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2017


Les premières années de Diego Suarez - Les années 25 : La ville se développe ; la contestation aussi…

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14 avril 2017

Le grand incendie de 1925

1925… La province de Diego-Suarez compte alors 13695 habitants. Elle vient de traverser dix ans de turbulences et de problèmes de toutes sortes, la guerre (même si celle-ci s’est déroulée sous d’autres cieux), la peste, l’arrêt des travaux du bassin de radoub, les mauvaises récoltes etc. Mais elle s’est développée

Sur le plan géographique et administratif tout d’abord : elle englobe maintenant, depuis 1920, les districts d’Ambilobe et de Vohemar ; elle s’est renforcée sur le plan industriel avec l’émergence de nouvelles entreprises, sur le plan agricole où de nouvelles cultures sont tentées. D’ailleurs le monde est entré dans une ère nouvelle avec, notamment, le développement des moyens de communication, l’essor de l’automobile et l’introduction de l’électricité dans la vie quotidienne.

Diego Suarez de moins en moins enclavé

Si le réseau routier reste encore insuffisant, il devient tout de même plus facile de sortir de Diego. La route des Placers n’est toujours pas terminée mais ses 137km 580 peuvent maintenant être faits en voiture grâce à un service d’automobiles ; d’autres routes sont terminées ou en voie d’achèvement : (21km300 pour Joffreville) ; la route d’Anamakia est en cours de prolongement vers Ambararata ; par contre la route d’Orangea ne va encore qu’à Ankorika (4km800). D’après l’Annuaire Général du Gouvernement, un service de transport public par automobiles permet d’aller à Ambilobe et de revenir dans la journée (départ le samedi à 6 heures, retour à 16 heures) ; 3 départs hebdomadaires, également, pour Joffreville : le jeudi (départ 6 heures, retour 17 heures), le samedi (6 heures, retour 9h30 et 17h15 avec retour le lundi) et deux départs pour Anamakia (le mercredi et le vendredi). Pour communiquer avec le reste de l’île on peut également utiliser le télégraphe qui est accessible aux particuliers. Le Journal Officiel indique que « La ligne télégraphique Tananarive-Diego Suarez, par Ambatondrazaka, Maroantsetra et Vohemar est terminée et les communications établies depuis le 28 novembre. La ligne a été ouverte à la télégraphie officielle et privée à dater de ce même jour. De plus, la ligne optique est également établie entre Majunga-Marovoay et Diego Suarez par la côte ouest ».
Diego Suarez est plus largement ouvert sur le monde grâce à son port, qui n’est pas encore totalement équipé mais qui reçoit de nombreux paquebots. Un prolongement des quais d’ailleurs est programmé ce qui permet au Bulletin économique de constater que « Diego-Suarez en tant que port de commerce est, à coup sûr, à l’heure présente, le moins mal outillé de la colonie » et l’article précise que le port dispose « d’un quai maçonné de 237 m de longueur » qui sera « prolongé d’un quai de 123m, prolongeant le précédent jusqu’au phare, et en construction actuellement ». Le batelage de Diego Suarez dispose par ailleurs de 26 chalands de 30 à 150 tonnes, 4 citernes de 40 à 100 tonnes, 3 remorqueurs de 40 à 150 chevaux et 2 grues à vapeur de 3 tonnes. Aussi le mouvement des navires et le tonnage des marchandises importées n’ont cessé de croître, passant, pour les navires de 196 en 1920 à 282 en 1924 ; et pour le tonnage des marchandises de 41.000 tonnes en 1920 à 62.000 tonnes en 1924 (marchandises importées) et de 47.000 tonnes à 83.000 tonnes pour l’exportation. Et le Bulletin économique conclut que ces chiffres laissent « présager un bel avenir ». Par ailleurs, les travaux du bassin de radoub vont reprendre. Le 7 aout 1924 la concession d’outillage public intitulée « Bassin de Radoub de Diego-Suarez » a été accordé à la Société Plion-Buissière. (Rappelons que Plion est également propriétaire des « Salines Plion d’Antsampana».)
La vie économique de Diego Suarez donne donc l’impression d’être sur de bons rails. Qu’en est-il dans la réalité ? Tout va-t-il bien, alors, dans le meilleur des mondes possibles ? Les résultats et les chiffres présentés ci-dessus proviennent en grande partie de brochures officielles : l’Annuaire Général de Madagascar et le Bulletin Economique de Madagascar. Sur le plan local, et sur le terrain, les Antsiranais sont moins enthousiastes.

Les récriminations des colons

Elles s’expriment sans doute dans les lieux où ces derniers se retrouvent, à la Chambre de commerce et d’agriculture, au Cercle français ou dans les hôtels ou cafés comme l’Hôtel des mines ou Akazaki ; elles sont surtout relayées, et sans doute exagérées, par un nouveau journal, la Gazette du Nord de Madagascar, farouchement opposé à l’Administration en général et au Maire-Chef de Province (surnommé « le Consul » par le journal) en particulier. Que réclament donc les colons d’après la Gazette du Nord ? Ils demandent d’abord plus de pouvoirs, et – notamment – celui d’élire le maire de la ville, également chef de la province, qui, malgré les promesses, est toujours un administrateur, assisté de 2 autres administrateurs, plus deux autres pour les districts d’Ambilobe et de Vohemar. « Nous demandons tout d’abord, dans les villes érigées en Municipalités, que le Maires soit élu, comme en France, par les membres du Conseil Municipal et que ces fonctions ne soient pas confiées à l’Administrateur-Chef de la Province ». En principe, le Maire est assisté d’un conseil municipal élu, (les dernières élections ont eu lieu en avril 1924) composé de 9 conseillers dont deux Malgaches, MM Randrianary et Andrianisaodray. Mais le Maire, M. Marcoz, est accusé de ne tenir aucun compte des avis de ses conseillers et de publier avec un grand retard les procès-verbaux des Assemblées municipales. « Des mauvaises langues font courir le bruit que le Conseil Municipal va se réunir incessamment. Nous ne pouvons le croire, le Maire ayant, jusqu’à maintenant, l’habitude de prendre la responsabilité de régler seul les affaires municipales » (La Gazette du Nord). Mais on reproche bien d’autres choses à l’Administrateur-Maire en dehors de son autoritarisme. Les principaux griefs portent comme toujours (et comme à l’heure actuelle) sur les dysfonctionnements des services au niveau des routes, de l’urbanisme, de l’eau, de l’électricité et du prix du riz !

Au niveau des routes

Si, d’après l’Annuaire général on peut faire l’aller–retour de Diego Suarez à Ambilobe dans la journée, il semble que la réalité soit bien différente… Dans la Gazette du Nord voici ce que l’on peut lire, le 10 août 1925 : « Quand la route des Placers possèdera de vrais ponts, ce sera la fortune de Diego Suarez. Tel n’est pas le cas pour le moment. Les personnes qui ne la fréquentent pas n’ont qu’à se payer le luxe de Diego Suarez-Ambilobe, et vice-versa. Elles seront forcées de se coucher pendant 48 heures, au retour …pour recouvrer après ce repos, l’usage de tous leurs membres endoloris par suite du passage des ponts. Les sauts de steeple-chase ne sont rien à côté des bonds prodigieux que font les véhicules de toutes sortes en les franchissant » et l’auteur de l’article termine en déplorant que les nombreux projets de réparation « dorment dans les cartons de la Capitale ». Même problème pour la route de Joffreville qui est « par endroits, un véritable champ de pierres » ; quant à la portion de route que « les automobiles pouvaient autrefois franchir pour permettre aux visiteurs d’aller villégiaturer en forêt, ce n’est plus qu’un chaos maintenant » (Gazette du Nord). On rêve aussi d’un chemin de fer qui doit conduire à Irodo et pour lequel, d’après deux conseillers municipaux envoyés à Tananarive, des crédits ont été obtenus, ainsi que pour le prolongement de la voie ferrée qui s’arrête à Sakaramy et que l’on doit prolonger jusqu’à Joffreville. Si crédits il y a eu, à quoi ont-ils été employés ? D’après la Gazette les choses ne vont pas mieux en ville…

Les problèmes d’urbanisme

Là encore, il y a de beaux projets, notamment celui d’un boulevard maritime (on parle également de « route de corniche » …qui ne verra jamais le jour. On se plaint des jardins « suspendus » (c’est-à-dire abandonnés) d’Antsirane : « Nous avons connu le square Joffre, le square Clemenceau et la Place de la Résidence verdoyants et fleuris. Mais c’était un temps où l’Administration Municipale avait à sa tête un autre Maire que le Consul… ». Le jardinier municipal a été supprimé et les arbres plantés dans la rue Colbert sont morts faute de soins et d’arrosage, comme ceux de la Place Kabary. Le Maire, pour sa défense, avance le manque d’eau, l’éternel problème de Diego Suarez, mais, réplique la Gazette « qu’a fait la municipalité pour nous en donner comme elle nous l’avait promis ? »

Le problème de l’eau

Il revient souvent dans les délibérations du Conseil Municipal sans qu’une vraie solution soit trouvée. Cette question entraîne un affrontement constant entre les habitants et le Maire qui, d’après la Gazette, « a déclaré au sein du Conseil Municipal que l’eau à Diego Suarez ne manquait pas, au contraire, qu’il y en avait en abondance – que nous étions mieux partagés que Tananarive, et même que nous en avions plus par habitant qu’à Paris ».Et pourtant, si l’on en croit le journal « Diego Suarez n’a pas d’eau pendant la nuit et souvent une grande partie de la journée ». Ce problème de l’eau a été mis tragiquement en évidence par le « grand incendie » qui a détruit une partie des commerces de la rue Colbert dans la nuit du 9 août 1925 et où l’eau a tragiquement fait défaut. Mais la question qui est à l’ordre du jour, dans les années 25, c’est celle de l’électricité.

