En 1898, la France décide de créer à Diego Suarez un point d'appui pour la flotte de l'Océan Indien. Par arrêté du 13 mars 1900, la province est érigée en « Territoire Militaire », sous le commandement du Colonel Joffre. En cinq ans, la baie est transformée en un immense camp retranché présentant deux fronts : face à la mer et face à la terre.
La batterie de rupture du Cap Miné verrouille l'entrée de la baie avec ses cinq canons M de 32 cm Mle 1870-81, pouvant tirer chacun un obus de près de 400 kg à une cadence de un coup toutes les quatre minutes. Quatre des canons de la batterie sont abrités dans une solide casemate bétonnée, qui les protège des coups, mais ne laisse un angle de tir de 3° seulement par pièce qui sont disposées par deux selon deux axes divergents de 9° portant la champ de tir de la casemate à 12° au total. C'est pourquoi le cinquième canon de la batterie fut installé sur une deuxième position, non casematée, à une cinquantaine de mètres à l'est, disposant d'un débattement de près de 180°, pour servir de « pièce de chasse », qui devait tenter d'endommager suffisamment les navires qui tenteraient de forcer la passe pour les ralentir et qu'ils restent le plus longtemps sous le feu de la casemate principale.Le front de mer
Le front de mer de Diego Suarez a été constitué d'après les principes posés par l'Instruction du 4 Décembre 1897 sur l'organisation des points d'appui de la flotte aux Colonies. D'après ces principes, le système défensif du front de mer doit comprendre :
1ère ligne : défense au large
Une première ligne ou position avancée qui, « obligeant les navires à rester en mouvement et à commencer le feu d'assez grande distances, rendra leur tir peu efficace et peu dangereux pour les établissements maritimes du point d'appui et pour les navires réfugiés dans la rade ».
A Diego Suarez, cette première ligne comprend en 1905 :
- Une batterie de 19cm G sur affûts modèles 1875-76 à pivot avant (batterie du Phare). Chaque pièce est dotée d'un appareil de visée Déport et la batterie dispose d'un télémètre sur un support indépendant. Tournés vers la mer, ses canons, du fait des restrictions budgétaires, sont d'un modèle qui fait douter de l'efficacité du tir contre les bâtiments à grande vitesse.
- Une batterie de mortiers de 270 (batterie du Glacis). Cette batterie ne dispose que d'un champ de tir direct très limité du côté de la haute mer. Elle a été placée en effet, de manière à pouvoir tirer à la fois au large, dans la passe et dans l'intérieur de la rade. Aussi a-t-il été nécessaire de prévoir une organisation pour le tir indirect. Chaque pièce est dotée d'un appareil de visée Déport.
- Une batterie de 138,6 (batterie du poste optique). Cette batterie peut tirer au large, dans la passe et dans l'intérieur de la rade. Située en hauteur mais bénéficiant d'affuts permettant un angle négatif de 12), la plongée, au lieu d'être plane comme dans toutes les batteries de côte est composée d'une série de surfaces coniques de révolution dont la génératrice fait un angle avec la verticale de 78°). En outre, on a pensé que cette batterie qui tire au large et possède un champ de tir étendu devait avoir le meilleur canon de moyen calibre existant et, on a en conséquence, remplacé ses canons modèle 70, par des canons modèle 70 M initialement prévus pour la batterie de la Baie des Boutres.
En résumé, l'organisation de la défense extérieure ou position avancée comprend deux batteries de gros calibre et une de moyen calibre. Comme le fait remarquer le Colonel Gallieni dans son rapport de 1905, c'est peu au regard des enseignements des tous récents évènements des guerres russo-japonaise et hispano-américaines qui ont démontré toute la nécessité de donner une importance plus grande à la position avancée et lui permettre notamment de faciliter, dans la plus large mesure, le débouché d'une escadre au delà de la passe.
Une escadre en effet, qui franchit une passe étroite comme celle de Diego Suarez, se trouve dans une situation critique : obligée de marcher en ligne de file, elle ne peut faire usage de tous ses moyens d'action, et elle risque, comme l'escadre espagnole à Santiago, des voir ses divers éléments annihilés successivement sous le feu convergent de navires ennemis battant le débouché à distance efficace. Il est donc de toute nécessité d'obliger les navires ennemis à se tenir à grande distance de l'entrée d'une passe.
Cet éloignement des navires ennemis est d'ailleurs nécessaire non seulement pour permettre le cas échéant à une escadre importante d'engager le combat dans de bonnes conditions mais encore pour « permettre à des navires isolés, des croiseurs corsaires de tromper la surveillance d'une escadre de blocus et de sortir de la rade, soit pour porter une nouvelle importante soit pour se jeter inopinément sur des navires transporteurs de troupes, soit enfin pour se diriger sur les routes du commerce ennemi ».
