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Les premières années de Diego Suarez : 1920-1925, Après la grippe… la peste

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19 janvier 2017

Une rue dans la Ville Basse à Diego Suarez au début des années '20

La vie reprend à Diego Suarez après la guerre et la terrible épidémie de grippe espagnole. Mais la ville n’en a pas fini avec les malheurs et les problèmes…

Le retour des soldats de la Grande Guerre

Les hommes mobilisés, qu’ils soient militaires de carrière ou appelés continuent à rentrer à Madagascar : le premiers retrouvent leurs régiments, souvent avec une promotion obtenue grâce à leurs états de service et leur conduite sur le front ; les autres regagnent leurs foyers en plus ou moins bon état (la guerre a fait de millions de blessés, les fameux « gueules cassées »). L’hôpital de Diego Suarez a été transformé en Centre de réforme où les soldats démobilisés doivent retirer leur dossier de pension. Les plus malchanceux ont été rapatriés entre quatre planches et leurs restes (pas toujours formellement identifiés !) ont été ensevelis dans les cimetières militaires d’Antsirane ou de Cap Diego. Leurs corps voisineront avec ceux des victimes de la grippe espagnole qui est arrivée avec le retour des mobilisés. Et bientôt avec ceux des victimes de la peste

La peste à Madagascar

Dès 1921, soit moins de deux ans après que Diego Suarez ait été déclaré « indemne de grippe espagnole » un nouveau fléau s’abat sur Madagascar : la peste. La maladie s’est manifestée dans plusieurs pays voisins de Madagascar « en communication fréquente avec notre colonie » (Journal Officiel du 25 décembre 1920) et, à la fin de l’année 1920, le gouvernement de l’île doit prendre des mesures préventives, ordonnant notamment la dératisation de tous les navires provenant des pays contaminés par la peste et devant passer au bassin à Diego Suarez. La peste a toujours rôdé de façon endémique à Madagascar, mais, en mars 1921 c’est une véritable épidémie qui se manifeste d’abord à Tamatave, puis à Tananarive où un arrêté du 30 juin 1921 déclare « contaminée par la peste » l’agglomération urbaine de Tananarive où l’on commence à enregistrer un grand nombre de décès, notamment dans la population malgache. Des mesures drastiques sont prises réglementant la circulation (notamment le transport des malades, la désinfection des locaux et des objets contaminés. On va même jusqu’à murer les tombeaux des « pesteux » décédés. Puis, il semble que l’épidémie s’éloigne : en 1922 l’épidémie est terminée à Maurice ; à Tananarive, un arrêté du 5 mars 1922 déclare le territoire urbain de Tananarive « indemne de peste ». En septembre, c’est également le cas de Tamatave. La peste demeurera pourtant de façon endémique sur les Hauts-Plateaux de Madagascar. Pendant toute cette période, il semble que Diego Suarez ait été épargné par l’épidémie. Il faut dire que, dès le mois de mai 1920 un arrêté communal avait pris un grand nombre de mesures concernant la salubrité de la ville. Et les mesures de dératisation des navires avaient été appliquées avec rigueur. Et soudain, alors que l’épidémie recule partout, Diego Suarez est touché.

