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2015


Les premières années de Diego Suarez - 1892-1893 : Médailles... et revers ! 3ème partie

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1 août 2015

Le service de la baie d'Antsiranana

Le service de la baie d'Antsiranana

En même temps que la population s’accroît, les structures administratives, culturelles et sociales de Diego Suarez vont connaître, à partir de 1892, un essor important, qui va améliorer la vie quotidienne des habitants d’Antsirane. Mais beaucoup reste encore à faire...

Les structures administratives

Dans cette ville qui n’a pas encore 10 ans d’existence, la plupart des édifices publics ont vu le jour, même s’ils offrent encore, pour la plupart, un aspect plutôt rudimentaire. Déjà Antsirane dispose de bâtiments pour l’administration : direction de l’intérieur, hôtel du gouverneur. Ce bâtiment, qui n’est pas la Résidence du bas de la rue Colbert que nous connaissons, est situé en face de la résidence du Commandant supérieur des troupes dans le quartier militaire : grosses bâtisses carrées au toit à quatre pans, ils sont toujours là, l’un et l’autre, en face et à côté du Cercle Mess. On a également créé des écoles, une trésorerie, un bureau de poste, un hôpital (à Cap Diego), une église, un tribunal, une prison, un atelier des travaux publics et même, une Caisse d’épargne installée par un décret du 2 octobre 1892.
Par ailleurs, l’isolement du Territoire va se faire moins gênant du fait du développement – hélas relatif – des communications avec l’extérieur.

Les communications : du mieux... et du moins bon.
Les bateaux

En ce qui concerne les relations avec la France et les autres pays de l’Océan Indien, le trafic maritime se développe régulièrement : le port est visité plusieurs fois par mois par des paquebots des Messagerie Maritimes et de la Compagnie Havraise de navigation et par un bateau qui fait le service direct avec Maurice. En effet, depuis 1888, la Compagnie des Messageries Maritimes a établi, par accord avec le ministère français des Affaires étrangères, des dessertes locales incluant Diego Suarez. La ligne de la côte orientale d’Afrique, la ligne V, qui a été créée en 1888, part de Marseille et fait escale à l’aller à Port-Saïd, Suez, Obock, Aden, Zanzibar, Mayotte, Nossi-Be, Diego Suarez, Sainte-Marie, Tamatave, La Réunion, Maurice ; au retour : La Réunion, Tamatave, Sainte-Marie, Diego Suarez, Nossi-Be, Majunga, Mayotte, Zanzibar, Djibouti, Suez, Port-Saïd, Marseille. Le paquebot des Messageries Maritimes part de Marseille le 12 de chaque mois et arrive à Diego Suarez le 5 du mois suivant. Quant aux bateaux de la Compagnie Havraise Péninsulaire, partant du Havre le 10 de chaque mois, ils arrivent à Diego Suarez après escale à Bordeaux et à Marseille. En fait, en l’absence de routes intérieures les navires de la Compagnie assurent une sorte de cabotage entre les villes de Madagascar. Transportant des passagers et des marchandises, ils assurent aussi le transport du courrier (ils sont subventionnés par l’État français pour cette mission postale) et sont généralement appelés localement, et quel que soit leur nom, « le Courrier » ou « la Malle ».
Ce mouvement du port permet à un Antsiranais d’écrire : « Depuis quelque temps, notre rade offre en petit le spectacle d’un port de Marseille [...] Une véritable forêt de mâts coupe l’horizon ». Mais il ajoute, et déplore que « ce sont des mâts de boutres battant pavillon rouge. Qu’il en est arrivé de ces marchandises anglo-indiennes et de cette camelote allemande !»
Cependant, la desserte de Diego Suarez par de nombreux navires a pour avantage - en dehors de l’ouverture sur le monde qu’elle procure- d’aider au développement du Territoire par l’afflux de clients, venus des régions avoisinantes qui ne sont pas en rapport avec l’extérieur. C’est ce que constate le voyageur Chabaud en 1893 : « Les Antankares [sic] forment un groupe d’une dizaine de milliers d’individus, qui ne peuvent se pourvoir qu’à Antsirane de tissus, de liqueurs, de quincaillerie etc. Enfin, les habitants des riches plaines de Vohémar commencent à envoyer leurs produits vers nos établissements et à venir y acheter des marchandises d’importation dont ils ont besoin, car le paquebot ayant cessé de toucher Vohémar, ce port ne se trouve plus en communication avec Maurice que pendant la mousson du sud-est.» Et il ajoute que ce commerce devra « évidemment se développer à mesure que les communications avec l’intérieur deviendront plus faciles » ...ce qui n’est pas encore le cas.