Qui fournira l’électricité à Diego ?

Depuis un contrat passé en 1916, l’électricité de Diego Suarez était fournie par une usine thermique fonctionnant au bois, appartenant à la Société d’Electricité de MM.Matte et Laudié. Les tarifs élevés et les nombreuses défaillances dans la fourniture de l’éclairage amènent la Commune à faire un nouvel appel d’offres qui sera remporté par la Société du Bassin de Radoub. Or, les propriétaires de la Société d’Electricité ne sont autres que les propriétaires de la Gazette du Nord. Ce qui explique sans doute la rancœur de ce journal envers l’Administrateur-Maire ! Matte et Laudié tenteront une contre-attaque en envisageant la construction d’une usine hydraulique d’éclairage à Sakaramy pour remplacer l’usine thermique. Mais, fin 1926, des « Avis » placardés sur les mus de la ville informent la population que « M.E.Laudié a l’honneur de prévenir le public qu’il cessera l’éclairage à compter du 1er octobre prochain, date d’expiration du contrat provisoire qu’il a passé avec la Commune ». Il semble cependant que les prestations de la Société des Ateliers du Bassin n’aient pas donné plus de satisfaction puisque, dans les années qui suivent d’autres contrats seront passé avec des entreprises différentes. Les plaintes de la Gazette du Nord doivent être considérées avec circonspection. Leur tête de Turc, l’administrateur-maire Marcoz a un long passé d’administrateur-colonial puisque, arrivé en 1895 à Madagascar, il a été en poste à Tulear, puis à Tananarive où il a participé à la construction de l’hôpital d’Arivonimamo. Il sera ensuite chef de province à Betroka, puis à Fianarantsoa, puis à Tamatave et enfin à Diego, son dernier poste. Il semble qu’il ait été apprécié dans tous les postes où il a exercé. (Il était de plus un excellent photographe !). Cependant, les attaques qui se développent dans les colonnes du journal témoignent d’un malaise qui se développe dans la population : affrontements colons/administration ; rivalités dans la population européenne ; intérêts divergents des citadins et des agriculteurs, tensions entre « métros » et créoles et surtout, montée du mécontentement des « indigènes ».

Un climat de tension

De plus en plus un malaise s’installe entre les différentes communautés qui composent la population de Diego Suarez, notamment entre européens et malgaches d’une part et indo-pakistanais de l’autre. Ces derniers qui se sont implantés à Diego dans la première décennie du XXe siècle ont concentré leurs activités dans la rue Colbert et la rue de l’Octroi (qui deviendra la rue Lafayette). Les malgaches reprochent aux « karana » de tricher sur les prix et les quantités et d’accorder des prêts usuraires. Les « vazaha » les accusent d’être des « parvenus » : un exemple frappant de cette attitude sera l’attaque dont un indo-pakistanais fait l’objet dans la Gazette du Nord lors de son mariage jugé trop « m’as-tu vu » ! En ce qui concerne les européens, nous avons vu l’opposition des colons aux « privilèges » des fonctionnaires qui rentrent régulièrement en France aux frais de l’Etat et se prennent « pour des petits chefs » ! Il y a également une frontière quasi infranchissable entre les « grands colons » comme Moinard qui a une exploitation agricole de 3000 hectares et les « petits colons » installés à Anamakia ou à la Montagne d’Ambre et qui vivent très modestement de maraîchage. D’ailleurs, en juin 1926, une centaine de petits colons manifestent contre le prix du riz qui a doublé en un mois. (La Presse coloniale, 7 juillet 1926). Sporadiquement, des incidents éclatent qui se manifestent par des grèves (comme celle des travailleurs du port), par des délits ou des crimes, comme l’obscure « Affaire Massot » dans laquelle un colon de Diego fut impliqué, avec une quinzaine d’indigènes pour une série de « vols et de recels » puis innocenté. Un évènement qui frappe les esprits et qui témoigne du durcissement des sanctions est l’exécution de deux criminels, évènement jamais vu à Diego Suarez et qui suscite l’indignation de la Gazette du Nord, peu portée pourtant sur la défense des indigènes ! « Diego vient d’assister à une manifestation macabre - l’exécution de deux indigène condamnés à mort par la cour criminelle de Diego-Suarez pour assassinat. Au degré de civilisation où nous sommes parvenus aujourd’hui, l’application de la peine de mort ne devrait plus exister ».
Mais la Gazette du Nord de Madagascar n’a pas toujours l’esprit aussi ouvert et va prendre au fil des années des positions plus hostiles aux « indigènes », tandis que du côté de certains de ces derniers monte un sentiment d’injustice qui va trouver son expression dans l’Opinion, le nouveau journal (publié à Diego Suarez) du leader anti-colonialiste Ralaimongo.

■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez - Faire du tourisme à Diego Suarez au début des années 1920 (3)

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30 mars 2017

La rivière Mananjeba dans le massif de l'Ankaranana

Le Dr Poisson, vétérinaire à Diego-Suarez il ya cent ans, nous a fait visiter les alentours de Diego-Suarez. Il nous emmène aujourd’hui beaucoup plus loin, dans des régions qui, pour certaines sont devenus des lieux touristiques mais aussi dans des endroits quasiment inaccessibles qui recèlent des beautés méconnues

Guide des excursions dans le Nord de Madagascar
à l’usage des touristes, des fonctionnaires civils et militaires, etc.

Autres excursions nécessitant l’emploi de filanjana et de porteurs.