La peste à Diego Suarez

C’est au début de 1923 que la peste semble faire son apparition à Diégo. Début février 1923 le Journal officiel de Madagascar déclare « contaminé de la peste un secteur de la ville de Diego-Suarez » : « Art 1er.- Est déclaré contaminé de peste le secteur de la ville de Diego Suarez formé par les terrains portant les maisons numérotées 9,11 et 13 rue de la République et celles numérotées 6 à 14 de la rue Cardeneau ». Sans surprise, la peste se manifeste donc dans la ville basse aux alentours du port. L’arrêté prévoit l’application immédiate des instructions sur la mobilisation sanitaire en cas d’épidémies pestilentielles. Mais l’épidémie s’étend :
Le 14 février un arrêté déclare « contaminé de peste le secteur de la ville de Diego Suarez formé par les terrains et immeubles compris entre la rue de Bretagne à l’ouest, la rue Cardeneau au nord et la rue de la République au sud ». C’est-à-dire que la quasi-totalité de la ville basse est contaminée. Puis la maladie va gagner les « beaux quartiers » : « est également déclaré contaminé de peste le terrain sur lequel est édifié l’immeuble 76 de la rue Colbert ». Par le même arrêté est constituée une commission d’hygiène réunissant le maire et des membres de la commission municipale, des médecins et des vétérinaires, un gouverneur malgache et des agents des travaux publics et de la voirie. En mars, la maladie gagne du terrain : « Sont déclarés contaminés de peste les quartiers de la ville de Diego Suarez dénommés quartier de la Dordogne et quartier de l’Octroi » (J.O du 24 mars 1923).
Les mesures classiques de lutte contre l’épidémie (vaccination désinfection, isolement des malades) sont renforcées : « Les indigènes résidant à Diego Suarez ne pourront quitter la ville qu’après une période d’observation de dix jours » (Article 3) « L’embarquement des marchandises sera l’objet d’une surveillance spéciale des autorités sanitaires ; les travaux de bord seront effectués par des équipes d’indigènes préalablement vaccinés et douchés avant de se rendre à bord. L’embarquement des grains en vrac, manioc en vrac et de toutes marchandises susceptibles de véhiculer des rats est interdit ». Malgré toutes les mesures prises la maladie se manifestera jusqu’à la fin de 1924 mais il semble qu’elle n’ait jamais pris, à Diego Suarez les proportions qu’elle a atteintes à Tamatave et à Tananarive.

Vivre avec la peste à Diego

Les mesures de protection sont une gêne importante pour les Antsiranais. La Gazette du Nord, dès le début de sa parution en 1924, consacre de nombreux articles à la peste et à la gêne qu’elle entraîne dans la vie quotidienne. C’est ce que l’on peut lire dans le numéro du 10 juillet 1924 sous le titre « La peste » : « On a beaucoup discuté dans le public de l’opportunité des mesures qui ont été prises pour en limiter l’extension. Tout ce que nous pouvons faire c’est constater la gêne que cela apporte à la vie économique de notre cité ». Parmi ces mesures, celle qui insupporte le plus la population est le cordon sanitaire qui interdit l’entrée et la sortie de la ville. Le numéro du 25 juillet de la Gazette du Nord évoque cette pénible interdiction : « Nous avons eu une fausse joie – le bruit courait que le cordon allait être levé – hélas, au dernier jour, un cas nouveau de peste le fit maintenir […]Nul n’ignore ici que le cordon est maintenant plus moral qu’effectif ; il n’en est pas moins très gênant pour la bonne marche des affaires. Les indigènes sont très peu touchés, ils passent facilement au travers, d’ailleurs, on remarque que la main d’œuvre devient rare et, sous peu, si ça continue, elle disparaîtra complètement de la ville. En attendant, les malins qui restent en profitent pour demander une augmentation de salaire. »

Les coupables ?

