Le 14 Juillet, jour de gloire et jour de fête ! Pour le sergent Tiana, la célébration de la prise de la Bastille devait l’être à deux titres. D’abord parce que ce militaire engagé sous les couleurs vert et rouge de la Légion étrangère depuis sept ans va défiler pour la deuxième fois sur les Champs-Elysées avec ses camarades du 2e Régiment étranger d’infanterie (2e REI). Ensuite parce que la veille, il aurait dû se voir remettre son décret de naturalisation sous les ors du Sénat par le président de la Haute Assemblée, Gérard Larcher. Au dernier moment, le commandement de la Légion étrangère en a décidé autrement. Ce sera donc un de ses frères d’armes, un légionnaire, caporal au 1er Régiment étranger de cavalerie, blessé au Mali en 2015, marocain d’origine, qui se verra remettre ce «papier» hautement symbolique en vertu de la loi votée en 1999 dite «Français par le sang versé». Celle-ci octroie la nationalité française à ces volontaires étrangers servant sous le drapeau tricolore dès lors qu’ils ont été blessés au combat.

Un corps à part, la Légion ! Avec ses traditions, son apparat. Son romantisme aussi, chanté par des écrivains comme Mac Orlan et d’autres qui en ont forgé l’image d’un repaire de têtes brûlées, d’aventuriers ou d’hommes, parfois en butte à la justice qui tentaient de fuir leur passé pour se forger une nouvelle identité. Un passé sulfureux aujourd’hui révolu et les 9 000 hommes et pas moins de 136 nationalités venues des quatre coins du monde, jusqu’à des Népalais, des recrues descendues des contreforts de l’Himalaya, en passant par des Kazakhs, des Chinois rejoignent ses rangs en quête d’une vie meilleure et avec l’espoir de devenir citoyens français…

Le sergent Tiana, lui, vient de Madagascar et a suivi la procédure normale pour obtenir sa nationalité française. Il a rempli son dossier comme tout le monde, juste accompagné d’une lettre de recommandation de ses supérieurs avant d’être envoyé à la préfecture. Pas de passe-droits. Cette année, il pensait parader sur la plus belle avenue du monde avec les «pendantes», les médailles, en argot militaire, côté gauche de la chemisette et son décret de naturalisation dans la poche droite. Il défilera bien mais sans le précieux document. Ce n’est que partie remise. Ce titre lui sera remis, le 19 juillet par le colonel, chef de corps de son régiment.

Déçu, le sergent Tiana de n’être pas ainsi honoré ? «Pas du tout. Ce n’est pas le lieu qui fait l’envergure des choses. Je suis quelqu’un qui se prépare à tout. Un militaire s’adapte à tout.» A la plus grande joie comme aux plus petits revers. Ce Malgache, «issu d’un croisement entre les hauts plateaux par [son] père et de la côte nord par [sa] mère», ne se dépare jamais de son sourire. Même après des heures passées au garde-à-vous sur la piste en béton du camp de Satory sous le cagnard, en sueur sous son képi noir de sous-off, à répéter le défilé du 14 Juillet. «Cela aurait été une belle coïncidence, un beau coup de chance. Mais mes parents m’ont appris à ne jamais rien regretter.» Pendant le temps que le sergent passe, accroupi, à papoter, une bouteille d’eau à la main, le capitaine passe les rangs en revue, rudoie quelques gaillards dont l’allure ne lui semble pas de mise, replace le képi blanc sur la tête d’un des hommes ou en rectifie la visière, en exhorte un à bomber le torse. «Quand le général vous passera en revue, vous le regarderez droit dans les yeux et vous ne le lâcherez plus. C’est lui qui doit baisser les yeux ! Compris ?» La compagnie obtempère en silence.

Le sergent Tiana a fait sa demande de naturalisation avant son départ pour le Mali en février 2017. Il y est resté quatre mois dans le cadre de l’opération «Serval» en mission contre les groupes armés islamiques. «Nous sommes revenus sans casse», se contente-t-il de dire sans en livrer plus. Comprendre sans pertes humaines. «Sans trop d’accrochages non plus.» Comprendre sans trop de combats. «Pendant tout le temps, on reste à vif. On est préparé à ne jamais se laisser surprendre.»

Sa volonté de devenir français, le petit «Tsito», son prénom qui vient «de tout petit», comme l’appelaient ses parents, l’a pris un peu comme une décision de non-retour. «Je ne me voyais pas revenir à Madagascar. Je ne vois pas faire autre chose que militaire. Ce décret ne va rien changer à ma vie de tous les jours. Mais c’est une consécration, une forme d’épanouissement. Cela dit, je n’ai pas trop encore le pied dans la culture française. J’ai encore beaucoup à apprendre.» La Légion a une devise : «Legio patria nostra», la «Légion est notre patrie». «C’est par le biais de la Légion que j’ai eu envie de devenir français. Ma culture française, c’est d’abord celle-là !» Qu’on ne lui parle pas d’intégration. Tout simplement parce que pour lui, elle s’est faite naturellement au sein de ce corps qui cultive sa singularité au point de désigner le reste de l’armée de terre comme «la Régulière». Des étrangers qui servent la Légion avant de servir la France et qui, à force de servir «l’Institution» comme ils disent, veulent devenir citoyens.

Sur son île de l’océan Indien, sa famille, qui compte bon nombre de militaires, dont un oncle général, lui a vanté les mérites de ce corps d’élite. «Mes parents, mes oncles en parlaient en des termes élogieux. Comme quelque chose qui ne se trouve pas ailleurs.» Le jeune étudiant, préparant un diplôme en maîtrise informatique, abandonne les bancs de l’université pour prendre un avion à destination de Paris. Première étape au fort de Nogent, au centre de recrutement de la Légion, puis une deuxième, à Aubagne, à la «maison-mère» avant de suivre sa formation militaire de quatre mois en pleine cambrousse. «Un choix que je ne regrette pas.» Pour préparer son deuxième défilé, le sergent Tiana répète avec ses hommes depuis le 7 juillet quatre fois par jour. «Quand vous êtes jeune légionnaire, vous vous dites que cela va être fatiguant et lassant. Mais quand vous y êtes, et que les gens vous applaudissent, votre fierté est décuplée. Vous sentez quelque chose.»

Finalement, il n’est pas loin de préférer que son décret de naturalisation lui soit remis au sein de son régiment. «Je lui suis très attaché. C’est comme une famille.» La sienne, à Madagascar, il ne l’a pas revue depuis huit ans. «Bien sûr que cela me manque», mais servitude et grandeur militaires obligent pour une solde de base d’environ 1 500 euros…

La cérémonie de naturalisation se déroulera dans la salle d’honneur du régiment. Et, comme il se doit, en présence de sa future femme, qu’il doit épouser en août. Un amour de jeunesse, un coup de foudre, «un coup de bonheur», comme il dit. Ils se connaissent depuis le lycée à Madagascar. «La mission "Mariage", c’est elle qui la gère !» s’amuse-t-il. Leur petite fille naîtra en septembre.


1989 Naissance.
2011 Engagement dans la Légion.
2016 Promu sergent.
2017 Opération «Serval».
14 Juillet 2018 Défilé sur les Champs-Elysées.
19 Juillet Naturalisation.

Christophe Forcari photo Edouard Caupeil pour Libération