Une batterie de très grande puissance est donc souhaitée pour renforcer cette première ligne. Ce sera la batterie du Point de Vue, qui remplira correctement sa mission en 1942 en contraignant la flotte britannique à se retirer au delà de ses 19 000 m de portée.
2ème ligne : les abords de la passe
D'après l'Instruction du 4 décembre 1897 sur l'organisation des points d'appui de la flotte, la deuxième ligne a pour rôle de « défendre l'entrée des passes et de s'opposer à leur forcement ». A Diego Suarez, cette deuxième ligne comprend les batteries énumérées ci-après et dont quelques unes ont été déjà indiquées comme concourant à la défense de la première ligne.
- La batterie de 19 Est d'Orangea (batterie du Phare), qui peut non seulement tirer au large mais encore jusqu'à l'entrée même de la passe.
- La batterie de mortier de 270 (batterie du Glacis), qui tirant au large, surtout à tir indirect, peut aussi faire du tir direct sur toute la longueur de la passe et dans l'intérieur de la rade.
- La batterie de 138,6 Est d'Orangea (batterie du poste optique) qui tire sur la passe dans les mêmes conditions que la batterie de mortiers de 270.
- la batterie de rupture de 320 du Cap Miné. Cette batterie est casematée, abritée des coups du large et n'est aperçue par l'ennemi que lorsqu'il se présente sous le feu de ses pièces.
à ces quatre batteries pouvant tirer dans la passe il convient d'ajouter les batteries suivantes :
- la batterie de Vatomainty qui peut exécuter un tir d'enfilade sur une escadre essayant de forcer la passe,
- la batterie de 138,6 Ouest d'Orangea et la batterie de 47 T.R. qui l'encadre (batteries de la Baie des Boutres),
- la batterie de 194 modèle 70-93 Ouest d'Orangea (batterie de la pointe de l'Aigle),
- la batterie de 240 modèle 70 de Cap Diego (batterie d'Andrahampotsy) qui bat à une distance de 8 000 m ce même débouché.
Ce sont donc six batteries de gros calibre, deux de moyen calibre et une de petit calibre, soit trente-six pièces qui peuvent faire converger leurs feux sur une escadre ennemie essayant de franchir la passe. Deux de ces batteries de gros calibre, celle de 270 et celle de 320 sont susceptibles de causer des avaries sérieuses à des cuirassés. Deux batteries, celle de 19 G (Phare) et de 194 modèle 70-93 (Pointe de l'Aigle) peuvent tirer utilement sur des croiseurs cuirassés et, enfin deux autres, celle de 240 Modèle 70 de Cap Diego (Andrahampotsy), et celle de 19 de Vatomainty peuvent exécuter un tir de bombardement sur les navires ennemis.
La défense de deuxième ligne est donc assurée de façon satisfaisante, même si une nouvelle batterie de rupture de gros calibre sera fortement suggérée mais en vain.
La batterie de 240 d'Andrahampotsy, à Cap Diego
Ci-dessus vers 1900, à droite et ci-dessous de nos jours
La batterie de 240 d'Andrahampotsy, à Cap Diego
Ci-dessus vers 1900, à droite et ci-dessous de nos jours
3ème ligne : l'intérieur de la rade
Toujours selon l'Instruction du 4 décembre, la troisième ligne a pour objet « d'obliger l'ennemi qui a forcé la passe à se retirer ou à entamer une nouvelle lutte pour ne pas rester aux coups des batteries ». A Diego Suarez, cette troisième ligne comprend les batteries énumérées ci-après et dont quelques unes ont été déjà indiquée comme concourant à la défense de la deuxième ligne.
- la batterie de 194 modèle 70-93 Ouest d'Orangea (batterie de la pointe de l'Aigle). Cette batterie a un rôle très important. Elle suit en effet un navire depuis son débouché dans la rade jusqu'à son entrée dans la baie de la Nièvre et l'empêche de stationner dans la Baie du Tonnerre ainsi qu'à l'entrée de la Baie des Français et de celle des Cailloux Blancs.
- la batterie de 138,6 Ouest d'Orangea et la batterie de 47 T.R. qui l'encadre (batteries de la Baie des Boutres),
- la batterie de 138,6 d'Antsirane (batterie du Lazaret) qui souffre de la faiblesse de son armement eu égard à la distance qui la sépare des navires ennemis qui chercheraient à pénétrer dans la baie de la Nièvre.
- la batterie de 240 modèle 70 de Cap Diego (batterie d'Andrahampotsy),
- la batterie de 138,6 Modèle 70 M de Cap Diego (batterie de l'Hôpital). Cette batterie comprend 6 canons de 138,6 Modèle 70 M sur affûts de bord surélevés.
