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Légionnaire toujours...

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Combat de Camerone.

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Campagne du Mexique Puebla (Souvenirs d'un Zouave) – Louis Noir - 1867

 

La garnison d'Orizaba attendit les renforts avec une stoïque résignation ; peu à peu les régiments envoyés d'Afrique débarquèrent à la Vera Cruz et furent dirigés vers l’intérieur. La légion étrangère, qui arriva Tune des premières, fut employée à renforcer ces postes disséminés entre notre port de débarquement et Orizaba : elle facilita le service de protection des convois. Une de ses compagnies se signala par une lutte héroïque qui rappelle les plus beaux temps de la Grèce et de Rome. On peut fouiller les annales de tous les peuples, on n'y trouvera pas un plus beau fait d'armes. Quelques centaines d'hommes de la légion étaient établis au Chiquihiate, défilé important. Souvent des compagnies, partant de ce point, rayonnaient autour de la redoute pour fouiller le pays et le purger des guérillas qui l'infestaient.

Le 30 avril, une compagnie de soixante hommes capitaine Danjou, se portait sur Palo Verde, bourg distant de six lieues.

Ce détachement, parti un peu après minuit, devait arriver à destination avant l’aurore ; il avait mission de s'assurer qu'aucune bande n'occupait la route, car ce jour-là on attendait un convoi d'argent considérable : trois millions de francs environ.

Jusqu'à Palo Verde on ne rencontra pas un seul juariste; le capitaine Danjou fit mettre sac à terre et ordonna à son monde de préparer le café. L'aube commençait à poindre.

Bientôt les feux flambèrent, les soldats s'assirent autour des marmites et préparèrent le café du ma- tin ; chacun Se chauffait en cassant son biscuit dans son petit gamelon ; On devisait joyeusement « serrant de près les foyers, car la brise était fraîche.

Soudain le cri : aux armes ! retentit. En un instant tous sont sur pied : le café bouillant est renversé, les sacs sont bouclés, et la compagnie se range en bataille.

Six cents cavaliers débouchaient des rues de Palo Verde, en face duquel nous étions établis.

La situation était grave. Notre poignée d'hommes avait dix lieues à faire sous le feu et les charges d'une cavalerie dix fois supérieure en nombre ; la compagnie se mit en défense, les deux parties s'observèrent.

Les guérillas qui étaient en vue obéissaient à un partisan hardi, le colonel Milan ; c'était un homme de guerre habile, rusé, fertile en ressources et en expédients, qui maniait admirablement ses cavaliers. Il avait appris qu'un courrier chargé de piastres d'or était dirigé sur Orizaba, et il avait conçu le plan de l'enlever. Plusieurs escadrons, appelés par lui, furent concentrés à une petite distance d'un poste français, auquel il sut cacher la présence de ses troupes avec une rare adresse.

Pas un Indiens n'avait pu pénétrer jusqu'à nos camps pour nous annoncer la présence de ce corps nombreux.

Milan inspirait une grande confiance à ses soldats ; il avait galvanisé sa troupe en exagérant l'importance du butin à recueillir ; du reste il était homme à entraîner son monde par l'exemple de son audace, et sa troupe se composait des brigands les plus déterminés de tout l'empire.

Ces bandits de profession, habitués à braver le péril quand il s'agissait, de piller, n'étaient point, il est vrai, des militaires intrépides ; mais ils avaient cette détermination des coupe-jarrets émérites qui sont exaltés par l'espérance d'une prise énorme.

Le courage de ces sortes de gens peut s'évaluer au poids de l'or.

Les Juaristes manœuvrèrent pour se porter contre notre petite compagnie, qu'ils voulaient exterminer, afin d'avoir le champ libre pour s'emparer du convoi attendu ; mais les légionnaires se jetèrent au milieu des broussailles qui s'étendaient à droite de la route ; ils se couvrirent d'une arrière-garde de quelques tirailleurs adroits, et ils battirent en retraite à travers champs.

C'était une excellente manœuvre !

Milan essaya en vain de se lancer contre la compagnie ; les chevaux se heurtaient aux buissons que nos fantassins tournaient facilement ; de plus le feu de nos tireurs fit éprouver des pertes à l'ennemi, et on le vit disparaître avec l'intention évidente de nous couper la retraite un peu plus loin en s'emparant d'un des villages que nous devions traverser.

