure, la volonté de briser la monotonie de la vie civile, aller à la recherche de la trouée dans l’horizon, espérer une existence romantique ou fuir une épouse dominante: toute raison était bonne pour orienter différemment sa vie. Mais s’engager dans la Légion n’était en aucun cas un sacrifice. Cela changea quand la Première Guerre mondiale éclata.
La France était une destination prisée des artistes, des écrivains et des peintres à la recherche d’une vie de bohème à Paris ou dans un petit village pittoresque. Les envahisseurs allemands et la propagande française ont fait se presser les étrangers en France et à l’extérieur pour participer au combat. L’affluence d’étrangers a même été si énorme qu’on a dû créer de nouveaux régiments pour incorporer toute cette population guerrière.
Sur l'un des murs du Dôme des Invalides à Paris est apposée cette plaque à la mémoire des légionnaires néerlandais morts pendant la Première Guerre mondiale
Un grand nombre de Néerlandais sont venus en France pour aider, mais combien se sont engagés dans la Légion, on ne peut plus exactement le déterminer. Les nombres cités sont compris entre 215 et 1400, alors que des Néerlandais servaient aussi dans l’armée régulière française. Pour un pays resté neutre, il s’agissait de nombres considérables. L’amour des volontaires néerlandais pour la France et les Français s’est avéré grand.
L’oncle de la chroniqueuse juive Etty Hillesum était l’un d’entre eux. Tailleur de profession à Amsterdam, il s’est engagé et a été grièvement blessé lors d’une attaque au gaz dans une tranchée. Il en décédera seulement en 1921. De nombreux Néerlandais qui habitaient déjà en France s’engagèrent également. Comme les frères Jules, Hermann, Max et Louis Boers qui demeuraient à Paris. Seul Louis survivra à la guerre, les autres sont morts au combat.
Karel Heijting, l'un des premiers footballeurs professionnels néerlandais, a servi dans la Légion étrangère durant la Première Guerre mondiale. Il figure assis au centre de la photo. © Nationaal Archief, Den Haag
Arthur Knaap, originaire des Indes orientales néerlandaises, s’était engagé lui aussi. Dans ses lettres à son amie Mies, il se révélera être quelqu’un d’une sensibilité énorme. Karel Heijting était l’un des premiers footballeurs professionnels néerlandais. Il venait également des Indes néerlandaises, mais il habitait déjà en France lorsque la guerre s'est déclarée. Il a écrit chez lui qu’il ne pouvait pas rester inactif alors que tant de ses amis étaient soldats. Karel sera gravement blessé, mais survivra à la guerre.
La Seconde Guerre mondiale
La Seconde Guerre mondiale a été une guerre totale. Bon gré, mal gré, tout le monde y a participé. Des dizaines de milliers de Juifs d’Allemagne, d’Autriche et de Pologne ont compris ce qui allait se passer et se sont réfugiés en France. Plus de 25 000 d’entre eux se sont engagés dans l’armée française. Exactement comme lors de la Première Guerre mondiale, on a créé spécialement de nouveaux régiments pour tous ces nouveaux soldats. Une grande partie ont été directement affectés, contre leur gré, à la Légion étrangère. Mais les volontaires juifs n’étaient pas les seuls. Des fugitifs des Brigades Internationales espagnoles, Espagnols et étrangers, étaient en train de prendre leur revanche et s’engageaient.
Le Juif de Zutphen Maup Leuw s’est enfui des Pays-Bas. Torturé par les nazis dans sa propre ville, il a quitté les Pays-Bas, a signé pour cinq ans dans la Légion; au milieu de la guerre, après son contrat, il s’est engagé en Angleterre dans la Royal Air Force où il est devenu mitrailleur de queue sur un bombardier et s’est retrouvé apatride à son retour à Zutphen. Lorsqu’il a appris que sa famille aussi avait été massacrée, Leuw est reparti pour l’Angleterre et n’est jamais revenu.
Le Juif d’Amsterdam Maurits Buitekant s’est évadé en 1942 d’un camp de travail quand il a appris qu’il allait être déporté en Allemagne. Il a signé un contrat pour la durée de la guerre. Les marins néerlandais et anglais qui étaient déjà échoués en France avaient le choix entre la captivité et un contrat dans la Légion.
Le Frison Jan Bockma s’est engagé en 1942 à Vichy dans la Légion étrangère, il a déserté l’Afrique du Nord en bateau, est devenu marin anglais, a reçu une formation d’agent secret, et son avion a été abattu lors de sa première mission au-dessus de l’Ijsselmeer.
