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2013


Un siècle d'urbanisme à Diego Suarez - 2ème partie : Une ville à deux têtes

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Mercredi, 11 Décembre 2013

La « Direction de l’Intérieur » de Diego Suarez

Ville nouvelle, destinée à assurer la présence française dans l’Océan Indien, Antsirane a été créée par les militaires pour les militaires. Comme le dit le géographe Rossi: « La construction de la ville a donc été dictée uniquement par des considérations stratégiques ». Cependant, l’activité économique engendrée par la présence de l’Armée va attirer une population civile qui ne fera que croître avec la colonisation de tout le pays en 1895.

Cette dualité entre la ville militaire et la ville civile va marquer durablement la gestion et le développement urbain du chef-lieu du Territoire de Diego Suarez.

Du Commandant Caillet au Gouverneur Froger

Après le traité Franco-Merina de 1885, la première installation française est celle de la Dordogne, gros navire-ponton, affecté au service de Diego Suarez en juin 1885, qui servira de résidence au premier « commandant supérieur » du nouvel établissement, le capitaine de frégate Caillet. Voici la description que donne De Mahy de cet « établissement » : « nous avons mis pied à terre au village d’Antombouck ou Antsirane, composé d’une vingtaine de paillottes malgaches, abritant une population très pauvre, de cent vingt ou cent cinquante habitants. A gauche du village, le casernement de nos soldats, très bien conditionné [...]Au-dessus du village s’élève un plateau qui s’étend vers le sud. Sur le rebord du plateau, deux fortins dominent le village et la rade ». Ces casernements, nous dira plus loin De Mahy « ont été faits par les hommes de la Dordogne et par la troupe au moyen des débris du transport l’Oise, naufragé en février dernier à Tamatave. Bref, on a tiré parti de tout, le mieux qu’on a pu ». Dès l’origine, le village civil a donc coexisté avec les installations militaires. Dans sa conversation avec François de Mahy, le commandant Caillet évoque le développement... futur, de la nouvelle colonie française, où les militaires occuperaient Cap Diego alors que la ville se développerait sur le village malgache : « C’est là, sur le cap Diego, que devraient être placés, selon M. Caillet, les premiers établissements du futur arsenal : hôpital, casernement, fort, parc à charbon etc. La ville marchande occuperait la place du village malgache que nous avons visité la veille, et les environs. L’eau de l’aiguade d’Antsirane est excellente... » Mais « il n’y a encore rien de construit au Cap Diego, sauf un petit quai en pierres, qui a été fait par un créole de Bourbon, sous la direction du commandant Caillet » (François de Mahy). Il fallut attendre les instructions du 28 août et du 2 septembre 1886 qui préconisaient l’occupation des hauteurs qui dominent la baie au sud, pour que le Commandant Particulier Caillet décide de grouper toute la partie active de la garnison de Diego Suarez à Antsiranana, en vue de l’exécution des travaux de fortification et de défense de l’Etablissement. La double vocation, militaire et commerciale de Diego Suarez s’impose donc dès les débuts de l’installation française mais elle se fait- difficilement- sous l’autorité des militaires. Difficilement parce que, déjà, l’argent manque.

Un correspondant anonyme de la Société de Géographie commerciale insiste sur les difficultés pour faire rentrer l’argent, qui provient exclusivement des droits de douane : « Le commerce de Diego Suarez se plaint des droits de douane exorbitants que l’on paye à l’entrée et à la sortie ». Aussi, pour échapper à ces taxes, les navires marchands débarquent -ils leur chargement dans le port d’Ambodivahibe, contrôlé par les Merina d’Ambohimarina : « Il y a tout avantage à débarquer en pays hova parce qu’on peut s’arranger avec le chef de la douane et payer moins ! » Et le correspondant de la Société de Géographie suggère : « à mon avis, on devrait déclarer Diego Suarez port franc pour toutes les marchandises excepté les alcools, et autoriser le commandant particulier à mettre sur l’entrée des alcools un droit qui serait versé dans une caisse destinée à subvenir aux divers travaux hygiéniques nécessités par les conditions climatériques du pays, à entretenir un service de voierie, à créer un lazaret pour les quarantaines... à construire un aqueduc destiné à amener l’eau et à établir un service de bateaux chalands allant verser en dehors de la rade les immondices et les détritus, animaux et végétaux, qui empoisonnent sa plage ».
Nous voyons donc que, dès sa naissance, se posent les deux problèmes auxquels est confrontée la future ville d’Antsirane : la prééminence militaire et les sources de financement.

Un gouverneur civil pour Diego Suarez

Le 4 mars 1887, arrive à Diégo le nouveau « commandant particulier » du Territoire : un civil, M.Froger. Le correspondant de la Société de Géographie remarque : « il est rempli de bonnes intentions mais, malheureusement, il a les bras liés par ses instructions. Il peut et il ne peut pas. Il doit référer pour tout au ministre, et cela occasionne des retards ». Dès son arrivée, en 1887, Froger va avoir à résoudre la problématique de Diego Suarez : qui aura le pouvoir dans le Territoire ? Où trouver des moyens de financement dans une ville où tout est à faire ? En ce qui concerne la concurrence civils / militaires, Froger demande au Ministère « d’éclaircir au mieux cette situation et de mettre fin aux rivalités entre personnel militaire et civil ». La forte personnalité de Froger lui permet d’échapper en partie à l’influence militaire en regroupant tous les services civils à Antsirane et surtout, d’obtenir un budget autonome pour l’administration civile (alors que le budget de la ville dépendait jusque là du budget de l’Armée). Par une dépêche ministérielle du 4 juin 1888, l’autorisation est donnée au Gouverneur « d’établir un budget local régulier, à Diego Suarez, à partir du 1 er janvier 1889 ». Ce budget, établi essentiellement à partir des impôts et des taxes, permit d’établir les premiers équipements de la ville, mais, comme nous l’avons vu dans l’article précédent, ces équipements restèrent rudimentaires. La voierie —qui avait été confiée à un entrepreneur privé, M.Chaming’s— se réduisait au ramassage des ordures dans les ruelles assez larges (elles étaient rares) pour laisser passer une charrette et à l’installation de tinettes devant les maisons (à partir de 1895 seulement). Quant à l’éclairage, il était à la charge des habitants qui devaient laisser une lanterne allumée toute la nuit devant leur porte. Cependant, avec l’accroissement de la population et par conséquent des imposables, le budget est quasiment quadruplé entre 1889 et 1894. Cela va permettre au Gouverneur Froger d’entamer un plan d’équipement de la ville, qui reste encore, cependant, étroitement dépendante des militaires. C’est ainsi que l’essentiel du service de santé dépend en grande partie de l’hôpital militaire de Cap Diégo, la ville d’Antsirane ne disposant que d’un dispensaire installé dans une baraque en bois, tenu par un médecin des colonies qui dispense les soins d’urgence. C’est l’approvisionnement en eau qui reste le meilleur indicateur du développement « parallèle » de Diego Suarez en ce qui concerne civils et militaires. Dans les premières années, une fontaine, installée par l’Artillerie au-dessus du port, est réservée aux militaires alors que la « fontaine du tamarinier », dans la ville basse fournit la population civile. Louis Brunet remarque à ce sujet, en 1888 : « à Diego Suarez, en temps ordinaire, un fonctionnaire est placé près de chaque fontaine pour surveiller et régler l’emploi de l’eau par les habitants et empêcher que personne ne puisse être servi avant les troupes... Au reste, il semble qu’à Diego Suarez tout ce qui est civil doive céder le pas à l’élément militaire ». Même chose pour le port, où les militaires disposent d’un débarcadère alors que les civils doivent débarquer à dos d’homme jusqu’à la plage !
Malgré l’étroitesse de son budget, le Gouverneur Froger, commence à développer la ville sur le plateau, jusque là réservé aux militaires, notamment par le percement de la rue Colbert, la construction de l’abattoir, du marché couvert et par l’adduction d’eau. En novembre 1890, est créée une « Direction de l’Intérieur » ayant à sa tête un administrateur colonial chargé de l’application des décrets et des arrêtés mais, de même que l’éphémère « conseil consultatif » « ces services sont tous dans un état embryonnaire » (Froger). Malgré ces « renforts », Froger doit se battre pour avoir les coudées franches : Louis Brunet constate : « Le gouverneur lui-même n’a pas toujours été considéré par le commandant des troupes comme le chef réel de la colonie. Cette question des pouvoirs non séparés est la source d’un conflit permanent, et, en tout cas, toujours latent ». Au départ de Froger, si la ville civile s’est considérablement développée, elle fait cependant triste figure à côté de la ville militaire, comme le constatera D’Anfreville de la Salle quelques années plus tard, en opposant les « superbes casernes de l’artillerie coloniale » aux maisons des particuliers souvent « faites de débris ». Beaucoup, comme Louis Brunet, pensent alors que la solution à ce conflit entre autorité civile et militaire serait résolu par la mise en place d’une municipalité : « il faudrait peut-être commencer par doter la ville d’Antsirane d’une municipalité à laquelle le chiffre de sa population lui donne droit ». Ce sera chose faite par l’arrêté du 13 février 1897, érigeant en commune les établissements de Diego Suarez.

