1895
A travers le monde - 1895
Le Petit Parisien. Supplément littéraire illustré - Année 1895
Le Messager de l'Ouest. Journal de l'arrondissement de Sidi-Bel-Abbès. 241295
Lettre de Madagascar... (suite 4)
Le Messager de l'Ouest. Journal de l'arrondissement de Sidi-Bel-Abbès. 241295
Je suis assis sous une tente et je contemple le paysage. Notre bivouac est établie dans un camp hova encore occupé hier par eux.
Aussi loin que je peux distinguer, des traces de feu. — La désolation — Partout les villages ne sont presque pas touchés car les maisons sont assez hautes et il n'y a que la toiture en chaume qui peut-être brûlée — A côté d'un groupe d'habitations, je vois une briqueterie.
C'est assez primitif. La terre est coupée par mottes, qui une l'ois extraites sont superposées et exposées au soleil. J'aperçois quelques maisons couvertes en tuiles et surmontées de paratonnerres.
A un autre endroit, j'ai vu un temple protestant inachevé. Aux ouvertures, l'encadrement en pierre de taille ainsi que les soubassements. On reconnaît cet édifice à son clocher où il ne manque que les cloches. Un tableau en chêne sur lequel on peut voir des numéros de psaumes, inscrits à la craie.
Les habitants semblent devenir moins farouches ou retirer la confiance aux ardeurs guerrières des Hovas. On en aperçoit fuyant dans les: montagnes au passage de la colonne, guettant notre départ pour revenir sans doute au gîte. Même dans un village il y avait toute une famille assise par terre, et nous regardait passer avec des grands yeux étonnés.
On a capturé un troupeau de moutons : nous ne sommes qu'a 30 ou 35 kilomètres de Tananarive.
Quel soupir de soulagement, car nos hommes sont presque à bout de forces.
Enfin, j'ai vu Tananarive, il est vrai à 15 kilomètres environ à vol d'oiseau. Une grande montagne avec un amas confus de constructions. Avec la jumelle j'ai pu distinguer la cathédrale et une immense façade dominant majestueusement, ce fouillis percé d’innombrables ouvertures rectangulaires.
Nous avons aperçu la capitale en ayant fait un mouvement tournant pendant la journée. Du. bivouac actuel la vue est masquée par de grandes montagnes.
Le 26 à 5 heures du matin, départ de Babay 1re brigade en avant, 1er bataillon du Régiment d'Algérie en tête, ma compagnie avant garde, 2 chasseurs nous précèdent en éclaireurs. A 1 kilomètre de nos avant postes l'ennemi est signalé. Ma compagnie prend la formation de combat et en arrivant sur un petit plateau nous sommes accueillis, d'abord par des Coups de canon venant d'un village perché sur une hauteur en nid d'aigle et par un feu terrible dé fusils dé toutes sortes. Les Hovas étaient là à 300 mètres formidablement
retranchés ou embusqués derrière une longue crête de rochers, un peu en contre-bas.
La compagnie est mise en ligne par sections debout et les feux de salve commencent. Pendant environ 25 minutes nous continuons ainsi sous un feu nourri qui fait littéralement pleuvoir les balles. 7 à 8 hommes tombent : on continue à tirer. Les Hovas restent et semblent ne pas vouloir céder. Pendant ce temps les compagnies de réserve sont en ligne et tirent également.
Le général Metzinger voit de même les balles tomber autour de lui.
(A Suivre)
Nos Légionnaires.
Le Messager de l'Ouest. Journal de l'arrondissement de Sidi-Bel-Abbès. 241295
Le bruit court que nos rapatriés de Madagascar iraient débarquer à Mostaganem d'où les convalescents seraient dirigés sur Arzew et tes valides sur leurs régiments respectifs.
Le Progrès de Bel-Abbès 22/12/1895
Nos Morts.
Le Progrès de Bel-Abbès 22/12/1895
Les 3000 décès survenus dans l'expédition de Madagascar, comprennent 2.487 Français, et se répartissent ainsi, par régiment :
200e de Ligne : 650 décès
40e Chasseurs à pied : 380 —
Chasseurs d'Afrique : 30 —
Artillerie de terre : 360 —
Génie : 260 —
Train : 210 —
Infirmiers : 60 —
Ouvriers d'administrat. : 50 —
État-major et gendarmes : 7 —
Infanterie de marine : 150 —
Artillerie de marine : 100 —
Marine : 30 —
Les troupes étrangères comptent 520 décès, dont :
Légionnaires et Tirailleurs algériens, 340.
Tirailleurs haoussas et malgaches, 180.
Dans cette véritable hécatombe ne sont pas compris les malheureux morts pendant la traversée de retour, ni les rapatriés morts en France ; ceux-là se chiffrent par centaines. Et encore, si c'était fini ! Mais on compte : de Tananarive à Majunga, dans les ambulances et hôpitaux, 600 soldats malades ; à Nossi Comba et Helville, 500 malades, soit 1.700 hommes, dont la plupart périront.