Les routes

En effet, Antsirane manque cruellement de routes. C’est ce que constate le savant Kergovatz en 1892 : « Des colporteurs, que les commerçants français commencent à employer, à l’exemple des Indiens, vont porter la toilerie, la quincaillerie, la verrerie débarquées à Antsirane jusqu’à 25 lieues dans l’intérieur, et rapportent en échange, de l’écaille, du caoutchouc, de l’ambre gris, du copal et des piastres [...] Chaque mois, à la suite du facteur de la Résidence Générale qui vient apporter et chercher la poste à Antsirane, tout un convoi de Sakalaves arrive ici, et se fournit de marchandises diverses. Malheureusement, en l’absence de routes carrossables, il faudrait organiser, pour développer ce commerce, des convois réguliers de bœufs porteurs ». Et Kergovatz ajoute que le gouverneur du fort militaire merina d’Ambohimarina s’était même associé à un négociant français pour organiser ces convois...a vant que les relations ne se détériorent entre français et merina ! En fait, Antsirane est totalement enclavée, vers l’intérieur, du fait du manque de chemins carrossables et les voyageurs doivent circuler en filanzane (chaises à porteur) dès qu’ils sortent de la ville. Mais l’administration de la ville, qui ne reçoit pratiquement pas de subventions pour les civils, n’a pas les moyens de construire des routes. Aussi, en 1893, le député de La Réunion, François de Mahy, se battra avec succès pour obtenir de l’Assemblée Nationale une augmentation de 100 000 francs du budget accordé à Diego Suarez pour construire des routes et éclairer la rade.

