Depuis 1863, la légion ne dit pas « lutter jusqu’au sacrifice total » mais « faire Camerone ». Depuis 158 ans, l’exemple des hommes du capitaine Danjou n’a cessé d’habiter l’âme légionnaire !
« J’étais de garde sur le Chiquihuite avec deux escouades de ma compagnies, commandées par un sergent, quand le 29 avril, vers 11 heures du soir, l’ordre nous vint de rallier aussitôt nos camarades qui campaient dans le bas. »
Les lecteurs avertis, reconnaitront le début du récit du combat de Camerone, livré par le capitaine en retraite, Maine[1].
Peu connus, les souvenirs du survivant de la campagne du Mexique éclairent le récit officiel, solennellement lu les 30 avril dans chaque stationnement de la Légion étrangère. Parfois anodins, « nous avions la tenue d’été : petite veste bleue, pantalon de toile et, pour nous garantir du soleil, l’énorme « sombrero » du pays en paille de latanier, dur et fort qui nous avait été fourni par les magasins militaires », ils fournissent surtout des éléments essentiels à la compréhension des conditions de ce combat. J’incite nos jeunes officiers à lire ce témoignage. Ils découvriront, par petites touches, un magnifique portrait du capitaine de la 3ème compagnie.
« Sorti l’un des premiers de l’Ecole de Saint-Cyr, jeune encore, estimé de ses chefs, adoré des soldats, le capitaine Danjou était ce qu’on appelle un officier d’avenir. Grièvement blessé en Crimée et resté manchot du bras gauche, il s’était fait faire une main articulée, dont il se servait avec beaucoup d’adresse, même pour monter à cheval… ». La figure du capitaine Danjou est omniprésente dans le récit des dix premières heures du combat, de la mise en mouvement de la compagnie à 1 heure du matin le 30 avril, aux 11 heures du matin où le capitaine tombe, frappé en pleine poitrine. Habile à la manœuvre, Danjou est rapide et sûr dans ses décisions. Rebroussant chemin pour déjouer une embuscade, il commandera la manœuvre surprise permettant à sa compagnie de bousculer l’ennemi et de prendre pied dans la seule bâtisse susceptible d’amoindrir un rapport de force désastreux. Le même, lors du premier carré formé pour repousser l’assaut de cavalerie, fait attendre les 60 mètres pour commander un feu nourri : « le capitaine avait dit de ne point tirer : aussi les laissions-nous venir sans broncher, le doigt sur la détente ; un instant encore et leur masse comme une avalanche, nous passait sur le corps ; mais au commandement de feu une épouvantable décharge, renversant montures et cavaliers, met le désordre dans leurs rangs et les arrêtent tous nets ». Le même toujours, organise minutieusement la défense de l’hacienda, puis galvanise la troupe : « calme, intrépide au milieu du tumulte, le capitaine Danjou semblait se multiplier. Je le verrai toujours avec sa belle tête intelligente, où l’énergie se tempérait si bien par la douceur ; il allait d’un poste à l’autre, sans souci des balles qui se croisaient dans la cour, encourageant les hommes par son exemple, nous appelant par nos noms, disant à chacun de ces paroles qui réchauffent le cœur et rendent le sacrifice de la vie moins pénible, et même agréable, au moment du danger. Avec de pareils chefs, je ne sais rien d’impossible ».
L’impossible fut fait justement. Comprenant l’issue inéluctable, mesurant l’importance du temps gagné sur cet ennemi fixé, le capitaine fit ce que l’honneur lui commandait et posa l’acte fondateur de la Légion étrangère. Il fit promettre à ses légionnaires de se défendre, tous, jusqu’à la dernière extrémité : « nous l’avions juré » dit le capitaine Maine, ils l’ont fait. La fidélité est le souffle de l’honneur.
