Journal officiel de la République française du 30/03/1895
Le Président de la République, accompagné par le ministre de la guerre, général Zurlinden, par le ministre de la marine, amiral Besnard, par le chef d'état-major général de l'armée, général de Boisdeffre, par le secrétaire général de la Présidence, général Tournier, et les officiers de la maison militaire, par le directeur du cabinet du Président, M. Le Gall, est arrivé à Sathonay hier, à huit heures et demie du matin.
Annoncés par une salve d'artillerie, le Président et les ministres ont été reçus à la gare par le général Voisin, gouverneur militaire de Lyon, et par les préfets du Rhône et de l'Ain, MM. Rivaud et Combarieu.
Le maire de Sathonay, M. Guilloi, entouré du conseil municipal, a souhaité la bienvenue à M. Félix Faure et lui a exprimé combien les habitants étaient heureux de recevoir le premier magistrat de la République.
Le Président a remercié M. le maire de son cordial accueil, fait au nom d'une population dont il connaissait les sentiments patriotiques et républicains.
Une foule considérable, accourue de Lyon et de tous les environs, malgré le mauvais temps, entourait la gare; elle a acclamé M. Félix Faure, qui a été conduit en landau au camp, escorté par un escadron de cuirassiers. Le 121e régiment d'infanterie formait la haie.
A l'entrée du camp, le général Duchesne, commandant en chef du corps expéditionnaire de Madagascar, a salué le Président et les ministres. Le 200e, régiment d'infanterie a rendu les honneurs, les clairons ont sonné et la musique a joué la Marseillaise.
Le Président, les ministres et le cortège officiel ont pris place au centre du carré formé par le 200e régiment et par les délégations des autres troupes du corps expéditionnaire.
Les quatre nouveaux drapeaux, portés par des sous-officiers, ont été successivement présentés au Président. Celuici les a remis: au colonel Gillon, pour le 200e régiment; au colonel Oudri, pour le régiment d'Algérie; au colonel Bouguié, pour le 13e régiment d'infanterie de marine; au colonel de Lorme, pour le régiment colonial.
Les colonels ont remis à leur tour les drapeaux aux lieutenants porte-drapeaux.
Les quatre drapeaux et leurs gardes se sont placés sur le même rang; en avant se tenaient les chefs de corps. Alors, le Président de la République a prononcé les paroles suivantes ; Officiers, sous-officiers et soldats du corps expéditionnaire de Madagascar1
Au nom de la patrie française, dont il symbolise l'unité et la grandeur, je vous remets ce drapeau.
Ses couleurs sont connues dans les mers que vous allez traverser et dans la grande île africaine où vous allez protéger nos compatriotes, défendre les intérêts du pays et imposer le respect de nos droits.
Avec l'autorité des armes, notre drapeau porte dans ses plis tout le génie de la France; vous ne l'oublierez jamais et vous saurez vous montrer dignes de la mission civilisatrice que vous confie la République.
Au cours de cette campagne, vous aurez à affronter des difficultés sérieuses et à donner des preuves de courage, de discipline et d'endurance.
Sous le commandement de vos chefs, vous serez à la hauteur de tous les sacrifices.
Dans les marches, dans les combats, aux heures de péril et aux heures de victoire, en jetant un regard sur vos drapeaux déployés, vous sentirez que la France est avec vous.
Nous vous suivrons avec fierté et nous attendons avec confiance le moment où vous inscrirez sur ces étendards intacts aujourd'hui un premier nom glorieux : Madagascar !
Après la distribution des drapeaux, le Président a procédé à la remise des décorations, qu'il a attachées lui-même sur la poitrine des officiers et des sous-officiers. Il a passé ensuite la revue des troupes, qui ont défilé, en tenue de campagne, avec un remarquable entrain.
Pendant cette cérémonie, la nombreuse foule, massée sur la partie du camp qui avait été réservée au public, ne cessait de crier: «Vive la République! vive l'armée!»
Après la revue, le Président, suivi du cortège officiel, s'est dirigé vers la limite du terrain de manœuvre, et s'est avancé au milieu de la population, qui, se pressant respectueusement sur son passage, lui a fait une longue et chaleureuse ovation.
De retour au camp, le Président a offert aux ministres, aux officiers généraux, aux chefs de corps et aux plus anciens capitaines un déjeuner, servi sous une tente.
Au dessert, le ministre de la guerre, général Zurlinden, a porté un toast en ces termes :
Monsieur le Président de la République, Au nom du corps expéditionnaire et de l'armée, je vous remercie respectueusement d'être venu présider la cérémonie, si simple et cependant si imposante, de la distribution des drapeaux aux troupes de la guerre et de la marine désignées pour la campagne de Madagascar.