La voie ferrée : rêves et réalité

Cependant certains points de la colonie sont déjà accessibles par le rail, plus précisément par des voies de chemin de fer Decauville. Partant des quais une voie étroite grimpe au quartier militaire et se poursuit sur 8 km jusqu’au pied du fort de Mahatsinjoarivo (au-dessus de l’actuel aérodrome d’Arrachart) alors occupé par les tirailleurs sakalaves ; une autre dessert la Graineterie française, l’immense usine que l’on vient de construire à Antongombato. Cette seconde voie part de l’embarcadère de la rivière des Makis et remonte la vallée sur 9 km : elle est parcourue par la petite locomotive « La Mignonne » qui, avant d’être mise en service à Diego Suarez, promenait les visiteurs parisiens de l’exposition de 1889 (elle se trouve encore aux Salines, en pièces détachées qui atendent une bonne volonté pour être restaurées). Mais, en ce qui concerne les voies ferrées, l’année 1892 voit naître un projet beaucoup plus important. Ce projet, qui paraît dans le journal de Tamatave Le Madagascar est l’œuvre de l’agent-voyer de Diego Suarez, qui est également défenseur auprès du Tribunal. D’après Le Madagascar, ce monsieur, M. Rives, a été directeur civil de la ligne ferrée du Soudan français. Quant à son projet, il le formule ainsi : « Projet de navigation et de transports par chalands pour desservir les Baies de Diego Suarez et du Courrier et la Côte Nord-Ouest, avec transbordement par chemin de fer Decauville entre les deux baies ». Après avoir détaillé le début de prospérité de Diego Suarez et le développement d’Antsirane, Rives constate que « ses rues spacieuses et bien trouées s’arrêtent brusquement à la sortie de la ville. A partir de ce point on ne trouve pas une route, pas un chemin réellement praticable...». Les communications entre les divers centres économiques du nord de Madagascar doivent donc se faire par bateaux. Un service de chalands existe déjà entre Antsirane, Cap Diego, Namakia et Orangea mais il est d’après lui rudimentaire et très cher : « Les voyageurs entassés pêle-mêle avec les marchandises sur de trop petites embarcations, fort négligées, restent pendant toute la durée de la traversée exposés aux rigueurs d’un soleil de plomb, de pluies torrentielles...»
Relier Diego Suarez à la Baie du Courrier permettrait de commercer facilement avec Nossi-Be... Son projet consiste donc à acheter, pour la baie de Diego Suarez, 3 chalands de 50 tonnes, 3 de 25 tonnes, conçus pour le remorquage des bateaux et 4 chalands (2 de chaque tonnage) pour la Baie du Courrier). Pour le transbordement entre les baies de Diego Suarez et du Courrier, il lui faudrait « Dix mille mètres de voies de chemin de fer Decauville d’un écartement de 0,50m, quatre wagons pour le transport des voyageurs. Dix wagons plate-forme de différents modèles pour le transport des marchandises.» La suite du projet nous laisse perplexe : « Ces wagons seront poussés à bras par des manœuvres pour les débuts, la traction par des mulets semble plus pratique pour ce petit parcours (8km environ).» Merci pour les manœuvres ! En fait, ce projet, qui sera repris plusieurs fois dans l’histoire de Diego Suarez ne verra jamais le jour. Sans doute encore une fois, faute de financement. Mais M.Rives verra encore plus loin. En 1893, on peut lire dans le Petit Journal que « Les concessions d’une ligne de chemin de fer de 64 km, entre Antsirane et la baie d’Irohono, avec adjonction de deux services par voie de mer, l’un pour desservir la baie de Diego Suarez et l’autre la côte Nord-Ouest de l’Ile de Nossi-Be, ont été accordées, le 23 janvier à M.Rives [...] Les devis s’élèvent à plus de 3 millions (environ 10 millions d’euros) Comme garantie, le gouvernement local lui a concédé 10 000 hectares de bon terrain et autres avantages qui représentent environ la même somme. Nous espérons que M. Rives hâtera l’exécution de ce vaste programme.» ...que l’on attend toujours !
Cependant, sans sortir de leur ville, toujours enclavée malgré les projets mirifiques, les Antsiranais commencent à avoir des loisirs culturels.

Un début de vie intellectuelle

Le Madagascar, toujours lui, annonce ainsi qu’Antsirane a pu accueillir un concert de « The artistical concert society » (ce qui montre que les relations ne sont pas si mauvaises avec les Anglais !). Plus important encore, Diego Suarez a maintenant (depuis début 1893) sa presse locale : en effet, deux journaux viennent d’être créés : Un journal satirique hebdomadaire, le Maki et un bi -hebdomadaire L’Avenir de Diego Suarez qui se veut « organe indépendant ». En fait, un autre journal avait déjà vu le jour, début 1892 : il s’agissait du Journal de Diego Suarez, qui, apparemment avait surtout des visées électorales. En effet, il avait été fondé à l’initiative d’Henry Mager qui préparait sa candidature à la députation de Diego Suarez. Il semble que ce journal, dirigé par deux Mauriciens, Huguin et Gimel n’ait pas eu une longue parution. Cependant, si « Diego Suarez marche chaque jour davantage dans la voie du Progrès », comme on peut le lire dans Le Madagascar, l’avenir n’est cependant pas totalement dégagé.

