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Légionnaire toujours...

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2015


Les premières années de Diego Suarez : 1899-1900 : Mise en place du « Point d’appui de la Flotte »

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31 décembre 2015

La rade de Diego Suarez

L’installation à Diego Suarez du « Point d’Appui de l’Océan Indien » et l’arrivée du colonel Joffre chargé des énormes travaux nécessaires à cette installation va transformer du tout au tout la petite ville d’Antsirane qui, en moins de cinq ans va prendre à peu de choses près l’allure générale que nous lui connaissons encore aujourd’hui

La nomination du colonel Joffre

Le 5 janvier 1900 à 6h55 du soir un câblogramme est envoyé au Gouverneur général de Madagascar pour l’informer que le colonel Joffre est envoyé à Diego Suarez. Joffre, colonel du génie du 5ème régiment de Versailles vient d’être mis à la disposition du Ministre des colonies pour diriger les travaux de mise en place du Point d’Appui. C’est le Général Gallieni qui avait proposé la nomination du colonel Joffre comme commandant du Point d’Appui de Diego Suarez. Joffre, ancien professeur à l’Ecole de Fontainebleau, avait servi en Extrême-Orient, au Sénégal où il avait entamé l’installation du chemin de fer et au Soudan où il avait dirigé la défense de Tombouctou.
Cependant, l’inorganisation qui semble régner au plus haut niveau va retarder son départ. Le Figaro du 26 janvier nous informe que son départ – qui devait avoir lieu le 25 – a été différé parce que « les diverses mesures que comporte la mise en défense de Diego Suarez ne sont pas complètement arrêtées ». Le 1er février Le Figaro précise que le colonel Joffre, dont le départ avait été retardé en raison d’un problème d’effectifs « s’embarquera par le prochain paquebot partant de Marseille pour Diego Suarez » et que « le colonel, qui réunit la compétence d’un ingénieur militaire, l’autorité d’un commandant de troupes et l’expérience d’un officier colonial » est l’homme idéal pour ce poste.
Un poste que l’on ne se dispute pas !

Le manque d’enthousiasme des militaires
Sinai, paquebot poste des messageries maritimes

En effet, les souvenirs de la terrible campagne militaire de 1895 et de toutes les morts dues au paludisme font hésiter les militaires qui renâclent devant leur affectation à Madagascar. Une séance houleuse à l’Assemblée Nationale se déroule d’ailleurs à ce sujet le 21 février. Le débat porte sur « la nécessité d’augmenter de 6 000 hommes nos effectifs à Madagascar et à Diego Suarez » mais ce problème technique devient un problème politique : l’opposition s’élève contre le fait que l’on envoie à Diego Suarez des soldats insuffisamment aguerris (des « engagés ») et demande que l’on envoie des « rengagés », c’est-à-dire des soldats ayant déjà été sous les drapeaux. D’ailleurs, le représentant de l’opposition estime que l’on aurait dû envoyer des soudanais (considérés comme plus solides) plutôt que la légion ou l’infanterie de marine. Et un député va jusqu’à dire que « les jeunes gens de moins de vingt-quatre ans qu’on envoie à Diego Suarez sont envoyés à la mort » !
En réalité, ce sera surtout la Légion qui partira pour Diego Suarez, sans enthousiasme… En effet, des statistiques, établies par le journal Le Petit Parisien évoquent les nombreuses désertions qui se produisent, notamment au passage du canal de Suez : « C’est le canal de Suez que choisissent de préférence les soldats comme lieu d’évasion. Ainsi, au mois d’avril dernier 51 légionnaires embarqués à Oran à destination de Diego Suarez sur l’ Uruguay, désertèrent ensemble pendant la traversée du canal. Il en est de même à chaque transport. Au cours de la traversée du canal, le pont étant toujours encombré, la surveillance est plus difficile ; aussi les déserteurs en profitent pour se jeter à l’eau et gagner à la nage Port-Saïd ». Et le journal ajoute que l’on songe à faire suivre les transports par un canot à vapeur pendant la durée de la traversée du canal pour repêcher les déserteurs ! Il faut dire, à la décharge des légionnaires, que tout avait été fait pour leur faire détester leur nouvelle affectation comme on peut le lire dans Le Progrès de Bel-Abbès du 22 août 1900 : « Le bataillon du 1er Étranger qui, depuis le mois de décembre dernier devait être dirigé sur Diego Suarez est enfin arrivé à destination. Cela ne fut pas sans peine car si jamais un bataillon fut berné, ce fut bien celui-là » et le journal d’Algérie énumère les désagréments qu’ont eu à subir les légionnaires, le premier étant l’incertitude sur leur destination finale et les retards de leur mise en route. De plus, à leur arrivée les baraquements qui leur étaient destinés n’étaient pas prêts et, souvent, les matériaux destinés à les construire n’étaient pas débarqués. Il leur fallut donc se transformer en ouvriers dans des conditions difficiles d’après le journal : « Aussitôt arrivés, les légionnaires durent se transformer :
1° en conducteurs de plate-formes Decauville servant au transport des matériaux,
2° en auxiliaires indispensables au bon fonctionnement de ces voitures,
3° en hommes de peine de toutes catégories,
4° en charpentiers, charrons, mécaniciens, ajusteurs, dessinateurs, secrétaires, etc. »
Les horaires de travail sont également harassants : Le travail commençait à 5h et demi du matin et se terminait vers 9h et demi ou 10h ; le soir, de 2h et demi à 5h et demi ou 6 heures. Bon nombre d’hommes étaient assujettis à travailler dans l’eau jusqu’aux aisselles pendant toute la durée du travail. L’Histoire a montré que les légionnaires effrayés par Diego Suarez ne tarderont pas à changer d’avis !

Des problèmes de logistique…

Mais qu’est- ce que 51 déserteurs à côté des milliers de militaires qui vont, en quelques mois débarquer à Diego Suarez ! En effet des dizaines de bateaux vont amener à Diego Suarez, en rotation serrées, des légionnaires, des troupes d’infanterie, des disciplinaires etc. Et énormément de matériel. Qu’on en juge, d’après les journaux de l’époque : le 6 février le Figaro annonce un envoi de canons : « L’école d’artillerie de Valence vient d’expédier à Marseille un premier envoi de canons destinés à Madagascar et particulièrement à Diego Suarez. Ce sont 6 pièces de 80mm, modèle 1878, avec leurs affûts, leurs fourgons de munitions ; leurs charrettes fourragères et leurs chariots de parc ». Ces canons doivent partir, le 10 février par l’Alexandre II avec leurs projectiles : « des obus ordinaires, à forme cylindro-ogivales et des obus à mitrailles, modèle 1880. » Le numéro du 6 février annonce également, le départ, en fin de mois, du steamer Ville-de-Belfort, chargé de 1 000 tonnes de matériel du génie « destiné à la construction de baraquements pour le camp retranché de Diego Suarez ». Le mardi 27 février, c’est le départ de L’Adour qui est annoncé pour le vendredi suivant avec 1 500 tonnes de matériel et de provisions. Le Journal Officiel de Madagascar indique, le 17 mars : « Une batterie d’artillerie est partie de Nîmes à destination de Diego Suarez. A Marseille, trois paquebots ont été affrétés pour transporter en avril à Diego Suarez 2 000 hommes de la Légion étrangère ainsi que du matériel. »
Pour débarquer tout le matériel qui afflue sur les bateaux qui encombrent le port non encore aménagé, et pour construire les baraquements nécessaires pour loger les soldats la main d’œuvre militaire ne suffit pas et la main d’œuvre locale est trop peu nombreuse. Aussi, va-t-on faire appel à des « coolies » chinois qui débarqueront en juin : « le vapeur Sinaï venant de Haïphong a débarqué à Diego Suarez 540 coolies chinois. Ils seront employés à la construction de la route de 15 km qui reliera Antsirane à la montagne d’Ambre, où doivent être construites les nouvelles casernes.» (Le Petit Parisien du 16 juin 1900)
Il faut imaginer la baie de Diego Suarez, sans installation portuaire, avec des dizaines de bateaux (73 pour le 1er trimestre 1900 !), des milliers de soldats parcourant les deux rues que compte la ville, des dockers, des coolies etc. Et tout ceci dans le plus grand désordre…
Mais, bientôt, Diego Suarez devenant Territoire militaire, et sous l’impulsion de Joffre, le nouveau Point d’Appui va se doter d’une solide organisation.

Diego Suarez, Territoire militaire
Vue sur le quartier militaire Camp d'Ambre
Vue sur le quartier militaire Camp d'Ambre
Dès le mois de mars 1900, une série d’arrêtés va fixer l’organisation du Territoire. Le Journal Officiel de Madagascar publie un arrêté en ce sens, en date du 13 mars :
« Vu les instructions ministérielles des 2 et 3 février 1900 […]
Arrête :
Article 1er : La province et la commune de Diego Suarez sont constitués en Territoire militaire.
Article II : M. le colonel Joffre, commandant supérieur de la défense de Diego Suarez et désigné par M. le Ministre des Colonies pour prendre le commandement du Territoire, relèvera directement à ce titre, du Gouverneur Général.»
Par cet arrêté, le colonel Joffre devient vraiment le chef suprême puisque tout le personnel civil lui sera subordonné : « Il aura sous son autorité tout le personnel civil employé à l’administration de l’ancienne province de Diego Suarez et de la commune, qui conservera son autonomie municipale ». Les articles suivants donnent à Joffre la haute main sur tous les services administratifs et les services de santé et placent le Maire sous son commandement. Ces prérogatives ne cesseront d’être renforcées. L’arrêté du 12 juillet 1900 va placer « les divers services de Diego Suarez sous les ordres du colonel commandant supérieur de la défense » à qui le Gouverneur Général délègue ses pouvoirs pour « l’approbation des projets de travaux, des marchés, demandes et cessions ». Ces travaux étant exécutés par le chef du génie qui « dirigera la construction et l’entretien des fortifications, du casernement et des établissements militaires à l’exception des établissements du service de l’artillerie ».
De nouvelles décisions, échelonnées sur l’année 1900, nommeront d’autres responsables militaires. Les travaux publics seront placés sous le commandement du Chef d’escadron d’artillerie de marine Fourcade – les travaux communaux étant exécutés par le service de la voierie urbaine – (Décision du 12 juillet). Le port sera aussi sous l’autorité militaire (Décision 1266) du 10 juillet 1900. « Considérant que les transports par eau exécutés à Diego Suarez par les divers services doivent être subordonnés aux intérêts de la défense […] - Le matériel naval destiné à pourvoir, à Diego Suarez, aux divers services publics et dépendant actuellement, soit des services administratifs, soit du service local, soit de la direction d’artillerie, est placé sous l’autorité directe du colonel commandant le territoire de Diego Suarez, qui l’utilise au mieux des différents services à assurer en rade de Diego Suarez. »
On est loin de l’époque où le civil Froger dirigeait la province d’une main de fer !
A suivre...
■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez - 1898-1899 : Quand l’espoir renaît… 2ème partie

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18 décembre 2015

 

L’année 1898 finit mieux que ce qu’elle a commencé : l’insurrection du Nord-Ouest est terminée, les récoltes sont bonnes, les deux compagnies salinières ont commencé à produire et les travaux publics continuent