Plan de Diego Suarez paru en 1899 dans le Guide de l’immigrant à Madagascar

Après 1895 : qui gouvernera Diégo ?

Dès 1896, par le décret du 28 janvier « les établissements français de Diego Suarez, de Nossi-Be et de Sainte - Marie de Madagascar cessent de former des possessions distinctes et sont placés sous l’autorité du Résident Général de France à Madagascar ». En conséquence l’emploi de Gouverneur à Diego Suarez est supprimé (article 2) et « Les Etablissements de Diego Suarez, de Nossi-Be et de Sainte-Marie de Madagascar seront érigés en communes ». Quant aux Administrateurs, ils « exerceront les fonctions de Maire » (article 4). Le 6 juin 1896, le premier Administrateur-Maire de Diego Suarez, M.Aubry-Lecomte prend ses fonctions. Cependant, en ce qui concerne Diego Suarez, il s’ensuit une période de confusion pendant laquelle on ne saura pas très bien qui gouverne quoi. C’est ainsi que le Commandant supérieur des troupes, le Lieutenant-colonel d’Artillerie de Marine Brun se présente, dans le Journal Officiel de Diego Suarez du 20 juillet 1896 comme le Gouverneur par intérim de Diego Suarez puis comme le Commandant Supérieur des troupes tandis que, dans le même temps certains décrets sont pris par l’Administrateur-Principal, maire de Diego Suarez, Aubry-Lecomte. Consulté sur l’attribution des pouvoirs à Diego Suarez, le Résident-Général Laroche donne des réponses assez confuses : qu’on en juge : « La Police du Territoire de la Colonie conquis sur l’ennemi sera dorénavant assurée par l’autorité civile sous les restrictions suivantes :
1° Le maintien de l’ordre public [...] sera, dans une zone déterminée par l’autorité militaire, exclusivement assuré par cette dernière.
2° Aucune construction ne pourra s’élever, aucun commerce, aucune industrie s’exercer sans que l’autorité militaire en ait [...] donné l’autorisation [...].
3°Aucun impôt [...] ne pourra être perçu par la Colonie sur le domaine militaire sans l’assentiment du Commandant supérieur des troupes »
.
On le voit, il ne restait à l’Administrateur-Maire, pas beaucoup de latitude dans une ville qui appartenait en grande partie aux militaires ! On peut en juger par la nature des décisions de l’Administrateur-Maire parues dans le J.O de Diego Suarez et dont voici un exemple : « Par décision de M. l’Administrateur-principal, Maire de Diego Suarez, en date du 1 er juillet 1896 ; le sieur Madé-Virin est nommé Cuisinier de l’Hôpital Civil » ou celle-ci : « Par décision de M. l’Administrateur principal, Maire de Diego Suarez [...] M. le Commissaire de Police est chargé de la perception des droits de visite des porcs » ! On voit l’importance des domaines qui relevaient à l’Administrateur-Maire ! Certains arrêtés témoignent d’ailleurs de cette rivalité, comme celui pris par le Maire à propos du fort d’Ambohimarina, interdit aux civils bien que l’on ait cru comprendre que les militaires avaient perdu leurs « prérogatives » sur cette zone : à travers les lignes nous sentons l’exaspération des civils : « j’ai l’honneur de vous inviter, Messieurs, dans le but de conserver des relations courtoises avec l’autorité militaire, à vous abstenir [...] de toute immixtion dans le Territoire d’Ambohimarina ». Pour clarifier les attributions respectives des autorités civiles et militaires, il faudra une série d’arrêtés qui témoignent d’une certaine indécision chez les autorités de Tananarive.
Le règne des Administrateurs-Maires
Le 13 février 1897, l’arrêté 386 précise le fonctionnement des établissements qui viennent d’être érigés en communes. En voici les principales dispositions :
« Article II -La commune de Diego Suarez aura pour chef-lieu «Antsirane» et pour circonscription le territoire acquis à la France par le Traité Franco-Hova du 17 décembre 1885.
Article III : L’administrateur...exerce les fonctions de maire.
Il est assisté d’une Commission Municipale dont les membres choisis parmi les citoyens français à l’exception d’un seul pris dans la population indigène, sont nommés par arrêté du Résident Général.
Art.IV : Les membres de la Commission municipale et les adjoints sont nommés pour deux ans. Leur mandat est indéfiniment renouvelable, mais il peut aussi leur être retiré avant l’expiration du terme de deux années, par arrêté du Résident Général »
.
Plusieurs remarques s’imposent, à la lecture de ces dispositions : d’abord, que les malgaches ne sont pratiquement pas représentés dans l’Administration de la nouvelle commune. Ensuite, que la commission municipale dépend entièrement de l’autorité du Résident Général. Enfin, que l’Administrateur est un fonctionnaire. Cette position de simple relai de l’autorité centrale fera des Administrateurs-Maires l’objet de l’hostilité de leurs concitoyens, français ou malgaches, qui leur reprocheront soit leur docilité au pouvoir central, soit leurs avantages de fonctionnaires. D’autant plus que les pouvoirs exercés par l’Administrateur-Maire (sous couvert de l’autorité centrale) ont été étendus. En effet, L’Administrateur-Maire est chargé:
- de la publication des lois et règlements,
-de la sûreté générale,
-de la conservation et de l’administration des propriétés de la commune,
-du budget et de tout ce qui concerne les dépenses,
-de «tout ce qui concerne l’établissement, la conservation, l’entretien et la réparation des édifices de la commune...»,
- de la police de la commune,
-des fonctions de l’Etat-Civil,
- de la fixation des mercuriales,
- de la direction des travaux communaux... et de bien d’autres choses encore ! De plus « L’Administrateur-Maire est seul chargé de l’Administration de la Commune »(Art.19), ce qui le fera souvent traiter de dictateur ! Cependant, ces dispositions applicables à toutes les communes de Madagascar, ne seront pas toujours respectées à Diego Suarez, où la primauté de l’Armée sera encore renforcée au moment où Diego Suarez deviendra Point d’Appui de la Flotte et où le véritable maître sera le Colonel Joffre. Il faudra attendre1905 pour que les civils retrouvent un semblant d’autorité. Autorité qui sera pourtant mal perçue par une population qui ronge son frein sous la tutelle des fonctionnaires et qui ne rêve que d’une municipalité élue et non nommée. Le journal La cravache antsiranaise revendique ce premier pas vers la démocratie dans son numéro du 22 novembre 1908 « N’est-il pas temps que nous ayons un Maire et un Conseil Municipal dans toute l’acception du mot ? Pétitionnons, peuple d’Antsirane, soyons unis d’esprit et de cœur et demain les édiles élus par vos suffrages formeront le Conseil Municipal discutant, sous la présidence d’un Maire légitimement élu et reconnu, vos intérêts les plus sacrés ».
En fait, il faudra attendre 1956-57 pour que ceux que les Antsiranais traitent - avec exagération sans doute - de dictateurs laissent la place au premier maire élu de Diego Suarez, le syndicaliste d’origine réunionnaise Francis Sautron.
■ S.Reutt


