1938
Le Monde colonial illustré. octobre 1938
Marsouins et Légionnaires défricheurs et bâtisseurs sur les plateaux du Tran-Ninh
Le Nouvelliste d'Indochine. 02/10/1938
Alan Seeger, notre frère d'Amérique
Le Nouvelliste d'Indochine. 02/10/1938
par Paul GALLAND.
Récemment M. Jean Zay, Ministre de l’Éducation nationale et M. William
Bullitt, Ambassadeur des États-Unis, ont inauguré à Bléraneourt un pavillon à
la mémoire des volontaires américains tombés sur le sol de France. Dans ce
pavillon se trouvent, entre autres reliques, celles qui rappellent le jeune poète
américain Alan Seeger.
A New York, le 22 juin 1888, une mère eut un fils...
Dans cette métropole du négoce, un enfant, dès que ses yeux peuvent découvrir les formes et les couleurs dès son intelligence, est capable d'ajuster des pensées sur ses perceptions, fait commerce de rêves et passe contrat avec l'Idéal.
Il a reçu cette faveur de vivre, si près et si loin du tumulte mercantile. dans une île de la vaste baie ouverte sur l'immensité, aux avant-postes d'un monde que les routes marines relient à un autre monde. Peu lui importe le trafic transatlantique. Les navires ne sont, pour lui, comme les nuages que les oiseaux de l'aventure.
A 12 ans. on l'emmène vivre dans un autre décor. Au Mexique, deux civilisations superposées lui relèvent leurs beautés, tantôt accommodées, tantôt demeurées contradictoires- Il prend contact avec une Europe latine démarquée. Déjà la Muse l'inspire.
Jeune homme, il revient aux États-Unis. A l'Université de Harvard, il confronte ses imaginations avec la réalité des textes. Il s'alimente du miel amassé par tant d'abeilles. Dans les vieilles épopées et nos chansons de geste, il apprend une histoire idéalisée, plus belle que la vraie.
Il a 24 ans quand il touche la terre de France.11s'est à un tel point préparé à cette escale qu'il lui suffit de quelques mois pour pouvoir chanter dans la langue de Racine.
Telle fut la formation d'Alan Seeger, poète et paladin.
1914. Août,.. Le grand drame éclate, dont les épisodes se joueront en mille décors de l'univers.
Le premier acte déroule ses péripéties de sang sur cette vieille Terre où s'est transplanté Alan Seeger.
Il voit ses jeunes compagnons français le quitter pour aller au rude devoir. Ces insouciants sont devenus des hommes. Leur tranquille fermeté lui semble un divin cadeau. Il les envie. Mais n'est il pas leur frère, de la même race spirituelle ? N'est il pas digne, lui aussi, de souffrir ?
Ils sont à peine hors de son horizon qu'il décide de les suivre. D'une plume ferme, le poète signe cette prose d'état civil : un engagement à la Légion étrangère.
Au front, des misères sont le lot de celui qui rêva de combats. d'épopée. avec leurs charges conduites par les clairons. leurs escrimes aux froissements d'acier, leurs gestes pathétiques. C'est la guerre des taupes et dos oiseaux de nuit. Elle se poursuit monotone
et cent fois fois plus cruelle, dans la boue, le sang et les ténèbres. On ne se bat pas; on s'écrase, entre anonymes. Veillant ou dormant; on attend son tour de mort, enterré d'avance.
Comme il doit souffrir le poète !
Connaissez cette âme qui s'est fixée sur un sommet :
« Ce fut là que, fermes anneaux de la chaîne imbrisable où tombe en vain le coup longuement prémédité, cœurs dignes de l'honneur et de l'épreuve, nous aidâmes à maintenir les lignes le long de l'Aisne. »
Il ne connut pas alors « l'honneur » de la balle qui tue, mais « l'épreuve» du froid qui meurtrit les poumons.
Notre air pyrénéen lui rendit la santé. Il repartit. N'avait-il pas dit: « J'ai rendez-vous avec la mort. »
Et la mort vint au rendez vous.
Le 4 juillet 1916. à l'heure H, le caporal de la Légion Alan Seeger s'élançait, à la tête de ses hommes, pour reprendre à l'envahisseur les ruines qui représentaient le village de Belloy-en-Santerre, morceau paysan de sa terre d'adoption.
C'était, par une merveilleuse coïncidence, l'anniversaire de l'indépendance Day.
« Comme il était pâle — note un de ses camarades — sa haute silhouette se détachait sur le fond vert des champs de blé. il était le plus grand de la section, la tête haute, le regard fier. Je le voyais courir la baïonnette au canon. Bientôt il disparut. »
Durant la nuit, on l'entendit chanter de vieilles Chansons françaises. Au petit jour, on le retrouva, muet pour toujours, couché sur le sol reconquis. On l'enterra, un peu plus loin. dans un petit cimetière, parmi des vieux de Chez Nous
Mais il fallait qu'il fût plus intimement encore mêlé à la glèbe française. Le canon fouisseur éparpilla ce qui restait de l'enveloppe de chair d'une âme magnifique.