Ces excursions, les plus intéressantes à tous points de vue que l’on peut entreprendre sont assez dispendieuses ; elles nécessitent, pour chaque personne : 1° un filanjana, siège placé sur deux bâtons et porté à dos d’homme. Il faut huit porteurs (bourjanes), deux équipes de quatre par filanjana ; 2° des porteurs (ou bourjanes) de bagages (un homme pour vingt kilogrammes) ; 3° des vivres de réserve, car on trouve dans tous les villages du riz, des œufs et de la volaille, très rarement du pain sauf dans les centres importants. Il est intéressant d’emporter des biscuits ou du pain de troupe ; on peut en faire faire aux boulangers d’Antsirane avant le départ ; de même pour le vin. L’eau de source est très bonne ; s’abstenir de celle des lacs et des marais ; faire bouillir son eau ou la traiter par filtration et addition d’un cristal de permanganate de potasse par litre d’eau. A défaut de vin, boire le « voafotsy », thé malgache obtenu en faisant infuser la feuille d’un arbuste de la brousse (stomachique et antifébrile) ; 4° le camping, vaisselle de campagne, tente si possible, lit pliant et moustiquaire, couvertures pour la nuit.
1° Windsor-Castle.
- Peut se faire à pied avec un guide en partant de Cap Diego, pour un bon marcheur : 20 kilomètres, durée deux jours.
On peut partir par la chaloupe de cap Diego avec son matériel et ses porteurs, ou mieux, départ par bateau particulier (s’arranger avec la Société de Batelage) pour Andrakaka. Ensuite, on suit en filanzana le chemin du Col du Courrier jusqu’au village d’Andramaimbo. Après un court repos, on repart en montant le rocher jusqu’au pied de la falaise ; de là, un escalier conduit au rocher ruiniforme de Windsor où est installé le poste optique (395m). De ce point, on a une vue splendide sur toute la région, à l’ouest de la baie du Courrier, au sud l’archipel des Mitsio, devant soi les plateaux de Babaomby et d’Ankarafabe, puis, à l’est, la baie de Diego, Antsirane, le pays d’Ambre (30 km). Par la lunette du poste, vue du Cap d’Ambre, point extrême au nord de Madagascar. Retour par le plateau de Cap Diego.
2° Cap d’Ambre.
- (40 kilomètres : trois jours aller et retour au minimum).
Se rendre par la chaloupe à Vatomainty et, en suivant la côte aller jusqu’à Ankafarabe en filanjana ou mieux se rendre en chaloupe particulière à Ankafarabe. Traverser ce grand plateau où abondent d’immenses troupeaux de zébus. Vue de pitons rocheux curieux : la Caille (120m), la Dent du Cap (230m), Ampotoka (220m), le Coq (278m), la Poule (220m), la Table (230m).
Au cap d’Ambre, phare. Voir la mer presque toujours démontée (vue grandiose du grand Océan). Coucher au cap d’Ambre et retour par la côte ouest jusqu’à Cap-Diego.
3° Visite aux placers de l’Andavakoera.
- Par auto particulière, on peut faire le trajet aller-retour en deux jours. Un jour de visite, soit trois jours de voyage en totalité.
En pousse-pousse, quatre jours aller et quatre retour.
En autobus (le moyen le plus commode) se rendre à Marivorano et de là, en pousse-pousse à Betsieka, centre des placers (trajet : une journée). S’adresser à la Société des Mines d’or d’Andavakoera, 21 Place de la Madeleine, à Paris et à Betsieka, district autonome d’Ambilobe.
De Marivorano, on prend la route des mines jusqu’à Ambodimanga où on franchit le Mananjeba pour la deuxième fois, puis on se rend à Ranomafana, premier poste des placers et, de là, par voie ferrée Decauville à Betsieka (restaurant et hôtel).
Voir l’usine où se travaille le minerai à Betsieka, le puits de Beresiky, les postes d’Andavakoera, Andimakomby, etc. De Betsieka, l’on voit la plupart des grands pics dépendant du Tsaratanana, point culminant de Madagascar (2880m) tels que le Besofo, l’Andrabary, etc. (A voir, à côté de Betsieka une source d’eau chaude séléniteuse à 70°).
Très belle excursion qui fait visiter au voyageur toute la route des Placers et lui permet de contempler de beaux reliefs : toute la montagne des Français en sortant d’Antsirane, du kilomètre 6 au kilomètre 20, les reliefs du massif d’Ambre (de Sadjoavato à Anivorano), le début de la chaîne de l’Ankara, les massifs, après Marivorano, de l’Ambohipiraka, du Leviky et de l’Ankonokono (Ambilobe), toute la chaîne d’Andavakoera, les belles vallées du Rodo, de la Tsarahena, de la Beanamala, etc. (Facile à faire grâce aux autobus et peu fatigante.)
4° Visite des grottes de l’Ankara.
- Se rendre à Ambilobe, puis, de là, en filanjana par Antsaravibe, arriver jusqu’à la muraille calcaire que l’on côtoiera. Visiter les grottes d’entrée et de sortie de la Mananjeba, les grottes de la rivière Ankara.
La visite de cette région (sacrée pour les Antankara) demande quatre ou cinq jours d’Ambilobe, c’est-à-dire une semaine d’absence de Diego. Elle est des plus curieuses : qu’on s’imagine, au milieu d’une plaine, une muraille longue de 50km environ et d’altitude moyenne de 200m, calcaire, fissurée et découpée de mille manières, recouverte d’une végétation étrange, lianoïde, à plantes sans feuilles ou à arbres implantés dans le roc. De ci de là, des sortes de portes monumentales sont ménagées dans cette barrière rocheuse. Les rivières de la région l’ont ravinée à la base par endroits et l’ont franchie sous des grottes des plus pittoresques où abondent les caïmans. Il y a là un pays bizarre vraiment digne d’être vu et admiré pour son étrangeté même.
5° Visite aux grandes chutes de la Mahavavy
.- Cette dernière excursion est un véritable voyage d’au moins dix jours dans la brousse ; outre qu’elle est fort dispendieuse, elle est assez fatigante, mais elle s’adresse aux admirateurs de la nature sauvage, à ceux qui aiment les vastes étendues, les montagnes dénudées, les sentiers à pic. Ce serait sortir du cadre de ce modeste guide que de vouloir en indiquer les sauvages beautés et les paysages sévères, parfois, que l’on y rencontre. Je me bornerai à en indiquer les principales étapes.
Trajet : 200 kilomètres dans le district d’Ambilobe, huit à neuf jours, exclusivement en filanjana, soit, de Diégo, 350 kilomètres.
1er jour : Départ d’Ambilobe. Déjeuner au kilomètre 16 où on laisse à droite la route Anjamangira. Diner et coucher à Antanimandry. Route plate, brousse à satra (palmier épineux). Après avoir traversé en pirogue la Mahavavy, Antanimandry : belles cultures de cocotiers, d’ananas.
2e jour : Antanimandry. Départ. Déjeuner à Ankiabe, dîner et coucher à Anaborano. Route très intéressante en partie en forêt tropicale avec beaux ravinala (arbres du voyageur, caractéristique de Madagascar, à grandes feuilles en éventail). Route montagneuse dans la chaîne de l’Antsakay : du col où passe la route, on a un panorama magnifique sur la forêt et la mer ; vue de Nossi-Be. En plaine, belle vallée de l’Ifady. Anaborano, sur l’Ifady (commerçants grecs bien assortis, bon gîte d’étape).
3e jour : Visite des environs d’Anaborano. Si l’on veut prolonger son séjour, on peut faire des excursions en montagne. Ascension du Galoko, du Kalebenono. C’est également à Anaborano que prend la route d’Ambanja qui conduit au Sambirano (l’une des plus riches contrées de Madagascar, la « Beauce du Nord » au point de vue agricole). Trajet : trois ou quatre jours. Visite des rives de l’Ifady. Départ après déjeuner, coucher à Abendrano par Antarevoka. Le trajet s’effectue en partie dans le terrain montagneux (17km).
4e jour : Départ d’Abendrano. Déjeuner à Ambilobe, au sud, dîner et coucher à Manambato (33km). Trajet exclusivement en montagne. On traverse des reliefs granitiques très accusés, un pays des plus accidentés et d’aspect sauvage avec de grands pics à arêtes abruptes (Antsingafary, Marivorano, Ampiotro (1705m) au pied duquel est bâti Manambato). Dans le village, il y a de bonnes ressources (pêche dans le Manambato) et un bon gîte d’étape.
5e jour : De Manambato aux grandes chutes de la Mahavavy. Le fleuve se précipite dans un gouffre de 70m de profondeur entre les deux montagnes Zarandahy et Zarambavy (aller
et retour 20km.) la vue de ces chutes et des montagnes qui les entourent est un magnifique spectacle ; on oublie ses fatigues en face de cette nature grandiose.
6e jour : On revient à Ambilobe en longeant la Mahavavy rive gauche. Je dois dire qu’après les spectacles émouvants de la montagne, le trajet en pays plutôt désertique paraît assez banal ; il y a cependant encore de jolis coins – Manambato. Départ. Déjeuner à Ambilobe-sud puis on prend la route de Bemofo où l’on dîne et couche, peu de ressources, comme, du reste ; les jours suivants (30km).
7e jour : Bemofo. Départ. Déjeuner, dîner et coucher à Ambondrolo (26km).
8e jour : Départ d’Ambondrolo. Arrivée à Ambilobe pour déjeuner (belle route en partie en forêt) et retour par auto à Diego.

Conclusions

Nous ne citerons pas ici toutes les conclusions ajoutées à son petit guide par le Dr Poisson.
Pour beaucoup de ses remarques, les choses n’ont pas fondamentalement changé. Il rappelle que la province de Vohemar est une « petite Suisse » et qu’il y a de belles randonnées à faire dans la région de Nossi-Be pendant la saison sèche.
Evidemment, les moyens de locomotion ne sont plus vraiment les mêmes : nous serions indignés de nous promener en pousse-pousse ou en filanjana (sorte de chaise à porteur dont Poisson dit qu’il s’agit « d’un moyen sûr de communication mais très lent » !) Rappelons cependant qu’il s’agissait d’un moyen de locomotion traditionnel employé aussi bien par les malgaches aisés que par les « vazahas ». Mais on reste admiratifs devant le courage et la force des « bourjanes » capables de faire des centaines de kms – en se relayant bien sûr- en tirant ou en portant des passagers et des bagages !
Poisson note également que « le climat tropical abîme les routes » …ce que, hélas, nous constatons tous les jours.
Cependant le guide du Dr Poisson, outre son intérêt historique, témoigne d’un véritable amour pour la terre malgache « Elle a son pittoresque et son charme, cette vie malgache, à ce point que lorsqu’on a vécu dans ce pays, on l’aime …et on y laisse une partie de soi-même, on voudrait que ceux qui ne l’ont pas vu le connaissent et l’apprécient à leur tour ».
Espérons que ceux qui auront lu ce texte l’apprécieront également et qu’ils essaieront de retrouver les chemins parfois perdus qui conduisent à ces lieux magnifiques qui méritent les difficultés que l’on a à y accéder.

■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez : Faire du tourisme à Diego Suarez au début des années 1920 (2)

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16 mars 2017

 

Diego Suarez, - Forêt d'Ambre, - Rivière

Poursuivons, avec le Dr Poisson, ancien vétérinaire à Diego-Suarez, notre visite, il y a près de cent ans, du nord de Madagascar. Cet article, publié, dans le Bulletin économique de 1922, prodiguait des conseils (documentés) aux touristes de l’époque. Les Antsiranais d’aujourd’hui y trouveront –outre une description de la ville au début du XXe siècle – une liste des excursions à faire et des sites à visiter, de nature à intéresser les touristes actuels

Guide des excursions dans le Nord de Madagascar

à l’usage des touristes, des fonctionnaires civils et militaires, etc.
Renseignements généraux et succincts.

On peut être appelé à séjourner à Antsirane soit pour affaires, soit pour voyage d’agrément, soit pour attendre un des bateaux côtiers de Madagascar (Diego est en effet le point d’attache de la tête de ligne de ces navires). Il importe donc de connaître les excursions que l’on peut entreprendre dans cette région peu parcourue par les touristes et où cependant les coins pittoresques, parfois étranges et même un peu sauvages, ne manquent pas. J’ai divisé cette partie de la manière suivante :
1° Excursions faciles, peu dispendieuses et de courte durée que l’on peut entreprendre par les transports publics de la Colonie ;
2° Les excursions par automobiles de louage (prix gré à gré) ou avec celles des services publics ;
3° Les excursions lointaines avec transport de vivres, camping et nécessitant le recrutement de porteurs.

