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L'expédition de Madagascar

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Le Monde illustré du 17/08/1895

 

Aux récits que nous avons donnés dans notre précédent numéro sur les combats livrés à Tsarasotra, nous devons ajouter les détails qui nous parviennent directement de notre correspondant spécial.

On sait que les douze cents Hovas, après leur attaque infructueuse, étaient allés rejoindre le gros de leurs forces qui s'étaient arrêtées à 5 kilomètres environ à l'est de Tsarasotra, sur les rampes du Beritza, massif d'une altitude de 500 mètres. D'après les renseignements recueillis, leur nombre devait dépasser 4,000 hommes. Croyant toujours, malgré l'insuccès du 29, n'avoir affaire qu'à une poignée de soldats, ils n'avaient pas quitté la place et se préparaient à s'engager à fond. Quatre hotchkiss leur étaient arrivés. La confiance des chefs était extrême et Hainianjalahy jurait de nous exterminer.

Le terrain qui nous séparait des Hovas était difficile et fortement raviné; tout semblait conspirer en faveur de l'ennemi. N'importe, nos soldats se chargeaient de gagner la partie.

Le 30 au matin, trois compagnies de chasseurs et une de tirailleurs s'avancent, appuyées de deux sections d'artillerie. Une section est laissée à Tsarasotra avec une compagnie. Behanana est gardé. Notre confrère du Temps raconte qu'à notre approche les Hovas garnissent les bords des rampes ; ils commencent le feu. Les nôtres ne répondent pas, ce qui ne les empêchera pas d'être éloquents tout à l'heure.

L'artillerie malgache se met aussi de la partie — sans aucun résultat. La nôtre, d'ailleurs, la réduit bientôt au silence et l'on aperçoit les fameux artilleurs de Graves abandonner leurs pièces. 2,500 mètres nous séparaient pourtant des canons ennemis ; malheureusement pour les Hovas, notre tir était horriblement juste.

Cependant, les chasseurs avançaient toujours aussi silencieux ; les voici à 200 mètres de la ligne ennemie.

Ils exécutent alors un feu rapide, se dressent comme un seul homme, escaladent les pentes, franchissent les obstacles, abordent l'adversaire, le chargent, le culbutent, le mettent en déroute. Ils le poursuivent de feux de salve, l'artillerie l'accable de ses projectiles; mais les Hovas allaient plus vite
que les balles et les obus.

Quel ne fut pas l'étonnement de nos hommes, après avoir franchi les crêtes, de se trouver devant deux camps de 250 à 300 tentes chacun. Alors, c'est une course folle, autant pour rejoindre l'ennemi que pour l'empêcher de rien enlever ou de tout détruire par l'incendie. C'est à qui des chasseurs ou des tirailleurs arriveront les premiers. Pensez ! quel butin ne représentent pas 700 grandes tentes si bien dressées ! Elles n'étaient guère remplies. A ce steeple d'un nouveau genre, les tirailleurs devancèrent les chasseurs ; quelques miramilas restés sous les tentes et qui essayaient d'y mettre le feu furent passés par les armes, puis la chasse recommença. Mais les Hovas étaient déjà loin, ils dévalaient de tous côtés dans les ravins, puis on les aperçut à 3 kilomètres, se rassemblant dans un pêle-mêle confus.

Dans les camps et sous les tentes on trouva un peu de tout : du riz, de la toile, du tabac, des médicaments, des filanjanas, des nattes, voire un lot important de chaussures de femmes. Trois canons furent pris et force munitions. Enfin le drapeau de la reine, tout battant neuf, tomba entre nos mains.

Le succès fut rapide — le combat n'avait duré que trois heures — sans un mort. Le lieutenant Audierne fut légèrement blessé, le capitaine de Bouvier et un adjudant contusionnés et cinq soldats atteints sans gravité. Ce fait d'armes fait le plus grand honneur à l'entrain et à la vigueur de nos troupiers, et ils sont prêts à grimper de ce pas jusqu'à Tananarive.