Le quartier militaire d'Antsiranana

Le quartier militaire d'Antsiranana

Les points noirs

Tout ne va pas bien à Diego Suarez. Une des principales sources de mécontentement est le manque d’eau. Quand les français se sont installés à Diego Suarez, on a capté les quelques sources qui arrivaient à la mer ; mais elles ne suffisent plus à une ville qui a énormément grossi : aussi, la population est-elle fortement rationnée en saison sèche. Un projet, d’un montant de 300 000 F. établi par l’artillerie, et qui prévoyait d’amener l’eau à partir d’une dérivation de l’Analandriana, a été contesté et le Ministère des Colonies a mandaté une société civile pour établir un contre-projet... qui coûte 800 000 F. Cette concurrence désastreuse qui donne une idée de la rivalité permanente entre civils et militaires a d’ailleurs été évoquée à l’Assemblée Nationale dans sa séance du 15 mai 1893.
Autre sujet d’inquiétude : si les rapports qui partent pour Paris présentent la situation économique sous le meilleur jour, il n’en est pas de même dans la réalité : l’agriculture ne donne pas les résultats escomptés, quant à l’industrie, elle se résume en 92-93 à la production de la Graineterie française, l’énorme usine de conserves de bœufs d’Antongombato. Or, si Le Madagascar se félicite du « bon fonctionnement de la Graineterie française qui abat 20 bœufs par jour » (n° du 11 août 1892), c’est un autre son de cloche qui s’exprime en France, à l’Assemblée Nationale, dans la séance du 17 juin 1893. Quelques mots d’abord, sur l’honnêteté des pratiques de la Graineterie qui a fait durer la construction de l’usine pour bénéficier de l’autorisation (donnée par le ministère de la Guerre) d’acheter – en attendant la mise en service de l’usine – les conserves de bœufs en Amérique. Opération juteuse : la Société les achetait 55 centimes et les revendait à l’Etat à 1fr15 ou 1fr20 ! Quand enfin les produits d’Antongombato ont été livrés voici ce qu’a constaté le Ministère de la Guerre : « des conserves de viande qui présentent certaines défectuosités [...] dégraissage insuffisant [...] cuisson un peu trop grande [...] mollesse de la viande qui devient flasque [...] présence de petites masses de sang coagulées dans les fibres musculaires [...] excès de gelée [...] remplissage irrégulier des boites » Appétissant... Et l’intervenant, qui soulève le problème à l’Assemblée, termine par ces mots : « Voici ce que la Graineterie française nous glisse tous les jours dans les magasins militaires...».
Autre espoir industriel : les concessions de salines... mais qui ne sont pas suivies d’un début de réalisation, les deux sociétés attributaires se livrant un sauvage procès !
Une situation économique qui rend certains observateurs pessimistes sur l’avenir de Diego Suarez... d’autant plus que la situation se tend de plus en plus entre la colonie française et le gouvernement merina du fort d’Ambohimarina qui renforce son armement de 6 pièces de canons alors que les militaires de Diego Suarez se plaignent d’un manque d’effectifs avec la suppression de la 3ème compagnie d’infanterie de marine. Des nuages sombres qui s’amassent sur Diego Suarez et qui ne vont pas tarder à éclater...
(A suivre)
■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez - 1892-1893 : une ville qui grandit... 2ème partie

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22 juillet 2015

La vile basse et le quartier militaire en 1893

Alors que les tensions se multiplient entre les français de Diego Suarez et les merina du fort d’Ambohimarina, la population et les activités de Diégo ne cessent de croître et les voyageurs s’étonnent de la transformation du petit village de 1885 en une ville de plusieurs milliers d’habitants

Une population en forte augmentation dans tout le Territoire

En 1892, dans la Revue de la Société de Géographie de Marseille, le voyageur Marius Chabaud s’étonne de cette croissance rapide : « En 1885, Diego Suarez ne renfermait qu’une soixantaine de porteurs et de pêcheurs sakalaves ; depuis notre prise de possession, une population assez nombreuse est venue se grouper sous notre pavillon et, actuellement, il y a environ 10 000 habitants sur notre territoire dont 500 européens, 1 000 hommes de garnison, 1 500 créoles de La Réunion et de Maurice ; le reste est composé de Malgaches, Anjouanais, Indiens de Bombay, Malabars, Sakalaves, Grecs de Port-Saïd, etc. ».