De fait, les choses s’améliorent – surtout si l’on en croit les rapports envoyés par l’administrateur de Diego Suarez, M.Titeux, rapports qui paraissent dans le Journal Officiel de Madagascar et Dépendances, et qui ne sont peut-être pas toujours objectifs, l’Administrateur étant tenu à une obligation de résultats.
En janvier, le rapport témoigne du calme revenu après l’insurrection du Nord-Ouest : « Actuellement, le calme est complètement rétabli et les indigènes, loin de s’effrayer, travaillent avec ardeur à la culture de leurs rizières ».
Pour les travaux publics « Le pont de la rivière de la Main, sur la route d’Anamakia, a été livré à la circulation […] Les communications sont désormais assurées en tout temps entre Antsirane et Anamakia » et l’Administrateur ne résiste pas au plaisir de rappeler que les colons d’Anamakia lui ont adressé une lettre de remerciements.
On commence également les réparations de la Résidence.
En mars, le rapport de M.Titeux confirme le rétablissement de la situation politique dû en partie à l’installation de postes militaires dans les territoires concernés par l’insurrection et au désarmement des rebelles.
Le rapport donne aussi les résultats du recensement qui a eu lieu en décembre 1898:
Hommes : 2866
Femmes : 1834
Enfants : 1293
Soit un total de 5993 habitants, chiffre en recul par rapport à la population de 1897 (6216 habitants).
Par contre, le nombre d’élèves scolarisés a légèrement augmenté.
Le cyclone du 3 février n’a occasionné que « fort peu de dégâts aux routes » si ce n’est à celle de la montagne d’Ambre où l’on peut se rendre par l’ancienne route « à flanc de coteau faite en 1887 par l’artillerie ». Les ponts tout neufs de la route d’Anamakia n’ont pas été endommagés et les réparations ont commencé à la Résidence et au sanatorium de la montagne d’Ambre « fortement éprouvés par le cyclone ».
Le rapport paru en août donne des renseignements sur la situation commerciale et agricole durant le mois de juin. L’administrateur-maire se réjouit parce que « la situation s’améliore petit à petit ». Les importations représentent encore 5 fois le montant des exportations et reposent presque exclusivement sur les alcools ! Quant aux exportations elles consistent essentiellement en bœufs vivants et « produits accessoires provenant des animaux abattus ». Il faut dire que les usines d’Antongombato « s’occupent activement de la fabrication de conserves de viande » …ce qui ne suffit pas à la maison-mère dont le patron, le baron d’Adhémar demandera à la France une exonération des taxes auxquelles il a été condamné pour retards de livraison !
Le rapport d’octobre, qui constate que « le pays est calme » évoque la réfection des routes de la Montagne d’Ambre et du Rodo. Mais surtout, il signale une excellente nouvelle pour le commerce maritime : « Le matériel du phare du Cap d’Ambre, se composant de 156 gros colis, est arrivé par le paquebot le Yang-Tsé. Ce matériel, qui se montait à plus de cent tonnes, a été embarqué sur le Pourvoyeur, pour être transporté au Cap d’Ambre. Le Pourvoyeur est parti pour la baie Robinson. Les travaux du phare sont activement poussés, mais les difficultés de transport les rendent très longs. »
Par ailleurs, on refait la charpente des bâtiments du lazaret qui accueillent les voyageurs en quarantaine en raison de la peste.
Enfin, le dernier rapport paru en 1899 met l’accent sur les signes de reprise de l’économie antsiranaise. D’abord « depuis l’arrivée d’une garnison, la population de la ville s’est légèrement accrue » et de nouveaux colons sont venus s’établir à Anamakia. Les récoltes ont donné des résultats satisfaisants et les finances de la commune s’améliorent pour des raisons que la morale réprouve. En effet, « la perception des patentes continue à être une source de gros revenus. Les débitants de boisson deviennent chaque jour plus nombreux…» et « Les ressources que la province fournit au budget local ont augmenté en raison de l’importation progressive des liquides » !
Enfin, une nouvelle route conduisant de la montagne d’Ambre à la côte ouest est en projet et les derniers matériaux destinés au montage du phare du Cap d’Ambre ont été amenés jusqu’à Ankarafobe.
C’est aussi en octobre qu’une commission militaire se réunit à Diego Suarez pour procéder aux essais d’allumage du feu de l’ilôt des Aigrettes.
La situation s’améliore, elle s’améliore d’ailleurs tellement que les antsiranais, qui avaient été exemptés d’impôts en raison de la dégradation économique du territoire, vont être à nouveau soumis au paiement de l’impôt… ce qui ne se fera pas sans grincements de dents ! Mais la visite du Gouverneur Général, le 29 juillet, avait conforté les antsiranais dans l’idée que les années de dépression étaient derrière eux. Si le Général Pennequin a visité toutes les installations militaires, les services civils et les entreprises commerciales de Diego Suarez, il a surtout consacré 2 jours entiers « à l’étude des moyens de défense de Diego Suarez », rassurant la population sur l’avenir international qui attendait Diego Suarez et sur la place de son port dans la défense des intérêts français dans l’Océan Indien.
■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez - 1897-1898 : Une transition difficile pour Diego Suarez et sa région

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2 décembre 2015


Pont sur la Rivière des Caïmans sur la route d’Anamakia

Les années qui suivent la fin de la guerre de 1895 sont difficiles pour Diego Suarezet sa région, d’une part en raison des problèmes économiques, d’autre part en raison des troubles qui ont éclaté dans le Nord. Cependant, certaines rumeurs laissent espérer une reprise de l’activité pour le port de Diego Suarez

Des recettes quasi inexistantes

L’arrêté 386 qui érige Diego Suarez en commune a prévu dans son article 26 les dépenses et recettes du budget communal : la liste des dépenses est longue ; elle comprend l’entretien des bâtiments, les traitements des personnels de l’Administration et de la police, tous les frais de gestion et d’état-civil etc. En ce qui concerne les recettes, l’arrêté ayant exclu tous les revenus du port (droits de douanes, taxes diverses etc.), il ne reste, comme recettes, au malheureux Administrateur-Maire que les impôts locaux et les revenus du domaine communal dont nous venons de voir qu’il était en piteux état. On lui octroyait aussi le droit de profiter des « recettes extraordinaires » comme les legs et dons (qui ne devaient pas être nombreux !) et « toutes autres recettes accidentelles ». On peut comprendre l’animosité de la population vis-à-vis de l’Administration qui n’avait d’autre choix pour gérer la ville que d’accabler les citoyens d’impôts ! D’ailleurs, devant les revendications des administrés pressurés, notamment des commerçants, l’Administration centrale acceptera, par un arrêté du 7 décembre 1898 de supprimer l’impôt sur la valeur locative des maisons: « considérant que par suite de la réduction du personnel administratif, du retrait de la garnison, le commerce local subit une crise dont il y a lieu de tenir compte »
Il y avait cependant, à Diégo-Suarez, des privilégiés. L’Armée, d’abord, très réduite, et qui vivait dans des logements trop grands pour elle et plus confortables que ceux de la population civile. Les fonctionnaires ensuite, classe détestée des colons parce qu’ils bénéficiaient d’avantages que la population trouvait exorbitants, notamment leur droit à congés en métropole. Et que l’on accusait de « se la couler douce »…
Un article au vitriol sur les fonctionnaires de Diego Suarez avait d’ailleurs paru dans le très sérieux Journal des débats du 20 juillet 1897 :
« Le fait même que Diégo nous appartient depuis longtemps y avait acclimaté peu à peu les habitudes des administrations de la métropole, abondamment fournies en fonctionnaires de toutes sortes, et où l’on aime les heures de bureau bien réglées, mais sagement mesurées. Par suite de l’assimilation à notre nouvelle colonie de Madagascar, le Général Gallieni a dû changer ce régime, faire des coupes sombres dans le personnel et, en même temps stimuler l’activité générale que la chaleur du climat avait quelque peu assoupie. Je n’oserais pas dire que le résultat cherché par le résident général ait été complètement atteint. Il reste beaucoup de fonctionnaires à Diégo, mais on les cherche souvent, et les bureaux de certaines administrations respirent un âcre parfum de nécropole. »

Des travaux d’aménagement

A partir de 1898, la situation de Diego Suarez semble s’améliorer, en ce qui concerne les voies de communication notamment. La route d’Anamakia va être élargie et aménagée, notamment par la construction de deux ponts et d’un radier sur la rivière des caïmans et par un pont sur la rivière de la Main. Cette route est particulièrement importante pour les cultivateurs de la plaine d’Anamakia qui pourront ainsi approvisionner Antsirane. Par ailleurs, des travaux d’aménagement sont entrepris sur la route de la montagne d’Ambre. Fin 1898, la route d’Antsirane à Irodo est achevée. Elle est longue de 90km et, grâce à un pont de 90m construit sur la Tsararano elle permet d’accéder à Antsirane en saison des pluies. Une route a également été construite de la baie du Courrier à Andrakaka où l’on a édifié une jetée où les embarcations peuvent accoster quelle que soit la marée.
Au niveau de l’urbanisme, la conduite d’adduction d’eau a été améliorée. On a remplacé les anciens tuyaux de 6 cm de diamètre par des tuyaux de 10 cm, ce qui permettra d’installer de nouvelles fontaines, notamment sur le port. La fourniture d’eau est une source de revenus importante pour la commune qui approvisionne les bateaux de la Compagnie Havraise et des Messageries Maritimes à un prix moindre que celui qu’ils payent sur la côte africaine.

Un redémarrage de l’économie

Le calme revenu semble donner un coup de fouet à l’économie de Diégo qui avait connu son plus bas niveau en 1896.
En ce qui concerne l’agriculture, la récolte de riz de 1898 a été supérieure à celle des années précédentes. A Anamakia, la culture du maïs a été entreprise ainsi que la plantation de café Liberia dont l’administrateur-maire a fait venir des graines de La Réunion. Les cultivateurs, français et malgaches, y plantent également des patates, du manioc, des haricots et des ambrevades, pouvant ainsi subvenir au ravitaillement d’Antsirane.
Les usines d’Antongombato ont recommencé à fonctionner et abattent 80 bœufs par jour. La société franco-antankarane, qui en a repris la gestion, s’est dotée d’un nouveau directeur, dont les lecteurs de la Tribune ont beaucoup entendu parler : M. Froger, l’ancien gouverneur du Territoire de Diego Suarez qui, apparemment, n’a pas pu se réhabituer à la métropole. Revenu avec un nombreux personnel, il n’a pas oublié ses rêves de grandeur et « se propose d’acheter de vastes étendues de terrain et d’y faire de l’élevage, ou de la grande culture tout en exploitant les richesses minières et forestières qui s’y rencontreraient ».
Quant aux deux compagnies salinières, elles ont commencé à exporter, assez modestement il est vrai, en chargeant leur sel – notamment à destination de Calcutta - sur les navires qui livrent le charbon à Diégo et repartent à vide.
Mais, de plus en plus, il est question d’un brillant avenir militaire pour Diego Suarez…
■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez - 1897-1898 : une transition difficile pour Diego Suarez et sa région

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17 novembre 2015

Les guerriers du nord

Les guerriers du nord

Les années qui suivent la fin de la guerre de 1895 sont difficiles pour Diego Suarezet sa région, d’une part en raison des problèmes économiques, d’autre part en raison des troubles qui ont éclaté dans le Nord. Cependant, certaines rumeurs laissent espérer une reprise de l’activité pour le port de Diego Suarez

Des troubles dans le Nord
Un calme trompeur

Le roi Tsialana et la reine Binao

Le roi Tsialana et la reine Binao

Le 16 septembre 1896, le Général Gallieni prend le commandement du corps d’occupation de Madagascar. Le 28 septembre il est nommé résident général de Madagascar. Il va, dès sa prise de fonctions devoir faire face à un soulèvement qui concerne de nombreuses régions mais qui, au début, n’affecte pas le Nord de l’île. Devant la situation politique très troublée il va partager le pays en territoires civils, (dans les régions relativement calmes, comme Diego Suarez) et en territoires militaires là où l’insurrection a éclaté). Ces révoltes semblent pratiquement étouffées à la fin de 1897.
En mai, le Résident Général fait, à bord du La Pérouse, un grand périple dans le nord de Madagascar. Le 24 mai, il arrive à Diego Suarez où il va rester quatre jours. Il y inspecte les services civils et militaires, les écoles et rencontre la Chambre consultative avec laquelle il étudie les problèmes qui concernent Diego Suarez. Il visite également l’usine de conserves de viande d’Antongombato et les exploitations salinières. Le dernier jour est consacré à l’organisation de la défense de Diego Suarez où il visite l’ensemble des ouvrages fortifiés et laisse entrevoir des projets pour le port militaire et pour la défense de la baie.
Le 29 mai, il s’embarque pour Nossi-Be où il rencontre les chefs traditionnels du Nord de Madagascar, Tsiaraso, Tsialana et la reine Binao. A Nossi-Be une fête superbe est organisée par la population en l’honneur du Résident Général.

Tout semble aller pour le mieux dans le Nord de Madagascar…

Déclenchement de l’insurrection

D’après les rapports du Général Gallieni « le calme paraissait complet, lorsqu’une insurrection éclata, à la fin d’octobre 1898, dans la vallée du Sambirano ». Quelles étaient les causes de cette révolte ? Gallieni parle de la « crainte injustifiée de la part des indigènes de voir leurs troupeaux saisis par les Européens, haine du blanc etc. ».
On a également avancé des excès d’autorité, des captations de terres par des concessions (parfois énormes) accordées à des colons, des interdictions de feux de brousse dans les pâturages… Des chefs de poste outrepassent leurs droits et heurtent les traditions locales…
Toujours est-il que, le 26 octobre 1898, le poste de milice de Marotoalana est attaqué par une bande de rebelles ; le combat dure toute la nuit et les assaillants sont repoussés mais ils reviennent à la charge en plus grand nombre. Le chef de poste, Ettori, est tué alors qu’il tente de gagner la côte.
Le 27 au soir, les rebelles attaquent le poste d’Ambalavelona et tuent le commis de résidence Frontin ainsi que deux colons européens.
Le mouvement s’étend dans le Sambirano et plusieurs colons sont tués et leurs concessions ravagées.

Les opérations de l’armée française

La situation de la province du nord-est à la fin de la 1898

La situation de la province du nord-est à la fin de la 1898

Elles seront essentiellement menées par le capitaine Laverdure , à qui Gallieni a donné tous les pouvoirs civils et militaires pour rétablir l’ordre.
Laverdure débarqua le 3 novembre à Ankify avec 3 officiers, 5 sous-officiers, 144 sénégalais et 42 miliciens. L’opération fut terminée à 4 heures du soir (rapport du Commandant Lamolle). L’administrateur Chauvot et le roi Tsiaraso avaient rejoint Ankify avec les marins et Tsiaraso (soupçonné d’avoir attisé la révolte) fournit au capitaine Laverdure les porteurs pour se rendre Ambalavelona.
Les opérations se déroulèrent essentiellement à Ambalavelona et à Marotaolana où les insurgés menèrent plusieurs attaques entre octobre et novembre.
Fin novembre le capitaine Laverdure est doté d’un canon de 37, de 10 mulets et d’une pièce de montagne de 80mm et il rejoint l’Ankaizinana et à la région d’Analalava où l’insurrection s’est étendue. Le 31 décembre Laverdure rentrait à Ankify après avoir effectué la pacification de la presqu’île d’Anorontsangana.
Les provinces du Nord furent déclarées « complètement pacifiées».(rapport Gallieni) Ces troubles, graves mais limités dans le temps et qui se déroulent à plusieurs journées de marche, affectent peu la vie quotidienne antsiranaise, surtout préoccupée de la nouvelle organisation de la ville et du marasme économique que connaît le Territoire de Diego Suarez.

