Par Emmanuel Hecht (L'Express), publié le 04/04/2013
Publication du premier dictionnaire historique de la Légion étrangère, où Cendrars et Jünger, parmi tant d'autres, firent leurs armes. Cet énorme travail valait bien un acrostiche.
La légion étrangère: Histoire et Dictionnaire, chez Robert Laffont (Bouquins). AFP Photo
La Légion étrangère est la société militaire la plus fertile en mythologies. Pourtant, il y a un fossé entre la "promesse de l'extraordinaire" que le jeune Ernst Jünger est allé quérir à Sidi Bel-Abbès, et la réalité, parfois "triviale ou honteuse", rappelle Etienne de Montety dans une belle préface. C'est précisément la volonté de tout dire des hauts faits d'armes de la Légion et de ne rien cacher des zones sombres (torture en Algérie, participation au putsch des généraux), que ce volume de la collection Bouquins, dirigé par l'éminent spécialiste André-Paul Comor et coédité avec la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives du ministère de la Défense, est à classer d'emblée dans les ouvrages de référence. Démonstration par quelques exemples glanés aux lettres L-E-G-I-O-N.
Littérature
La Légion doit beaucoup à la littérature. Dans les romans de l'entre-deux-guerres, le légionnaire est en vogue: Luis Perenna, dans Les Dents du tigre, de Maurice Leblanc, Siegfried Kast dans Les Sept Couleurs, de Robert Brasillach... Le légionnaire a tout pour lui : le mystère (de son origine), l'aventure (entre sud du Sahara et Indochine), l'amour ("Il était mince, il était beau / Il sentait bon le sable chaud / Mon légionnaire", chante Piaf). Lorsque à son tour il devient écrivain, il est porteur de cette mythologie. Le Suisse Frédéric Sauser (1887-1961), blessé en Champagne en 1915, écrit un formidable récit, La Main coupée, sous le nom de Blaise Cendrars. Le jeune Ernst Jünger (1895-1998), entré en Légion en 1913 par désir d'Afrique, racontera, lui aussi, ses aventures dans Jeux africains. Mais l'un des témoignages les plus forts reste celui d'Antoine Sylvère (1888-1963), paysan, ouvrier, instituteur... Connu pour le premier volume de son autobiographie, Toinou. Le cri d'un enfant auvergnat, publié dans la prestigieuse collection de Jean Malaurie, Terre humaine (Plon) et étudié par les étudiants en ethnologie, il l'est moins pour sa suite : Le Légionnaire Flutsch.
Eugénie
"Eugénie, les larmes aux yeux / Nous voulons te dire adieu / Nous partons de bon matin / Par un ciel des plus sereins." Eugénie, c'est Eugénie de Montijo, l'épouse de Napoléon III. L'empereur français envoie à la fin de 1861 des troupes, dont 2 000 légionnaires, pour aider l'archiduc Maximilien. La Légion s'illustre dans la bataille mythique de Camerone, il y a cent cinquante ans, en sacrifiant 60 hommes face à 3 000 Mexicains, pour protéger un convoi. Chaque 30 avril, la Légion organise une cérémonie en mémoire de ce combat et de ses morts, à commencer par le capitaine Danjou, leur chef.
Geoffrey
Le général Hugues Geoffrey (1919-2007), alias Gottlieb Hugo, né à Vienne, quitte son pays après l'Anschluss et s'engage dans la Légion, comme de nombreux juifs allemands et autrichiens. Il combattra du Levant aux campagnes d'Italie et de France, au sein de la fameuse 13e demi-brigade de Légion étrangère (DBLE), dont il prendra le commandement pendant la guerre d'Algérie. L'histoire contemporaine pourrait s'écrire à travers les vagues de recrutement de la Légion : Russes blancs après 1920, républicains espagnols après 1938, Allemands antinazis avant la guerre, anciens de la Wehrmacht et de la SS, résistants et collabos après 1945... Aussi la Légion est-elle le carrefour de formidables destins: Zinovi Pechkoff, fils adoptif de Maxime Gorki; Aage de Danemark, héritier du trône ; le sculpteur Ossip Zadkine; Henri d'Orliac, alias Henri Robert d'Orléans, comte de Paris; Giuseppe Bottai, ex-ministre de l'Education de Mussolini...
Images
Encore balbutiant et muet, le cinéma s'empare de La Légion, titre du premier film tourné sur le sujet, en 1906, par Ferdinand Zecca. Dans l'entre-deux-guerres, la Légion est un des tout premiers produits commerciaux des productions américaines. Le plus célèbre spécimen est Coeurs brûlés (Morocco, 1930), de Josef von Sternberg, avec Gary Cooper et Marlene Dietrich. Les réalisateurs français ne sont pas en reste: Le Grand Jeu, de Jacques Feyder, La Bandéra, de Julien Duvivier, Un de la Légion, de Christian-Jaque, avec Robert Le Vigan et Fernandel. Avec la guerre d'Algérie, le légionnaire romantique cède la place au mercenaire et au factieux (L'Insoumis, d'Alain Cavalier, avec Alain Delon, La Bataille d'Alger, de Gillo Pontecorvo...), voire au... comique (Belmondo dans Les Morfalous). Seule exception, le film esthétisant de Claire Denis, Beau travail.
Ordonnance
L'ordonnance du 10 mars 1831 de Louis-Philippe est l'acte de naissance de la Légion. Les régiments étrangers, supprimés avec la dissolution des gardes suisses sous la Révolution, ont été créés pour recruter de nouveaux soldats, alors que la conquête de l'Algérie bute sur le manque d'effectifs. Et pour régler un problème de "sécurité publique". Le gouvernement, inquiet du déferlement de très nombreux étrangers (Polonais, Italiens, Allemands, Espagnols) après l'échec des révolutions dans leurs pays, incite fortement les "dangereux agitateurs" réfugiés à Paris à s'engager dans ce nouveau corps.
Narvik
La bataille de Narvik, en Norvège (28 mai-7 juin 1940), opération combinée franco-britannique destinée à couper aux Allemands la route du fer (en provenance des mines de Kiruna, en Suède) est un des hauts faits d'armes de la Légion, à rapprocher des batailles de Bir Hakeim, Na San...