Votre visite au camp de Sathonay, jointe à celles que vous avez déjà faites dans les casernes et hôpitaux militaires de Paris, jointe à l'honneur que vous avez fait au conseil supérieur de la guerre, en présidant vous-même ses séances les plus importantes, votre visite d'aujourd'hui est pour l'armée un précieux témoignage de votre haute sollicitude.
L'armée vous répondra par son très respectueux et entier dévouement, et elle ne pourra mieux vous témoigner sa profonde reconnaissance qu'en redoublant de zèle pour remplir complètement tous ses de-' voirs. Les officiers et les troupes qui vont se mettre en route pour Madagascar et dont vous venez de voir une partie défiler si brillamment devant vous vous en fourniront bientôt des preuves.
L'expédition que va commander le général Duchesne a été préparée par lui-même dans tous ses détails, sous la direction du général de Boisdeffre, chef d'état-major général de l'armée, sous l'impulsion du ministre et du Gouvernement, qui ont tenu à ne rien négliger.
De son côté, le Parlement n'a ménagé aucune ressource; il a voulu que tout ce qu'il est humainement possible de prévoir fût préparé et organisé à l'avance.
Les troupes qui prendront la mer dans quelques jours vont donc partir dans les meilleures conditions. Elles sauront se montrer dignes des grands efforts qui ont été faits pour préparer et assurer le succès de leurs opérations, dignes des acclamations qui, à Paris comme dans toute la France, comme en Algérie, ont salué leur passage.
Sous le commandement du chef distingué que le Gouvernement a mis à leur tête, elles sauront mettre toute leur énergie à supporter les fatigues et les privations d'une campagne pénible; elles prendront toutes les précautions nécessaires pour lutter contre le climat; et lorsqu'elles auront à donner le baptême du feu aux drapeaux que le Président de la République leur a remis solennellement aujourd'hui, elles sauront le faire avec cette gaieté, cet en- train qui est la qualité maîtresse de notre nation.
Tous les vœux de l'armée, les souhaits du Gouvernement et de la République tout entière suivront nos camarades au delà des mers, dans cette île qui est depuis si longtemps une terre de France, et où ils vont rétablir l'ordre et la paix.
C'est en leur nom, comme en celui de toute l'armée, que je lève mon verre aujourd'hui pour boire en l'honneur de M. le Président de la République.
Le Président de la République a répondu: Mon cher ministre, Je suis très touché des paroles vous venez de que prononcer et des sentiments que vous m'exprimez au nom des troupes de la guerre et de la marine désignées pour l'expédition de Madagascar.
L'armée, sauvegarde et espoir de la Patrie, est l'objet constant de la sollicitude du gouvernement de la République et de la nation tout entière.
En toute circonstance, elle doit compter sur la sollicitude du chef de l’État.
Personnellement, je m'honore de lui avoir appartenu à une heure de danger, et je reste profondément attaché de cœur à cette virile école du devoir, du patriotisme et de l'honneur.
Ainsi que vous le rappelez, le pays a, depuis vingt-cinq ans, consenti tous les sacrifices pour l'armée; de son côté, l'armée a su répondre à l'attente du pays: elle persévérera dans la voie du travail, elle conservera ses belles traditions de valeur et de discipline, elle acquerra la force nécessaire pour assurer la paix par la grandeur de la Patrie.
Le spectacle imposant auquel nous venons d'assister ne laisse aucun doute sur la solidité des belles troupes auxquelles la République confie la défense de ses droits. Elles seront les dignes émules des vaillants équipages de la division navale de l'océan Indien, et, sous le commandement de M. le général Duchesne, placé à leur tête par la confiance du Gouvernement, elles sauront justifier nos légitimes espérances.
Je lève mon verre en l'honneur de l'armée et de la marine, et, au nom de la grande famille française, je bois à tous ceux de ses enfants, soldats et marins, qui vont au loin combattre pour l'honneur et les intérêts de la France; je les confonds tous dans une même pensée affectueuse qui les suivra au delà des mers.
Ces discours ont été écoutés debout par l'assistance.
Après le déjeuner, le Président et les ministres ont visité les installations du camp.
M. Félix Faure a parcouru les baraquements, s'informant avec intérêt des divers détails matériels et sanitaires.
A deux heures, M. Félix Faure et les ministres ont quitté Sathonay, au milieu de nouvelles acclamations. Le train a fait de courts arrêts à Mâcon, à Chalon-sur-Saône et à Dijon, où les autorités et les populations ont salué au passage le Président de la République. Le retour à Paris a eu lieu à onze heures du soir.