La nouvelle administration s’installe

Familles de colons installés à Joffreville, « dans de parfaites condiitons de salubrité »

Familles de colons installés à Joffreville, « dans de parfaites condiitons de salubrité »

Depuis l’arrêté du 13 février 1897, les établissements français de Diego Suarez, de Nossi-Be et de Sainte-Marie sont érigés en commune.
L’article 2 de l’arrêté prévoit que « La commune de Diego Suarez aura pour chef-lieu "Antsirane" et pour circonscription le territoire acquis à la France par le traité franco-hova du 17 décembre 1885. »
Quant à l’article 3, il stipule que « l’administrateur de chacun de ces établissements […] exerce les fonctions de maire », assisté d’une commission municipale « dont les membres, choisis parmi les citoyens français domiciliés dans la colonie, à l’exception d’un seul pris dans la population indigène, sont nommés par arrêté du Résident Général ». Ces membres, au nombre de 5 pour Diego Suarez sont nommés pour 2 ans et peuvent être révoqués par arrêté du Résident Général.
En fait, le Résident Général a la haute main sur l’administration des communes, puisqu’il nomme les administrateurs, peut les révoquer et peut annuler les délibérations.
Comme le prévoit l’article 16, l’administrateur-maire, dont les pouvoirs sont étroitement définis, reste « sous l’autorité du Résident général ».
En quoi consistent ces pouvoirs ? Ils sont définis et énumérés dans le même article 16. L’administrateur-maire est chargé de faire exécuter les lois, notamment en matière de sécurité ; de gérer les propriétés de la commune ; de proposer le budget ; de l’entretien des édifices communaux ; de la police ; de la salubrité publique ; de l’état-civil et de tout ce qui concerne l’acquisition et la transmissions des biens fonciers. Quant à la Commission municipale, elle a, avant tout, un rôle consultatif.
Le 28 août 1897, une grande partie des bâtiments domaniaux de Diego Suarez est remise à l’Administrateur-Maire : il s’agit de bâtiments administratifs mais aussi de ceux qui étaient occupés par l’Eglise. Ne figurent pas dans la liste, bien sûr, les bâtiments militaires. Si la liste de ces bâtiments est impressionnante, leur état laisse généralement à désirer comme on peut le voir par quelques exemples :
- l’ancienne église dont l’arrêté précise « Tombe en ruines. Bâtiment en bois, couvert en tôle » ; la nouvelle église, toujours en bois ; le presbytère, qui, lui est en maçonnerie mais « avec couverture en tôle en très mauvais état »,
- le bureau de poste et le tribunal, tous deux en bois, comme les bâtiments de la police, la prison, le logement du commissaire,
-l’école pour les garçons et les filles : en bois également ainsi que le poste de l’Octroi.
Par contre – on n’est jamais mieux servi que par soi-même – tous les services des travaux publics sont en maçonnerie.
C’est également le cas de l’Hôtel de l’Administrateur (ce que l’on appellera longtemps la Résidence) : « en maçonnerie », il est pratiquement neuf ce qui fait que l’Armée essaiera de se l’attribuer…
Quant au chef du service de l’Intérieur, il a droit a une maison en fer et – comble du luxe – « avec cave ». Ces deux derniers bâtiments sont d’ailleurs toujours là… Tous les autres bâtiments sont en bois, y compris l’Hôpital civil.
Sont remis également à l’Administrateur-Maire, les bâtiments domaniaux d’Anamakia et de la Montagne d’Ambre, dont le sanatorium « bâtiment en bois et paille » !
La nouvelle administration mise en place a – sans jeu de mots – du pain sur la planche pour transformer Antsirane en véritable ville !
D’autant plus que l’argent manque…
(A suivre)
■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez - 1896-1897 : « Diego Suarez n’est plus rien ! »

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1 novembre 2015

L’enlèvement de la reine Ranavalona III en 1897. La reine et son escorte sur la route entre Tananarive et Tamatave
L’enlèvement de la reine Ranavalona III en 1897. La reine et son escorte sur la route entre Tananarive et Tamatave

C’est ce qu’exprime le député Louis Brunet dans le cri d’alarme qu’il pousse à l’Assemblée Nationale française le 23 mars 1897 : « Aujourd’hui, Diego Suarez n’est plus rien! »

Et, en effet, la fin de la guerre va amener, pour un temps, la ruine économique de Diego Suarez, passant de son statut de Territoire français à celui de petite ville de province.

La situation économique à Diego Suarez en 1896-1897

L’agriculture a subi de plein fouets les ravages de la guerre : les colons réfugiés depuis plusieurs mois à Antsirane, ont reçu l’autorisation de rentrer dans leurs concessions dévastées. Beaucoup, découragés, ont abandonné; les autres doivent reconstituer leurs exploitations et quelquefois repartir à zéro (même si parfois, ils exagèrent les dégâts subis dans l’espoir de percevoir des indemnités). Le petit commerce, qui, depuis la création de Diego Suarez était constitué en grande partie de marchands de vin et d’alcools a perdu la majeure partie de ses clients avec le départ de l’armée.
Quant aux industries naissantes de Diego Suarez, elles se portent mal.

Les conserves de viande

La plus importante, l’immense usine d’Antongombato, la Graineterie française, installée en février 1890 pour la fabrication de conserves de viande, d’engrais et de tannerie a cessé ses activités en 1894 et est en liquidation, entraînant dans sa ruine celle de centaines de cultivateurs et d’éleveurs. Après la guerre, un industriel parisien, M.Gueunier, a racheté l’usine et fondé une société au capital de 2 millions de francs, nommée « Compagnie coloniale française d’élevage et d’alimentation de Madagascar » mais les établissements d’Antongombato ne rouvriront leur porte qu’en juin 1897, de façon très prudente et à toute petite échelle.

Les salines

Si de grandes concessions avaient été accordées, dans les débuts du Territoire de Diego Suarez, pour y installer des salines, les exploitations restèrent longtemps à l’état de projet. Deux sociétés salinières avaient été fondées en 1887 : la Société des salines de Diego Suarez et la Compagnie des salines de Diego Suarez. La première, créée par un armateur normand, M.Lefèvre-Rioult, ne commença à avoir une existence juridique qu’en 1892 et après trois ans consacrés à l’installation n’était entrée en exploitation qu’en 1895 sur 60 hectares. En 1896, elle produisit 4200 tonnes de sel. La compagnie française des salines de Diego Suarez, créée également par un armateur, M.Richon qui avait obtenu du ministre des colonies une concession de 500 hectares en compensation des pertes subies pendant la guerre de Chine, avait entrepris des installations en juillet 1895 près de la rivière de la Main, à 8km d’Antsirane mais elle n’avait commencé à produire qu’en mars 1896 sur 70 hectares.
Les deux sociétés avaient passé un contrat avec le gouverneur de Diego Suarez prévoyant de payer à la colonie un droit de 1F par tonne (environ 385 euros ou 300 000 Ariary) au-delà d’une production de 55 000 tonnes : ces quotas n’ayant pas été atteints, elles furent de fait exonérées de la redevance.

Les exploitations de chaux

Des exploitations de chaux travaillent au pied de la Montagne des français et à Cap Diego Suarez, mais cette dernière industrie dépend de la Direction de l’artillerie et travaille uniquement pour l’Etat.

Les exploitations de bois

De petits industriels ont obtenu l’autorisation d’exploiter le bois mort provenant des arbres abattus par le cyclone de 1894 mais il s’agit d’une activité quasiment artisanale et la majeure partie du bois utilisé dans la construction à Diego Suarez provient de l’importation.
La situation de Diego Suarez après la guerre n’est donc pas très prospère sur le plan agricole et sur le plan industriel.
Le changement de régime, n’apportera pas à Diego Suarezla prospérité espérée.

Du protectorat à l’annexion de Madagascar

En novembre 1895, la France avait nommé un « dépositaire des pouvoirs de la République française dans toute l’île de Madagascar », le résident général Laroche arrivé à Tananarive le 16 janvier 1896. Sans véritables pouvoirs (il lui était ordonné de ne commander que si l’on ne tenait pas compte de ses avis!) il fut incapable d’empêcher la révolte de la plus grande partie des régions de Madagascar. En août 1896 il décida l’abolition de l’esclavage sur la totalité de Madagascar, mécontentant de ce fait tous les malgaches qui possédaient des esclaves (environ 500 000 sur toute l’Ile). Devant la détérioration de la situation politique et économique la France vota – après de longues discussions – une loi d’annexion le 6 août 1896. Le 28 septembre 1896, Laroche fut remplacé par le Général Gallieni, chargé de faire exécuter la nouvelle loi. Le 28 février 1897, la reine Ranavalona III était exilée à La Réunion. Une nouvelle époque commençait dans laquelle Diego Suarez n’aurait plus l’importance qu’avait eue le Territoire dans les 10 années précédentes.

De la joie à l’inquiétude

A la fin de la guerre, la réaction des colons antsiranais est d’abord le soulagement. Mais, très rapidement, les mesures prises par Laroche, puis par Gallieni vont faire naître un vif ressentiment contre la Résidence générale que l’on accuse de vouloir la mort de Diego Suarez, d’abord en enlevant à Diego Suarez une grande partie des troupes qui y étaient stationnées, ensuite en prenant une série de mesures économiques (des taxes à l’exportation et à l’importation notamment) que les commerçants français déclarent excessives. Ces sentiments antagonistes apparaissent dans le texte suivant – envoyé aux journaux français – par Henri Mager, délégué de Diego Suarez : « A Diego Suarez, le centre le plus vivant et le plus français de tout Madagascar, que l’on voudrait aujourd’hui ruiner et détruire mais que l’on ne pourra abattre, quoi qu’on fasse, nous avons organisé de nombreuses fêtes plus brillantes les unes que les autres. A l’occasion du 14 juillet dernier, nous avons donné à Antsirane… la plus belle fête qui fut jamais organisée à Madagascar ». Et le texte se termine par l’expression de la crainte de l’avenir : « Diego Suarez a donné des fêtes à l’occasion de la conclusion de la paix mais d’ici longtemps l’on ne dansera plus et l’on ne chantera plus à Diego Suarez…les mesures que vient de prendre le gouvernement pour l’organisation de Madagascar les ont surpris et les ont effrayés. […] Aux joies de l’espérance succèdent chez eux la crainte de l’avenir et les plus cruelles appréhensions. »

Des appréhensions justifiées

Même si les élus français ont tendance à noircir le tableau, pour obtenir des compensations et des avantages, il semble qu’après l’annexion de Madagascar par la France, la situation se soit véritablement dégradée. Le 23 mars, à l’Assemblée, le député Brunet déplore que « Il y a quelques années, Diego Suarez était non pas riche mais prospère ; il semblait devoir être le centre de notre nouvelle colonisation ; depuis trois cents ans (Brunet ne recule devant aucune exagération…) on le considérait comme le port principal de la mer des Indes, et, brusquement, depuis deux ans, Diego Suarez ne compte plus dans les préoccupations et du ministère des colonies et surtout, je crois, du ministère de la marine. » Mais il est certain que Diego Suarez n’est plus le « centre de la colonisation » et que beaucoup de ses habitants choisissent l’exode comme l’indique la pétition que cite Brunet : « Aujourd’hui, grâce à une administration imprévoyante tracassière et maladroitement fiscale, le dépeuplement se fait à grand pas, nos campagnes sont désertées, notre seule ville, Antsirane, est dans un état de marasme industriel et commercial à nul autre pareil et on peut déjà prévoir le moment où le vide sera complet […] On peut estimer que le dépeuplement sera d’autant plus rapide qu’à l’heure actuelle les départs mensuels de la colonie sont considérables et ne peuvent être estimés à moins de deux cents individus, tant commerçants qu’industriels ; il est donc facile de prévoir qu’à très bref délai notre colonie n’existera que comme point purement géographique… »
Il y a sans doute beaucoup d’exagération alarmiste (et intéressée) dans cette pétition mais la réalité n’est pas très loin de ces affirmations.