Comme toujours, dans les périodes de crise il faut trouver des cibles et c’est ce que font les journalistes de la Gazette du Nord. Alors que les malgaches sont les plus touchés par la maladie, c’est contre eux et leur « saleté » que s’élève le journal. « Une certaine catégorie d’indigènes a été presqu’exclusivement atteinte, constituée par les travailleurs du port et indigènes habitant la Ville basse ». Ville basse d’où est partie l’épidémie et qui concentre la fureur de la Gazette du Nord, fureur qui s’adresse également aux responsables de la commune : « le moment semble propice pour déplorer une fois de plus l’inertie des services compétents en ce qui concerne le vrai dépotoir que constitue la Ville basse. Combien de fois a-t-on semblé décidé à nettoyer cette écurie ? ». En fait, c’est toute la ville qui, d’après la Gazette serait négligée par les responsables communaux : « D’ailleurs, la Ville-Basse ne détient pas le monopole de la saleté, notre vénérable rue Colbert recèle en ses flancs de nombreux immeubles – masures plutôt – qui ne semblent rien avoir à lui envier » ; même chose pour la Place Kabary dont certains recoins « sont aussi un peu là ! » Autres coupables les Compagnies œuvrant sur le port qui auraient dû avoir « des locaux de permanence » pratiquant un « contrôle sérieux et une désinfection ». La Gazette va jusqu’à souhaiter à leurs responsables d’être eux-mêmes atteints par la maladie ! Cibles de la Gazette également, les chinois et indiens : « Quant à certains éléments asiatiques ou autres, pourquoi ne pas exiger un minimum de propreté jusque dans la cour de leurs habitations ? » Les « arabes », c’est-à-dire les dockers Yeménites, ne s’en tirent pas mieux aux yeux des journalistes de la Gazette : ce sont eux qui importeraient des marchandises contaminées : « Puissions nous voir sérieusement surveillée l’introduction de tant de marchandises hétéroclites par les arabes et autres gens de bord ». Enfin, coupables aussi, les services sanitaires « Nous devons constater avec regret l’insuffisance des quantités disponibles de vaccin anti-pesteux, insuffisance qui n’a pas permis des vaccinations en masse tendant à juguler le fléau. ».
Cette hystérie du « tous coupables » du journal antsiranais traduit sans doute le début de panique qui s’empare d’une partie de la population.
Et pourtant…
Pourtant la peste à Diego a été relativement clémente.

Une épidémie relativement bénigne

Il est difficile de connaître le nombre exact des victimes de la peste à Diego Suarez. Et ceci pour plusieurs raisons. Les malgaches furent les plus touchés par la maladie ; or, pour de multiples raisons, les familles ne s’empressaient pas de faire connaître leurs malades. D’abord parce qu’il leur fallait alors subir de multiples obligations : quarantaine, désinfection des maisons (et quelquefois même destruction par le feu), interdiction des déplacements (la violation du cordon sanitaire pouvait valoir des peines de prison) vaccination etc. Ensuite, parce que l’enterrement des victimes de la peste heurtait bon nombre de coutumes et de superstitions. Or, on connaît l’attachement des malgaches à leurs coutumes funéraires ancestrales. Pour toutes ces raison, et sans doute d’autres encore, tous les malades n’étaient pas déclarés. D’autant plus que l’on savait que le malade atteint avait toutes les chances (si l’on peut dire !) de mourir.
Du côté des européens, les morts furent moins nombreuses, sans doute pour des raisons de meilleure hygiène de vie. Quoiqu’il en soit, l’épidémie fut moins meurtrière que sur les plateaux où, en raison du froid, la peste se manifesta sous sa forme la plus grave, la peste pulmonaire, toujours mortelle à l’époque. Si l’on en croit la Gazette du Nord (qui avait intérêt à minimiser le problème pour les raisons économiques vues plus haut) il s’est agi à Diego Suarez d’une « forme abortive de la peste que les médecins appellent « Peste Ambulatoire » et le journal précise : « Elle consiste en une épidémie de bubons, avec des symptômes peu accentués et même absents, entraînant de rares décès » et la Gazette, optimiste, affirme que « la petite épidémie bénigne qui a tenu la Ville en haleine s’éteindra sans avoir revêtu d’allures sévères » (Gazette du Nord du 25 juillet 1924). En août, la Gazette continue de relater l’épidémie sur un ton badin : « La peste continue tranquillement sa promenade macabre » mais ce que l’on lit entre les lignes est assez inquiétant : « elle se balade de tous les côtés de la ville, tantôt à la Ville Basse, où elle a pris naissance, tantôt à Tanambao, après, à l’Hôpital et même on dit qu’après avoir visité la SCAMA elle a eu l’audace de pousser une pointe jusqu’à la Montagne d’Ambre ». La peste termina officiellement sa « gentille » promenade vers la fin de l’année. Le cordon sanitaire fut levé en octobre 1924.
Elle avait fait moins de morts que la grippe espagnole, moins de morts qu’à Tananarive ou à Tamatave, mais elle avait fait naître, dans la population malgache une crainte et un ressentiment qui n’allaient pas tarder à se manifester sur le plan politique.


■ Suzanne Reutt



Traduction

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