La colonne française se dirigea sur Tamasone sans être inquiétée ; elle s'attendait à trouver le village occupé, mais le détour qu'avait dû prendre Milan ne lui avait pas permis de nous devancer ; il parut sur notre droite au moment où nous atteignions les maisons.

Le capitaine Danjou, espérant intimider l'ennemi et se dégager par un acte d'énergie, marcha contre les guérillas.

Malheureusement les juaristes étaient des hommes aguerris : ils se replièrent d'abord, laissant les Français s'éloigner du bourg ; quand ils jugèrent suffisante la distance qui séparait notre colonne des maisons, ils firent volte-face, enveloppèrent la compagnie, lui coupant toute retraite, puis ils s'abattirent sur elle tous ensemble en poussant des cris sauvages.

Six cents cavaliers forment un fort régiment, et chacun a pu juger de l'espace que couvre un régi- ment de cavalerie ; c'est une masse énorme d'hommes et de chevaux.

Nos légionnaires s'étaient froidement formés en cercle ; — pour les petites troupes, ce mode de défense est préférable au carré — les guérillas furent reçus par un feu nourri et bien dirigé ; ils s'arrêtèrent à vingt pas des baïonnettes.

Milan voulut enfoncer le cercle avec un groupe d’élite ; mais les chevaux, piqués aux naseaux, se cabrèrent et renversèrent leurs cavaliers.

Les escadrons se replièrent.

Le capitaine Danjou profita de ce premier succès pour escalader avec sa colonne un talus dominant la route ; puis il se lança sur le, village, dispersant et chassant devant lui, dans les rues, les pelotons désorganisés qui s'opposaient à sa marche ; il gagna ainsi une sorte de ferme que l’on voyait naguère encore dans l'état où la lutte l'avait réduite. Voici, en deux mots, le plan de cette construction qu'il faut connaître pour comprendre les péripéties du drame qui va se dérouler.

Que l'on s'imagine une cour parfaitement carrée, chaque côté ayant soixante-trois mètres de long, un mur formant trois faces, un bâtiment formant la quatrième face.

La compagnie entra par la porte principale du bâtiment et s'en empara ; Milan, avec cent hommes qu'il avait rallié et qu'il avait fait mettre à pied, pénétra en même temps dans la ferme par une petite porte basse à l'extrémité de l'aile droite. Par bonheur cette aile ne communiquait avec la cour que par une fenêtre, tandis que la partie occupée par nous avait deux entrées sur cette cour ; si bien que nous pûmes y descendre, ce qui fut impossible à l'ennemi. Nos soldats se fractionnèrent en différents postes qui s'établirent aux entrées de chaque face et les défendirent ; une partie monta sur les toits.

Comme par une convention tacite, le feu était resté suspendu pendant ces préparatifs ; chacun s'occupait de s’installer dans les parties de la ferme où il avait réussi à pénétrer.

L'ennemi laissa ses meilleurs tireurs à la fenêtre de l'unique chambre de leur aile qui eût vue sur la cour ; ces hommes avaient mission de décimer les défenseurs des portes. Mais ceux-ci dirigèrent une fusillade si juste et si nourrie contre cette fenêtre, que les juaristes n'osèrent s'y montrer ; ils tiraient d'une main peu sûre de l'intérieur de la chambre.

Les cavaliers qui avaient quitté leurs chevaux entouraient la ferme de toutes parts, et ils l'attaquèrent avec rage après une sommation qui fut repoussée.

L'espace à défendre était si grand que les assaillants purent sans peine couronner les murs sur les points mal gardés ; de là ils déchargeaient leurs armes sur nous. On courait à eux et on les repoussait, mais ils reparaissaient ailleurs. Bientôt nous eûmes des blessés et des morts ; le capitaine Danjou fut tué presque au début.

Le sous-lieutenant Vilain prit le commandement. La défense continua avec une grande énergie sous cet officier, doué d'une bouillante valeur ; il courut à chaque groupe, et, à ses hommes grisés déjà par les ardeurs de la lutte et l’odeur de la poudre, il fît jurer de s'immortaliser par une mort sublime.

Cet appel à l'héroïsme fut entendu.

