Foule des grands jours au palais de justice de Bastia, jeudi après-midi. Devant les grilles, quelques centaines de personnes, habitants de Sisco et leurs soutiens, pendant que dans la salle d’audience, Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de Corse, et Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée de Corse, serrent les pinces qui se tendent spontanément vers eux. Dans le box, les trois frères B. se cachent le visage. Le procureur de la République de Bastia, Nicolas Bessone, les accuse d’avoir provoqué la rixe de samedi en tentant de «privatiser» une crique du petit village de Sisco, «dans une logique de caïdat». Un quatrième frère, en situation irrégulière, présent sur les lieux et qui a donné une fausse identité lors de son audition, est en fuite. A leurs côtés, deux Siscais, Lucien S., le boulanger du village, et Pierre B., un employé communal, sont poursuivis pour des faits de violence.

Après des jours durant lesquels ont circulé des versions plus ou moins fantaisistes – allant de la provocation communautariste gratuite au lynchage raciste en réaction au port d’un burkini imaginaire – le procureur a tenté de ramener «cette affaire lamentable» dans ses proportions finalement banales, malgré l’écho médiatique. Même s’il note que seule l’intervention des gendarmes a empêché que tout cela ne finisse aux assises. L’un des villageois a par exemple tenté de pousser un des frères B. du haut de la falaise, empêché in extremis par «un tacle de rugby» d’un gendarme.

«Ce n’est pas le cercle des poètes disparus»

Les faits établis sont les suivants : après avoir installé un signe «interdiction de circuler» à l’entrée de la crique, les frères B. (tous nés au Maroc, deux résidant à Furiani et les deux autres en vacances), accompagnés de leurs femmes et enfants, auraient multiplié les accrochages avec les touristes, délogeant un couple cherchant à s’installer à côté à coups de galets, avant de molester l’un des adolescents du village. Lequel aurait défendu un touriste belge qui prenait des photos du paysage – ou des femmes voilées de la famille, si l’on en croit la version des frères. S’ensuit une altercation avec le père de l’ado, puis avec une quarantaine de locaux venu en renfort. La tension monte, jusqu’à tard le soir et l’incendie des voitures des familles d’origine marocaine, sous les yeux des gendarmes. L’investigation sur les atteintes aux biens (trois voitures brûlées d’un côté, des pneus crevés de l’autre) est toujours en cours.

Car quand les villageois arrivent, «ce n’est pas le cercle des poètes disparus», note le procureur, qui insiste sur l’aspect «inadmissible» de cette «riposte grégaire». «Où est l’honneur à frapper une personne inanimée à terre ou sur un brancard [les deux faits de violence reprochés aux prévenus du village, ndlr] ?», tonne Nicolas Bessone.

«Leur style, c’est plutôt "niquez vos mères"»

Enfin, dans son réquisitoire, le procureur tient à désamorcer des rumeurs persistantes. Non, il n’y avait pas de machette, mais un couteau de cuisine utilisé pour intimider en «tapotant» avec le manche la tête de l’adolescent. Non, les frères B. n’ont jamais scandé «Allah akbar» («leur style, se lâche Bessone, c’est plutôt "niquez vos mères"»). En revanche, Moustapha B. aurait bien appuyé sur la gâchette de son fusil-harpon pour blesser le père de l’ado, un légionnaire installé de longue date à Sisco. «On a essayé de faire de cette histoire un affrontement entre Corses et Maghrébins, conclut Bessone, mais je constate que j’ai sur la crique une femme colombienne qui ne portait pas de voile et un père et fils d’origine tchèque de l’autre côté !»

A la demande des conseils de la famille B., le procès a été reporté au 15 septembre. Tous les protagonistes sont poursuivis pour violence en réunion, avec armes dans le cas des frères (fusil-harpon, batte de baseball, pierres). Moustapha B., compte tenu de son casier judiciaire chargé (plusieurs condamnation pour trafic de stupéfiant et outrages) et de son rôle central dans les faits, a été placé en détention provisoire. Les autres prévenus restent sous simple contrôle judiciaire.

Guillaume Gendron (en Haute-Corse)