Un siècle d'urbanisme à Diego Suarez - 1ère partie : Une ville en train de naître (1885-1905)

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Jeudi, 05 Décembre 2013

Vue de la ville basse à la fin du XIXème siécle depuis l’actuelle place Joffre. Ce quartier est maintenant occupé par l’usine de la PFOI

Diego Suarez est la seule grande ville de Madagascar créée au XIXème siècle. En effet, quand les Français s'installent à Diego Suarez, en vertu du traité de 1885, Antsirane n'est qu'un petit village de quelques cases.

Leguevel de Lacombe, qui visite la région vers 1830 constate qu'« à la baie de Diego Suarez [...] on ne voit que de misérables villages composés de 20 ou 30 cases petites et peu solides ». En 1862 le Dr Gunst constate qu'« un vieillard sakalave, qui vit à Diego Suarez avec toute sa famille, compose toute la population de ce vaste port ». En 1885, François de Mahy parle d'une « vingtaine de paillottes malgaches, abritant une population très pauvre, de 120 ou 150 habitants ». Et en 1886, le premier Commandant de Diégo évalue à 100 ou 150 le nombre d'habitants dans la « ville ». Mais ce village de pêcheurs va rapidement grandir en occupant la cuvette de 4 hectares serrée entre la mer et le plateau. Avec l'arrivée du gouverneur Froger, en 1887, la ville d'Antsirane va poursuivre son extension sur le plateau. Cependant, à partir de 1895, le développement urbain d'Antsirane va connaître un ralentissement dû au déplacement de certaines administrations à Tananarive. A telle enseigne qu'en 1898, le Général Gallieni promulgue un arrêté « Portant suppression momentanée de l'impôt foncier sur la valeur locative des maisons à Diego Suarez », décision explicitée par la constatation suivante : « Considérant que par suite de la réduction du personnel administratif, du retrait de la garnison, le commerce local subit une crise dont il y a lieu de tenir compte ».
Mais à partir de 1900, Diego Suarez étant devenu « Point d'Appui de la Flotte de l'Océan Indien » la ville va reprendre son expansion et voir ses infrastructures se développer de façon importante. Cependant, du village de pêcheur à la ville « moderne » de Joffre, la ville, si elle s'est développée considérablement, l'a fait de façon assez désordonnée, sans trop se soucier d'esthétique et d'urbanisme.

La ville basse, une ville champignon

Les premiers voyageurs qui découvrent Diégo s'en désolent ou s'en amusent. Voilà la description féroce qu'en donne, en 1895, dans Au pays de Paul et Virginie un voyageur, déjà bien secoué par le voyage mouvementé qui l'a amené à Diégo : « Diego Suarez ne vaut guère la peine de s'exposer à de tels périls : c'est le plus triste lieu de la terre, et j'aimerais mieux vivre en Laponie que dans ce site désolé. Le village se compose de quelques maisons de bois disséminées sur des rochers arides [...] Je plains les pauvres soldats condamnés à mourir d'ennui dans cet affreux désert...» Pas plus d'enthousiasme chez C.Vray qui, dans Mes campagnes évoque son arrivée : « c'est pis que tout ce que nous pensions ; c'est plus triste, plus misérable que personne n'eût osé s'y attendre ». M de Kergovatz en 1892, lui, trouve le village particulièrement animé mais ne s'extasie pas sur son aspect : « Une ou deux maisons à étage dominent un enchevêtrement de cases couvertes en tôles ».

Les premiers efforts d'urbanisme

Pourtant, le gouverneur civil Froger, qui arrive en 1887, tente de développer la ville haute. Pour éviter le désordre de la ville basse où les parcelles constructibles avaient été distribuées sans plan préalable, un plan cadastral va être établi qui découpera de façon géométrique l'espace offert aux civils par le système des concessions. L'arrêté du 16 novembre 1887 stipule que « les concessions urbaines qui n'auront pas été closes et habitées dans un délai de trois mois seront reprises par l'Administration ». Le nombre des maisons va donc se multiplier rapidement. En 1893, dans ses Impressions de voyage Marius Chabaud recense : « trois cent quatre-vingt-dix maisons et quatre cent cinquante deux cases malgaches » mais la voierie ne suit pas : « L'éminence sur laquelle est bâtie la ville est malheureusement dépourvue d'eau ». Des rues ont été percées sur le plateau, se coupant à angle droit en délimitant des blocs réguliers ; de nouveaux bâtiments ont été construits : la Résidence, la direction de l'Intérieur, un premier marché couvert... Cependant, au moment de l'expédition de Madagascar, en 1895, le Dr Hocquard n'est pas très optimiste sur l'aspect et l'avenir d'Antsirane  : « la colonie vit dans un état assez précaire : ses habitants n'ayant pas confiance dans son avenir, n'osent pas y engager leurs capitaux et ne font rien pour s'y fixer de façon définitive. Le voyageur est tout de suite renseigné sur cet état des esprits en parcourant les rues de la ville. Toutes les constructions ont l'air d'être provisoires ; à part le gouvernement, les casernes, le commissariat de la marine et l'habitation du chef du génie, elles sont faites en planches ou en matériaux démontables, comme si leurs propriétaires s'attendaient à abandonner d'un moment à l'autre la colonie ». Ce côté « provisoire », abandonné, d'une ville construite sans véritable plan d'urbanisme est souligné par l'Annuaire Général du Gouvernement de 1902 :
« La majeure partie de la ville basse est coupée de ruelles étroites, bordées par des constructions misérables et mal entretenues. Avant la période de 1900-1901...on avait tracé de nombreuses rues entretenues sommairement, établi des communications, devenues rapidement insuffisantes, entre la ville haute et la ville basse construite dans une sorte de cirque peu étendu bordant le port ».