Diego Suarez, un « point purement géographique »

« Sortie de la messe à Anamakia »

« Sortie de la messe à Anamakia »

Alors que , depuis des années, l’on vantait en France l’emplacement prodigieux de Diego Suarez, sa valeur stratégique et commerciale, le vent a tourné depuis l’annexion de Madagascar qui a déplacé les centres d’intérêt : Diego Suarez est complètement isolé du reste de l’île du fait du manque de voies de communications et de l’accès difficile à son port (même si, en novembre 1897, le capitaine Vernier a fait l’étude d’un projet de canal maritime mettant Diego Suarez en relation avec la côte ouest).
Le Guide de l’immigrant prend acte de ce manque d’avenir commercial : « Diego Suarez est un des plus beaux points stratégiques du monde malheureusement disproportionné jusqu’ici avec la faible importance des différentes forces navales dans la mer des Indes. Diego Suarez, malgré son importance militaire, est malheureusement menacé, même s’il était port franc, de ne jamais devenir un centre commercial important, à cause de sa situation excentrique et des difficultés de communication que lui impose sa configuration orographique ». Mais il semble également que l’annexion ait fait perdre en grande partie son intérêt militaire à Diego Suarez. La priorité de Gallieni, à son arrivée à Madagascar, n’était plus de maintenir l’équilibre avec les Anglais dans la mer des Indes mais de réduire les révoltes qui agitaient les provinces de l’île, notamment dans l’Imerina et dans le Sud: pour cela, les troupes stationnées à Diego Suarez avaient peu d’intérêt. Le départ des militaires va être une vraie catastrophe pour Diego Suarez. C’est encore Henri Mager qui, dans le Monde Illustré plaide désespérément pour le maintien de l’armée à Diego Suarez : son premier argument est que la France a dépensé des fortunes pour installer les militaires : « le développement des casernes de la colonie est considérable ; sur le plateau d’Antsirane ont été construits les quartiers de l’artillerie et les quartiers de l’infanterie, avec, en avant, plus au sud, les casernes des tirailleurs ; au Cap Diego sont les disciplinaires, les bâtiments de l’hôpital militaire et le cimetière militaire. L’ensemble de ces constructions a coûté plus de 5 millions de francs (près de 200 millions d’euros NDLA), et il s’y trouve réuni plus d’un million de matériel. »
Son second argument est la qualité de l’air à Diego Suarez : « Au point de vue sanitaire, le choix fait de Diego Suarez et en particulier du plateau d’Antsirane, est excellent ; le climat est très salubre… ». Et il conclut : « c’est la meilleure zone de Madagascar, la seule où nos soldats peuvent séjourner sans crainte d’aucune nature. »
Si ces deux arguments ont une certaine valeur, sa dernière justification en faveur du maintien des troupes à Diego Suarez est parfaitement ahurissante : « On a souvent proposé, avec raison, à notre sens, de concentrer à Diego Suarez le gros de notre corps d’occupation de Madagascar, qui de ce point central (!!!) pourrait être transporté, avec le concours des cinq bâtiments de la division navale, partout où besoin serait. » On comprend aisément que l’Etat-Major français n’ait pas trouvé que Diego Suarez était le point le plus central pour gouverner militairement le pays ! Enfin, comprenant peut-être que sa démonstration n’est pas des plus convaincantes, Mager a recours à un argument sentimental : « La population aime les soldats et les soldats recherchent la société civile. »
Henri Mager est la voix des colons. On entend moins, à Diego Suarez, la voix des « indigènes » pour qui la situation économique s’est également dégradée et qui, depuis le 6 août 1896, sont devenus par la loi d’annexion, sujets de la France. Leurs revendications ne tarderont pas à se faire entendre dans la région…
■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez - 1895-1896 : Grandeur et décadence de Diego Suarez

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15 octobre 2015

La ville basse vers 1895-96

La ville basse vers 1895-96

Diego Suarez avait connu son heure de gloire : son sort avait été débattu par les plus hautes instances, aussi bien malgaches que françaises ; dans la guerre qui venait de se terminer, elle avait été un enjeu majeur. De Diego Suarez étaient parties les premières troupes rejoignant le corps expéditionnaire ; des milliers de soldats avaient débarqué faisant d’Antsiranana une ville où se pressaient les commerçants voulant profiter des opportunités qu’offrait la garnison, les bateaux animaient sa rade dont les journaux de Paris disaient qu’elle était une des plus belles (sinon la plus belle) du monde. Tout ceci allait disparaître avec la fin de la guerre

Antsirane en 1895 : une aisance précaire

Le Dr Hocqard, médecin militaire envoyé pour choisir un emplacement pour un poste sanitaire destiné aux soldats du corps expéditionnaire a tracé un portrait imagé de la petite ville d’Antsirane, vivant autour et grâce à la garnison en 1895.
« A Antsirane se trouvent le siège du gouvernement, les directions civiles et militaires, les casernes et tous les établissements de commerce de la région. On y fait même de la politique : les premières barques qui accostent l’Iraouaddy nous apportent deux journaux locaux, le Clairon et l’Avenir de Diego Suarez, publiés en français toutes les semaines ou tous les quinze jours, et où le gouverneur est pris à partie de la plus belle façon. […]La ville comprend, outre les établissements militaires dont j’ai parlé, une importante agglomération de paillotes malgaches, situées sur le plateau à l’ouest du quartier officiel et un quartier commerçant établi le long du rivage : ce dernier est habité par quelques européens qui tiennent des maisons de gros et par des Indiens Malabars qui ont accaparé presque tout le commerce de détail. Depuis peu, une nouvelle rue s’est formée, près du village malgache, en face du marché ; des créoles de La Réunion y vendent des spiritueux et des comestibles, et une colonie chinoise commence à faire une concurrence sérieuse aux Malabars, qui sont loin d’être satisfaits. » Cependant, le Dr Hocquard, bon observateur, décèle vite la fragilité du développement de cette « ville – champignon » : « Malgré tout, je ne crois pas la colonie de Diego Suarez appelée à un grand avenir au point de vue commercial. Située à l’extrême pointe de l’Ile de Madagascar, elle est trop éloignée des routes que suit le commerce de l’intérieur pour aller à la côte. Le pays environnant est extrêmement pauvre et dépeuplé. De plus, à part les bazars indiens, chinois, européens, créés pour les besoins de la garnison, Antsirane n’a pas de trafic local et surtout pas de commerce d’exportation. Les fameuses salines dont on a beaucoup parlé en France, n’existent qu’à l’état de vagues projets ; il y a bien, tout au fond de la baie, une grande fabrique de conserves de viandes de bœuf, dite "La Graineterie", qui exportait des boites d’endaubage ; mais jusqu’à présent l’établissement n’a pas réussi. On dit que la fabrication va reprendre avec de nouveaux directeurs : espérons qu’elle aura plus de succès. De l’aveu de ceux qui connaissent bien la région, elle pourrait être fructueuse, et cette industrie, atteignant les proportions qu’elle comporte, enrichirait le pays ». Mais le Dr Hocquard fait part de son pessimisme sur l’avenir de cette ville du bout du monde : « En attendant, la colonie vit dans un état précaire ; ses habitants, n’ayant pas confiance dans son avenir, n’osent pas y engager des capitaux et ne font rien pour s’y fixer de façon définitive. Le voyageur est tout de suite renseigné sur cet état des esprits en parcourant les rues de la ville. Toutes les constructions ont l’air d’être provisoires ; à part le gouvernement, les casernes, le commissariat de la marine et l’habitation du chef du génie, elles sont faites en planches ou en matériaux démontables, comme si leurs propriétaires s’attendaient à abandonner d’un moment à l’autre la colonie. »
L’année 1896 va être une année de profonds bouleversements pour Madagascar. Le 30 septembre 1895, le Général Duchesne à la tête d’une partie des troupes du corps expéditionnaire français, entrait dans Tananarive. Même si la Reine gardait « ses prérogatives et ses honneurs » Madagascar perdait, de fait sa souveraineté : ce n’était pas encore l’annexion mais c’était déjà beaucoup plus qu’un protectorat.

Et Diego Suarez devenait une ville de Madagascar comme les autres…

Le rattachement de Diego Suarez à l’administration de Madagascar

Depuis mars 1895, Diego Suarez n’avait plus de gouverneur : Ernest Froger, l’inflexible, qui avait tant œuvré pour que Diego Suarez devienne une colonie, s’était embarqué, le 9 mars, sans assister à la prise de la forteresse détestée d’Ambohimarina et sans voir l’aboutissement de ses ambitions. Il fut remplacé d’abord par le commandant supérieur des troupes, puis par un gouverneur par interim, M.Laurenzac, qui sera à son tour rapatrié le 1er avril 1896. Il faut dire que son emploi n’avait plus lieu d’être. En effet, dès le 28 janvier 1896 un décret du Ministère des Colonies rattache à Madagascar les établissements de Diego Suarez, de Nossi-Be et de Sainte-Marie.
Ce décret prévoit notamment :
Art. 1er. – Les établissements français de Diego Suarez, de Nossi-Bé et de Sainte-Marie de Madagascar cessent de former des possessions distinctes et sont placés sous l’autorité du résident général à Madagascar.
Chacun de ces établissements est dirigé par un administrateur colonial, qui ne correspond qu’avec le résident général.
Art. 2. – L’emploi de gouverneur à Diego Suarez, les emplois de secrétaires généraux à Diego Suarez et à Nossi-Bé sont supprimés.
Art. 3. – Sont supprimés les conseils d’administration de Diego Suarez et de Nossi-Bé.
Art. 4. – Les établissements de Diego Suarez, de Nossi-Bé et de Sainte-Marie de Madagascar seront érigés en communes par arrêté du résident général, pris en conseil de résidence et approuvé par le ministre des colonies. Le même arrêté déterminera la composition des conseils municipaux de ces communes.
Les administrateurs de Diego Suarez, de Nossi-Bé et de Sainte-Marie de Madagascar exerceront les fonctions de maire. Ils sont ordonnateurs de toutes les dépenses civiles.
Art. 5. – Un arrêté du résident général fixera la nomenclature des impôts perçus dans les trois établissements susvisés, en distinguant, d’une part, les contributions et taxes diverses qui constitueront les sources de revenus de chaque commune et, d’autre part, celles dont le produit sera versé au budget de Madagascar et dépendances.
Les attributions de chacun paraissent claires… mais elles mettront du temps à être appliquées : en août 1896, soit six mois après le décret, le Général Gallieni déplore que : « Partout, à Majunga, à Diego, j’ai trouvé les attributions des résidents et des commandants militaires tellement mélangées, qu’il est impossible de saisir les responsabilités. Il faut que chacun soit chez soi, c’est-à-dire que là, en dehors de l’Emyrne et des Betsileos, ce sont les résidents qui doivent avoir toute l’initiative des mesures politiques et militaires à prendre, et par suite la responsabilité. » Et Gallieni rend hommage aux résidents nouvellement nommés « MM. Mizon et Aubry Lecomte (l’administrateur de Diego), particulièrement m’ont paru bons… »
Pendant cet « entre-deux » qui fait passer le Territoire de Diego Suarez au rang de ville d’importance secondaire, les décisions prises pour la gestion de la ville se ressentent de cette carence de l’autorité : elles se borneront, la plupart du temps, à régler, au jour le jour, des problèmes mineurs.

De la guerre à la paix

Dès la mi-octobre 1895, les gouverneurs des provinces malgaches, dont le gouverneur d’Ambohimarina, avaient reçu l’ordre de remettre leurs armes aux commandants militaires. Par ailleurs, une partie des troupes de la garnison de Diego Suarez avaient rejoint le corps expéditionnaire ou avaient été rapatriés. Diego Suarez, qui avait connu une grande effervescence en raison de la présence de milliers de militaires, perdait ainsi la majeure partie de sa population. D’ailleurs, alerté sur cette situation, le Secrétaire Général de Madagascar avait déclaré dans une lettre au Résident général du 18juin 1896: « Le général n’avait pas apporté son état de situation; j’ignore donc ce qu’il y a de troupes sur la côte; mais il nous a appris que la garnison de Diego Suarez se montait à 420 hommes. Diego Suarez est à l’extrémité de l’île, dans une région où la population est très clairsemée et très divisée, ce qui veut dire que les troubles qui peuvent s’y produire se borneront toujours à des voleries de bœufs. Par extraordinaire, un mouvement politique s’y manifesterait-il, que ce ne serait, en raison de la position géographique, qu’un mouvement tout local, sans répercussion possible sur le reste de l’île. Les 1200 blancs ou créoles d’Antsirane se défendraient parfaitement tout seuls au besoin. Enfin, il y a presque toujours, dans le port, des navires de guerre qui pourraient débarquer des secours…» Les militaires partis, les « 1200 blancs ou créoles », et la population malgache de Diego Suarez n’avaient plus qu’à se débrouiller tout seuls… D’ailleurs, combien étaient-ils en réalité? On ne le savait plus après les gonflements et dégonflements démographiques successifs. Aussi, une des premières mesures parues au Journal Officiel de Diego Suarez et Dépendances fut-elle d’organiser un recensement.