Place de la Douane dans la ville basse
Place de la Douane dans la ville basse

Augmentation de la population dans le territoire français mais aussi dans la zone contrôlée par le Gouverneur d’Ambohimarina : « Le poste Hova d’Ambohimarine (sic), à proximité de notre territoire, a profité de cette prospérité; sa population a passé de 400 habitants en 1885 à 5 000 en 1891 ».
Le savant De Kergovatz, qui débarque à Antsirane en juin 1892, donne des chiffres à peu près semblables (et aussi peu attestés puisqu’aucun recensement n’a été fait) : « de la ville actuelle, il n’existait rien il y a sept ans, rien qu’une dizaine de huttes sur le rivage où vivaient une quarantaine de Malgaches, pêcheurs et pasteurs semi-nomades avec leur famille. Aujourd’hui Antsirane compte plus de 5 000 âmes, sans la garnison qui est d’un millier d’hommes; l’ensemble de la colonie est peuplé de près de 15 000 habitants, et tout y donne l’impression d’un pays en pleine voie de croissance et de prospérité »

Où résident ces 15 000 habitants?

Surtout à Antsirane, comme nous venons de le voir ; à Cap Diégo aussi, où se trouve une partie de la garnison. Beaucoup d’agriculteurs, malgaches ou réunionnais sont groupés dans la plaine d’Anamakia autour de la grande usine de la Graineterie française ; les autres s’échelonnent depuis la plaine de la Betaïtra jusqu’à la montagne d’Ambre.

Une ville en train de se construire

Le chiffre des habitations varie énormément d’un observateur à l’autre, ce qui peut se comprendre compte-tenu de l’aspect hétéroclite des habitations dont beaucoup ne sont que de simples huttes de paille. Chabaud, en 1892 parle de 390 maisons et 452 cases malgaches pour Antsirane ; de 36 maisons et 57 cases pour Cap Diégo; enfin, d’après lui, Anamakia renferme 12 maisons et 600 cases. En ce qui concerne Antsirane, le chef-lieu du Territoire, la ville, enserrée dans 4 hectares marécageux au bord de la baie de la Nièvre, commence à s’étendre sur le plateau où est déjà installé le quartier militaire. « La ville est divisée en trois parties bien distinctes: la ville basse ou cirque d’Antsirane, le plateau et le quartier militaire » (De Kergovatz). Si la ville basse regroupe encore la quasi-totalité des commerçants : « Les commerçants français, indiens, grecs, italiens, se sont installés côte à côte le long des trois ou quatre rues qui aboutissent au quai et à la place de la Poste », le plateau, où il était interdit autrefois aux civils de construire, est en train de se transformer : « C’est un véritable étonnement de voir s’étendre sur ce plateau presqu’à perte de vue toute une autre ville, aux larges rues, se croisant à angles droits, où déjà alternent avec les cases primitives de belles maisons en pierre ou en bois ayant leurs vérandas supportées par d’élégantes colonnes ». Et il ajoute: « Partout des maisons en construction; j’en ai compté plus de vingt le long d’une seule avenue ».