La ville de Joffre : une ville faite pour les militaires

Aussi, l'Annuaire du Gouvernement Général de 1900 constate-t-il : «Le développement d'Antsirane, conséquence de la création d'un point d'appui de la flotte à Diego Suarez, a rendu indispensable l'amélioration des communications, la construction de chaussées larges et empierrées, praticables pendant l'hivernage et l'établissement d'une canalisation destinée à assurer l'écoulement des eaux ménagères et pluviales ».
Mais, au début du siècle, ces projets sont encore... à l'état de projet, comme en témoigne D'Anfreville de la Salle : « Elle a déjà les allures d'une ville. Quand les améliorations qu'on y projette seront achevées, lorsque les travaux de voierie et ceux du port seront terminés, Antsirane pourra vraiment soutenir la comparaison avec les autres centres de Madagascar ».
Par ailleurs, l'essor d'Antsirane étant dû essentiellement à l'installation des milliers de soldats qui sont affectés au Point d'Appui, la ville va être façonnée de façon à faire de Diégo un véritable camp militaire. Déjà, lors de sa mission à Madagascar en 1888, le député Louis Brunet s'indignait : « il semble qu'à Diego Suarez tout ce qui est civil doive céder le pas à l'élément militaire ». Et il rendait responsable de cette situation le fait qu'il n'y ait pas, à Antsirane, de municipalité et que le gouverneur civil n'ait pas toujours « été considéré par le commandant des troupes comme le chef réel de la colonie ». Il est évident que la promotion de Diégo comme Point d'Appui de la flotte n'a rien fait pour diminuer l'importance des militaires et c'est bien le colonel Joffre qui sera le maître d'œuvre de l'urbanisme antsiranais dans les premières années du XXème siècle.

Le plan d'alignement de 1901

Joffre commencera par établir un « Plan d'alignement » qui prévoit la suppression ou l'élargissement des rues étroites de la ville basse. Les communications entre celle-ci et la ville haute seront facilitées par plusieurs rues établies sur les pentes du plateau et par des escaliers (dont certains existent toujours). En 1901 un crédit de 150.000 francs permet de commencer l'exécution des travaux les plus urgents. La rue de Richelieu qui relie la rue de la République (dans la ville basse) à la rue Colbert est élargie et redressée, la chaussée est refaite et bordée de trottoirs et de caniveaux pavés ; elle est protégée par deux murs de soutènement et assainie par trois petits égouts transversaux. Au niveau de la ville haute, qui comprend le quartier européen et le quartier malgache séparés par la rue Caillet, le plan d'alignement prévoit également la suppression des rues étroites et l'aménagement des autres. Quant au quartier « indigène », il est prévu de le déplacer au sud de la Place de l'Octroi (Tanambao). Ce déménagement —qui laissera la place nécessaire à la construction du nouvel hôpital— est présenté par les autorités comme une mesure d'hygiène : « Ce quartier, composé de petites cases groupées autour d'étroites ruelles dont la surveillance, au point de vue de l'hygiène est difficile, constituait pour la ville un danger sérieux au cas où une épidémie se serait déclarée ». (Annuaire du Gouvernement Général)
D'après l'Annuaire « Sur le nouvel emplacement, les Malgaches occuperont un vaste terrain, bien séparé du reste de la ville, et aménagé suivant certaines règles qui ont été imposées par la Commission d'Hygiène. Toutes les cases devront être élevées au-dessus du sol, être entourées d'une petite cour, et ne jamais être resserrées par des constructions accessoires. L'écoulement des eaux ménagères sera assuré ; des latrines publiques seront construites et les logements qui paraîtront insalubres seront condamnés ».
Mais ce déplacement répond peut-être à d'autres soucis, moins altruistes : le désir de récupérer des terrains particulièrement bien placés et d'installer les autochtones dans un quartier quadrillé où la surveillance (pas seulement sanitaire) sera plus aisée. D'ailleurs, à l'époque, certains s'en offusquent : D'Anfreville de la Salle remarque : « Voilà déjà plusieurs fois que l'administration fait déménager ces malheureux et leurs cases. Leurs mobiliers ni même leurs domiciles ne sont difficiles à transporter ; mais pourquoi ne pas faire une fois les choses largement, les placer quelque part et leur donner enfin la paix ?».
Les rues principales sont aménagées : la rue Colbert est entièrement refaite entre la rue de Richelieu et le pont Froger (au niveau de l'actuelle Vahinée) : elle est dotée de trottoirs et de caniveaux et prolongée jusqu'à l'octroi (au début de l'actuelle rue Lafayette).
D'autres rues (rue Flacourt, rue Kodja, rue de la Meurthe) sont nivelées et bordées de trottoirs et de caniveaux. Enfin, un plan d'alignement est prévu pour le nouveau faubourg qui se développe entre Tanambao et la rue Colbert.

Les travaux de voierie

Avant 1900, les rues d'Antsirane sont de vrais bourbiers. En effet, on n'avait prévu aucune canalisation pour les eaux pluviales et ménagères. Si la rue Colbert avait le privilège de ruisseaux pavés, les autres rues se transformaient en marécages à la saison des pluies. Avec le plan de travaux de 1901, certaines rues sont dotées de caniveaux débouchant sur des tronçons d'égouts que l'on envisage de faire déboucher soit dans un collecteur de la ville basse, soit dans le ravin du pont Froger, soit directement dans la mer. Cependant, certaines décisions d'hygiène publique relevaient encore du bricolage  : c'est ainsi que les plages de la ville basse servant de latrines publiques —ce qui n'allait pas sans nuisances olfactives !— on obligea la population à se servir de « tinettes mobiles » (de « vielles boites de conserves » d'après D'Anfreville) qu'il fallait vider à heures fixes ! En fait, le quartier de la ville basse semble d'ores et déjà condamné, officiellement en raison de son insalubrité : « Une commission spéciale en a visité successivement tous les immeubles ; elle a constaté et signalé que tout était à désinfecter, sinon à reconstruire ».
...La place était libre pour les aménagements du port...