Enfin, les 183 officiers et 2.000 soldats rapatriables ne sont pas tous en bon état ; nous savons, par des missives d'amis, qu'ils sont réduits à l'état de squelettes, qu'un dernier souffle de vie et surtout l'espoir d'un prompt rapatriement, font seuls tenir encore debout. Acceptons cependant le charmant euphémisme du colonel Boilloud qui, dans son état, les qualifie de semi valides. Ces pauvres martyrs, derniers débris d'une magnifique division de 15.000 hommes se décomposent ainsi :
Officiers - Soldats
Légion Étrangère : 15 - 300
200e de Ligne : 45 - 600
40e Chasseurs à pied : 12 - 120
Chasseurs d'Afrique : 2 - 10
Artillerie : 20 - 40
Génie : 10 - 100
Train : 10 - 50
Services administratifs : 26 - 100
Service de santé : 26 - 150
Dépôt des isolés : 1 - 220
Dépôt,de convalescents : 1 - 300
Services des étapes : 15 - 10
Totaux : 183 - 2.000
Ces chiffres, si on les compare aux effectifs de départ, vous remplissent d'épouvante. Jugez en :
Le 200e de ligne, parti à 2.100 hommes, revient à 600 ; le 40e Chasseurs à pied est réduit de 1.000 à 120 hommes ; dans l'artillerie, chaque officier commande à deux hommes ; nos braves légionnaires eux-mêmes, si résistants à la fatigue, ne se comptent plus que 300 sur 950 partants, ! (y compris une relève de 150 hommes) ; dans les autres corps de troupes, le déchet est le même, sinon plus effrayant encore.
Nous n'ayons pas le courage d'ajouter un commentaire.
Le Messager de l'Ouest. Journal de l'arrondissement de Sidi-Bel-Abbès. 201295
Lettre de Madagascar... (suite 3)
Le Messager de l'Ouest. Journal de l'arrondissement de Sidi-Bel-Abbès. 201295
Je viens de visiter un village qui n'est pas ; brûlé, car ceux qui sont en dehors de la route sont en général intact; les hovas n'ont sans doute pas osé s'écarter de leur chemin. Et les habitants n'ont pas tous obéi aux injonctions du 1er Ministre.
J'étais stupéfait. Le village est entouré d'un mur en terre de 3 mètres de hauteur. A l’intérieur il y a des amandiers et des grenadiers. Cinq à six maisons seulement à 2 étages.
Une maison au milieu ou plutôt un hangar qui devait servir de lieu de réunion sans doute. Une immense salle, les murs plâtrés, des nattes sur le sol, au fond une estrade. Des affiches en caractères latins : parlant de la religion protestante. Des bibles imprimés à Londres et signées de missionnaires anglais.
Dans les maisons, des chambres vastes, aux murs plâtrés, avec aux portes des battants en bois de chêne, avec moulures, mortaises, l'art moderne de la menuiserie.
Le sol en terre battue ou en bois. Les bottines à bouts pointus, de nombreuses bouteilles vides portant des étiquettes de liqueurs variées, dénotent que les habitants n'ignorent pas les douceurs et tes bienfaits de la civilisation. Des escaliers bien entretenus mènent aux étages. Les balcons en bon état.
Mais sur le tout, plane un silence de mort.
Comme culture presque pas de trace. Des rizières, du mansoé, des patates. Je crois que ces gens s'occupent principalement de l'élevage des bestiaux et que pour le reste ils vivent comme tous les peuples orientaux, de riz et de.... paresse.
Le 24, arrivée à l'étape à 5 heures du soir.
Aujourd'hui départ à 5 h. 1/2 : nous rejoignons la 2e brigade qui, contrairement aux ordres donnés, les hovas ayant été signalés et le général en chef n'ayant pas voulu laisser marcher la brigade seule.
Il y a même eu quelques coups de fusil d'échangés. Une connaissance a, en outre fait des feux de salve à 1500 mètres. D'après les prisonniers (la 2e brigade en a fait une vingtaine) les hovas sont complètement désorientés et n'osent pas retourner à Tananarive.
Donc, à partir de 8 heures du matin, marche d'ensemble de la colonne légère : arrivée ici à Babay à 1 heure de l'après-midi,
Le pays change de plus,en plus d'aspect; les villages deviennent inombrables. Partout, sur chaque mamelon, sur chaque hauteur, des groupes de maisons entourées d'un mur ou d'un fossé et d'arbres de toutes espèces. Dans aucune contrée en Europe il peut y avoir autant d'habitations réunies dans un cadre relativement restreint. Ces groupes ou hameaux ou villages sont composés, en général, de 4 à 10 maisons, dont le style devient de plus en plus propre, élégant, si je peux m'exprimer ainsi. Toutefois ii y a des villes de 100 à 150 maisons. Mais ces grands centres sont rares.