*
* *

Tel est le récit de l'action : les détails que nous donne dans une lettre particulière, notre correspondant M. L. Tinayre, sont trop pittoresques, trop vus pour que nous en privions nos lecteurs.

« Mon premier dessin, dit-il, représente le moment où le capitaine Delannais (2e compagnie de chasseurs), le lieutenant Gras (1re compagnie du 2e bataillon de tirailleurs algériens) à la tête de leurs troupes, attaquent l'ennemi à la baïonnette.

« Le second dessin vous donne l'aspect des cantonnements ennemis, au moment de la fuite vertigineuse des Hovas, absolument ahuris de l'attaque soudaine des Français abandonnant au fur et à mesure de leur fuite tout ce qui pouvait les gêner dans leur course. Au premier plan un chef est encore posté dans son filanzane ; mais il sera abandonné plus loin par ses porteurs, où les difficultés du terrain le forceront à renoncer lui-même à ce peu pratique moyen de transport. On a en effet trouvé dans les ravins un assez grand nombre de filanzanes.

Le capitaine Delannais, arrivé à l'extrémité du camp des Hovas, fait feu avec son revolver sur les fuyards, tandis que les braves petits chasseurs exécutent un tir à volonté bien nourri. Mais cela ne dure qu'un instant. Les Hovas, affolés, disparaissent presque aussitôt dans les ravins et dans les bois qui les dérobent à la vue de nos troupes.

« Il était impossible de songer à les poursuivre dans leur fuite; le terrain, extrêmement accidenté, se creusant en fondrières, en pentes ravinées, se bossuant de rocs énormes, de broussailles, d'obstacles de toute nature, eût rendu la poursuite très dangereuse pour nos hommes. J'ai vu tout à mon aise le terrain de l'action et je me demande encore comment ces pauvres Hovas ne se sont pas cassé le cou.

« Le chasseur d'Afrique en vedette dont je vous envoie le croquis, occupe un poste avancé au sud de Suberbieville. Il fouille l'horizon de son regard et surveille la route de Tananarive. A huit cents mètres de lui, un autre chasseur occupe la pointe d'une hauteur.

C'est une autre vedette en observation, communiquant avec le premier au moyen de signaux convenus. Le profil de l'horizon, la figure du terrain, les aspérités du sol, l'aspect complet enfin du paysage vous donnent une idée exacte de la végétation, de cette partie de Madagascar. Nous devons
trouver les mêmes sites jusqu'à Andiba. Vous pouvez juger que ça n'a rien de positivement gai. L. T. »

Ajoutons que si le pays, que nos troupes sont occupées à conquérir au prix de fatigue et de courage, manque de sites agréables et de frais ombrages, l'état sanitaire du corps expéditionnaire, qui avait donné, dès le début, quelques inquiétudes, est devenu assez satisfaisant. Bon nombre d'hommes ayant payé leur tribut à la fièvre dès leur arrivée, se remettent rapidement et peuvent reprendre leur service. Tel bataillon de tirailleurs algériens qui a traversé ces jours derniers Suberbieville, et qui comptait, il y a deux mois, de nombreux fiévreux, n'avait plus que cinq malades.

« L'ayant-garde, dit M. Léon Boudouresque, qui accompagne le corps expéditionnaire, jouit d'un état de santé merveilleuse ; le centre, d'un état qui, pour avoir été médiocre, s'améliore subitement; quant à l'arrière-garde, la dernière mise en route et qui a eu la chance d'avoir pour lieu d'inaction Majunga à l'époque où le climat de cette ville est remarquablement sain, elle n'a presque rien à envier à l'avant garde.

« Des soins qui sont donnés à nos soldats soit dans les ambulances, soit dans les hôpitaux, je ne dirai qu'une chose : docteurs, pharmaciens et infirmiers sont admirables de dévouement.