L'alimentation en eau

Jusqu'en 1896 l'eau était fournie par deux fontaines, l'une dans la ville basse, l'autre près de l'actuelle Place Kabary. Cette alimentation en eau ne suffisant pas aux besoins de la population, le complément était apporté par chalands à partir de Cap Diégo.
En 1896, un château d'eau est construit près de la place de l'Octroi ; il reçoit l'eau d'un captage de l'Analandriana et dessert, à partir de deux conduites différentes la ville d'Antsirane d'une part, les établissements militaires d'autre part. Cependant en raison de l'extension de la ville, le problème de l'alimentation en eau de la ville continua à se poser et, en 1901, d'autres captages durent être envisagés. Ces travaux, considérables furent faits en très peu de temps. Ils contribuèrent à donner un aspect différent à la ville. En effet, si l'on en croit l'Annuaire, il fut construit, en 1901 :
« — 1 030 mètres de chaussée avec empierrement ;
— 650 mètres de chaussée avec empierrement incomplet ou sans empierrement ;
— 850 mètres de trottoir complets ;
— 1 300 mètres de bordures de trottoirs ;
— 2 170 mètres de caniveaux ;
— 330 mètres d'égouts »
.

Une ville... en plan !

En fait, il restait beaucoup à faire comme le souligne D'Anfreville de la Salle avec pas mal d'ironie : « A proprement parler, Antsirane... n'est pas une ville, c'en est plutôt le plan. On y a tracé des rues, comme partout à Madagascar, on en a même ouvert quelques unes ; quand on quitte les quais... futurs de la future ville, une belle voie, la Corniche, macadamisée, bordée de trottoirs, soutenue par une muraille imposante nous fait atteindre le plateau par une pente douce et se prolonge droit devant elle.
Deux belles rues parallèles, entièrement pavées, se croisent avec la première ; toutes deux longues de près d'un kilomètre, elles atteignent, au sud-est de la ville, les superbes casernes de l'artillerie coloniale.
Les autres rues de la ville sont seulement tracées. Toutes ces voies sont bornées par des cases, les plus belles en bois, les autres faites de débris, où vit une population surtout créole. La Résidence, la nouvelle maison du Comptoir d'Escompte sont à peu près les seules constructions civiles confortables qui existent »
.
Beaucoup avait été fait, mais Antsirane n'était pas encore en mesure de rivaliser avec les autres villes de l'Ile. Aussi, au début du siècle, les voyageurs exprimaient-ils le plus souvent leur désappointement avant de rembarquer précipitamment pour Nossi-Be et ses paysages enchanteurs.
En 1900 encore, dans Aux colonies d'Asie on peut lire sous la plume de Verschuur cette description à faire fuir les touristes : « Triste séjour que cette ville naissante de Diego Suarez, où, à côté de quelques rares maisons neuves, les trois quarts des constructions se composent de misérables bâtisses faites avec de vieilles planches, des débris de caisses et des restes de tôles et de ferblanterie ». En effet, sous la conduite du Général Joffre des bâtiments étaient sortis de terre, des rues avaient été tracées, des canalisations installées mais, si on s'était soucié d'efficacité, on avait à peu près délaissé l'aspect esthétique de la cité en train de naître. Les militaires, soucieux d'installer le Point d'Appui, avaient prêté une attention soutenue aux moyens de se rendre maîtres de la mer et de la terre. Construction du port, construction des forts, des casernements, des installations militaires et maritimes : l'espace civil avait été largement délaissé et les emplacements privilégiés avaient été occupés par l'Armée. C'est ainsi que Diego Suarez, qui possède une des plus belles baies du monde, fut pendant longtemps —et maintenant encore— complètement tournée vers la terre, sans route de corniche pour ouvrir les regards vers le large...
Il fallut attendre les années suivantes pour que les autorités imposent —de façon autoritaire— les mesures destinées à assurer plus de charme et d'agrément à la ville qu'ils administraient.
(à suivre)
■ S.Reutt


Diego Suarez pour l'éternité : les cimetières

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Mercredi, 06 Février 2013
L'ancien cimetière de Diego Suarez, dans l'Anse Melville

Parmi ceux -ouvriers, paysans, colons, militaires- qui sont venus à Diego Suarez pour y trouver du travail ou une nouvelle vie, nombreux sont ceux qui n'en sont jamais repartis: victimes des combats, du climat, des maladies et épidémies ils sont restés en terre malgache, dans un des cimetières, civils ou militaires qui leur ont offert leur dernière demeure.

Le premier cimetière civil de Diego Suarez

Aux premières années de la naissance de la ville, peu de malgaches furent enterrés dans les cimetières de la ville. En effet, souvent originaires de la « brousse » ou de provinces plus ou moins lointaines, leurs corps étaient, le plus souvent, et maintenant encore, ramenés dans leur région d'origine. Les premières inhumations dans la ville nouvelle d'Antsirane furent donc celles des Indiens et des premiers habitants étrangers, français ou autres. Le premier cimetière qui recueillit leurs dépouilles existait encore il y a quelques années, à l'Anse Melville, au pied de la rue de l'évêché. Ce petit cimetière a été décrit, avec une exquise sensibilité dans le récit Mes campagnes écrit par C.Vray, femme d'un officier français en 1894 :
« Un cimetière dans le sable
Il était plus triste qu'un autre ce cimetière de Diego Suarez, enfoui dans le sable, presque sur la plage et, de l'autre côté, perdu dans un champ, un grand champ triste et désert, avec de hautes herbes, toujours couchées par la brise.
Et nous pensions qu'à la longue les tombes finiraient bien par se découvrir, car le sable s'envolait toujours avec ce vent terrible, le grand vent qui soufflait presque toute l'année. Il n'y avait pas de fleurs, pas d'arbres, pas de couronnes, - le vent eut tout enlevé, tout arraché, - et quand nous passions par là, ce qui nous arrivait souvent, lorsque nous longions le bord de la mer, sur ces plages immenses, qui se continuaient très loin à l'infini, nous avions toujours comme un serrement de cœur en frôlant le petit cimetière, à notre rentrée, presque à la nuit.
Elles étaient toutes pareilles, ces tombes: des noms simplement écrits sur la pierre et que le vent effaçait très vite; à peine une croix faite grossièrement.
Celles des Indiens différaient des nôtres; ressemblant à des tombeaux anciens, elles étaient toutes en pierres, d'énormes blocs scellés fortement, auxquels on ne pourrait plus toucher.
Point de Hovas, naturellement, puisque ceux-ci ont le culte des morts poussé à un tel point qu'ils ne se séparent jamais des leurs, les emportant toujours dans les pays où ils vont. C'est surtout pour les ancêtres, pour les parents morts qu'on tisse ces belles étoffes de soie blanche ou de couleurs, le dernier vêtement, le lamba dans lequel on les enveloppe.
Quelquefois, quand la mer était forte, ou bien aux grandes marées, l'eau montait jusqu'au cimetière, balayant un peu les tombes, creusant, ravinant la terre tout autour, emportant comme une méchante les semblants de fleurs qu'on avait essayé de planter.
Et je me disais pour me consoler de l'abandon de ce cimetière, de son aspect si affreusement dénudé: qu'est-ce après tout que ces très petites choses: un cimetière fleuri ou non, des croix de fer dorées, des couronnes de perles?
En effet, que faisaient à ces morts, dont le cœur et la pensée n'étaient plus là, d'être plus ou moins ornés, d'avoir de belles tombes ou des pierres seulement, à présent que l'esprit était ailleurs, oui, leur esprit...grand Dieu!!...où était-il?...
Où donc se trouve ce lieu de repos ou de misère vers lequel nous devons tous aller?...........
Qui sait si ces étoiles, brillantes comme des soleils, les plus belles, les plus grandes, ne sont pas les demeures des élus?...
Ou bien nos esprits restent-ils encore sur la terre?
Alors, ils vivent peut-être avec nous, ceux que nous croyons partis? Et je me demandais si vraiment la nuit, sur ces grandes plages désertes, devant cet horizon immense, les esprits de tous ces pauvres gens ne s'en venaient pas planer sur lamer...comme des oiseaux perdus...»