1° Excursions faciles

Le Cap Diego.- Voyage tous les jours par la chaloupe à vapeur partant de l’embarcadère à 7 heures. Retour à 10heures ou 16 heures. Un service à 13h30 certains jours (se renseigner à la Société de Batelage).
Ascension du rocher (70 mètres) ; escalier et route à travers la forêt calcaire ; vue splendide sur toute la baie de Diego et la ville ainsi que sur le massif d’Ambre.
Déjeuner dans la grotte du Cap Diego en bas du rocher (température fraîche). Cap Diego est un poste militaire. Village indigène très pittoresque ; jolie plage sur la baie du Sépulcre. Temps : une demi-journée ou une journée.
Orangea.-A l’entrée de la passe. Service tous les deux jours par lal chaloupe de 8 heures, par le rocher de Vatomainty, l’ilot des Aigrettes. Orangea possède un poste militaire des plus importants (batterie de défense).
Une fort belle plage de sable va d’Orangea à Ankorika (2 kilomètres), vue sur le grand Océan et la passe ; mer de coraux à marée basse. Forêt avec divers chemins très praticables (voies Decauville appartenant à l’autorité militaire ; demander l’autorisation à la Place). Très belle grotte (grotte des Pintades) aboutissant après 1 kilomètre environ à la falaise (vue merveilleuse sur la haute mer, promenades aux dunes, poste de T.S.F ; sémaphore). On peut prendre la chaloupe à vapeur à Ankorika deux jours après. On pourra coucher soit à Orangea (village de Ramena), soit à Ankorika (un restaurant). Durée de l’excursion : deux jours.

La Montagne des Français.- Trajet de 5 kilomètres sur bonne route en pousse-pousse ou en auto de louage jusqu’au village des Salines (usine intéressante à visiter) puis montée à pied ou en filanzana (dans ce cas partir d’Antsirane et recruter des porteurs qui vous attendent aux Salines) jusqu’à la falaise calcaire d’Anosiravo (distance 3 kilomètres, marche facile). Poste militaire à cet endroit. Visite de la grotte aux « fany » (chauve-souris), du tunnel des disciplinaires ; montée par le tunnel (un quart d’heure à pied) et arrivée au sommet de la falaise. Visite de l’ancien poste en ruines des disciplinaires (style arabe). L’état des constructions permet de s’y abriter et d’y déjeuner. Du haut de la falaise vue splendide sur la forêt derrière soi et devant soi panorama très étendu sur la baie des Français (portion de la baie de Diego) avec le pittoresque ilot conique appelé « le Pain de Sucre » au milieu de la mer. Le regard s’étend également sur Orangea et le grand Océan, sur l’ilot des Aigrettes, Vatomainty, les sommets ruiniformes et à aspects de châteaux-forts de Windsor-Castle et de Dower – Castle, sur Antsirane, le pays d’Ambre. Forêt calcaire avec deux sentiers très pittoresques, très difficiles d’accès à cause des roches calcaires pointues et des lianes (gorges d’Andavakoera avec grottes de 30 mètres de profondeur et plus, d’accès difficile, mais extrêmement curieuses (se procurer un guide).
Cette excursion demande une journée ; elle est un peu fatigante pour ceux qui ne sont pas entraînés à la montagne. C’est l’une des plus pittoresques et des plus attrayantes pour l’amateur de photographie, le naturaliste et tout admirateur d’une nature grandiose et sauvage.

La S.C.A.M.A.- Cette abréviation sert à désigner les usines de la Société des Conserves Alimentaires de la Montagne d’Ambre (siège social à Marseille, rue Colbert, direction Bessière et Périé). Ces usines sont situées à cinq kilomètres de Diego-Suarez sur une excellente route praticable aux autos. L’excursion peut se faire facilement en pousse-pousse et demande une demi-journée. Très belle usine à agencement moderne et matériel de tout premier ordre. Fabrique de conserves pour l’armée et le commerce. Visite des plus intéressantes. S’adresser pour visiter à la direction, à Diego-Suarez.

Usine des conserves alimentaires d’Antongombato, à 20 kilomètres d’Antsirane par une route praticable aux autos. On peut y aller en trois heures en pousse-pousse (route d’Anamakia). Ces usines, propriété de la Compagnie générale des Produits alimentaires (siège social à Paris, rue des Mathurins, et à Diego-Suarez, boulevard militaire), sont une grande exploitation installée dans les immeubles de la Graineterie française, installée depuis 1893 à Diego-Suarez. Elles fabriquent également pour l’armée et le commerce. Ces établissements sont admirablement montés et leur visite est des plus intéressantes. Les bâtiments sont placés au pied du curieux pic Froger, éminence basaltique ruiniforme. Belle forêt tropicale appartenant à l’usine où l’on accède par voie Decauville. Un chemin de fer conduit les produits de l’usine à la mer (10 km). La route passe par le village d’Anamakia, au centre d’une plaine alluviale et marécageuse, riche en cultures de riz, de bananiers, de cocotiers et autres cultures tropicales exploitées surtout par des Réunionnais. On y fait beaucoup de cultures potagères qui alimentent le marché d’Antsirane.
Excursion peu fatigante, très intéressante et demandant une journée (s’adresser pour visiter à la direction).

2° Excursions en automobile

A.- Route d’Ambre.-33 kilomètres - Cette route, des plus pittoresques à partir surtout du kilomètre 15, relie Antsirane à Joffreville ou le « Camp d’Ambre » et passe au kilomètre 23 au « Camp du Sakaramy ».

1° Excursion au Sakaramy.- Le camp du Sakaramy et le village indigène du même nom sont situés sur la route d’Ambre, à 800 mètres d’altitude. Il y a là un poste militaire important et, au début de la route, la voie Decauville (départ d’Antsirane tous les matins à 6 heures, arrivée à 11 heures) ; retour : départ à 13 heures de Sakaramy (se renseigner auprès du chef de gare militaire). Si l’on dispose de peu de temps, on peut visiter le Sakaramy en un jour. Belle forêt tropicale avec chemins et sentiers très accessibles, gorges du Sakaramy (demander un guide), pêche à la ligne dans le Sakaramy, visite du lac Mahery (cratère-lac à 3 km). Il existe au Sakaramy un restaurateur.

2° Excursion au Camp d’Ambre.- Joffreville, à 1200 mètres d’altitude au pied du Pic Badens (1300m) est une jolie petite ville qui rappelle les villages de certaines provinces montagneuses de France. A côté de luxueuses villas particulières, il y a nombre de maisons confortables à louer et un excellent hôtel-restaurant. (Directeur-propriétaire : M.Tristani). Le séjour y est des plus agréables. Une vue splendide sur toute la partie septentrionale de l’île fait de ce pays un site unique. Merveilleuse forêt tropicale, avec lacs, cascades, chemins très praticables à pied ou en pousse-pousse.
Excursions recommandées : La grande cascade, 12 kilomètres ; le petit lac et la cascade des Roussettes, 10 kilomètres ; le chemin Landais, la route d’Antongombato, la route d’Ambahivahibe etc.
C’est de ce pays que proviennent les fruits qui alimentent le marché d’Antsirane. Climat excellent et cure d’air. Séjour très recommandé, chasse et pêche. Grâce aux autobus, on peut aller et revenir le même jour, mais on aura avantage à prolonger son séjour.

B.- Route des placers.- De Diego-Suarez à Ambilobe (142 km) par autobus, une journée (déjeuner à Anivorano : un restaurateur). On peut également y aller, soit par auto particulière, soit en pousse-pousse.
Trajet en pousse-pousse :
1er jour : départ d’Antsirane ; déjeuner (emporté) à Mahavana (25 kilomètres) ; dîner et coucher à Sadjoavato (52 kilomètres) restaurant et case de passage, emporter le camping ;
2e jour : départ de Sadjoavato, déjeuner à Anivorano (75 kilomètres), restaurant. Dîner et coucher à Ambondrofe (95 kilomètres), emporter dîner et camping, case de passage.
3e jour : départ d’Ambondrofe, déjeuner à Marivorano (127 kilomètres), restaurant, arrivée pour dîner et coucher à Ambilobe (hôtel).
L’avantage d’un véhicule particulier est la faculté de l’arrêter aux points intéressants de la route.
Points intéressants.- S’arrêter au kilomètre 24 et visiter les deux chutes de la Besokatra (distance de la route : 1km 500 environ). Après avoir traversé le plateau de Tsarahena, s’arrêter un moment à Tsarahena-Ambany et voir la belle vallée de la Tsarahena et le volcan éteint (43 km). A Anivorano, voir le lac Sacré (km 75) où abondent des caïmans, objets de la vénération des indigènes. S’arrêter également à Ambondrofe (km 95) et voir la curieuse muraille calcaire de L’Ankara. A Ambohimagodro (km 111) on a une vue très étendue ; derrière soi, le pays d’Ambre, devant soi la plaine de Marivorano et du côté droit la mer avec l’archipel des Mitsio et, par temps clair, le mont Lokobe, point culminant de Nossi-Be. La descente sur la plaine de Marivorano est très pittoresque ; on arrive bientôt à ce dernier village, passage sur un beau pont de la Mananjeba et arrivée à Ambilobe.
Ambilobe.- Chef-lieu du district autonome du même nom, bâti sur la Mahavavy, au pied de l’Ankomokomo. Excursion facile et recommandée par une belle route ; retour par Anjavimilay et l’ancienne route (14 km). Bon hôtel. C’est d’Ambilobe que l’on part pour aller aux mines d’or et dans la partie montagneuse du Nord (Voir excursions aux mines d’or, aux grandes chutes de la Mahavavy).
(A suivre)

■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez - Faire du tourisme à Diego Suarez au début des années 1920 (1)

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3 mars 2017

Diego Suarez - le service de la baie

Pour une fois je m’effacerai derrière un confrère, ancien vétérinaire à Diego-Suarez, le Docteur Poisson, qui a publié, dans le Bulletin économique de 1922, ces conseils (documentés) aux touristes de l’époque. Les Antsiranais d’aujourd’hui y trouveront –outre une description de la ville au début du XXe siècle – une liste des sites à visiter qui sont encore de nature à intéresser les touristes d’aujourd’hui.