Ce destin — le destin de Guynemer — le fait nôtre tout à fait et pour toujours.
Mort, il continua de servir.
Ce don qu'il nous fit de sa vie entraîna d'autres dons.
Lorsque les États-Unis entrèrent dans la lice, les poèmes d'Alan Seeger furent lus dans les bureaux de recrutement, dans les réunions publiques, dans les écoles.
Le même honneur lui a été. ces jours ci. décerné. pour le cinquantième anniversaire de sa naissance. Dans toutes les classes de France. nos enfants ont entendu cette voix d'outre-tombe qui les instruisit de la « haute camaraderie » de ceux qui, combattant pour le bien d'autrui, nous enseignèrent la dignité d'être hommes ». Ils apprirent comment" pour que d'autres générations puissent - dans les ans à venir, libres de l'oppression et de la menace — posséder un plus riche héritage de bonheur, il marcha à cet héroïque martyre. »
Bulletin de l'Association générale des mutilés de la guerre. 1938/08- 1938/09.
Alan Seeger
Bulletin de l'Association générale des mutilés de la guerre. 1938/08 - 1938/09.
Dans quelques jours il aurait cinquante ans. Le jeune poète américain qui hantait le quartier latin d'avant-guerre aurait, à n'en pas douter, enrichi de pages admirables la littérature de son pays; il serait célèbre, on se disputerait l'honneur de fêter son cinquantenaire entre artiste et lettrés.
Mais Alan Seeger avait une âme trop haute en 1914 pour songer à la seule gloire littéraire. A la fin d'août, le délicat, le raffine avait fait place au légionnaire Il ne parais- sait pas robuste, son allure était plutôt d'un bénédictin que d'un soldat, mais il avait le cœur d'un héros et à la guerre c'est le cœur qui compte.
Alan Seeger porta son sac et son fusil sur tous les champs de bataille où la Légion étonna les combattants les plus difficiles à étonner. Dans sa musette, il portait de quoi écrire lettres et poèmes. Au repos, il servait encore la cause à laquelle il s'était dédié. Il allait jusqu'à l'invective pour fustiger ceux qui, demeurés dans la paisible Amérique, n'avaient pas, comme lui, couru au canon. Il avait, lui, «pris rendez-vous avec la Mort» il lui parlait sans forfanterie, mais sans crainte : elle devait venir.
Le 4 juillet 1916, jour anniversaire de l'Indépendance Américaine, vers 6 heures du soir, à la tête d'une vague d'assaut, le caporal Alan Seeger tombait, sous le feu nourri d'un nid de mitrailleuses allemandes. L'attaque réussit, le village de Belloy-en-Santerre fut repris, mais lorsqu'au petit jour les brancardiers purent s'approcher de lui, Alan Seeger qui, durant la nuit, avait chanté des refrains populaires français s'était tu pour toujours.
Le sort devait encore s'acharner sur sa dépouille. Une contre-attaque allemande pulvérisa le pauvre cimetière où l'humble caporal gisait au milieu de ses compagnons d'armes. Le 8 juillet, il ne restait plus rien de lui.
On n'anéantit pas un poète et un héros; son âme flotte partout où il a passé. Un an après, jour pour jour, le 4 juillet 1917, retentissait au cimetière de Picpus le fameux « La Fayette nous voici» En 1918 deux millions de compatriotes d'Alan Seeger foulaient le sol de France et se ruaient sur l'envahisseur. Le 11 Novembre, le vœu d'Alan Seeger était exaucé.
Venu en France après la guerre, le père du poète ne retrouve plus rien qui puisse lui rappeler son fils. A Paris, la statue qui surmonte le monument aux volontaires américains est anonyme pour la plupart des passants;à Belloy-en-Santerre le nom du disparu figure sur le monument aux Morts, mais il reste inaperçu parmi tant de noms de soldats qui eurent, eux aussi, « l'honneur de bien mourir »
Dans le clocher reconstruit de l'église du village, une cloche baptisée des prénoms de la mère de Seeger, Charlotte Elisabeth, chante chaque soir l'Angélus, admirable don d'un père désolé qui nous ayant tout donné a voulu que résonne encore une voix céleste sur le champ de bataille régénéré où son fils s'est incorporé au sol de France.
Le souvenir d'Alan Seeger vit toujours dans le cœur des Français et des Américains. La FIDAC a voulu exprimer ses sentiments, dans des cérémonies qui eurent lieu le 4 juillet tant à Paris qu'à Belloy-en-Santerre, cérémonies intimes entre combattants cérémonies modestes, les seules qui eussent plu au disparu.
Dans toutes les écoles de France, par décision du Ministre de l’Éducation Nationale sur la suggestion de la FIDAC, les écoliers, ont récité des poèmes d'Alan Seeger et notamment : « J'ai un rendez-vous avec la mort » Ils ont appris que les temps modernes ont eu des héros comme ceux dont Plutarque a magnifié l' existence.