Cette évocation poétique et nostalgique nous fait d'autant plus déplorer que ce petit cimetière, gardien de la lointaine mémoire de la ville ait été rasé pour y construire des bungalows restés pendant des années à l'état de chantier.

« Enterrement d'un Poilu transféré de France »
Où enterrer les morts?

Avec le développement de la ville, un nouveau cimetière fut rapidement nécessaire. D'autant plus que l'on mourrait beaucoup à Diego Suarez! Si l'on en juge par les journaux de l'époque il y avait beaucoup plus de décès que de naissances. Le Journal Officiel de Diego Suarez de 1895 dans sa notice nécrologique annonce ainsi pour janvier :
12 décès pour 2 naissances;
pour février : 9 décès, 2 naissances;
mars :18 décès, 2 naissances;
avril:14 décès, 2 naissances;
mai 15 décès,5 naissances.
Le nombre de morts diminue pendant la saison sèche (juillet: 6 décès, octobre 7 décès)ce qui laisse à penser que le paludisme était une cause majeure de décès, avec la mortalité néo-natale.
D'ailleurs, il est surprenant de constater que la majeure partie des décès concernaient des personnes jeunes (entre 20 et 40 ans)- sans doute parce qu'à cette époque le peuplement de Diego Suarez était le fait de jeunes immigrants.
Toujours est-il que le petit cimetière célébré par C.Vray, se révéla bien vite insuffisant et qu'il fallut en ouvrir un autre dans le nouveau quartier de Tanambao en train de se créer.
Il est curieux de constater que dans les Annuaires du gouvernement de Madagascar, très bien faits, et qui décrivent en détail toutes les installations sanitaires, rien n'est dit sur les cimetières.
En fait, dès 1895, le Général Gallieni avait délégué la gestion des cimetières de Madagascar (restauration et entretien) à « l'Œuvre des Tombes » comprenant des commissions dans toutes les villes importantes. Ces commissions étaient composées: du commandant d'armes ou de cercle (président), du médecin-chef de l'hôpital , d'un officier de troupe et d'un officier agent du commissariat colonial (membres). En réalité, comme on peut s'en douter à l'énumération des membres de ces commissions, l'Œuvre des Tombes avait, pour principale raison d'être, de veiller à ce qu'une sépulture décente soit donnée aux militaires, notamment à ceux qui étaient morts lors de la campagne de 1895.
En ce qui concerne Diego Suarez, qui n'avait pratiquement pas connu de combats à ce moment-là, la plupart des militaires décédés étaient enterrés dans le cimetière de Cap Diego quand ils n'étaient pas rapatriés sur la France ou sur La Réunion.

Le cimetière de Tanambao

Au début du XXème siècle, le « camp malgache » , jusque là installé près de la place Kabary fut déménagé à la sortie sud de la ville, dans le « nouveau quartier », Tanambao.
Il semble que ce soit à ce moment-là que le nouveau cimetière civil ait été aménagé là où nous le connaissons.
Ce nouveau cimetière, longeait une voie ferrée Decauville appartenant à l'armée, ce qui causa certains problèmes par la suite. En effet, l'extension de la ville entraîna l'extension du cimetière qui, ne tarda pas à s'installer des deux côtés de la voie Decauville. Dans les années 1925, les protestations se firent nombreuses contre le fait que, n'étant pas clôturé, le cimetière était l'objet de déprédations dues aux animaux en divagation, notamment les chèvres. Plusieurs séances du Conseil Municipal furent consacrées à ce problème. C'est ainsi que l'on peut lire , dans la Gazette du Nord du 27 octobre 1925 :
« Il est donné connaissance à l'assemblée d'une lettre de M.Dufour réclamant contre le fait que le cimetière n'est pas clôturé dans sa partie sud et signalant l'anomalie de cet état de choses.
L'Administrateur-Maire dit que cette question avait déjà fait l'objet d'une étude rendue délicate du fait que le cimetière est traversé en cette partie par une voie ferrée appartenant à l'Autorité Militaire laquelle chiffre à 60.000 francs la dépense qu'entraînerait le déplacement de cette voie.
Après discussion, le conseil émet l'avis de ne pas persister dans le projet de déplacement de la voie et qu'il y a lieu d'envisager la construction de deux murs, entre lesquels resteraient cette voie telle qu'elle est pendant la traversée du cimetière. Le cimetière se trouverait de la sorte constitué en deux parcelles »
.
Cinq ans plus tard, le problème reste entier et on peut lire dans la Gazette une nouvelle protestation : « ne serait-il pas possible de faire une clôture avec portes aux endroits où les rails du Decauville entrent et sortent de la parcelle délimitée pour servir le cimetière? ». Suggestion curieuse car on voit mal comment les wagonnets pourraient circuler sur la voie...
Le cimetière indien, lui, ne connaît pas ces problèmes car il est entièrement clôturé.

Autre sujet de mécontentement: l'entretien du cimetière. Celui-ci a bien un gardien, mais il semble - si l'on en croit les licenciements successifs - que les gardiens ne donnent pas entière satisfaction. Par ailleurs, il n'y a qu'une seule fontaine, ce qui ne permet pas de fleurir les tombes comme le souhaiteraient les familles... La verdure n'est apportée que par les filaos qui ont été plantés à l'établissement du cimetière et qui apportent à ce lieu de repos le bruit de vagues que fait le vent dans leurs branches.
Bref, il semble que le sort des morts civils ait donné lieu à beaucoup de récriminations à Diego Suarez.

