Le vin, le tabac et le jeu
Ont épuisé toute ma solde.
Comme Tristan auprès d'Isolde
D'un philtre amer j'ai bu le feu.
Où sont les dames musulmanes,
Filles de Cham, filles de Sem,
Dont je peuplais tout un harem
Aux carrefours des caravanes ?
Harnachés comme des mulets,
Sur les sentiers de mille biques,
Où sont, cœur, carreau, trèfle, pique,
Les rois sans dames ni valets ?
Muletiers et mouleurs de briques,
Et sur la piste, terrassiers,
Voltigeurs aux jarrets d'acier,
Où sont mes compagnons d'Afrique ?
Des bruns, des blonds et des rouquins,
Sous le sable du cimetière,
Où sont les pas et la poussière
Et les clous de leurs brodequins ?
Où sont mes pauvres camarades,
Mal vus, mal chaussés, mal vêtus,
Jolis témoins de camps foutus,
Clochards, mégotiers et nomades ?
Légionnaire Arthur Nicolet
Arthur Nicolet
Nicolet, Arthur (1912 - 1958)
Née le 23.3.1912 à La Chaux-de-Fonds, décède le 12.9.1958 au Chauffaud (comm. Villers-le-Lac, Franche-Comté), cath., de Mont-Tramelan. Fils de Philippe, agriculteur, et de Berthe Ida Grosclaude. ∞ 1936 Marie-Louise Deschamps, institutrice, Française. Ecole normale à Neuchâtel. Entré à la Légion étrangère (1931), N. participe aux opérations que la France mène en Afrique du Nord (1932-1936, 1937-1939) qui inspirent son roman Mektoub (1948). En 1939, il s'engage comme volontaire pour la campagne de France. Déporté en Allemagne (1943), il est libéré à la fin de la guerre et raconte sa captivité dans L'œil de bronze (1946). N. passe la fin de sa vie au Chauffaud, travaillant en usine au Locle. Son dernier combat, d'action et de verbe, sera sa collaboration avec Le Jura libre (chroniques réunies dans Du haut de ma potence, 1961). Ami de Charles Maurras dont il partage les idées, notamment le culte de l'héritage latin, ainsi que de René-Louis Piachaud.
Nostalgie
Le Tabac de Camerone
Sur la mer qui porta le Christ aux Indiens,
Galions, revenez d'Amérique latine,
Apportez-nous cargos, l'amère nicotine,
Que notre faim préfère au pain quotidien.
Car le poison subtil a tissé des liens
Qui retiennent captifs nos sens et nos rétines
Mieux que la violette ou la fraîche églantine,
Plus puissants que les fers de cent galériens.
Je conçois la cité fraternelle et superbe
Où les clochards sont rois, césars les mendigots,
Qui, moineaux de Paris, picorent les mégots.
Les constellations, création du verbe,
Pâlissent quand j'allume un feu d'herbe de Nicot.
La Chèvre et le Bélier voudraient manger cette herbe.
Légionnaire Arthur Nicolet
La Rose de Noël
Rassasiés d'amour sont assis à ma table,
Le vin est du domaine et du cru de la fable,
Il neigea tout l'été sans flamme de sarment.
La salive au palais rêve poivre et piment,
Le pain noir au couteau fut un jour vulnérable,
Aveugle, le potage est un brouet de sable
Sans parfum de thym fou ni de laurier charmant.
Peu sensible aux beautés d'une ère mécanique,
Mon cœur est un herbier brûlé par le soleil,
Un rideau de sapins flotte sur mon sommeil.
Près d'un cactus en pot, dans un songe panique,
Sous la vitre d'argent qu'enlumine le gel,
Seule s'épanouit la rose de Noël.
Légionnaire Arthur Nicolet
Complainte Noëllique
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Mirage
J'ai connu des départs plus joyeux que l'aurore
Plus libres que le vent et plus prompts que l'éclair,
Les cités d'Orient jaillissent de la mer,
La lance du soleil perce le sein de Flore.
J'ai vu naître de l'écume sonore,
Et les palmes briller d'un éclat dur et vert,
Ma trace s'est perdue aux confins du désert,
J'ai cueilli les lauriers et la rose de Mores.
Paysages de son et théâtres d'odeurs,
Dans un songe éveillé, bruissements rôdeurs,
Il me vient de ces jours de nouvelles images.
Le roc est de cristal et le sable de feu,
Le sol est transparent à mon ombre sans yeux,
D'un fleuve souterrain j'ai saisi le rivage.