A cette époque, tous les régiments du corps expéditionnaire étaient saisis d'une fièvre d'émulation ; la gloire du 99e  de ligne, dont trois compagnies avaient étonné le monde par le fabuleux combat de Gero Borego, excitait l'envie de toute l'armée ; un ardent désir de se signaler brûlait dans les cœurs.

Les courages étaient montés à un degré surhumain.

— Les lauriers du 99e empêchent tous mes autres bataillons de dormir, disait souvent le général Lorencez.

Et cette soif d'honneur fit accomplir des prodiges.

Jusqu'à midi les hommes de Milan furent main- tenus à bonne distance ; malgré leur énorme supériorité, ils n'osent donner l'assaut. Tout à coup le tambour bat ; les légionnaires croient à l'arrivée d'un secours : ils voient près de trois bataillons ennemis déboucher des rues devant la ferme.

Rien de plus dangereux pour le moral d'une troupe que la désillusion ; cependant les assiégés ne se laissent pas abattre. Ils saluent ironiquement les forces nouvelles de l’ennemi par des hourras de défi. A partir de ce moment, la lutte prendra un singulier caractère de grandeur.

Les juaristes, piqués par les appels insolents des nôtres, se lancent contre la ferme ; ils reçoivent à vingt, puis à dix pas, deux décharges sous lesquelles ils s'arrêtent, tourbillonnent et s'enfuient. Cinquante cadavres jonchent le sol ; une clameur de triomphe salue la déroute des assiégeants.

Un légionnaire aperçoit un officier juarîste qui se relève ; il court à lui, lui enlève ses armes et sa coiffure, puis il rentre auprès de ses camarades qui le couvrent de bravos.

Le large chapeau du capitaine ennemi est planté sur le toit en signe de dérision. Milan, malgré ces échecs, s'acharne contre cette bicoque si bien défendue ; il ranime le courage des fantassins, il les ramène au feu.

Deux brèches sont ouvertes à coups de pioche : une dans un mur de la cour ; l'autre, qui élargit la fenêtre de la chambre occupée par les juaristes ; ceux-ci nous criblent alors facilement par ces deux ouvertures.

La compagnie tient bon ; mais, en trois heures elle perd son lieutenant et les deux tiers de son effectif.

Milan juge enfin que l'heure d'en finir est venue. Il forme ses bataillons en colonnes, mais l'infanterie refuse d'avancer ; les baïonnettes des quelques survivants étincellent de chaque côté des brèches, et les juaristes redoutent ces armes si terribles en nos mains.

Milan fait alors entasser de la paille devant la ferme et y met le feu. La fumée nous aveugle ; notre tir devient incertain. Nous perdons encore une dizaine d'hommes. Le colonel ennemi, qui nous sait aux abois, essaye de nous intimider ; il nous dénombre ses forces et offre quartier. M. Maudet, un officier volontaire qui s'était joint en amateur à la reconnaissance, lui répond en arborant un drapeau noir formé d’un lambeau de tunique.

Milan fait alors défiler ses troupes devant les brèches, leur montre la compagnie exterminée, les blessés et les morts encombrant la cour ; le peu de Français survivants exténués par la chaleur, la faim, la fatigue et la soif ; il harangue ses compagnies, demande les plus braves pour former les têtes de colonne ; il donne à ses cavaliers démontés la mission d'entraîner les fantassins hésitants puis enfin lui-même se jette en avant.

Les légionnaires usent leurs dernières cartouches, repoussent la première colonne à l’arme blanche ; mais de toutes parts les murs sont envahis, et, dans une mêlée à l’arme blanche, presque tous les légionnaires périssent, broyés par la masse qui les étreint. M. Maudet et sept hommes se jettent dans un hangar, ils s'y barricadent ; pendant dix minutes cette escouade tient toutes les forces ennemies en échec… Enfin la dernière amorce est brûlée...

Alors M. Maudet et ses hommes démolissent les barricades et tombent, la baïonnette en avant, sur les troupes qui remplissaient la cour ; ils essuient une décharge épouvantable et sont achevés à coups de sabre. Un soldat reçut vingt-huit balles.

Le dernier qui tomba fut M. Maudet, blessé à mort.

Alors, pour employer la magnifique expression d'un poète :

…Le combat cessa, faute de combattants.

Cinq cent douze Mexicains jonchaient le sol, morts ou mourants. Quant à la compagnie française, elle avait vécu ; mais son souvenir ne périra jamais !


Traduction

aa
 

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