Les cimetières militaires

Nous l'avons dit plus haut, les militaires français décédés à Diego Suarez étaient le plus souvent rapatriés sur la France ou sur La Réunion.
D'autres furent d'abord inhumés dans le cimetière de Cap Diego, aux tout débuts de la colonisation puis, au fil des années, d'autres encore . On y a compté (d'après le site Lieux de Mémoire) 1411 tombes, dont , malheureusement beaucoup furent pillées, dans la folie du métal de récupération. Toujours d'après Lieux de Mémoire d'autres tombes furent aménagées à Anjiamena (157), Joffreville (51) et Sakaramy (25).
Une partie des militaires décédés à Diego Suarez, furent ensevelis dans le cimetière de Tanambao où, même dans la mort, la ségrégation sépara ceux qui, parfois, avaient combattu ensemble : le cimetière des autochtones fut installé en bordure du cimetière civil ...et un peu délaissé, si l'on en croit la Gazette de 1930 qui signale « l'état pitoyable des tombes contenant les restes des soldats indigènes qui sont situées entre l'allée centrale transversale et les fosses communes. La terre est jonchée de débris divers et l'herbe très haute maintenant couchée par la mousson, recouvre les croix brisées et les tumulus qu'on ne distingue qu'avec peine ». Et l'auteur de l'article termine par ces mots : « Est-ce que ce n'est pas un devoir sacré que d'entretenir au moins en parfait état de propreté la dernière demeure de ces hommes qu'on a tendance d'oublier trop vite ».
Le carré militaire, toujours d'après Lieux de Mémoire compte 921 sépultures qui accueillirent, pendant la durée de la colonisation, les militaires morts pendant leur service à Diego Suarez, et ceux qui participèrent aux deux guerres mondiales. Les morts de la Première guerre furent peu nombreux à être rapatriés (mais il y en eut). Quant à la guerre de 1939-45, elle « fournit » l'important contingent de victimes de l'Opération Ironclad, l'attaque anglaise sur Diego Suarez en 1942 (171 tués du côté français, 131 chez les anglais)
Les anglais furent ensevelis dans le cimetière militaire anglais, qui fait l'admiration des visiteurs par son état impeccable. Les malgaches et les français (921 tombes) reposent de l'autre côté de la route de Ramena séparés dans la mort comme lors des combats.
Dans les années suivant la Première Guerre un monument fut érigé « A la mémoire des enfants de Diego Suarez morts pour la France ». C'est en 1924 que fut décidée la construction de ce monument, ce qui n'alla pas sans difficultés si l'on en juge par l'extrait suivant du débat de Conseil Municipal : « M.Schneider demande qu'un délai soit enfin fixé pour l'exécution des travaux du « Monument aux Morts de la guerre » dont l'entreprise a été confiée à M.Martin. M.Martin explique qu'étant donné la pénurie actuelle d'ouvriers maçons et tailleurs de pierre, il ne lui est pas possible de préciser une date à ce sujet. Toutefois, il pourrait commencer les travaux à bref délai et les mener assez rapidement à terme si le Conseil voulait l'autoriser à établir le fut de la colonne en ciment armé au lieu de la pierre de taille prévue.
Les conseillers municipaux, y compris M.Schneider, rejettent cette suggestion pour s'en tenir à la construction en pierre de taille, dut-il en résulter du retard »
.

Cimetière militaire Français de Diego Suarez

 

Un autre, en forme d'arche, datant de ces dernières années, rappelle les combats de 1942 pour la libération de Madagascar.
Malgaches, français, anglais, sénégalais, zoulous , et tous les étrangers qui dorment de leur dernier sommeil dans la terre de Diego Suarez, qu'ils soient dans un camp ou dans l'autre, qu'ils soient civils ou militaires, tous ils font partie de la mémoire de la ville. Ils ont écrit, à un moment quelconque, l'histoire de Diego Suarez.
A ce titre, leurs tombes, modestes ou opulentes, doivent être respectées, protégées et entretenues pour que Diego Suarez ne soit pas une ville sans passé, pour que les vivants se souviennent... Et, peut-être, comme l'imaginait C.Vray, il y a 120 ans, verrons-nous planer sur la mer leurs esprits « comme des oiseaux perdus »...

■ S.Reutt


Patrimoine historique de la Baie de Diego Suarez : un atout majeur pour le tourisme dans la région

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Mardi, 29 Janvier 2013

Les fortifications de la Baie de Diego Suarez en 1905

Alors que Madagascar est choisie par le magazine Lonely Planet comme l'une des meilleures destinations touristiques pour l'année 2013, et que la région nord est celle qui a connu la plus grande progression dans le secteur touristique de la Grande Île depuis 2002 -tant par le développement de l'offre que par la progression du nombre de visiteurs-, un patrimoine exceptionnel reste caché, ignoré, et subit une dégradation rapide : les fortifications de la Baie de Diego Suarez. Sa mise en valeur à peu de frais pourrait pourtant, en venant compléter la gamme de l'offre touristique de la région, contribuer à la propulser au premier rang des destinations touristiques de Madagascar

On s'en souvient, la Tribune s'était faite porte parole des membres de l'association Ambre et de leur inquiétude quant à la dégradation rapide de ces vestiges en raison des pillages dus aux récupérateurs de ferraille. Cette prise de conscience avait abouti en juin 2011 à la création d'un « Comité de préservation et de mise en valeur du patrimoine historique militaire de la baie de Diego Suarez », structure ad hoc réunissant les institutions concernées sous le patronage des autorités régionales. Les membres de l'association Ambre s'étaient vu alors confier la mission de réaliser un inventaire du patrimoine existant et de proposer un programme d'action pour sa préservation et sa mise en valeur. Le résultat de cet inventaire, réalisé en partenariat avec La Tribune, prend la forme d'un guide touristique de trois cent pages, quasiment achevé et qui sera bientôt publié. Les chapitres d'introduction historique de ce guide ont déjà été publiés en cinq épisodes dans ces colonnes sous le titre « les fortifications de la Baie de Diego Suarez » (1, 2, 3, 4, 5). Il permet d'ores et déjà les conclusions les plus encourageantes : près de cinquante sites identifiés forment un ensemble parfaitement cohérent caractéristique de l'architecture militaire de l'âge de la révolution industrielle, dans un état de conservation exceptionnel malgré une dégradation rapide à l'heure actuelle. Une présentation proposant une mise en perspective de toute une époque historique à travers l'illustration qu'offrent ces vestiges est donc tout à fait envisageable.

Un patrimoine exceptionnel, unique au monde

Les fortifications de la Baie de Diego Suarez en 3D

Représentation 3D des fortifications de la Baie de Diego Suarez, à Madagascar, telles que décrite par le Colonel Gallieni dans son rapport de 1904. Les figures son caricaturés mais l'emplacement et le nombre des canons représentés sont exacts.