La rade en 1893
La rade en 1893

Du côté d l’Administration, on commence aussi à s’installer. Les militaires sont à peu près bien logés, sur le plateau, avec les « cases Maillard » préfabriquées, importées de France. En 1892, on peut lire, sous la plume du délégué de Diego Suarez, Henri Mager : « Le développement des casernes de la colonie est considérable ; sur le plateau d’Antsirane ont été construits les quartiers de l’artillerie et les quartiers de l’infanterie, avec, en avant, plus au sud, les casernes des tirailleurs ; au Cap Diégo sont les disciplinaires, les bâtiments de l’hôpital militaire et le cimetière militaire. L’ensemble de ces constructions a coûté plus de 5 millions de francs [plus de 16 millions d’euros NDLA] et il s’y trouve réuni plus d’un million de matériel ».
Les civil sont moins bien traités : le journal de Tamatave Le Madagascar, dans son numéro du 11 mars 1893, annonce que « On va incessamment entreprendre la construction de plusieurs édifices, notamment d’une Direction de l’Intérieur ». Il s’agit sans doute d’un bâtiment en dur (la Résidence du gouverneur) puisque la Direction de l’Intérieur existe déjà : il s’agit d’un bâtiment en bois qui n’aura pas une longue durée d’existence puisqu’il sera détruit par le cyclone de 1894 ! Le village malgache, lui, est installé à la place Kabary. De Kergovatz en donne une description : « Chaque case est entourée d’une palissade qui l’isole des cases voisines. Cette disposition a été exigée par un arrêté de police en vue d’empêcher la propagation des incendies ». C’est dans une de ces cases que résidera Kergovatz, puisqu’il n’y a pas encore d’hôtel à Antsirane. Il la décrit comme « une maisonnette de roseaux, à travers lesquels je passe facilement le bras » mais qui est fermée par une porte de « deux pouces d’épaisseur »!

Des activités réduites
Dans cette ville en développement, les activités sont essentiellement consacrées au commerce

Le commerce

Le commerce extérieur d’abord, avec le mouvement du port, assez actif. Marius Chabaud nous en donne une idée : « Diego Suarez est en relation avec la France par le paquebot mensuel qui dessert Maurice, La Réunion, Tamatave, Sainte-Marie, Nossi-Be et Mayotte. Le mouvement du port comporte une centaine de navires à l’entrée et autant à la sortie ». Mais l’activité du port est freinée par la difficulté à entrer dans la rade pendant la saison des alizés et par le manque de débarcadère. Il manque aussi un phare, puisqu’aucun n’existe encore. L’accès de la baie est donc interdit après le coucher du soleil. Aussi, comme le raconte Chabaud, les bateaux à vapeur qui se présentent tardivement sont « obligés de louvoyer toute la nuit ». Quant aux voiliers, ils sont parfois bloqués plusieurs semaines dans la baie car il n’y a pas de service de remorquage qui leur permettrait de sortir malgré les vents et les courants contraires.
Mais le mouvement du port se résume surtout au service des voyageurs et aux importations qui, d’après les bureaux de l’Intérieur, représentent environ 1 million par trimestre [3 270 000 euros NDLA]contre 200 000 ou 300 000 francs à l’exportation. Ces importations consistent en fers et métaux, tissus, riz et alcools. Cependant, depuis la création des usines de la Graineterie française à Anamakia, les exportations (de conserves de bœuf) ont énormément augmenté.
En ce qui concerne le commerce local, si les commerçants sont nombreux, ils vendent pour la plupart... de l’alcool. Tous les observateurs déplorent « le nombre étonnant de débits de boissons alcooliques qui pullulent dans toute la ville » et Kergovatz ajoute que « Les vins, bières, cognacs, liqueurs, rhums, entrent pour plus d’un tiers dans le total des importations, et plus de la moitié des commerçants d’Antsirane tiennent des cafés ou des débits ».

L’industrie

Elle est à peu près uniquement représentée par la grosse usine de conserves de bœuf qui a été créée à Anamakia et qui emploie, plus ou moins directement 12.000 ouvriers. Quant aux Salines, créées l’année précédente, elles n’ont pas commencé à fonctionner.