Et, puisque je vous dois l'entière vérité, j'ajouterai que ce dévouement a été d'autant plus mis à l'épreuve que l'éternelle question des moyens de transport a surgi dans le service sanitaire aussi malencontreusement que dans tous les autres et que là encore — ô ma guitare ! — l'incurie des
dessus de ronds de cuir qui lisent les journaux à nos frais, en France, a été fort remarquée.

Qu'importent à ces impersonnalités les santés de quinze mille Français, je vous le demande ?

« Et voilà la vérité vraie, sans qu'il soit bien besoin d'essayer de lire entre mes lignes, je vous le jure. Ajouterai-je, pour être cru davantage, que je ne me serais pas offert les fatigues du voyage que je viens de faire et celles du retour, fatigues légères, je le reconnais, mais qui eussent été superflues dans le cas contraire, pour le plaisir de vous servir un tissu de mensonges ?

J'aurais fort bien pu inventer la chose à Suberbieville, sans me déranger le moins du monde.

« Mais non, non et non : nos troupes ont supporté jusqu'ici le climat du Boeni beaucoup mieux qu'on n'était en droit de l'espérer.

« Et quand vous demanderez à leur retour en France, mères à vos fils, sœurs à vos frères, épouses à vos maris, la vérité absolue, voici ce qu'ils vous répondront, je m'en porte garant : nous avons eu force malades, mais nous n'avons presque pas eu de morts. »

« Pour messieurs les alarmistes à outrance qui me feront l'honneur de douter de ma parole, je leur dis simplement ceci: « Faites comme moi: allez-y voir d'abord ; vous parlerez après. »

« Et ces alarmistes auxquels je m'adresse ne sont pas tous en France : j'en sais et des plus criminels — puisque de mauvaise foi — qui sont à Madagascar.
»
Le comité central de l'Association des Dames françaises et plusieurs comités des départements ont reçu, il y a quelques jours, des lettres du médecin-major Lepage, annonçant que 180 caisses contenant les dons de l'Association viennent d'être débarquées et vont être réparties entre les diverses
formations sanitaires de l'armée de Madagascar.

Conformément aux instructions données par le général Duchesne, les deux premiers envois ne comprennent pas de médicaments, l'armée en est abondamment pourvue ; ils se composent de 1,100 bouteilles de vin de Bordeaux, 600 Bouteilles de Champagne; 500 bouteilles de vins de quinquina, de malaga, de banuyls ; 5,400 bouteilles d'eaux minérales ; 6,800 boîtes de lait conservé ; 1,200 boites de conserves de légumes ; 600 chemises de flanelle, des pipes, tabac, cigares, bougies, savon, confitures, chocolat, thé, biscuits, etc., etc.

En outre, les dames de l'association, non moins préoccupées des adoucissements moraux, que des réconfortants dans les fatigues et les maladies, ont expédié des caisses de livres, de journaux illustrés, de papier à lettres, plumes, crayons, jeux divers, destinés surtout aux hôpitaux et aux asiles de convalescents.

Ces deux séries de dons faits à l'armée de Madagascar dépassent aujourd'hui la somme de trente-cinq mille francs. Nous parlerons une autre fois de ceux que l'association vient de faire au Dahomey, au Soudan et aux postes éloignés de l'Algérie.

Maintenant, il va falloir penser aux rapatriés de nos expéditions coloniales; beaucoup ont déjà été secourus au siège de l'association, où on leur a distribuépour deux mille francs de vêtements civils et de petites sommes d'argent, sur la recommandation de la place de Paris. Leur nombre va bientôt s'accroître; aussi l'association, tout en exprimant ses profonds remerciements aux personnes et aux sociétés qui ont généreusement contribué à ces patriotiques offrandes, les prie encore de lui réserver une bonne part de leurs dons ; la guerre de Madagascar paraît devoir être plus longue qu'on ne l'avait pensé; les maladies augmentent certainement avec la durée des fatigues, et l'hiver sera dur, même en France, pour les rapatriés convalescents ou dénués de ressources; pensons à leur venir en aide.


Traduction

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