La gestion de Diego Suarez avant la loi d’annexion

Le premier numéro du Journal Officiel de Diego Suarez, en 1896, organise ce référendum :
« LE GOUVERNEUR P.I (par interim) de Diego-Suarez et Dépendances,

ORDONNE :

Le recensement de la population de Diego Suarez se fera le 6 janvier 1896.
Le Commissaire de Police assurera le recensement de toute la population européenne, créole et indigène d’Antsirane, de Diego Suarez, de la Rivière des Caïmans, de la plaine de Béthaïtra, de Mahatsinzo et d’Orangea.
L’Agent des Affaires indigènes d’Anamakia fera le recensement d’Antongombato et de tous les villages dépendant du territoire d’Anamakia.
Les Agents des Affaires indigènes du Sakaramy, de Babaomby et d’Ambararatra feront le recensement des habitants des localités comprises dans leurs circonscriptions.
[…]
Ces tableaux devront être remis au Secrétaire Général de la Colonie le 25 janvier 1896.
Antsirane, le 3 décembre 1895.
Signé : V.Lanrezac »

Si cette décision revêt une certaine importance, en revanche, la lecture du J.O de Diego Suarez, pendant l’année 1896, est révélatrice du peu de pouvoirs qu’ont les divers administrateurs qui gèrent Diego Suarez dans la période incertaine qui va de la prise de Tananarive à la loi d’annexion qui fera de Madagascar une colonie française. En dehors des mutations, des nominations, des informations sur les naissances, les mariages et les décès, on y lit surtout la liste des différentes taxes (sur les marchés, sur les chiens, sur la viande etc.). On y lit cependant des informations qui laissent deviner les incertitudes sur le statut de Diego Suarez : ainsi, dans le n° du 20 juillet 1896, le gouverneur par intérim (un militaire, le lieutenant –colonel Brun) demande au Résident Général à Tananarive si le régime des concessions de terre à Diego Suarez, restée « possession française » est le même que celui des autres villes de Madagascar. A quoi il est répondu que « Diego Suarez formant une Colonie distincte, les lois locales y demeurent en vigueur et que les actes, lois et arrêtés concernant le reste de l’île ne s’appliquent pas à cette possession…»
Il y a effectivement de quoi s’y perdre… En tous cas, la population y a perdu, en perdant ses militaires, une grande partie de ses revenus. Dans les années qui suivent, Diego Suarez va – difficilement – tenter de survivre
■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez - 1895 : Diego Suarez dans la guerre

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1 septembre 2015

 

Enrôlements à La Réunion en 1895

Très rapidement après la rupture des relations diplomatiques, une expédition militaire est organisée par la France qui commence ses opérations dès le mois de décembre 1894

Dès que le gouvernement français eut donné son accord à une expédition militaire sur Madagascar, le 8 décembre 1894,l’aviso Le Papin, posté à Maurice partit pour Tamatave où il arriva le 11 décembre. Le 12 décembre, le commandant Bienaimé prit possession du port de l’Est, aidé de 3 compagnies d’infanterie de marine de la garnison de La Réunion, arrivées le 3 décembre sur le Peï-Ho. Sitôt la nouvelle de la prise de Tamatave arrivée à Diego Suarez, les Français avaient attaqué les postes occupés par les Hovas dans les environs d’Antsirane.

Les combats autour de Diego Suarez

Dès le mois de décembre, Diego Suarez avait été mis en état de défense et de nouveaux ouvrages défensifs avaient été construits, de nouvelles troupes étaient arrivées et, dès les premiers jours de 1895, le corps des tirailleurs de Diego Suarez avait été réorganisé. Prenant dorénavant le nom de « tirailleurs malgaches » il fut constitué en un régiment de 3 bataillons comprenant chacun 4 compagnies. Il était commandé par un colonel appartenant, comme les officiers et les sous-officiers, à l’infanterie de marine. Chaque compagnie comprenait 4 officiers, 11 sous-officiers, 1 fourrier et 2 clairons européens, 8 sergents, 16 caporaux, 2 clairons, 71 tirailleurs de 1ère classe et 143 de 2ème classe indigènes. En réalité, en raison des difficultés de recrutement, il fallut enrôler des Comoriens pour compléter les effectifs sakalaves.
Avec l’arrivée des volontaires de La Réunion, le commandant en chef des troupes de Diego Suarez décida de « donner de l’air » à sa garnison. Les soldats de la garnison, qui comprenait 4 compagnies d’infanterie de marine, la 2ème compagnie de disciplinaires et un détachement d’artillerie, opérèrent de nombreuses sorties de reconnaissance. Au début de février, le capitaine Rouvier occupa Antongombato. Le 19 février, les troupes de Diego Suarez attaquèrent le retranchement hova du Point 6, qu’ils emportèrent après une lutte acharnée qui coûta 7 blessés aux français. Le 20 février Antanamitarana était occupé par le commandant Pardes et ses tirailleurs sakalaves. Cependant, les pluies ayant commencé, les opérations furent interrompues. Elles reprirent en avril et furent marquées par la prise de la forteresse hova d’Ambohimarina.

La prise d’Ambohimarina

Voici le récit de ce combat tel que nous le décrit le R.P Malzac, auteur de l’Histoire du royaume hova.
« Au mois d’avril, on résolut d’enlever Ambohimarina, situé à trois ou quatre heures au sud d’Antsirane sur un pic escarpé qui rendait la position imprenable. La situation des Hovas était plus critique que ne le pensaient les français. La population d’Ambohimarina s’élevait, il est vrai, à environ 4000 personnes. Mais les femmes, les enfants et les esclaves en constituaient le principal contingent. » En fait, comme nous l’avons vu dans le précédent article, les femmes et les enfants des officiers hovas étaient déjà partis, depuis le 5 novembre, ramenés à Tananarive par un bateau français. Laissons le R.P Malzac reprendre son récit : « Il n’y avait en réalité qu’un millier de combattants, n’ayant à leur service que 350 fusils Schneider et quelques canons Hotchkiss. [...] Dans la nuit du 11 au 12 avril, l’armée française se mit en marche vers Ambohimarina. Elle était composée de deux compagnies de volontaires de la Réunion sous les ordres du commandant Martin, de trois compagnies d’infanterie de Marine et d’une section d’artillerie. A 4 heures du matin, les compagnies de volontaires prenaient contact avec les avant-postes ennemis, et les culbutaient jusqu’à un bois voisin, d’où ils les délogèrent encore après un vif engagement. La nuit étant venue, les volontaires prenaient un peu de repos dans un camp formé à la hâte, lorsque, vers 9 heures, leur commandant ayant reçu des renseignements sur la situation de l’ennemi, donna l’ordre de se remettre en marche. Vers 10 heures, on prit de nouveau contact avec l’ennemi. Abrités derrière un retranchement, les Hovas fusillaient les volontaires sans leur faire grand mal. Mais attaqués à la baïonnette, ils furent aussitôt pris de panique et lâchèrent pied pour se réfugier derrière un second retranchement. Après une halte d’une demi-heure, la petite colonne française se dirige vers ce second retranchement, et à 4 heures du matin la fusillade recommence. Les Hovas, culbutés encore, s’enfuient dans toutes les directions. La victoire était décisive. » Quand le commandant Martin et ses troupes pénétrèrent dans la forteresse, ils y trouvèrent, d’après Malzac « un immense butin, les munitions, des provisions abondantes, cinq mille bœufs et des porcs et des volailles par milliers ». C’est effectivement ce que l’on lit dans les journaux français de l’époque mais, d’après d’autres témoignages, le butin fut plutôt maigre... Le gouverneur d’Ambohimarina, Ratovelo, alla se réfugier à Vohemar avec le reste de ses troupes et de la population du fort . Il semble que le trajet fut difficile puisque la marche, ralentie par les femmes et les enfants dura 15 jours au lieu des trois que durait généralement le voyage !
La prise de la forteresse d’Ambohimarina donna lieu à de multiples récits, pas toujours concordants, dans la presse française, certains insistant sur la vaillance des volontaires réunionnais, d’autres (notamment le délégué de Diego Suarez, Henri Mager),assurant que le fort était tombé sans résistance. Henri Mager, insiste aussi sur le rôle des Antankarana : « Les Antankares nous ont aidé dans cette prise, car si notre tactique militaire a préparé le succès de nos armes, nos alliés pourchassaient les hovas depuis un mois environ ; ils leur ont pris des boeufs, des esclaves et un canon qui se trouve en ce moment à Nossi-Mitsiou, chez le roi des Antankares, Tsialana. »

La participation des troupes de Diego Suarez à la prise de Majunga

Si les volontaires de La Réunion avaient été lancés à l’assaut d’Ambohimarina (avec « beaucoup de résistance et de sang-froid » d’après le rapport du Général Duchesne), c’est qu’une grande partie des troupes de Diego Suarez participaient à l’occupation de Majunga. En effet, « un détachement comprenant deux compagnies d’infanterie de marine et une section d’artillerie, sous les ordres du chef de bataillon Belin, avait été constitué, dès le 7 janvier à Diego Suarez ; il fut embarqué, les 13 et 14 janvier, à bord de la Rance et de la Romanche, qui appareillèrent ensuite pour Majunga et y arrivèrent le 16 janvier. La place avait été bombardée, dès le 14 janvier, de onze heures à midi, puis, occupée le 15, sans coup férir, par les compagnies de débarquement des bâtiments de la division navale. Les unités d’infanterie et d’artillerie de marine venues de Diego Suarez y furent débarquées, l’état de siège proclamé et le commandant Belin nommé commandant supérieur. » (Rapport du Général Duchesne).

Et pendant ce temps-là à Diego Suarez...

Les auxiliaires Sakalaves aux combats d'Ambohimarina

Depuis le 24 décembre 1894, comme nous l’avons vu dans l’article précédent, la ville était en état de siège ce qui perturbait fortement la vie quotidienne des antsiranais et empêchait les relations et le commerce avec la campagne environnante. De toutes façons, la plupart des concessions à Anamakia et à la Montagne d’Ambre avaient été pillées et l’usine d’Antongombato, la Graineterie française, occupée, avait suspendu ses travaux. Cependant, après la prise d’Ambohimarina, l’état de siège fut levé et, d’après Henri Mager « depuis cet évènement, la colonie de Diego Suarez semble vouloir respirer, et les habitants, soumis à toutes les rigueurs d’un état de siège, peuvent aller, sans danger, visiter leurs propriétés dévastées ; les concessions pourraient être cultivées et remises en valeur, mais les malheureux colons ruinés ne pourront jamais recommencer à travailler sans l’appui du gouvernement. Il y a certainement beaucoup de misères à soulager ». Mager oublie de dire que les misères à soulager sont également celles de la population malgache prise entre deux feux...
La parole étant aux canons, le rôle des civils devint moins importants et le Gouverneur Froger, qui avait été un de ceux qui avaient poussé à la guerre par son intransigeance, commença à disparaître de la vie publique antsiranaise au profit des administrateurs et surtout des militaires. Il faut dire que la situation politique de Diego Suarez n’était pas claire : il n’y avait plus à Tananarive de Résident français dont dépendait le Territoire et Madagascar était encore un royaume gouverné par la Reine. Par ailleurs, la longue rivalité entre civils et militaires sur le Territoire avait évidemment penché, en raison de la guerre, en faveur des militaires.
Pour organiser la vie administrative de Diego Suarez, le Territoire se dota alors d’un Journal Officiel publiant les décrets qui allaient régir la vie de la population hétéroclite du Territoire.

Un journal officiel pour Diego Suarez

Le Journal officiel de Diego Suarez et Dépendances commença à paraître en janvier 1895. Le premier numéro, daté du 5 janvier 1895 précise sa périodicité et son contenu :
« Article Premier. - La publication du Journal Officiel de la Colonie aura lieu à partir du 1er janvier 1895.
Article 2.- Le Journal Officiel paraîtra le 5 et le 20 de chaque mois et sera tiré à 200 exemplaires. Il contiendra tous les arrêtés, décisions et, généralement, tous les actes ou documents que l’Administration jugera utile de faire publier. »

Déjà, l’effacement du Gouverneur se fait sentir puisque, si les avis sont signés « Froger », en pratique le Secrétaire Général signe « pour ordre »
La lecture du J.O de Diego Suarez, qui paraîtra pendant 2 ans, est révélatrice de ce qui se passe à Diego Suarez pendant cette période troublée. On y apprend les nouvelles administratives, par exemple l’institution d’un Conseil d’Administration qui siégera auprès du Gouverneur et qui comprend le Commandant supérieur des Troupes (n° du 5 janvier 1895) ; les nouvelles commerciales, comme l’arrêté portant réglementation du commerce des armes et munitions, et qui – état de guerre oblige – interdit l’importation, la vente, le transport et la détention des armes à feu, de la poudre, des balles et des cartouches. Mais le J.O prend des arrêtés plus « quotidiens » comme la réglementation des « droits à percevoir des vendeurs dans le marché d’Antsirane », marché appartenant à l’indien Charifou Jeewa ; ou bien la liste des nominations, mutations et mouvements des fonctionnaires ou négociants. Y apparaissent aussi des décisions qui relèvent davantage des opérations militaires en cours comme celle prise par le Chef de la division navale de l’Océan Indien, Bienaimé : « Le Commandant de la Corrèze exercera la surveillance de la police de la rade de Diego Suarez et sera chargé de l’arraisonnement de bâtiments. Il aura la haute main sur la Direction du Port. » (2 janvier 1895)
Au fil des numéros, on voit disparaître le rôle du Gouverneur. Dès le 5 février, les arrêtés sont promulgués par « Le lieutenant-colonel, Commandant supérieur des Troupes, chargé de l’expédition des affaires courantes en l’absence du Gouverneur ». On voit également apparaître une rubrique d’Etat-civil portant la liste des naissances, décès et mariages des ressortissants français. Le n° de mars débute par un appel aux « habitants de Madagascar » signé par le Chef de la Division navale pour obtenir le ralliement des malgaches (et principalement des « Antankares » et des Sakalaves) : « La France, émue de vos souffrances, reprend aujourd’hui ses droits et vient à votre secours. Vous pouvez compter sur son appui : venez franchement à nous et vous trouverez à l’ombre de notre pavillon aide et protection. » En fait, il s’agit surtout de remettre en marche la machine économique : « Ceux qui nous aideront comme travailleurs ou porteurs, ceux qui nous vendront leurs bœufs ou toutes autres provisions, seront régulièrement payés »... (26 janvier 1895)
Le n° du 5 avril 1895 fait un pas de plus dans le rapprochement en publiant la loi d’amnistie promulguée le 1er février 1895 par le Président de la République française :
« - Article Premier : - Amnistie pleine et entière est accordée pour toutes les condamnations prononcées ou encourues jusqu’au 23 janvier 1895 à raison :
1° De crimes, d’attentats ou de complots contre la sécurité intérieure de l’Etat
2° De délits et contraventions en matière de presse, de réunion et d’association, à l’exception de délits de diffamation et d’injures envers les particuliers ;
3° De délits et contraventions en matière électorale ;
4° De délits et contraventions se rattachant à des faits de grève. »