Après la guerre, le calme est revenu
Après la Seconde Guerre mondiale, le calme revient dans la Légion étrangère. Certes, des guerres importantes en Indochine et en Algérie sont imminentes, mais les motifs idéologiques pour s’enrôler semblent désormais dépassés. Les survivants parmi les armées vaincues de la Deuxième Guerre mondiale sont maintenant à la recherche de nouvelles occasions et de l’oubli. Les soldats des anciennes forces de l’Axe (Allemagne, Italie et Japon) se retrouvent alors côte à côte avec de jeunes gens en mal d’aventure, d’action et de romantisme. Les vétérans qui avaient combattu des années durant et de jeunes gars qui venaient juste de rater la guerre partageaient les tranchées et se sont ainsi retrouvés sur des champs de bataille dans des lieux dont ils ne savaient pas écrire le nom.
Les Néerlandais aussi étaient à nouveau de la partie. Johannes Vanloo, par exemple, avait servi dans la Waffen-SS et n’avait plus rien à faire aux Pays-Bas après la guerre. Ou l’Amstellodamois Nico de Haas, ancien communiste, nazi et SS. Mais aussi des personnes déplacées qui n’avaient rien à se reprocher cherchaient refuge à la Légion étrangère.
Karl-Heinz de Groot, un Juif néerlandais de Hambourg, dont le passé avait disparu en même temps que sa famille, a été accueilli aux Pays-Bas après la guerre. Mais s’y sentant incompris, il est parti au hasard et s’est retrouvé à la Légion. Après cinq ans dans ses rangs, il a écrit qu’il s’était engagé «parce que là, il y avait quelque chose à manger!» Tous ces Néerlandais totalement différents ont servi côte à côte avec d’autres engagés de nationalités tout aussi diverses et, bien sûr, aux côtés de Français car, dans la Légion, on ne discrimine pas.
Quand, après la guerre, les magazines ont recommencé à paraître, les récits sur la Légion étrangère ont également fait leur retour et donné à plusieurs l’idée de rejoindre la Légion. Parmi eux, Wim Vaal qui était étudiant. Mais il lui manquait quelque chose. Dans une gare de France, en 1955, il a vu une affiche invitant au recrutement dans la Légion. «Étranger, engage-toi dans la Légion étrangère.» C’est ce qu’il a fait.
Les jeunes Néerlandais n’étaient pas les seuls en quête d’un avenir au sein de la Légion. Des vétérans des nouvelles guerres auxquelles les Pays-Bas participaient se sont aussi enrôlés. Après les guerres aux Indes néerlandaises et en Nouvelle-Guinée et la guerre de Corée, la plupart des soldats qui ont ainsi été en contact avec les opérations militaires sont rentrés chez eux. Pour certains, le retour à la paix était cependant devenu impossible, et la Légion leur offrait ce qui leur manquait à la maison.
Jan Niezen était ouvrier du bâtiment, mais il étouffait dans la vie civile. Après sa mission en Corée en 1950, il savait ce qu’il voulait: retourner au combat. De retour aux Pays-Bas, il n’a pas attendu longtemps pour entrer dans la Légion. En 1953, au moins quatre jeunes gars tout juste rentrés de Corée n’ont pas attendu non plus: ils ont déserté l’armée néerlandaise pour vivre encore plus d’action dans les rangs de la Légion étrangère.
C'est à Aubagne, dans le Sud-Est de la France, que se trouve le quartier général de la Légion étrangère. © Rende van de Kampen
Et à vrai dire, il en est encore ainsi. Les vétérans des missions de maintien de la paix de l’ONU peuvent parfois ne pas retrouver leurs marques lorsque leur mission est terminée et chercher une échappatoire dans la Légion. Mais aussi les insatisfaits, les curieux, les aventuriers, les divorcés et les cœurs brisés s’engagent dans la plus célèbre armée du monde. Là, ils doivent travailler dur, mais un nouvel avenir se trouve au bout de leurs efforts.
Rob van Bezouwen, par exemple, n’avait pas encore 18 ans lorsqu’il a quitté son travail dans la batellerie pour une fille. Le temps des amours terminé, en 1974, il s’est engagé dans la Légion. Le Brabançon Marco Paans a quant à lui découvert pendant son service militaire à quel point il trouvait l’armée intéressante. Après un moment passé sur les canaux puis en mer à bord d’un dragueur, il a entendu dire en 1991 que la Légion étrangère existait encore, et il s’est engagé.
Pour la Légion étrangère elle-même, peu de changement
Et qu’en est-il de la Légion étrangère de nos jours? En France, il y a un dicton: «Un légionnaire mort, c’est un Français vivant!» Tout est dit. Tout le monde est bienvenu à la Légion. L’une des premières tâches de la Légion étrangère, qui consiste à tenir à l’écart de la rue tous ces excellents guerriers qui sont souvent de si mauvais citoyens, est toujours accomplie. Même après sa démobilisation, un légionnaire est bienvenu dans une maison de repos pour personnes invalides à Puyloubier ou dans la maison de retraite d’Auriol. La Légion étrangère aime ses soldats, et tous ces hommes sans pays sont ici des compatriotes.