- la batterie de Vatomainty
Un ensemble de magasins de secteur est construit pour assurer l'approvisionnement des batteries : magasin à munitions souterrain d'Orangea et de Vatomainty, amménagés dans des cavenes naturelles, et les abris entrrés du Lazaret et de Cap Diego. Ces magasins doivent en permanence entretenir une réserve de cent coups par pièce pour chacune des batteries qu'il a en charge, soit environ 3 500 obus de différents calibres pour les plus grands.
Les conditions de températures et d'hygrométrie de la Baie rendent le stockage des munitions délicat. Le métal et la poudre souffrent en effet beaucoup de la chaleur et de l'humidité, contraignant à les batisseurs à modifier plusieurs fois leurs ouvrages pour en améliorer la ventilation et l'isolation. Les parois du magasin d'Orangea sont ainsi doublées d'un mur en maçonnerie pour limiter les infiltrations ; des puits de ventilation sont partouts aménagés.
Canon G de 19 cm Mdle 1875-76 sur affût PC
L'Eclairage de la Baie
Depuis sa première utilisation par la Marine Royale en 1882 pour empêcher des forces égyptiennes de tenir des batteries d'artillerie à Alexandrie, puis son utilisation intensive pendant la guerre russo-japonaise de 1904-1905, le projecteur d'artillerie s'impose au début du XXème siècle comme un accessoire indispensable à la défense d'une place. Utilisant un réflecteur parabolique pour concentrer la lumière produite par un arc électrique, il permet de surveiller les abords d'un mouillage, mais aussi de créer le « clair de lune artificiel » propice aux attaques. C'est devenu un élément essentiel au tir nocturne.
Le Général Joffre a ainsi prévu, en complément du plan de défense, un Plan d'Eclairage de la Baie qui a pour objectif de permettre la surveillance des abords de la passe d'une part, et ceux de Diego Suarez et du Port de la Nièvre d'autre part. Les projecteurs, appelés alors « photo-électriques », sont placés dans des abris de combat maçonnés ou bétonnés selon les cas. Ils sont posé sur des chariots et une voie de 60 permet de les transférer rapidement à l'abri-usine généralement situé à quelques dizaines de mètres en retrait de l'abri de combat. Celui ci contient le groupe électrogène à pétrole qui fournit l'énergie au projecteur, ainsi que des installations de réparation et d'entretien.
Eclairage de la passe
Celui ci comporte dans un premier temps deux projecteurs Mangin de 90 cm abrités chacun dans une casemate spéciale, l'un à la Baie des Dunes et l'autre à la Pointe de l'Aigle. Il s'avère rapidement que cette disposition laisse un angle mort très important au niveau du Cap Miné. Le Colonel Gallieni propose en 1903 que soit construit au Gros Rocher un abri supplémentaire qui recevra un projecteur d'artillerie et un de signalisation pour relayer les nouvelles en provenance du large.
En 1942, ce dispositif sera complété par l'adjonction d'un projecteur de 150 cm à la Côte 84, étendant la surveillance vers le large à près de 5km de la passe.
Diego Suarez et le Port de la Nièvre.
Un projecteur de 90 cm est placé sous abri à la Pointe d'Andrahampotsy, à Cap Diego, qui permet de fouiller la Baie et barrer l'entrée du Port de la Nièvre.
Un feu mixte de 90 cm est installé à la Pointe du Corail, dont les feux convergent avec le précédent pour renforcer son action.
En 1940, un nouveau projecteur est installé sous abri près de la batterie de 138,6 du Lazaret. Il permet la surveillance de la Baie des Français dans laquelle des navire pourraient se mettre à l'abri des 2ème et 3ème lignes du front de mer.
Ci-dessus : Abri à projecteur de la Baie des Dunes
Ce projecteur électrique fonctionne grâce à une lampe à arc. Il est utilisé depuis 1877 dans les 4 places de l'est ou sur les ouvrages côtiers pour éclairer les abords des ouvrages ou les aéronefs. Les premiers modèles sont placés sur un chariot attélé à une machine Gramme et son moteur, le tout était tiré grâce à une locomotive routière à vapeur. Après cette date, les projecteurs vont évoluer avec des diamètres allant de 45 à 120 cm permettant d'éclairer de plus en plus loin (jusqu' à 3km par temps clair pour un projecteur de 90 cm de diamètre). Ils seront alimentés avec des groupes électrogènes mobiles à pétrole de marque Sautter Harlé. Après 1906, on placera ces engins dans les ouvrages prioritaires sous tourelles ou sous casemates pour les protéger des bombardements. Leur alimentation se fera depuis l'usine électrique de l'ouvrage.