Les numéros suivants de 1895 ne mentionneront plus, dans l’ensemble, que la gestion des affaires courantes, ce qui tend à montrer que le calme était revenu à Diego Suarez, très éloigné des combats qui se menaient ailleurs. Le numéro du 5 août prend d’ailleurs acte de cet état de fait en publiant, sous la signature du Commandant supérieur des Troupes, l’arrêté de suppression de l’état de siège sous lequel vivait le territoire depuis fin 1894 : « Vu l’état de tranquillité actuel de la Colonie ». Autre signe de la normalisation de la situation, le J.O d’octobre 1895 retire au commandant de la Corrèze le service de l’arraisonnement pour le confier au médecin chargé des services civils : les bateaux entrant en rade de Diego Suarez seront arraisonnés pour raisons sanitaires et plus pour raisons militaires !
Ailleurs, la guerre continuait ; depuis février 1895 l’état-major du corps expéditionnaire avait été constitué et des dizaines de paquebots avaient débarqué les troupes à Majunga d’où partit l’expédition vers Tananarive. De nombreux combats émaillèrent la route vers la capitale qui capitula le 30 septembre 1895 . Mais, même si de nombreux soldats de Diego Suarez, français ou malgaches, participaient aux opérations, le calme était revenu à Diego Suarez. Et peut-être trop : Diego Suarez allait désormais être, pour plusieurs années, une ville assoupie...
■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez - 1894  : et pour finir... la guerre 3ème partie

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2 octobre 2015

Le dernier trimestre de 1894 va voir la fin des efforts diplomatiques pour éviter la guerre entre la France et Madagascar. L’ultimatum français signifié par le représentant de la France Le Myre de Vilers étant resté sans réponse, l’année s’achève par la déclaration de guerre

Le personnel de la Résidence française quittant Tananarive

Le personnel de la Résidence française quittant Tananarive

Le Myre de Vilers quitta Tananarive le samedi 27 octobre. En cela il obéissait aux instructions qu’il avait reçues de son gouvernement, tout en ayant l’impression d’un immense gâchis comme il l’exprime dans une lettre au Directeur du Journal Officiel : « Mieux que personne, je comprenais la nécessité d’éviter une expédition militaire, dont l’inutilité me paraît certaine. [...] Comme dans tous les conflits, les deux partis ont également des torts, mais en fait d’incorrections, le pompon nous appartient ». Et il terminait sa lettre par ces mots : « J’accepte l’inévitable tout en regrettant d’attacher mon nom à une entreprise que je crois mauvaise ».

Diego Suarez à l’approche de la guerre

Dès le début d’octobre, les militaires en poste à Diego Suarez sont sur le pied de guerre. C.Vray, femme de capitaine, écrit le 6 octobre dans son livre Mes campagnes : « Pierre [son mari - NDLA] vient de recevoir l’ordre de se tenir prêt à partir en mission ; il doit s’embarquer sur La Rance. On n’a rien voulu me dire, mais ce ne peut être qu’à Majunga faire quelques projets de guerre sur le papier ». Et, tandis que son mari, avec ses chefs, se plonge dans les cartes, C.Vray égrène quelques réflexions sur la guerre qui approche : « Pourquoi cette guerre ? Pourquoi cet affreux mal ? Pourquoi ce trouble inutile à tous ? et elle cite Guy de Maupassant : « La guerre... se battre... s’égorger... massacrer des hommes... et nous avons aujourd’hui, à notre époque, avec notre civilisation, notre science et notre philosophie, des écoles où l’on apprend à tirer de très loin, avec perfection, beaucoup de monde en même temps, à tuer des tas de pauvres gens innocents et chargés de famille ». Mais ces réflexions, qui ne sont sans doute pas celles de son militaire de mari, ne sont pas non plus celles des autorités (à Paris et à Diego Suarez)qui se préparent à la guerre !

Les préparatifs de la guerre ...en France

Dès le 13 novembre 1894 le Ministre de la guerre français dépose un projet de loi « portant ouverture aux ministres de la guerre et de la marine de crédits montant à la somme de 65 millions pour pourvoir aux dépenses de l’expédition de Madagascar » (Journal Officiel du 13 novembre 1894). De longs débats vont s’ensuivre qui évoqueront souvent le sort de Diego Suarez : les limites de son territoire, son avenir si la France n’intervenait pas etc. En réalité, le sort de Diego Suarez est souvent le pivot des débats parfois très vifs qui se font à l’Assemblée Nationale comme on peut le voir dans cet extrait de la séance du 24 novembre 1894 : « Eh quoi ! on nous proposerait sérieusement de laisser sans défense ce poste de Diego Suarez, celui qui importe plus que tous les autres à notre influence politique ; ce poste qu’on nous a présenté comme le siège et la garantie nécessaire de notre puissance dans les mers de l’Inde ! Comment ! On abandonnerait à la garde de 200 hommes cette immense baie destinée à abriter nos flottes militaires et marchandes ? De telles affirmations me confondent, et je ne puis comprendre qu’on ait pu les produire à la tribune.» (intervention de M. Delbet en réponse à la proposition d’envoyer les 2000 soldats de Diego Suarez occuper Tananarive). Ces débats aboutissent le 26 novembre au vote de la totalité des crédits demandés, par 377 voix contre 143. Le 6 décembre 1894, le Sénat adopte à son tour le projet de crédits par 267 voix contre 3. Immédiatement, ces crédits sont utilisés, notamment pour renforcer la garnison de Diego Suarez.
Le Journal des Débats annonce le 12 décembre 1894 : « Le paquebot Araouaddi des Messageries Maritimes, qui part aujourd’hui de Marseille, emmène 380 soldats de l’infanterie de marine à destination de Diego Suarez. Dans le chargement figurent 80 tonnes de munitions de guerre pour Madagascar.» et le 24 décembre : « Un nouveau détachement d’infanterie sera envoyé, le 3 janvier prochain, à Diego Suarez, pour compléter à 200 hommes toutes les compagnies d’infanterie de marine qui s’y trouvent actuellement, en vue de l’expédition de Madagascar.»

... et à Tananarive

A Tananarive, la mobilisation générale est décrétée et la Reine et le Premier Ministre exhortent la population à résister aux envahisseurs. D’après L’avenir de Diego Suarez, les Hovas ont reçu des milliers de fusils anglais mais, toujours d’après le journal, ceux-ci sont en mauvais état...

A Diego Suarez on se prépare aussi à la guerre...

A Antsirane, la situation est ambigüe. Malgré les escarmouches qui se produisent entre hovas et français, malgré l’inquiétude générale, les relations entre les autorités françaises et le gouvernement hova du fort d’Ambohimarina restent empreintes de la plus parfaite courtoisie. C’est ainsi qu’en 1894, comme les années précédentes, les français furent invités à célébrer la fête du « Bain de la Reine » dans la citadelle d’Ambohimarina, invitation qu’en raison de la situation politique ils préférèrent décliner. Par ailleurs, le 5 novembre, alors que les hostilités ont pratiquement commencé, la France se charge d’embarquer les épouses des officiers hova d’Ambohimarina que, sur ordre du Premier Ministre de la Reine, il faut renvoyer à Tananarive : « Le gouverneur les a pilotées toute la journée, reçues à déjeuner, logées au gouvernement (la Résidence), puis, finalement, conduites au bateau et recommandées chaudement au commandant.» (C.Vray)
Cependant, ainsi que nous l’avons vu dans l’article précédent, la population, craignant une attaque des hovas d’Ambohimarina, est sur le qui-vive et, depuis juillet 1894, une milice civile constituée de volontaires a été mise en place par le gouverneur Froger. Le 17 octobre, une circulaire officielle placardée sur le fameux tamarinier de la ville basse, fait encore monter la tension, aussi bien auprès de la population européenne que de la population malgache. Voici le texte de cette fameuse circulaire :
ORDRE GENERAL

Le gouverneur de Diego Suarez et dépendances

Un appel aux armes à Tananarive

Un appel aux armes à Tananarive

Vu les troubles qui règnent sur les frontières et dans une partie du territoire de la colonie et pour rassurer la population contre les dangers d’incendie et de pillage;
Décide :
A partir de samedi, 20 courant, jusqu’à nouvel ordre, il est interdit à quiconque n’est pas fonctionnaire ou militaire en service de pénétrer dans Antsirane du coucher du soleil jusqu’à 5 heures du matin sans un passeport délivré par le gouverneur;
Il est interdit de pénétrer dans la ville par d’autres voies que la route neuve d’Anamakia et la route d’Ambohimarina.
A partir de 10 heures du soir jusqu’au lever du soleil nul ne pourra circuler en ville sans être muni d’un fanal.
Toute contravention à la présente décision sera punie d’une amende de 15fr. [environ 60 euros ou 200.000 Ariary NDLA] et d’un emprisonnement de 2 à 5 jours.
La présente décision sera publiée et communiquée dans toute la colonie.
Diego Suarez, le 17 octobre 1894.
Le Gouverneur.
Signé : FROGER
Avec son humour habituel, C.Vray voit le bon côté des choses : « Somme toute, c’est une bonne affaire que cette ordonnance des lumières pour le soir, les chemins sont tellement pierreux et mauvais, qu’on risquait toujours de se casser le cou ». Mais ce n’est pas une bonne affaire pour ceux, et surtout les malgaches, qui n’ont pas le droit de circuler le soir, et qui, s’ils n’habitent pas en ville, sont entassés dans le marché d’où ils ne pourront sortir qu’au petit jour.
Si le gouverneur Froger a tendance à dramatiser la situation, il est cependant certain que celle-ci, sur le plan national et sur le plan local s’est beaucoup aggravée.

La guerre avant la guerre : les premiers affrontements

Si l’on en croit le rapport du Général Duchesne établi après l’expédition « Aussitôt après la rupture des négociations, les Hovas avaient envahi le territoire de notre colonie de Diego Suarez et y avaient établi une série de postes plus ou moins fortifiés ». Mi-novembre les journaux parisiens annoncent que « les Hovas concentreraient des troupes autour de Diego Suarez». Dotées d’une artillerie, ces troupes, sous la direction du prince Ramahatra et du général Ravoninahitriniony, rassemblent des soldats issus de nombreuses tribus de l’Ile. Dès novembre, un camp hova est installé Mahagaga et une batterie est positionnée près du Point 6.
Du côté français, dès novembre 1894, la décision avait été prise de fortifier le territoire français de Diego Suarez. L’usine d’Antongombato est dotée de canons et certains colons sont armés. Des troupes prélevées à La Réunion sont envoyées à Diego Suarez en novembre; en décembre le Journal des débats indique que le Ministre de la Marine a télégraphié au port de Toulon de « prendre dans la 4ème brigade d’infanterie de marine 2 lieutenants et 250 hommes destinés à aller renforcer la garnison ». Le 25 décembre un nouveau détachement d’infanterie est prévu.
Cependant certains espèrent encore que la guerre pourra être évitée. Le Journal des débats du 24 novembre, relate la proposition du député Dumas qui « propose un expédient qui consisterait à occuper Diego Suarez et quelques autres points de l’Île, en renonçant à marcher sur Tana ». Mais en fait, la décision d’une expédition militaire sur Madagascar est déjà prise à Paris et sur le terrain, les hostilités ont déjà commencé. Les premiers affrontements vont commencer début décembre sur le territoire de Diego Suarez. Depuis le 1er décembre, les pluies ont commencé à tomber et les sentiers étant devenus impraticables Diego Suarez est isolé et connaît de gros problèmes de ravitaillement. Les colons ont été évacués de la Montagne d’Ambre, du Point-Six et d’Ivondro et ont été regroupés à Antsirane ou à l’usine de la Graineterie française d’Antongombato. Les Hovas envahissent, le 4 décembre le sanatorium de la Montagne d’Ambre. Se rapprochant d’Antsirane, ils incendient, courant décembre le poste français d’Antanamitarana et le village de Betahitra. Obéissant aux ordres reçus, les soldats français restent sur la défensive mais le 9 décembre, d’après le journal d’Antsirane Le Clairon, la gendarmerie intervient à Anamakia : « Elle (la gendarmerie) a fait une razzia de cent dix Mavoorongs (sic), qu’elle a conduit à Antsirane, où ils sont provisoirement sous clef, en attendant l’instruction qui sera la conséquence de leur présence non justifiée sur le territoire français. Ces hommes ont fait irruption dans le village d’Anamakia, qu’ils avaient, par ordre hova, la mission d’incendier avec toutes les récoltes pendantes ou déjà emmagasinées...» Le 19 décembre, à 5h du matin, un détachement de tirailleurs sakalaves, sous la conduite du capitaine Jacquemin, attaque un petit poste hova à Bekaraoka d’où les occupants, pris par surprise sont délogés. Le 22 décembre, les troupes hova mettent le feu à plusieurs concessions et le 23 décembre, 150 hommes attaquent le poste de Mahatsinjo, d’où ils sont repoussés par les tirailleurs sakalaves de Diego Suarez.

