Selon le Colonel Antoine Fleuret, chef d’État-major du commandement de la Légion étrangère, aucune tension n’a été signalée entre des soldats d’origine ukrainienne et ceux venant de Russie
- La Légion étrangère compte dans ses rangs quelque 700 soldats d’origine ukrainienne et 300 natifs de Russie.
- Dès le moment où ils s’engagent les légionnaires n’ont plus le droit de se battre pour un autre pays que la France, y compris leur patrie d’origine.
- Une permission à titre exceptionnelle a été mise en place pour permettre aux soldats ukrainiens d’aller mettre en sécurité leurs proches.
Un banal contrôle pour des passagers qui l’étaient beaucoup moins. Le week-end dernier, quatorze légionnaires ukrainiens ont été arrêtés dans le 16e arrondissement de Paris à bord d’un bus immatriculé en Pologne en partance pour la frontière ukrainienne. Qu’allaient-ils faire là-bas ? Mettre à l’abri leurs familles ou se battre pour leur patrie d’origine, ce qui est pourtant strictement interdit dès l’instant où on intègre ce corps de l’armée de Terre. Une enquête interne a été ouverte. 20 Minutes fait le point avec le Colonel Antoine Fleuret, chef d’État-major du commandement de la Légion étrangère.
Tous les légionnaires arrêtés à bord de ce bus devaient être reçus par leur commandement pour faire un point sur leur situation. Qu’en est-il ?
Parmi les 14, seuls trois sont actuellement en absence irrégulière, c’est-à-dire que nous ne savons pas où ils sont ni ce qu’ils font. En clair, ils désobéissent aux ordres. Les onze autres se sont vus accorder une permission à l’étranger pour aller mettre à l’abri leurs proches. Pour eux, il s’agissait avant tout de régulariser leur situation.
Que risquent ceux dont vous êtes sans nouvelle ?
Toutes les situations seront étudiées au cas par cas. Combien de temps sont-ils restés sur place ? Est-ce la première fois qu’ils partaient ainsi ?… Ils encourent jusqu’à la radiation. A partir du moment où ils s’engagent dans la Légion, ils s’engagent au service de la France et n’ont donc pas le droit de se battre pour un autre pays, même leur patrie d’origine. De même en tant que militaire, ils sont soumis à certaines restrictions en matière de circulation. En ce moment, par exemple, le ministère des Armées nous interdit de nous rendre en Ukraine, en Russie ou en Biélorussie, sauf dans le cadre d’une mission évidemment. La difficulté, c’est que nous n’avons pas les moyens d’enquêter sur le terrain pour savoir précisément où ils étaient et ce qu’ils ont fait.
Avez-vous noté un nombre élevé de déserteurs depuis le début du conflit ?
Le terme de « déserteur » désigne la fin du processus mais nous sommes actuellement sans nouvelle d’une vingtaine de légionnaires ukrainiens sur les quelque 700 que nous comptons dans nos rangs. Ce n’est pas un pic historique. Pendant la guerre de Yougoslavie, nous étions sur des volumes bien plus élevés. Je pense que c’est également lié au fait que très rapidement nous avons pris des mesures pour aider les légionnaires qui le souhaitaient à mettre à l’abri leurs proches.
Des tensions vous ont-elles été rapportées entre légionnaires ukrainiens et russes ?
Non, aucune. Nous ne nourrissions pas de crainte particulière à ce sujet mais des réactions humaines et émotionnelles ne sont jamais exclues. En l’occurrence, ce qui nous est remonté ce sont plutôt des gestes de fraternité entre légionnaires. C’est peut-être le signe qu’ils commencent à dépasser leurs patries d’origine.
Vous avez rapidement autorisé les légionnaires ukrainiens à se rendre à la frontière pour aider leurs proches. Combien en ont bénéficié ?
Environ 110, selon le dernier décompte. Certains sont déjà rentrés, d’autres, au contraire, ne sont pas encore partis. Autant les chefs de corps ne nous ont pas signalés de tensions spécifiques, autant ils ont rapporté la vive inquiétude de ces militaires pour leurs proches. Raison pour laquelle nous avons mis en place cette permission à titre exceptionnel d’une quinzaine de jours qui permet aux légionnaires de se rendre à la frontière, notamment polonaise ou roumaine, pour aider leurs familles à se mettre à l’abri.
Certains sont rentrés en France avec leurs proches…
La majorité d’entre eux ont mis leurs familles à l’abri au sein de la communauté ukrainienne en Pologne, en Roumanie, parfois en Allemagne. Beaucoup ne souhaitaient pas trop s’éloigner de la frontière afin de pouvoir retourner dans leurs pays dès que possible. Mais une quinzaine de légionnaires ont rapatrié leurs familles en France, soit environ cinquante personnes. La majorité est actuellement dans le centre d’hébergement de la Légion étrangère de La Ciotat qui sert d’ordinaire pendant les mouvements estivaux. Ça leur permet de retrouver un premier havre de paix, de récupérer un petit peu, de bénéficier de la solidarité légionnaire. C’est une situation transitoire, nous sommes également en lien avec l’Ordre de Malte pour justement préparer un accueil plus durable de ces familles.
Si des troupes devaient être envoyées se battre en marge de ce conflit, les légionnaires ukrainiens et russes seraient-ils d’emblée exclus ?
Non, il n’y a pas de règle en la matière. Par coutume, on prend toujours le soin de s’assurer que l’engagement d’un légionnaire dans son pays ou à proximité ne poserait pas de problèmes à lui comme à ses proches. C’est vraiment du cas par cas.