L’agriculture
Le Camp malgache Place Kabary
Le Camp malgache Place Kabary
Le ravitaillement de Diego Suarez pose problème. Aussi, le Gouverneur Froger fait-il tout son possible pour faire venir des cultivateurs, essentiellement de La Réunion. En 1893, H. Mager, délégué de Diego Suarez au Conseil supérieur des colonies, envoie la note suivante : « La Chambre a voté un crédit de 50 000 francs [163 500 euros NDLA] destiné à favoriser l’émigration vers notre jeune colonie de Diego Suarez. Un égal crédit se trouve inscrit au budget de 1894. Seuls les cultivateurs peuvent obtenir une part de ces libéralités ». Les candidats à l’émigration doivent adresser aux autorité un certificat de culture et, s’ils sont agréés, l’administration leur accorde, à leur arrivée à Diego Suarez « une concession de terre à titre gratuit, des outils, des semences et des vivres pendant quelques mois si c’est nécessaire ; il a même été question de leur donner une case et une vache laitière ». D’après le journal Le Madagascar du 15 décembre 1892 « de nombreux colons sont venus de France, et de La Réunion surtout, pour fonder des exploitations agricoles. Le sol n’est pas ingrat, il produit de tout, moyennant un faible travail. Maïs, riz, tabac, café, fruits et légumes de toutes sortes et de tous les climats. La vigne et le fraisier commencent à s’y multiplier, la pomme de terre donne un rendement presque égal à celui de France...». Tableau idyllique qui ne correspond pas vraiment à la réalité, de sorte que beaucoup de colons, déçus, repartiront plus pauvres qu’ils n’étaient venus. Mais, d’après Le Madagascar, la faute n’en est pas aux hommes ni à Dame Nature mais au...manque de routes. En effet, Antsirane est une île : passé l’octroi, il n’y a plus de route. Aussi, si l’on en croit le journal de Tamatave, « lorsque les produits de l’agriculture arrivent à Antsirane, grevés de frais énormes, souvent avariés, le bénéfice du colon se trouve fort réduit ».
De fait, le crédit de 100 000 francs, voté par un amendement du budget des colonies et obtenu par le député de La Réunion François de Mahy (qui, en 1892, a rendu visite aux 300 créoles réunionnais d’Antongombato qui travaillent pour la Graineterie française) est destiné aux routes. En effet, le manque de routes fait partie des problèmes d’infrastructures qui se posent en 1892-93 aux autorités de Diego Suarez, problèmes qui mettront des années à trouver une solution... quand ils trouveront une solution !
(A suivre)
■ Suzanne Reutt

Les premières années de Diego Suarez - 1892-1893 : dans le jeu des grandes puissances... 1ère partie

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Mercredi, 08 Juillet 2015

Entre la fin de 1891 et 1893 les tensions vont se multiplier, à Diego Suarez, entre les français et les malgaches de la forteresse d’Ambohimarina mais aussi, plus largement, entre la France et l’Angleterre engagées dans une rivalité militaire et commerciale dans laquelle Diego Suarez jouera un rôle important

Les fameuses «echelles» d’Ambohimarina - Gravure parue dans l’Illustration en août 1890
Tensions franco-merina : « l’affaire des échelles»

Sur le plan intérieur, l’intransigeance du gouverneur Froger et le remplacement du vieux gouverneur de la place forte d’Ambohimarina par le gouverneur Ratovelo, moins conciliant que son prédécesseur, allait amener un incident qui fit grand bruit à Madagascar et en France. Ce que l’on a appelé «l’affaire des échelles» fit la «une» des journaux français. Voyons le récit qu’en donne le Gil Blas :
« On sait que la fête du Bain de la Reine est en quelque sorte la fête nationale des hovas et qu’il est d’usage, maintenant, que les fonctionnaires français de Madagascar assistent aux cérémonies auxquelles elle donne lieu.