Je crois que chaque groupe d'habitation est peuplé par une seule et unique famille. Cela expliquerait cette quantité incalculable d'abris. Ils sont en général tellement proches l'un de l'autre que les habitants de deux groupes peuvent échanger des politesses sans trop crier.
La culture devient aussi plus nombreuse et plus riche.
On remarque la plante de l'ananas, de l'aloès, etc, etc.
(A Suivre)
Nos Malgaches.
Le Messager de l'Ouest. Journal de l'arrondissement de Sidi-Bel-Abbès. 201295
Ce n'est pas sans une certaine stupeur mêlée d'une tristesse facile à comprendre que lors des rapatriements des premiers soldats revenant de Madagascar, que les habitants d'Alger se sont vus interdire l'accès auprès de ces pauvres diables que l'on débarquait dans leur port.
A ce moment, l'intérêt du Ministère, organisateur d'une expédition qui restera fameuse dans les annales de l'imprévoyance et de l'incurie administratives, demandait à ce que rien des choses navrantes connues de lui seul, ne vint aux oreilles du public, et que celui-ci dans un mouvement d'indignation, ne forçat un de ses mandataires, député ou sénateur, de lui demander compte du triste spectacle étalé sous ses yeux.
Aujourd'hui il n'en est plus de même, et nous ne comprenons pas qu'on prenne, alors qu'un débat sur Madagascar — étouffé dans l’œuf, il est vrai — nous a appris par la voix des députés qui y ont pris part, ainsi que par celle des journaux de toutes nuances, les conditions déplorables dans lesquelles s'est faite cette expédition qui n'a réussie que grâce à l'endurance de nos troupes, à leur héroïsme et à l'énergique conduite de son chef tant de précautions.
Aussi, c'est avec un profond étonnement que nous lisons dans l’Écho d'Oran, que la municipalité à la tête de laquelle se trouve l'honorable et sympathique M.Coutures, devra s'abstenir d'une manifestation populaire qui devait témoigner aux rapatriés de Madagascar les sentiments patriotiques et admiratifs de la population oranaise.
« La municipalité a été avisée officieusement, que toute communication serait interdite avec le bord, et que les quais seraient barrés pendant toutes les opérations du débarquement.
« Les Dames de France elles-mêmes, ne seront autorisées à assister au débarquement sur le quai qu'en très petit nombre et munies de leurs insignes.
« Elles ne pourront.distribuer aux convalescents qu'un peu de vin d'Espagne et avec l''autorisation d'un docteur militaire. »
De deux choses l'une : où, nos Malgaches que ramène le Chandernagor, sont dans un état pitoyable, et toutes les Dames de France à qui est dévolu, non le monopole de la charité, mais une mission à elles confiée par toutes leurs concitoyennes, ne seront pas de trop, pour consoler ceux que la mort marque du doigt.
Où les convalescents, ainsi qu'on les désigne, pourront supporter— non sans émotion — il est vrai, les ovations enthousiastes de la patriotique cité qui à nom Oran.
Quoi ! couverts de fleurs à leur départ, les superbes bataillons que l’Algérie envoya au charnier Malgache, aujourd'hui décimés, réduits à l'état dé squelettes, ayant laissé un grand nombre des leurs là-ba, ne pourraient pas voir se joindre à la gloire qu'ils ont si chèrement achetée, un peu de l'amour que nos population tenaient en réserve pour eux en attendant leur retour.
Nous nous inclinons.— nous l'avouons sans comprendre — devant les décisions prises en haut lieu et nous sommes persuadés, absolument comme l’Écho d'Oran, que la manifestation que réserve les oranais à nos chers troupiers, sera — quoique non officielle—digne de ceux en l'honneur de qui elle aura lieu.
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Quand à Bel-Abbès l'empressement avec lequel se couvrent les listes de souscriptions, démontre surabondamment que nos légionnaires en arrivant dans notre ville, seront reçus avec tontes les sympathies dont ils sont si dignes.
Cet article était déjà à la composition, lorsque les journaux quotidiens d'Oran, sont venus nous apprendre l'arrivée du Chandernagor sur la rade de Mers-el-Kébir dans la nuit du 18 au 19, d'où il en partait au jour pour venir s'attacher au quai de la Transatlantique.
Les lamentables compte-rendus de débarquement se passent de commentaires, et nous n'ajouterons rien à ce qu'en disent le Petit Africain, le Petit Fanal et l’Écho d'Oran.
Nous devons ajouter cependant que la consigne imposée pour, le débarquement des troupes du Chandernagor, n'a pas été aussi rigoureuse qu'on l'avait annoncée.
A. BOURDON.
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