Diego Suarez en état de siège

Le 24 décembre 1894 la Colonie de Diego Suarez est déclarée en état de siège par le commandant de la division navale et le lieutenant-colonel Piel, de l’artillerie de marine est nommé commandant supérieur (rapport du général Duchesne). Ce dernier prit ses dispositions pour mettre la ville d’Antsirane en état de défense. La garnison de la ville comptait seulement 4 compagnies d’infanterie de marine, la 2ème compagnie de disciplinaires et un détachement d’artillerie. Officiellement, on n’était pas en guerre, le corps expéditionnaire n’avait pas encore débarqué mais, depuis quelques mois personne ne s’y trompait : les hostilités avaient commencé... et à Diego Suarez, la sensible C.Vray évoque, dès le 31 octobre le désarroi et l’inquiétude de la population : «...le courrier de Tamatave est signalé; il entre en rade et cette fois nous rapporte des nouvelles graves [...] en 5 minutes nous sommes sur le quai. Toute la population est là, officiers et civils, indigènes de toutes sortes : Antankares, Sakalaves, Antémours ; car tous ces gens sont venus de très loin, pour savoir ce qui a été décidé sur leur sort et ce qu’ils vont devenir ; eux aussi sont anxieux, les pauvres gens ; comme nous, ils vont et viennent, formant des groupes, courant de l’un à l’autre pour recueillir quelques débris de phrases, quelques nouvelles enfin. [...]Au milieu du va et vient, nous finissons par recueillir ces mots, ces terribles mots qui vont de bouche en bouche et qui se transmettent ici dans plusieurs langues : « La guerre..., la guerre..., la guerre ». C’est comme une traînée de terreur et de stupéfaction que ces deux mots laissent après eux : évidemment on le savait, on le prévoyait, ce terrible résultat; mais, c’est égal, tant qu’une chose n’est pas faite, sait-on jamais?».
En fait, la notification de l’état de guerre ne fut faite, au chef de la division navale française, que le 11 décembre. Dès le 12 décembre, un détachement français s’emparait de Tamatave. Les hostilités étaient officiellement commencées
■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez - 1894  : la guerre des chefs 2ème partie

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17 septembre 2015

Charles Marie Le Myre de Vilers (1833 - 1918) Résident général de Madagascar

Le premier semestre de 1894 a été marqué, à Diego Suarez, par une montée des tensions entre le Territoire (sous domination française) de Diego Suarez et le gouvernement malgache de la forteresse d’Ambohimarina, fidèle à la reine. Ces tensions vont s’aggraver au fur et à mesure que le gouvernement central de Tananarive et la France durciront leur position réciproque

La détérioration des rapports franco-malgaches

Le traité de 1885 qui accordait entre autres le territoire de Diego Suarez à la France n’avait jamais été vraiment accepté par les deux parties en présence. Dès le début de 1894, les rapports entre les deux gouvernement se détériorèrent gravement. En octobre 1894, le représentant de la France, Le Myre de Vilers présenta au Premier Ministre malgache Rainilaiarivony un additif au Traité de 1885 qui établissait en fait le protectorat de la France sur la totalité de Madagascar ; puis, le 20 octobre, il adressa un ultimatum au gouvernement malgache. Faute d’un accord, Le Myre de Vilers quittait Tananarive le 27 octobre. Les relations étaient définitivement rompues. Comme le dirent les observateurs de l’époque « la parole était aux canons ».

Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, dans le Nord, on s’armait de part et d’autre depuis quelques mois. Les effectifs militaires du fort merina d’Ambohimarina s’étaient considérablement renforcés, des armes et des munitions étaient arrivées et les soldats s’exerçaient sous la conduite de deux officiers anglais. Du côté français, de nouvelles troupes étaient venues renforcer la garnison et des crédits pour des munitions avaient été votés. Les mois qui allaient suivre virent les deux gouverneurs, hova et français faire assaut de provocations réciproques.

 

Des intimidations de part et d’autre

Le gouverneur Ratovelo informa les autorités françaises, le 20 juin 1894, qu’il avait pour mission d’administrer la région en dehors de la limite d’un mile et demi de Diego Suarez, en vertu de l’appendice au Traité signé en 1885 et que, par suite, il demandait l’évacuation de tous les postes français en dehors de ces limites. Froger écrivit alors au Ministre des colonies (lettre du 6 juillet 1894) : « L’attitude arrogante des Hova s’est tournée ces jours derniers en hostilités déclarées. Les nouvelles de Tananarive sont de plus en plus mauvaises. Au Cap, à Natal, à Maurice, on recrute ouvertement des instructeurs et des aventuriers anglais pour nous faire la guerre ». Et il ajoutait, dans un autre courrier, que l’on recrutait, à prix d’or, de nombreux officiers étrangers, dont des allemands. Cependant, sa hiérarchie lui recommanda de ne pas céder aux provocations. Fin juillet, Froger avertit que plusieurs centaines de hovas occupaient des villages où flottait le pavillon français. A la suite de l’intervention du Résident Général Larrouy auprès de la cour de Tananarive, les Hovas évacuèrent la quasi totalité des villages occupés sur les flancs de la montagne d’Ambre. Mais la guerre des gouverneurs se poursuivit à travers menaces et promesses. Tandis que Ratovelo enjoignait aux français établis en dehors des limites françaises de quitter les lieux et annonçait que les français seraient bientôt jetés à la mer, le gouverneur Froger « bombardait » son administration de nouvelles alarmantes.

Une grande rue avec le tamarinier où étaient affichées les proclamations

Une grande rue avec le tamarinier où étaient affichées les proclamations

Des « escarmouches » à Diego Suarez

Les duels verbaux s’étaient doublés, dès le second trimestre de 1894 de heurts entre les deux camps. Dès le mois de juillet un certain nombre d’accrochages avaient opposé les français aux malgaches d’Ambohimarina. Un des plus importants se produisit le 1er juillet. Voici le récit qu’en donne, le 20 août 1894, le journal Le Gaulois : « On lit dans le Madagascar, arrivé ce matin, par le paquebot Amazone : "Nous avons reçu de graves nouvelles de Diego Suarez ; nous les donnons sous réserves ; On se souvient que les gendarmes d’Antsirane, envoyés par le gouverneur, M.Froger, pour se rendre compte de l’installation des Hovas à Ambibaka, sur le territoire français, avaient capturé sept indigènes armés qui ont été écroués. Dernièrement, Ratovelo, gouverneur d’Ambohimarina, a pris sa revanche paraît-il. Un administrateur des affaires indigènes à Antsirane, s’étant risqué avec deux de ses agents, dans la zone française envahie par les Hovas, aurait été enlevé avec deux agents et amené à Ambohimarina. Le 17 juillet, les trois français étaient encore prisonniers. Le même jour, le commandant du bataillon de tirailleurs sakalaves, avec 100 à 150 de ses hommes et 50 soldats d’infanterie de marine, a été envoyé pour réclamer à Ratovelo la mise en liberté immédiate de l’administrateur et de ses compagnons, avec ordre de les reprendre de force en cas de refus" ».
Une autre version – moins dramatique – de ces évènements est donnée dans son livre Mes campagnes par C.Vray, femme d’un capitaine de Diego Suarez : « Hier un petit évènement de guerre est venu rompre un instant la monotonie de notre existence. Des gendarmes ont amené ici, par ordre du gouverneur, 8 prisonniers hovas, que l’on avait trouvé armés sur notre territoire ; c’est de Mahatinzo (poste des sakalaves commandé par nos officiers) que l’on avait eu vent de la chose ». Là où le Gaulois parle de « graves nouvelles » C.Vray parle d’un « petit événement » : en fait, il semble bien que la politique du gouverneur de Diego Suarez, Froger, ait consisté à grossir l’importance des évènements susceptibles de justifier des actes de guerre.
La suite du texte de C.Vray confirme cette impression : « Hier soir le poste télégraphiait que les Hovas faisaient une distribution de fusils aux indigènes et paraissaient vouloir attaquer ; ici, l’alerte a été donnée ; on était prêt à les recevoir mais, grâce à Dieu, l’ennemi n’a pas bougé et tout me paraît maintenant rentré dans l’ordre, à part les prisonniers qui, eux, ne sont pas du tout rentrés chez eux ». et la suite du texte parle de « fausse alerte ».
Mais il ne semble pas que le gouverneur Froger ait voulu considérer cet incident comme mineur si l’on en juge par sa proclamation officielle (affichée, comme tous les documents officiels, sur le Tamarinier qui poussait au milieu de la rue de la République, dans la ville basse) :
« Le gouverneur de Diego Suarez et dépendances.
Les Hovas ont envahi le territoire de la colonie !
Il n’est pas sûr que ce soit un commencement d’hostilité ; mais les nouvelles de Tananarive font craindre une tension telle dans nos relations politiques avec le gouvernement d’Imerina, que nous avons à redouter une période de trouble où la sécurité de la ville serait menacée par les pillards et les incendiaires. Dans ces conditions, la police locale serait insuffisante. L’administration fait appel aux volontaires pour seconder la police en prévenant les incendies et les pillages à main armée.
Les engagements seront reçus à la Direction de l’Intérieur.
La police volontaire sera tout à fait distincte de la police locale, elle sera directement sous les ordres du secrétaire général. Une décision fixera l’organisation de la police volontaire.
Antsirane, le 2 juillet 1894.»

Mais l’attitude belliqueuse des deux gouverneurs n’était pas forcément appréciée par leurs hiérarchies respectives. Le Premier Ministre malgache, Rainilaiarivony conseilla au gouverneur d’Ambohimarina d’éviter les confrontations avec les français, quant au gouverneur Froger, il fut fermement invité par le Ministre des Affaires étrangères à Paris, à éviter les occasions de conflit.

Les Antankarana entre deux feux

Les Antankarana, qui s’étaient rangés du côté des français lors de la « guerre » de 1885 (qui avait abouti à l’octroi à la France du Territoire de Diego Suarez) avaient fait l’objet de la part du gouvernement d’Ambohimarina d’une « politique de charme » pour contrecarrer l’attraction qu’exerçait la ville nouvelle d’Antsirane. Les instructions données dans le Nord proclament que « le pardon est accordé à tous ceux qui se sont révoltés [...] que les biens des gens, saisis après la fin des hostilités, doivent être restitués. Les sujets royaux seront administrés avec équité, et encouragés ou entraînés à respecter les lois du royaume. Les officiers sont appelés à déployer tous leurs efforts pour supprimer les foyers de tension et éviter les troubles ». (M.Esoavelomandroso)

Tsialana, roi des Antakaras

Tsialana, roi des Antakaras

Mais cette politique n’a pas eu le succès escompté. Diego Suarez séduit les populations d’abord par sa nouveauté ; par ailleurs les besoins économiques du nouveau Territoire entraînent des salaires motivants pour les populations avoisinantes. Enfin, Diego Suarez, d’après l’expression du Gouverneur Froger est une « terre de liberté » c’est à dire que l’esclavage y étant interdit, elle est devenue le refuge des esclaves en fuite. Aussi, en 1894, quand les relations se tendent entre la France et Madagascar, le gouverneur d’Ambohimarina, Ratovelo fait savoir que les malgaches qui se rangeraient du côté des français seraient sévèrement punis. De son côté, le gouverneur de Diego Suarez, Froger, courtise étroitement le roi Antankarana Tsialana, qui est associé aux fêtes françaises comme nous le raconte C.Vray dans son livre :
« Le roi des Antankares
Août
Il y a une quinzaine est arrivé à Antsirane le roi des Antankares et toute sa suite ; il est venu à petites journées pour rendre sa visite au gouverneur et saluer les Français ses amis, ainsi qu’il a coutume de le faire chaque année à l’occasion du 14 juillet ».

Mais, l’amitié de Tsialana ne suffit pas : dans une lettre du 29 août 1894, Froger signale que : « Les enfants de Tsialana sont venus à Diego Suarez informer que ses hommes ont déserté sur les menaces d’officiers hova qui sont venus leur dire que les Français allaient être jetés à la mer, qu’ils avaient perdu deux forts et qu’ils n’osaient sortir d’Antsirane ». Et, un mois plus tard, dans une lettre du 28 septembre, il annonçait qu’un traité avait été signé entre les Hova et les Antankara pour que ces derniers s’engagent aux côtés des Hova si la guerre éclatait.
Intox? En tous cas les deux partis essaient de s’assurer l’appui des populations locales dans le conflit qui se profile. Les pillards de toutes sortes profitent de cette situation confuse, se réfugiant, après leurs forfaits à Ambohimarina, si leurs victimes étaient françaises ou à Diego Suarez quand ils s’attaquaient aux Hova. Tous ces troubles, dénoncés par Froger dans une lettre du 1er août 1894, entretiennent la peur et ce que nous appellerions maintenant le réflexe sécuritaire. Une attitude que dénonce C.Vray lorsqu’elle se moque des volontaires français qui ont répondu à l’appel de Froger pour constituer une police parallèle : « A la limite de la ville, nous avons trouvé, en effet, quelques braves individus en chapeau de paille et complet blanc, faisant beaucoup d’embarras avec les fusils qu’on leur avait prêtés ; grâce à Dieu on ne les avait pas chargés ; la chose fût devenue dangereuse avec des gens n’ayant pas l’habitude de manier des armes de guerre ». En réalité, C.Vray a beau se moquer, dès le mois de juillet, tout le monde craint et prévoit la guerre ...sur laquelle l’année finira par déboucher.
(à suivre)
■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez - 1894 : une année qui commence mal...