Guide des excursions dans le Nord de Madagascar
à l’usage des touristes, des fonctionnaires civils et militaires, etc.

Renseignements généraux et succincts.

I.- LA VILLE D’ANTSIRANE
Le Dr Poisson décrit, dans un premier paragraphe l’arrivée en bateau à Diego-Suarez. Le site décrit étant bien sûr inchangé, nous passerons directement à l’

Arrivée à Antsirane
Des chaloupes à vapeur prennent les passagers à destination de Diego-Suarez avec leurs bagages pour les conduire à terre. Les autres voyageurs trouvent des canots et des baleinières indigènes qui les transportent en 15 minutes à quai où l’on trouve des pousse-pousse pour deux personnes.
Hôtels.- Deux hôtels très confortables existent à Antsirane :
1° L’hôtel des Mines (Square Tafondro), directeur-propriétaire : A.Mortages.1
Restaurant, salons particuliers, électricité, téléphone, etc., vue splendide sur toute la baie de Diego. Cet hôtel est l’une des plus belles constructions (style arabe) de la ville. Etant donné le cours actuel des denrées, il est difficile de donner des prix exacts de la pension et des chambres.
2° Hôtel du Japon, rue Colbert, Directeur-propriétaire : Agasaki2. Excellente cuisine, salons particuliers, électricité, téléphone, cinéma.
On trouve en ville des maisons à louer pour longs séjours ; les hôtels de la ville envoient la nourriture à domicile. La domesticité est assez difficile à recruter.

Hôtel du Japon, rue Colbert, Directeur-propriétaire : Agasaki2. Excellente cuisine, salons particuliers, électricité, téléphone, cinéma

Edifices à connaître

La Résidence3, siège du chef-lieu de la Province (bureaux ouverts de 8 heures à 10 heures et de 13 heures à 17 heures), rue Richelieu. C’est au bout de cette rue que s’élève l’Hôpital, magnifique bâtiment des plus confortables. Rue Joffre, se trouve l’hôtel des Postes et Télégraphes4, presque à côté l’un de l’autre, le service des mines, le commissariat de police central (visa des passeports), les agences des Messageries Maritimes et de la Compagnie Havraise péninsulaire (rue Catinat) ; cette voie aboutit au square Joffre, magnifique vue sur la baie, la rade, le Cap Diego et les sommets de Windsor- Castle et Dower-Castle (on peut y admirer de superbes couchers de soleil).
A signaler encore le Marché (Appelé à Antsirane le Bazar), rue Colbert, très bien approvisionné en œufs, volailles, légumes, fruits, poissons de mer et de rivière excellents (vente de 5h1/2 à 8h).
La rue Colbert, principale artère de la ville, est la plus animée ; on y voit la plupart des maisons de commerce. Il y en a aussi rue Richelieu, Catinat etc.
On trouve à Diego un choix de plus de 200 cartes postales illustrées reproduisant des types ethniques ou des endroits pittoresques du nord de l’île. On peut acheter des cartes topographiques de la région. Les articles de chasse et de pêche sont faciles à trouver chez beaucoup de commerçants ; il existe deux photographes qui se chargent du développement et des agrandissements, etc.

Moyens de communication

Pour circuler en ville et aux environs, il existe plusieurs stations de pousse-pousse, travaillant à l’heure et à la course.
La Société du Batelage assure un service tous les jours avec Cap-Diego, tous les deux jours avec Vatomainty, Orangea, Ankorika (points devers de la baie de Diego) par chaloupes à vapeur. On peut également y louer des bateaux particuliers (chaloupes, baleinières). On trouve au port, également, des canots pour aller et venir de jour et de nuit du paquebot à terre.
Automobiles.- Un service d’automobiles (autobus) est assuré avec le Camp d’Ambre trois fois par semaine et avec Ambilobe deux fois par semaine (service de poste et de voyageurs ; retenir ses places à l’avance). On trouve également chez certains commerçants des autos particulières.
L’intendance assure également tous les jours un service de train (voie Decauville) avec le poste de Sakaramy et fournit des wagons spéciaux, soit pour monter, soit pour descendre. On peut aussi, pour les longs parcours, louer des filanzana et des pousse-pousse suivant l’état des routes, des itinéraires que l’on veut suivre.

Autres renseignements

Cercle.- Il existe à Antsirane un cercle français (boulevard Bazeille)5 pourvu de salles de café et de jeu et d’une bibliothèque où les voyageurs européens sont reçus s’ils sont accompagnés d’un membre du cercle.
Nouvelles d’Europe et de France.- Tous les jours, à la poste, à 10 heures et 17 heures, les nouvelles de France sont reçues par câblogramme (la copie en est envoyée au Cercle).
Bibliothèque de garnison.-MM. Les officiers des armées de terre et de mer, des armées alliées de passage à Diego-Suarez peuvent profiter de la bibliothèque de garnison (à la Place, boulevard Militaire) où ils trouveront le meilleur accueil de leurs camarades, les journaux et revues.
Cinéma.- Tous les soirs, hôtel du Japon, rue Colbert, de 20 heures à 23 heures. le jeudi et le dimanche, matinée pour les enfants de 17h1/2 à 19 heures (A chaque courrier, films nouveaux).
Musique militaire.- Tous les dimanches, square Tafondro, de 17 à 18 heures.
Comptoir d’Escompte.- 6 Rue Colbert, ouvert tous les jours de 9 heures à 10h1/2 et de 14 à 16 heures, sauf les dimanches et jours fériés6.
Cultes.- Antsirane possède une belle cathédrale7 où se font les offices catholiques. Il existe également un temple protestant dans la partie haute de la ville. Les Arabes possèdent à Diego plusieurs mosquées et les Chinois, une pagode. Le culte catholique est également célébré tous les dimanches à Joffreville (camp d’Ambre) et à Anamakia.
Journaux et revues.- Dans les hôtels et cercles. Un journal local, le Sémaphore de Diego, journal des intérêts régionaux.

Pêche et chasse

Pêche à la mer.- En principe, le droit de pêche à la mer est le privilège des pêcheurs de profession qui approvisionnent le marché. En fait, la pêche est libre, mais le touriste aura toujours avantage à s’arranger avec un indigène possesseur d’un canot ou d’une pirogue.
La baie est très poissonneuse et l’on y pêche, soit à la ligne, soit aux engins.
Sur les rochers du cap Diego, à marée basse, se trouvent en quantité d’excellentes huitres très petites et des coquillages (palourdes, bigorneaux) ainsi qu’à Vatomainty.
Pêche dans les ruisseaux et rivières.- A la ligne, au ver rouge, on pêche du goujon malgache, très gros et excellent ; aux balances, des « camarons », sortes de crevettes d’eau douce énormes. (Se méfier des caïmans, très dangereux pour l’homme et très abondants dans les lacs, fleuves et rivières). Cette recommandation s’applique aussi à la chasse au gibier d’eau.
Chasse.- Se munir d’abord d’un permis de chasse et d’un port d’armes valable pour un an et délivré à la résidence moyennant un paiement au trésor de 10 francs.
La chasse est ouverte et fermée par arrêté du Gouverneur Général. Certains animaux ne doivent pas être tués (aigrettes et fausses aigrettes) ; la destruction des animaux nuisibles (sangliers) peut être, au contraire, autorisée en dehors des époques de chasse (se renseigner à la résidence ou au commissariat de police.
Le gibier d’eau est très abondant, certains sont excellents (canards à bosse, sarcelles etc.). Il existe aussi des pigeons, des cailles, des perdrix, des pintades etc.
Le gibier est en général peu abondant dans la province, sauf dans quelques cantons éloignés (Anivorano, Befotaka, Ambondrofe, etc.)
(A suivre)
■ Suzanne Reutt

  1. L’hôtel des Mines, que l’on a appelé beaucoup plus tard « Hôtel Marine » est le magnifique bâtiment, réduit actuellement à l’état de ruine, construit par Alphonse Mortages avec la fortune que lui avait apportée la découverte des mines d’or d’Andavakoera. Le square Tafondro abrite encore le kiosque à musique où jouait la musique militaire .
  2. L’hôtel du Japon se trouvait en face de l’actuel « Grand Hôtel ». Le cinéma se trouvait à l’origine dans l’hôtel. Plus tard, il fut installé entre la rue Colbert et le Bd Etienne. Il appartenait au japonais Akasaki, une figure estimée du Diego de l’époque.
  3. La Résidence est toujours en bas de la rue Colbert : elle a dû être réparée et même reconstruite plusieurs fois à cause des cyclones qui ont ravagé Diego.
  4. La Poste, un grand bâtiment qui a succédé à l’ancienne poste qui se trouvait dans la ville basse, était à l’époque au coin de la rue Joffre et de …la rue de la poste ! Elle a donné son nom à l’hôtel de la poste.
  5. Le Cercle français occupait le bâtiment à colonnade qui se trouve au coin du Bd Bazeilles et de la rue Castelneau
  6. Le comptoir d’escompte se trouvait au coin de la rue Colbert et de la rue Flacourt. Très beau bâtiment à colonnes au début du siècle, il avait été remplacé par un bâtiment « moderne » (et beaucoup moins esthétique !) qui fut occupé par la BMOI avant son déménagement rue Colbert dans l’immeuble Cassam Chenaï.
  7. La cathédrale est toujours rue de la Marne. Alphonse Mortages avait été un des mécènes qui avaient permis sa construction.