 

Si les premiers aménagements de défense de la baie furent sommaires, la plan de défense élaboré par le futur Maréchal Joffre quand Diego Suarez fut déclaré « Point d'appui de la flotte » s'apparente à un « cas d'école », réalisé en quelques années seulement, avec un budget colossal, en application stricte de la doctrine en vigueur, dans ses aspects les plus modernes et novateurs :
- Principe du « rideau défensif » issu de la doctrine du général Séré de Rivière, constitué d'un ensemble de forts équipés de casemates d'artillerie (casemates de Bourges) se couvrant mutuellement et disposés stratégiquement tout autour de la Baie pour mettre à l'abri de l'artillerie adverse les secteurs à défendre.
- Front de mer organisé en trois lignes aux fonctions tactiques spécifiques : défense des abords de la Baie, interdiction de la Passe, défense du port et de la base navale.
- Eclairage électrique pour la défense de nuit, basé sur un dispositif de projecteurs d'artillerie sous abris fortifiés, alimentés par des groupes électrogènes à pétrole.
- Réseau de télégraphie optique pour les communications,
- Artillerie moderne équipée du dernier cri en matière de télémétrie et d'assistance à la visée,
- Schéma logistique intégré comprenant des magasins souterrains reliés aux batteries qu'ils desservaient par des voies de chemin de fer
- Vastes installations d'entretien et casernements.

 

Le Fort C à Cap Diego
Le Fort C, ou Fort du Cap Bivouac, à Cap Diego, est un ouvrage typique du système Séré de Rivières avec sa casemate de Bourges.

 

Une des caractéristique de ces défenses est qu'elles combinent un front de mer et un front de terre sur une étendue très limitée géographiquement : on passe en effet en quelques kilomètres des batteries de côte d'Orangéa aux défenses typiquement terrestres de Cap Diego, en passant par des forts de montagne comme Windsor Castle ou Anosiravo, dans la Montagne des Français. La vue depuis une de ces hauteurs embrasse l'ensemble du schéma de défense et offre une illustration exemplaire et spectaculaire des principes mis en œuvre.

Diego Suarez est à la stratégie militaire de l'âge industriel ce que la cité de Carcassonne est à celle de l'âge féodal : un exemple complet, exceptionnellement préservé, présentant une unité géographique permettant au visiteur de facilement l'appréhender

Et ce spectacle est non seulement saisissant, mais de plus unique au monde : Diego Suarez est en effet le seul point d'appui de la flotte dont les aménagements sont toujours visibles. L'état exceptionnel de conservation des intervalles et de la plupart des infrastructures est en effet la conséquence de la lenteur de l'urbanisation de la ville. Les vestiges des autres points d'appuis, tels que Dakar ou Saïgon, ont depuis longtemps disparus, engloutis par l'expansion rapide de ces mégapoles.
On peut ainsi affirmer sans exagération que Diego Suarez est à la stratégie militaire de l'âge industriel ce que la cité de Carcassonne est à celle de l'âge féodal : un exemple complet, exceptionnellement préservé, présentant une unité géographique permettant au visiteur de facilement l'appréhender.
Et quand on mesure la part du tourisme dans l'économie de cette cité, on ne peut que souhaiter qu'il en soit de même pour Diego Suarez...



Près de 50 sites identifiés


Afficher Fortifications de la Baie de Diego Suarez sur une carte plus grande
Programme de préservation et mise en valeur

La préservation de ce patrimoine serait une conséquence bénéfique de sa mise en valeur : on peut raisonnablement espérer en effet que le fait qu'il devienne une destination touristique contribue à motiver les habitants, rendus conscients de l'enjeu économique qu'il représente pour eux, à le défendre contre les pillards.
Un programme de mise en valeur devrait comprendre différents axes tels que :
- l'aménagement des accès et des sites : débroussaillage et consolidation des pistes, signalisation et balisage des accès, pose de panneaux d'interprétation (historique, technique)
- la création de circuits touristiques, en partenariat avec les opérateurs, permettant de proposer la visite des différents secteurs selon différentes formules adaptées au temps disponible et aux centres d'intérêts (randonnée, VTT, quad, 4x4, bateau...) et thématiques : architecture, stratégie militaire, etc..
- un programme de formation de guides pour les rendre à même d'enrichir les visites proposées par des connaissances historiques et techniques avancées.
- la création d'un musée à vocation de centre d'interprétation, dans un des ouvrages situés à proximité immédiate de la ville (Fort G, Fort H, Lazaret ?). Ce musée devra présenter les différents schémas de défenses, techniques mises en œuvre, le contexte historique, etc.. de façon accessible et ludique à travers des installations multimédias permettant plusieurs niveaux de lectures afin de satisfaire tous les publics. On pourrait envisager également d'y récupérer et de remettre en état les quelques armements encore présents dans la place.
- Une campagne de communication comprenant, hormis la publication du guide, l'édition d'affiches, brochures et de plaquettes relatives aux sites, aux circuits, aux éléments historiques et stratégiques, un site internet, un DVD, etc.. afin de mettre à disposition des guides des supports de connaissances, et faire connaitre et diffuser ce patrimoine.

Un projet d'avenir pour la région

L'intérêt économique d'une telle mise en valeur est une évidence. Les militaires ayant l'art de choisir avec soin les emplacements de leurs implantations, faire visiter ces sites à des touristes leur garantit de passer par les plus beaux points de vues sur la région. En diversifiant de plus la thématique de l'offre, Diego Suarez devient la seule destination de Madagascar à proposer en plus de son offre balnéaire, écologique, sportive -que l'on retrouve à divers degrés ailleurs dans l'île- une offre culturelle et historique unique qui la démarque de ses rivales.

Un patrimoine touristique exceptionnel

Ce diaporama présente les points de vue exceptionnels que découvrira le visiteur des fortifications de la Baie de Diego Suarez

Un tel programme aurait également des retombées économiques sociales à considérer, à la mesure de l'effort engagé : retombées directes telles que la création d'emplois et la formation de guides spécialisés, mais aussi allongement de la durée moyenne du séjour des touristes avec des retombées à moyen et long termes sur tout le tissu économique de la région.
Si les membres de l'association Ambre ont jusqu'à maintenant mené seuls le travail nécessaire pour rassembler ces informations, la mise en œuvre d'un tel programme ne peut être envisagée qu'en réunissant les efforts de toutes les parties concernées : depuis les autorités de la Région et l'Office du Tourisme, pilotes naturels d'un tel projet, en passant par les tours opérators qui ont tout à gagner à cette extension majeure de leur offre, toutes les organisations œuvrant dans le domaine social qui devraient être intéressées par l'aspect formation et réinsertion, jusqu'aux militaires qui peuvent mettre à disposition les différents sites -et leurs bras pour les travaux- et valoriser ainsi leur vaste domaine foncier.
A l'heure où la communauté française se sent abandonnée à travers la fermeture annoncée du Lycée Français et celle évoquée du Consulat, soutenir un tel programme ne pourrait avoir que des conséquences bénéfiques. En mettant en valeur l'importance de l'effort consacré pour réaliser ces fortifications, pour laquelle la métropole pourrait se sentir redevable aux familles qu'elle était heureuse d'avoir à son service quant il fallait bâtir. Et que ces installations, rendues inutiles par l'histoire, si elles devenaient un élément solide du développement du tourisme dans la région, un support éducatif pour la jeunesse, pourraient être perçues non plus comme une gigantesque gabegie, mais au contraire comme un magnifique cadeau de l'ancien administrateur à ses anciens administrés...

■ PZ


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