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17 août 2015

Le port de Diego Suarez après le cyclone du 5 février 1894 : le navire l’Eure est échoué

Le port de Diego Suarez après le cyclone du 5 février 1894 : le navire l’Eure est échoué

L’année 1893 avait vu Diego Suarez se développer sur le plan de l’urbanisme et des communications mais beaucoup restait à faire, dans un contexte politique de plus en plus lourd de menaces

Enlèvement des corps des Ancètres d’Ambohimarina

Enlèvement des corps des Ancètres d’Ambohimarina

Antsirane, une ville qui a encore beaucoup de progrès à faire

Pour les premiers habitants d’Antsirane qui avaient vu le petit village originel devenir une ville, les progrès de l’urbanisme étaient indiscutables et beaucoup s’en réjouissaient. Mais pour les nouveaux arrivants, surtout pour ceux qui venaient de France, la première impression était loin d’être favorable ; ce fut même un choc pour C.Vray, pseudonyme de la femme d’un officier affecté à Diego Suarez, qui décrit dans son livre Mes campagnes son arrivée le 31 mai 1894 dans le port de Diego Suarez : « Oh! cet affreux pays, ce coin de terre française sur lequel on va nous laisser; c’est pis que tout ce que nous pensions; c’est plus triste, plus misérable que personne n’eût osé s’y attendre ». Le débarquement n’améliore pas les impressions qu’elle a eues du pont du paquebot : « Nous commençons par avoir mille peines à aborder, car, bien entendu, il n’y a ni quai, ni jetée, ni embarcadère ». Puis, c’est le premier contact avec la ville basse : « Nous parcourons l’unique rue, où sont de chaque côté les échoppes des marchands indiens, construites en bois avec des toits de fer-blanc, quelques misérables boutiques françaises, tout cela ayant l’air ruiné et minable d’un pays qu’on aurait abandonné depuis longtemps ». Epouse de militaire, C. Vray va loger dans la ville haute où sont construites les casernes et les bâtiments administratifs : «Par des chemins impossibles, trébuchant sur des débris de toutes sortes où brille principalement la boite de conserves, nous allons monter dans la ville haute. Ah! que ce nom est pompeux pour ce que l’on aperçoit ; c’est là qu’on a construit le gouvernement, les casernes, la gendarmerie, les quelques cases où l’on habite. Un peu de commerce s’y est installé comme en bas, des magasins chinois, indiens et français ». On ne saurait être plus enthousiaste !
Il faut dire que Diego Suarez n’est pas au mieux de sa forme, car comme elle l’a appris du directeur du port en arrivant, il y a eu « un cyclone affreux »

Un cyclone affreux

En effet, dans la nuit du 5 février un cyclone « court mais très violent» a ravagé Diego Suarez. Dans son édition des 11 et 12 février le Figaro rend compte des informations que le gouverneur Froger a transmises, via l’Ile Maurice, au Sous-secrétaire d’état aux colonies : « Un cyclone épouvantable a ravagé Diego Suarez dans la nuit du 5 février. L’aviso-transport l’Eure s’est échoué, son renflouement est certain. Les bâtiments militaires et civils ont été très endommagés. L’hospice, l’école, l’église, le marché et les entrepôts ont été entièrement détruits. Les deux tiers des maisons sont culbutées et la population est par suite sans abri. Heureusement, peu d’accidents de personnes et aucun décès. Il nous est encore impossible de calculer les pertes qui paraissent considérables.»
Mais, ce que va découvrir bientôt C. Vray, c’est que la situation politique est pire que la situation économique... En effet, les relations franco-malgaches se sont brutalement dégradées.

Une «situation pitoyable» sur le plan politique

C’est l’expression qu’emploie le Gouverneur Froger dans une lettre envoyée au journal français Le Figaro et qui paraît le 20 février 1894. Selon l’article du Figaro, si la situation est « pitoyable » c’est à cause de la faiblesse du gouvernement français envers le gouvernement de Madagascar : « Jamais, d’ailleurs, le Quai d’Orsay n’a osé revendiquer nettement nos droits de puissance protectrice. Il s’est appliqué, tout au contraire, à se garer du plus petit incident qui aurait pu l’obliger à prendre position ». Conséquences de cette situation, d’après l’article du Figaro : « Aussi, les Hovas, en présence de notre inertie, se sont-ils bientôt cru tout permis et ont-ils résolument relevé la tête ». Et la suite de l’article donne des exemples de cette prétendue agressivité : « Ils arment franchement et il n’est gère de résidence ou de poste français contre lesquels ne soient actuellement braqués quelques canons. A Diego Suarez, tout dernièrement, le troupeau du service administratif fut enlevé sous les murs mêmes du fort de Mahatsinzarivo ». En fait, on s’arme des deux côtés : le fort malgache d’Ambohimarina a reçu des canons supplémentaires et les effectifs militaires français de Diego Suarez ont été renforcés. La situation étant de plus en plus tendue entre les deux gouvernements, malgache et français, la confrontation semble inévitable. D’ailleurs, dans sa lettre, Froger, d’après Le Figaro « estime qu’une expédition – dont on peut d’ailleurs limiter l’importance – peut seule clore à notre avantage (celui de la France) l’ère périlleuse dans laquelle nous sommes entrés ». Ces prédictions pessimistes de Froger ne sont pas partagées par tous, en France. C’est toujours dans Le Figaro qu’un article appelle au calme en rappelant que le gouvernement français a mis l’opinion en garde contre « le pessimisme excessif – et peut-être intéressé – des nouvelles répandues ». Intéressé, car ceux qui répandent ces nouvelles (le gouverneur Froger, le député de Diego Suarez Louis Brunet, François de Mahy député de La Réunion) sont ceux qui animent le « Groupe colonial », favorable à l’annexion de Madagascar. Malgré tout, que ce soit du côté français ou du côté malgache, l’ambiance est tendue dans le nord de Madagascar.

Des bruits de guerre

C’est dans le Petit Parisien du 27 mars 1894 que paraissent les informations suivantes sur la situation dans le Nord de Madagascar : « Des bruits de guerre circulent dans la région de Vohemar. Les hovas et les indigènes ont pris toutes leurs dispositions pour fuir dans la montagne à la première alerte. La disette continue. La population est en proie à la plus affreuse misère ». En fait, ces «bruits de guerre» ne sont pas sans fondements. Malgré l’éloignement et l’enclavement de Diego Suarez, tout le monde sait dans le Nord que les relations entre le pouvoir central malgache et la France se détériorent de jour en jour.

La France arme Diego Suarez

On ne tardera pas non plus à apprendre que l’Assemblée Nationale française, si réticente à accorder des subventions pour les routes et l’urbanisme de Diego Suarez vient de débloquer « en raison de la situation » un crédit d’un million pour l’expédition de troupes et de matériel à Diego Suarez et à La Réunion. Dès le début d’avril des ordres sont donnés pour la mise en route, dans le courant du mois, de 640 soldats de l’infanterie de marine dont la moitié sera dirigée sur La Réunion et l’autre moitié sur Diego Suarez.
Par ailleurs, on peut lire dans Le Figaro du 26 avril 1894 : « Le ministre de la Marine vient de donner ordre à l’Ecole de Pyrotechnie du port de Toulon de préparer le chargement pour Madagascar de 200 000 cartouches pour fusil Lebel (modèle 1886) et de 2 000 obus pour canons de 14 centimètres à tir rapide. Ces munitions seront embarquées sur un steamer spécialement affrété qui partira de Toulon le 5 mai prochain avec de la troupe, pour La Réunion, Diego Suarez et Madagascar »
De leur côté, les hovas du fort d’Ambohimarina se préparent à l’affrontement

Le gouverneur Ratovelo et sa femme

Le gouverneur Ratovelo et sa femme

Le gouvernement d’Ambohimarina se prépare à la guerre

Nous avons vu (n° précédent) que le fort d’Ambohimarina avait été doté de 6 nouveaux canons. Cependant, malgré leur position inexpugnable au sommet de la Montagne des français, les soldats de la reine, isolés du pouvoir central de Tananarive et en dépit de leur nombre relativement élevé, savent qu’ils auront du mal, en cas de conflit, à résister aux soldats français dont le nombre a été augmenté et l’équipement complété. Aussi, se préparent-ils à l’affrontement. Nous avons à ce sujet le témoignage du naturaliste Charles Alluaud, qui, au début de 1894, obtient l’autorisation de faire des recherches à Ambohimarina. Voici le récit de ce qu’il a vu à Ambohimarina : Après avoir rappelé que Diego Suarez « confine au sud à la province hova d’Antankarana dont le chef-lieu est Ambohimarina, ville d’environ 1400 habitants » il décrit l’accès au fort : « Ambohimarina est bâtie sur l’extrémité méridionale de la chaîne calcaire dite "Montagne des Français" à une altitude de 376m et domine d’une hauteur presque verticale, de 286m, les plaines environnantes. Plusieurs sentiers permettent, au moyen de lacets très raides, d’atteindre ce véritable nid d’aigle. Le plus fréquenté est muni d’une échelle qui permet l’ascension des dernières falaises à pic ; [...] Le trajet d’Antsirane, chef-lieu du territoire de Diego Suarez, à Ambohimarina, s’effectue rapidement en filanzane, la chaise à porteurs malgache. Avec six "bourjanes", dont deux se reposent à tour de rôle, on peut franchir cette distance d’environ 40 km en six heures avec arrêt à moitié chemin, à la douane hova d’Antanamitar. Le gouverneur Ratovelo (prononcez Ratouvel), que j’avais avisé de mon intention d’aller faire des recherches aux environs d’Ambohimarina, m’avait demandé de retarder mon voyage le plus possible. Voulait-il avoir le temps de dissimuler les armements que l’on prétend avoir été faits sur ce point ? Je croirais plutôt qu’il était peu désireux de voir un Français assister aux déménagements dont je vais parler. Pendant l’ascension de la plaine de Magag à l’échelle, ascension qu’il faut faire à pied, je rencontre des groupes dont la gaîté ne me ferait guère supposer que ce sont là des convois funèbres. Les femmes jouent de l’accordéon en suivant le cortège composé d’une dizaine de personnes environ. Les restes humains sont enfermés dans des cercueils en bois quand il s’agit de corps ensevelis récemment et dans de vieux bidons à pétrole quand ce sont des débris d’anciennes sépultures. Cercueils ou caisses de fer-blanc sont enveloppés de lambas multicolores et portés par deux individus au moyen d’une longue et forte perche. [...] Pour tout bagage, les amis et parents qui accompagnent le défunt portent une natte roulée sous le bras. Un domestique suit avec une bouteille de rhum et un verre. Le cimetière est fouillé, retourné de fond en comble; aucun débris humain ne doit y rester. La ville des vivants devient aussi déserte que celle des morts. On transporte le cimetière, m’affirme-t-on, aux environs de Tananarive, ou au moins sur le plateau d’Imerina, c’est à dire à plus d’un mois de marche ! [...] Le Hova a par dessus tout le culte de ses morts. Les gens d’Ambohimarina savent bien que leur citadelle tombera entre nos mains le jour même d’une déclaration de guerre et ils ne veulent pas que leurs proches reposent en terre étrangère.»
Le récit d’Alluaud, s’il montre que les habitants d’Ambohimarina envisagent la guerre qui s’annonce avec un parfait pessimisme, illustre aussi le fait que les merina ne voyaient pas en tout français un ennemi en puissance, ainsi que l’indique la fin du récit d’Alluaud:
« Pendant mes excursions aux environs d’Ambohimarina, j’étais accompagné d’un neveu du gouverneur qui me servait d’interprète et de divers autres personnages. Des hommes armés entouraient ma case pendant la nuit. J’étais surveillé de près, mais nullement entravé. La situation de Ratovelo était assez difficile à cause des relations tendues entre Français et Hovas. En me laissant une liberté sans contrôle, il risquait d’être blâmé par le gouvernement de la reine de favoriser un espion (il se serait cru trop naïf d’admettre que l’on puisse quitter son pays dans le seul but d’aller ramasser des insectes et des débris de vieilles coquilles) ; d’un autre côté, il avait à réfléchir sur les graves conséquences que pourrait avoir la moindre insulte faite à un envoyé du gouvernement français et devait craindre d’avoir à en supporter les risques. Ratovelo s’est tiré de ce dilemme avec beaucoup de diplomatie. Il a tout fait pour faciliter mes nombreuses recherches ...et je lui dois d’autant plus de reconnaissance que sa situation, je le reconnais, était des plus délicates.»
Malheureusement, cette courtoisie de part et d’autre ne sera pas la règle dans les mois qui allaient suivre et qui vont voir malgaches et français s’affronter, d’abord dans des escarmouches puis enfin dans une véritable guerre !
(A suivre)

■ Suzanne Reutt


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