Les premières années de Diego Suarez : 1920-1925, Après la grippe… la peste

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19 janvier 2017

Une rue dans la Ville Basse à Diego Suarez au début des années '20

La vie reprend à Diego Suarez après la guerre et la terrible épidémie de grippe espagnole. Mais la ville n’en a pas fini avec les malheurs et les problèmes…

Le retour des soldats de la Grande Guerre

Les hommes mobilisés, qu’ils soient militaires de carrière ou appelés continuent à rentrer à Madagascar : le premiers retrouvent leurs régiments, souvent avec une promotion obtenue grâce à leurs états de service et leur conduite sur le front ; les autres regagnent leurs foyers en plus ou moins bon état (la guerre a fait de millions de blessés, les fameux « gueules cassées »). L’hôpital de Diego Suarez a été transformé en Centre de réforme où les soldats démobilisés doivent retirer leur dossier de pension. Les plus malchanceux ont été rapatriés entre quatre planches et leurs restes (pas toujours formellement identifiés !) ont été ensevelis dans les cimetières militaires d’Antsirane ou de Cap Diego. Leurs corps voisineront avec ceux des victimes de la grippe espagnole qui est arrivée avec le retour des mobilisés. Et bientôt avec ceux des victimes de la peste

La peste à Madagascar

Dès 1921, soit moins de deux ans après que Diego Suarez ait été déclaré « indemne de grippe espagnole » un nouveau fléau s’abat sur Madagascar : la peste. La maladie s’est manifestée dans plusieurs pays voisins de Madagascar « en communication fréquente avec notre colonie » (Journal Officiel du 25 décembre 1920) et, à la fin de l’année 1920, le gouvernement de l’île doit prendre des mesures préventives, ordonnant notamment la dératisation de tous les navires provenant des pays contaminés par la peste et devant passer au bassin à Diego Suarez. La peste a toujours rôdé de façon endémique à Madagascar, mais, en mars 1921 c’est une véritable épidémie qui se manifeste d’abord à Tamatave, puis à Tananarive où un arrêté du 30 juin 1921 déclare « contaminée par la peste » l’agglomération urbaine de Tananarive où l’on commence à enregistrer un grand nombre de décès, notamment dans la population malgache. Des mesures drastiques sont prises réglementant la circulation (notamment le transport des malades, la désinfection des locaux et des objets contaminés. On va même jusqu’à murer les tombeaux des « pesteux » décédés. Puis, il semble que l’épidémie s’éloigne : en 1922 l’épidémie est terminée à Maurice ; à Tananarive, un arrêté du 5 mars 1922 déclare le territoire urbain de Tananarive « indemne de peste ». En septembre, c’est également le cas de Tamatave. La peste demeurera pourtant de façon endémique sur les Hauts-Plateaux de Madagascar. Pendant toute cette période, il semble que Diego Suarez ait été épargné par l’épidémie. Il faut dire que, dès le mois de mai 1920 un arrêté communal avait pris un grand nombre de mesures concernant la salubrité de la ville. Et les mesures de dératisation des navires avaient été appliquées avec rigueur. Et soudain, alors que l’épidémie recule partout, Diego Suarez est touché.

La peste à Diego Suarez

C’est au début de 1923 que la peste semble faire son apparition à Diégo. Début février 1923 le Journal officiel de Madagascar déclare « contaminé de la peste un secteur de la ville de Diego-Suarez » : « Art 1er.- Est déclaré contaminé de peste le secteur de la ville de Diego Suarez formé par les terrains portant les maisons numérotées 9,11 et 13 rue de la République et celles numérotées 6 à 14 de la rue Cardeneau ». Sans surprise, la peste se manifeste donc dans la ville basse aux alentours du port. L’arrêté prévoit l’application immédiate des instructions sur la mobilisation sanitaire en cas d’épidémies pestilentielles. Mais l’épidémie s’étend :
Le 14 février un arrêté déclare « contaminé de peste le secteur de la ville de Diego Suarez formé par les terrains et immeubles compris entre la rue de Bretagne à l’ouest, la rue Cardeneau au nord et la rue de la République au sud ». C’est-à-dire que la quasi-totalité de la ville basse est contaminée. Puis la maladie va gagner les « beaux quartiers » : « est également déclaré contaminé de peste le terrain sur lequel est édifié l’immeuble 76 de la rue Colbert ». Par le même arrêté est constituée une commission d’hygiène réunissant le maire et des membres de la commission municipale, des médecins et des vétérinaires, un gouverneur malgache et des agents des travaux publics et de la voirie. En mars, la maladie gagne du terrain : « Sont déclarés contaminés de peste les quartiers de la ville de Diego Suarez dénommés quartier de la Dordogne et quartier de l’Octroi » (J.O du 24 mars 1923).
Les mesures classiques de lutte contre l’épidémie (vaccination désinfection, isolement des malades) sont renforcées : « Les indigènes résidant à Diego Suarez ne pourront quitter la ville qu’après une période d’observation de dix jours » (Article 3) « L’embarquement des marchandises sera l’objet d’une surveillance spéciale des autorités sanitaires ; les travaux de bord seront effectués par des équipes d’indigènes préalablement vaccinés et douchés avant de se rendre à bord. L’embarquement des grains en vrac, manioc en vrac et de toutes marchandises susceptibles de véhiculer des rats est interdit ». Malgré toutes les mesures prises la maladie se manifestera jusqu’à la fin de 1924 mais il semble qu’elle n’ait jamais pris, à Diego Suarez les proportions qu’elle a atteintes à Tamatave et à Tananarive.

Vivre avec la peste à Diego

Les mesures de protection sont une gêne importante pour les Antsiranais. La Gazette du Nord, dès le début de sa parution en 1924, consacre de nombreux articles à la peste et à la gêne qu’elle entraîne dans la vie quotidienne. C’est ce que l’on peut lire dans le numéro du 10 juillet 1924 sous le titre « La peste » : « On a beaucoup discuté dans le public de l’opportunité des mesures qui ont été prises pour en limiter l’extension. Tout ce que nous pouvons faire c’est constater la gêne que cela apporte à la vie économique de notre cité ». Parmi ces mesures, celle qui insupporte le plus la population est le cordon sanitaire qui interdit l’entrée et la sortie de la ville. Le numéro du 25 juillet de la Gazette du Nord évoque cette pénible interdiction : « Nous avons eu une fausse joie – le bruit courait que le cordon allait être levé – hélas, au dernier jour, un cas nouveau de peste le fit maintenir […]Nul n’ignore ici que le cordon est maintenant plus moral qu’effectif ; il n’en est pas moins très gênant pour la bonne marche des affaires. Les indigènes sont très peu touchés, ils passent facilement au travers, d’ailleurs, on remarque que la main d’œuvre devient rare et, sous peu, si ça continue, elle disparaîtra complètement de la ville. En attendant, les malins qui restent en profitent pour demander une augmentation de salaire. »

Les coupables ?

Comme toujours, dans les périodes de crise il faut trouver des cibles et c’est ce que font les journalistes de la Gazette du Nord. Alors que les malgaches sont les plus touchés par la maladie, c’est contre eux et leur « saleté » que s’élève le journal. « Une certaine catégorie d’indigènes a été presqu’exclusivement atteinte, constituée par les travailleurs du port et indigènes habitant la Ville basse ». Ville basse d’où est partie l’épidémie et qui concentre la fureur de la Gazette du Nord, fureur qui s’adresse également aux responsables de la commune : « le moment semble propice pour déplorer une fois de plus l’inertie des services compétents en ce qui concerne le vrai dépotoir que constitue la Ville basse. Combien de fois a-t-on semblé décidé à nettoyer cette écurie ? ». En fait, c’est toute la ville qui, d’après la Gazette serait négligée par les responsables communaux : « D’ailleurs, la Ville-Basse ne détient pas le monopole de la saleté, notre vénérable rue Colbert recèle en ses flancs de nombreux immeubles – masures plutôt – qui ne semblent rien avoir à lui envier » ; même chose pour la Place Kabary dont certains recoins « sont aussi un peu là ! » Autres coupables les Compagnies œuvrant sur le port qui auraient dû avoir « des locaux de permanence » pratiquant un « contrôle sérieux et une désinfection ». La Gazette va jusqu’à souhaiter à leurs responsables d’être eux-mêmes atteints par la maladie ! Cibles de la Gazette également, les chinois et indiens : « Quant à certains éléments asiatiques ou autres, pourquoi ne pas exiger un minimum de propreté jusque dans la cour de leurs habitations ? » Les « arabes », c’est-à-dire les dockers Yeménites, ne s’en tirent pas mieux aux yeux des journalistes de la Gazette : ce sont eux qui importeraient des marchandises contaminées : « Puissions nous voir sérieusement surveillée l’introduction de tant de marchandises hétéroclites par les arabes et autres gens de bord ». Enfin, coupables aussi, les services sanitaires « Nous devons constater avec regret l’insuffisance des quantités disponibles de vaccin anti-pesteux, insuffisance qui n’a pas permis des vaccinations en masse tendant à juguler le fléau. ».
Cette hystérie du « tous coupables » du journal antsiranais traduit sans doute le début de panique qui s’empare d’une partie de la population.
Et pourtant…
Pourtant la peste à Diego a été relativement clémente.