Il est bien compréhensible, de fait, que notre devise « honneur et fidélité » et le nom du combat de Camerone soient inscrits ensembles sur nos drapeaux et étendards. Il est bien juste, en outre, que la main articulée du capitaine Danjou soit la relique vénérable de ce combat et le symbole de la geste Légion : le caractère sacré de la mission, la fidélité à la parole donnée et l’exemplarité du chef.
Cette année, pour marquer les cent ans de la devise « honneur et fidélité », la main du capitaine Danjou remontera la voie sacrée comme un drapeau, portée par un légionnaire d’exception, le général Tresti. Même s’il s’en défend, son histoire est un concentré d’honneur et de fidélité. Italien, il s’engage pour 5 ans à titre étranger, en 1958. Formé à l’école de Sidi Bel Abbes, il gravira tous les échelons de grades, poursuivant sa formation à l’école de guerre. En 1987, lointain successeur du lieutenant-colonel Rollet, il prend le commandement du 3eREI. En 1996, il est nommé général. Je vous laisse découvrir cette belle personnalité, ainsi que ceux qui constitueront sa garde au fil des pages de ce numéro. Portant la main, il sera en effet entouré d’une garde de légionnaires de tous temps, valides ou blessés, anciens au premier rang, d’active au second, de tous grades, de toutes les nationalités et de tous les régiments. Tous membres de l’ordre de la Légion d’honneur, tous choisis comme exemple de fidélité à la parole donnée, ces six officiers, sous-officiers et légionnaires sont les mêmes que ceux de Camerone, décrits par le capitaine Maine : « il y avait là de tout comme nationalité, des Polonais, des Allemands, des Belges, des Italiens, des Espagnols … le voisinage du danger avait assoupli les caractères, effacé les distances, et l’on eût cherché vraiment entre des éléments si disparates, une entente et une cohésion plus parfaites. Avec cela, tous braves, tous anciens soldats, disciplinés, patients, sincèrement dévoués à leurs chefs et à leur drapeau ».
Nos six légionnaires, le général Tresti, l’adjudant-chef Ende, le légionnaire Tepass, le chef de bataillon Tanasoiu, l’adjudant-chef Dektianikov, et le caporal-chef Emeneya sont les témoins vivants de l’esprit de Camerone. Le 30 avril, ils auront cette tâche magnifique de présenter notre relique aux troupes mises à l’honneur cette année : le 4ème Etranger qui a 100 ans comme notre devise, le 1er Etranger de cavalerie, centenaire lui aussi et enfin, honneur et fidélité obligent, un carré de représentants de notre force spéciale, plus que centenaire : la cohorte des légionnaires d’honneur. Si l’honneur est définitivement attaché à leur grade, c’est pour reconnaître leur fidélité, définitivement attachée à la Légion étrangère. Ils sont de toutes les missions spéciales, de la valorisation de nos vignes à la défense des droits des légionnaires, de la mise en valeur de notre patrimoine à l’emploi opérationnel de nos unités, œuvrant sans esprit de recul. Le centenaire de la devise Honneur et Fidélité est aussi leur anniversaire.
Depuis 1863, la légion ne dit pas « lutter jusqu’au sacrifice total » mais « faire Camerone ». Depuis 158 ans, l’exemple des hommes du capitaine Danjou n’a cessé d’habiter l’âme légionnaire : Tuyen Quang 1885, El Moungar 1903, Rachaya 1925, Bir Hakeim 1942, Ha Giang 1945, Phu Tong Hoa 1948, Dong Khe 1949, Cao Bang 1950, Na San 1952, Dien Bien Phu 1954…
Encore et encore nous célèbrerons Camerone et si la mission l’exige, encore et encore nous ferons Camerone.
Général de brigade Alain Lardet
Commandant la Légion étrangère
[1] Il est rapporté que ce témoignage fut obtenu après de nombreux refus de l’ex caporal Maine, tant ce souvenir, disait-il, si honorable qu’il fut, ne laissait pas de lui être pénible.