Une épidémie relativement bénigne

Il est difficile de connaître le nombre exact des victimes de la peste à Diego Suarez. Et ceci pour plusieurs raisons. Les malgaches furent les plus touchés par la maladie ; or, pour de multiples raisons, les familles ne s’empressaient pas de faire connaître leurs malades. D’abord parce qu’il leur fallait alors subir de multiples obligations : quarantaine, désinfection des maisons (et quelquefois même destruction par le feu), interdiction des déplacements (la violation du cordon sanitaire pouvait valoir des peines de prison) vaccination etc. Ensuite, parce que l’enterrement des victimes de la peste heurtait bon nombre de coutumes et de superstitions. Or, on connaît l’attachement des malgaches à leurs coutumes funéraires ancestrales. Pour toutes ces raison, et sans doute d’autres encore, tous les malades n’étaient pas déclarés. D’autant plus que l’on savait que le malade atteint avait toutes les chances (si l’on peut dire !) de mourir.
Du côté des européens, les morts furent moins nombreuses, sans doute pour des raisons de meilleure hygiène de vie. Quoiqu’il en soit, l’épidémie fut moins meurtrière que sur les plateaux où, en raison du froid, la peste se manifesta sous sa forme la plus grave, la peste pulmonaire, toujours mortelle à l’époque. Si l’on en croit la Gazette du Nord (qui avait intérêt à minimiser le problème pour les raisons économiques vues plus haut) il s’est agi à Diego Suarez d’une « forme abortive de la peste que les médecins appellent « Peste Ambulatoire » et le journal précise : « Elle consiste en une épidémie de bubons, avec des symptômes peu accentués et même absents, entraînant de rares décès » et la Gazette, optimiste, affirme que « la petite épidémie bénigne qui a tenu la Ville en haleine s’éteindra sans avoir revêtu d’allures sévères » (Gazette du Nord du 25 juillet 1924). En août, la Gazette continue de relater l’épidémie sur un ton badin : « La peste continue tranquillement sa promenade macabre » mais ce que l’on lit entre les lignes est assez inquiétant : « elle se balade de tous les côtés de la ville, tantôt à la Ville Basse, où elle a pris naissance, tantôt à Tanambao, après, à l’Hôpital et même on dit qu’après avoir visité la SCAMA elle a eu l’audace de pousser une pointe jusqu’à la Montagne d’Ambre ». La peste termina officiellement sa « gentille » promenade vers la fin de l’année. Le cordon sanitaire fut levé en octobre 1924.
Elle avait fait moins de morts que la grippe espagnole, moins de morts qu’à Tananarive ou à Tamatave, mais elle avait fait naître, dans la population malgache une crainte et un ressentiment qui n’allaient pas tarder à se manifester sur le plan politique.


■ Suzanne Reutt



Les premières années de Diego Suarez - 1919, La grippe espagnole à Diego-Suarez : quand la mort vient de la mer…

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6 janvier 2017

Le Madonna par grosse mer

1919 : La guerre est finie…Les survivants rentrent du front. Mais, avec eux, débarque un autre danger : la tristement fameuse grippe espagnole qui sera plus meurtrière dans le monde que la première guerre mondiale

La grippe espagnole

La grippe espagnole est responsable d’environ 50 millions de morts (certains parlent de 100 millions !) entre 1918 et 1919. Pourquoi « grippe espagnole » ? Peut-être parce que l’Espagne fut le premier pays à la déclarer publiquement. Il semble que le virus soit parti d’un camp de formation militaire aux Etats-Unis avant de se répandre en Europe à la faveur de la guerre. Les dernières études sur ce virus datent de 2014 : il s’agirait d’un virus de type H1N1, comme celui qui apparut en 2009, mais « 10.000 fois plus virulent » d’après les biologistes. La grippe espagnole apparut en Europe à la fin de la guerre, touchant principalement les jeunes âgés de 25 à 29 ans, c’est-à-dire, souvent, ceux qui étaient mobilisés. A Madagascar, comme à La Réunion ou à Mayotte, dans ces îles situées à des milliers de kilomètres de l’Europe, et isolées par la mer, on se croyait à l’abri de l’épidémie. Ce fut une terrible erreur.

La grippe espagnole à La Réunion.

Au début de 1919, les premiers démobilisés rentrent dans leurs foyers. Pour les ramener, on profite des bateaux qui font la ligne de l’Océan Indien. Le 31 mars 1919, un gros cargo, le Madona arrive à la Pointe des Galets avec 1603 permissionnaires. Le bateau est déchargé par des prisonniers utilisés comme dockers dans cette période où l’on manque de bras. Mais, dès le 3 avril, on constate que certains des dockers sont tombés malades. La crainte s’empare des Réunionnais malgré les démentis officiels : il ne s’agirait que d’une vulgaire grippe saisonnière. Bientôt, ces communiqués rassurants seront démentis par les chiffres : 20 morts à Saint-Denis au 12 avril ; 62 morts au 16 avril ; près de mille morts pendant la semaine de Pâques. L’horreur à La Réunion où plus rien ne fonctionne, où les morts s’accumulent à l’intérieur des foyers, où les médicaments ont disparu et où la plupart des médecins sont morts. Comment le virus est-il entré à La Réunion ? Les avis s’affrontent : certains incriminent le stock de terre qui servait de lest au Madona et qui aurait pu provenir d’un cimetière. D’autres pensent plus vraisemblablement que certains des passagers du Madona étaient déjà contaminés. L’épidémie prendra fin en mai 1919. Les Réunionnais affirment qu’ils ont été sauvés par un mini cyclone qui balaya l’île en emportant les miasmes dans son souffle…

Et la grippe arrive à Diego Suarez…

Le Journal Officiel de Madagascar publie le 19 avril 1919 un « Avis relatif à la grippe » : « Le Gouvernement Général a été informé le 9 avril qu’une épidémie de grippe sévit à La Réunion et que quelques cas ont été constatés à Diégo-Suarez ». En effet, il semblerait que deux gendarmes malades ont été débarqués et sont morts peu après. Le J.O indique les instructions sanitaires qui ont été prises concernant notamment deux bateaux, l’Orénoque et le Hyacinthe qui doivent débarquer à Tamatave et à Diégo-Suarez. Pour le Hyacinthe, notamment, il s’agit d’interdire les relations avec la terre. Le 19 avril, Diégo signale que le Hyacinthe « a mouillé dans le port le 18 avril à 13h10 et relevé ce matin à 8 heures sans toucher terre ». L’administrateur-Maire de Diego Suarez a cependant pris des mesures prophylactiques : il a « licencié les écoles » et donné l’ordre :
« a) - d’interdire toutes les réunions (écoles, églises, cinéma, marchés etc.)
b) - d’inviter les habitants à ne pas aller voir les malades atteints de grippe, à éviter autant que possible de se moucher, de cracher et d’éternuer par terre ;
c) - de recommander l’alitement à la moindre petite poussée fébrile, en attendant le médecin.
d) - En plus, les autorités de Diégo-Suarez ont reçu l’ordre d’établir un cordon sanitaire au moyen des troupes de la garnison. Le cabotage est suspendu.» Ces instructions sont reprises dans une « Affiche » apposée dans toute l’île avec une attention particulière pour les provinces de Vohemar, d’Ambilobe, de Nosy-Be. Cette affiche donne même des conseils sanitaires qui nous font sourire : « En raison de quelques cas de grippe, survenus à La Réunion et à Diégo-Suarez, il est conseillé à la population :
1° De faire des gargarismes, deux ou trois fois par jour, avec un demi-verre d’eau tiède contenant cinq gouttes de teinture d’iode ;
2° D’introduire dans chaque narine deux fois par jour de l’huile mentholée ou goménolée ;
3° De faire brûler ou infuser dans les habitations des feuilles d’eucalyptus.»
Remèdes dérisoires qui n’éviteront pas la propagation du fléau…

La progression de la maladie

La maladie va rapidement s’étendre à toute l’île. A partir d’avril, le Journal Officiel publie des Bulletins sanitaires qui glacent le sang.
- Le 25 avril, on n’a pas, à Tananarive, de renseignements sur Diego Suarez. Il faut dire qu’il y a « 25 indisponibles au service de la Poste à la date du 25 avril »
- On aura des informations le 27 avril : « dans la journée du 25 avril l’état-civil européen a enregistré 6 décès dont 1 français métropolitain, 4 français de La Réunion dont 3 militaires, 1 indien.
Indigènes : 19 décès déclarés pour la ville.»
Pour la province, pas de renseignements. On peut évaluer à 90 pour cent la proportion des indigènes et réunionnais atteints ; à 33 pour cent la proportion des européens atteints. Comme le disait La Fontaine à propos de la peste : « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés » ! Le 28 avril on a les chiffres suivants pour Diego Suarez Ville (nouveau nom d’Antsirane) :
Etat-civil européen : 9 décès (4 soldat réunionnais, 3 femmes et un enfant réunionnais, 1 Saint-Marien)
Etat-civil indigène : 15 décès
Dans le canton d’Anamakia : 1 décès le 22 avril, 3 le 23 ; 1 le 24 ; 8 le 25 ; 2 le 26 ; 5 le 27.
Cependant, le Journal Officiel reste optimiste : « Une amélioration sérieuse » semble se dessiner… Et, pour preuve, le J.O indique : « A la prison, sur un effectif de 81, il n’y a aujourd’hui que (!) 44 malades. » On se console comme on peut ! Le J.O du 10 mai donne de nouveaux chiffres :
- Le 30 avril : Etat-civil européen : 12 décès dont 11 portant sur des originaires des colonies.
Etat-civil indigène : 15
3e tirailleur : 5
- Le 1er mai : Etat civil européen : 6 décès d’originaires des colonies (dont quatre par suite de grippe)
Etat-civil indigène : 28
3e tirailleur : 2
- Le 2 mai : Etat civil européen : 8 décès d’originaires des colonies
Etat-civil indigène : 13 décès
- Le 3 mai : Etat civil européen : 7 décès d’originaires des colonies.
Etat-civil indigène : 24 décès.
Le 4 mai : 5 décès chez les réunionnais. Quant aux « indigènes » on compte 6 décès à Diego ; 2 à Anamakia ; quant à Mahagaga on y recense 8 décès sur 3 jours (2,3,4 mai). Les jours suivants, on continue à déclarer de nouvelles victimes de la grippe : toutes populations confondues : le 6 mai : 9 décès, plus 2 à Cap Diego ; 3 à Ankorika ; 2 à Scama ; 1 à Betahitra ; 4 à Anamakia. Le 7mai, 16 décès à Diego-ville ; 3 à Anamakia. Mais, à partir de la seconde semaine de mai, le nombre de décès diminue.

L’épidémie « en décroissance »

Cependant, dès le 10 le J.O signale que, à Diego Suarez « L’épidémie semble en décroissance dans la population indigène ». Même constat dans la population militaire. A Antsirane, 200 indisponibles le 2 mai pour 353 le 26 avril. « Pendant cette même période (26 avril-2mai) on a constaté 76 nouveaux cas et 231 guérisons. Epidémie également en décroissance à Orangea, Ankorika, Camp d’Ambre ; tendance à décroître à Cap Diégo et Sakaramy ». Pour la population militaire, la mortalité a été d’environ 24 pour mille, tant chez les européens et assimilés que chez les indigènes. Il fait dire que les militaires ont plus facilement accès aux soins, dans les hôpitaux et infirmeries militaires, que les civils. Pour la population indigène civile, le J.O constate que « la situation sanitaire semble s’améliorer sensiblement ; les cas nouveaux sont plus rares, mais les complications pulmonaires sont plus sérieuses. » Effectivement, au fil des jours le nombre de victimes ne cesse de décroître. Les villes proches de Diego Suarez ont été moins touchées ; Pour Ambilobe, on ne constate plus aucun cas de grippe au 10 mai ; on déclare même que, pour Vohemar, l’état sanitaire est satisfaisant. On comptera encore un certain nombre de victimes. Mais les choses s’arrangent nettement : le 14 mai, le J.O annonce qu’il n’y a eu aucun cas nouveau de grippe depuis 8 jours. Le 21 mai, aucun décès n’est déclaré. Enfin, le 7 juin 1919 la Province de Diego-Suarez est déclarée « indemne de grippe épidémique ». En conséquence, prévoit l’arrêté : « les mesures édictées par l’arrêté du 30 avril 1919 ne sont plus applicables dans cette circonscription ».
Quelles étaient donc les mesures, prévues par les arrêtés ou décidées par l’Administrateur-Maire afin de lutter contre l’épidémie ?

La lutte contre l’épidémie à Diego-Suarez

Nous l’avons vu, la première mesure édictée à Diego Suarez fut la mise en quarantaine des bateaux en provenance de La Réunion ou des villes avoisinantes. En quoi consistait la quarantaine ?
Il s’agissait d’abord d’isoler les bateaux : c’est-à-dire que les marchandises pouvaient être débarquées à terre mais devaient être « exposées au soleil quarante huit heures ». Quant aux passagers, malades ou non, ils étaient débarqués au Lazaret pour y subir une quarantaine de trois jours. Même chose pour les dockers ayant participé au déchargement. A Diego Suarez, le Lazaret, construit en 1901 sur l’îlot de Nosy Koba, avait été déplacé au début de la guerre et installé à Cap Diego mais il avait réinstallé sur Nosy-Koba en janvier 1919. Les passagers des bateaux y étaient bien traités, du moins ceux qui voyageaient en 1ere, 2e ou 3e classe et qui avaient droit à des repas variés et abondants, plus le pain à discrétion et un demi-litre de vin par repas ! Pour les voyageurs de 4e classe, ils devaient se contenter de 400 grammes de riz et de 100 grammes de viande ou de poisson à chaque repas. Par ailleurs toutes les communications avec le reste de la Province étaient interdites par l’arrêté du 21 avril, « établissant un cordon sanitaire entre la province de Diégo-Suarez d’une part, la province de Vohemar et le district autonome d’Ambilobe d’autre part. ». La surveillance de ce cordon sanitaire devait être assurée par la garde indigène des chefs de circonscription de Vohemar et d’Ambilobe qui devait veiller à ce que « aucune personne ne puisse franchir le cordon pour en sortir ». Ce qui devait être difficile à faire respecter, d’autant plus que les limites de la province étaient assez indécises ! Dans la ville même, nous l’avons vu, toutes les réunions étaient interdites et un certain nombre de mesures prophylactiques avaient été édictées. Un autre arrêté, en date du 24 avril, prévoyait la désinfection et la destruction des logements insalubres. Une commission des logements insalubres de Diego Suarez avait été nommée à cet effet : elle comprenait des ingénieurs des travaux publics, des membres de la Commission municipale, Ranaivo, le gouverneur indigène, et des médecins dont deux médecins malgaches et le célèbre docteur Girard, qui se fit connaître plus tard pour ses travaux sur la peste, et dont l’hôpital d’Antananarivo porte le nom associé à celui du Dr Robic. Toutes ces mesures n’enrayèrent pas vraiment le déroulement inéluctable de l’épidémie mais permirent cependant une trop grande dispersion de celle-ci dans la région.

Le bilan

Il est difficile d’établir le nombre exact des décès dus à la fièvre espagnole dans la Province de Diego Suarez. Si le nombre des décès européens est à peu près fiable, ce n’est pas le cas pour les décès malgaches qui n’ont peut-être pas été tous signalés. Ces décès furent pourtant sans doute les plus importants en nombre : d’une part parce qu’ils concernaient une population plus pauvre, moins bien alimentée ; d’autre part parce que cette population eut sans doute moins d’accès aux soins quand il s’agissait des habitants des villages environnants. Ce fut également le cas pour les colons réunionnais, majoritairement agriculteurs. Il est certain cependant que Diego Suarez, première touchée par l’épidémie, paya un lourd tribut à la maladie…
■ Suzanne Reutt

>Georges Girard (1888-1985)

Georges Girard (1888-1985)

Médecin et biologiste français né à Isigny-sur-mer (Calvados, France) le 04/02/1888.
Georges GIRARD est né à Isigny-sur-mer (Calvados) le 4 février 1888. Il entre à l’École de santé navale de Bordeaux et en sort licencié ès sciences et docteur en médecine en 1913. Il participe à la première guerre mondiale jusqu’en 1917; il est alors relevé et affecté à la base militaire de Diégo Suarez, base de tri pour l’envoi des tirailleurs malgaches en métropole. Peu après, il met en évidence des œufs de Schistosoma mansoni dans les selles de tirailleurs malgaches; cette maladie n’avait pas encore été décrite à Madagascar, et c’est là son premier travail présenté à la Société de pathologie exotique, dont il devient membre titulaire en 1922. À son retour en métropole, il fait un stage à l’Institut Pasteur et l’épidémie de peste qui survient alors dans la Grande île provoque son envoi à Tananarive pour prendre la direction de l’Institut de bactériologie, fondé en 1899 par THIROUX avec l’appui de GALLIENI, et devenu Institut Pasteur. Il va le moderniser et l’agrandir et en restera le directeur jusqu’en 1940. Outre la peste, qui suscite la terreur générale et mobilise son attention et sa technicité, il va étudier la pathologie malgache et en donner un aperçu dans un grand nombre de publications.


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