En conséquence, le 16 novembre dernier, M. Froger reçut une invitation du gouverneur hova du fort d’Ambohimarina, point situé à 28 km d’Antsirane, le chef-lieu de nos établissements de Diego Suarez. Il fut répondu que les autorités françaises se rendraient à Ambohimarina mais qu’au lieu de passer par la route habituelle, qui est très pénible à un endroit escarpé, où une échelle est nécessaire, elles prendraient une autre route, beaucoup plus praticable, et qu’avait découverte quelque temps auparavant un de nos agents, M. Ribe, commissaire de police à Antsirane.
Mais le gouverneur hova, Ratovelo, pour empêcher les français d’utiliser les voies de communication connues des indigènes, avait fait mettre un factionnaire sur cette route, au pied d’un écriteau portant l’inscription "Tsy azo aleha" (défense de passer). Il objecta alors à M. Froger que cette voie était prohibée par la reine ; que les autorités françaises devaient, pour venir à Ambohimarina, prendre le chemin ordinaire. D’ailleurs, ajoutait-il, la nouvelle route était devenue mauvaise à la suite des pluies.
Le 18 novembre, M. Ribe fit une nouvelle reconnaissance du chemin, qu’il trouva intact, par ce motif que la pluie n’avait existé que dans l’imagination inventive de Ratovelo.
Aussi, le 20 novembre, au matin, le gouverneur, madame Froger, le commissaire de police et cinq gendarmes se mettaient en route. A quelque distance du fort, la route était coupée par un large fossé. On avertit Ratovelo : le chef hova répondit qu’il ignorait ce détail et que les autorités françaises pouvaient venir au fort par un autre chemin- un vrai chemin de chèvres.
Dans ces conditions, les fonctionnaires français n’avaient qu’à se retirer et le soir même, ils étaient de retour à Antsirane.»

L’affaire fit grand bruit, aussi bien à Diego Suarez qu’à Tananarive ou à Paris. Froger, qui avait porté plainte auprès du Résident Général, parlant d’une « insulte à la France » fut rarement soutenu. Bompard lui rétorqua que le Gouverneur d’Ambohimarina n’avait pas eu l’intention « d’outrager la France en la personne du Gouverneur de Diego Suarez » et Froger fut blâmé par le Conseil des ministres qui lui reprocha de « ne pas s’être maintenu dans le rôle que ses instructions lui traçaient nettement ».
Mais cette affaire des échelles eut une autre conséquence: elle attisa les tensions entre civils et militaires de Diego Suarez.

Froger contre Puel

Froger voulait sa revanche ; il l’eut d’une certaine façon : quatre jours après l’incident, Ratovelo se rendit à Antsirane pour faire des excuses au Gouverneur. Froger, sans en aviser leur supérieur, convia à l’entrevue les officiers qui l’avaient accompagné à Ambohimarina. Le commandant supérieur des troupes, Puel, furieux de cet abus d’autorité, mit aux arrêts les deux officiers. Froger afficha alors, sur la « grande place d’Antsirane»  un communiqué dont le journaliste de Gil Blas dit qu’il « n’ose pas le reproduire tant il est extravagant » dans lequel il critiquait le commandant, lui ordonnait de partir par le prochain paquebot et le mettait aux arrêts de rigueur. L’affaire provoqua une levée de boucliers, jusqu’à l’Assemblée Nationale, et beaucoup demandèrent alors la révocation de Froger qui avait outrepassé ses fonctions dans cette affaire. Le Journal des débats posa même à nouveau la question du partage des pouvoirs entre civils et militaires dans un territoire que l’on considérait alors surtout au niveau de son importance militaire et qui était « sans avenir colonisateur »!

La tension monte...

Alors que la presse française dans son ensemble fait ses choux gras de l’affrontement entre Froger et le commandant Puel, prenant parti soit pour l’un soit pour l’autre, mais jugeant dans l’ensemble que Froger a outrepassé ses droits, le gouverneur d’Ambohimarina, de son côté, devient moins conciliant avec son homologue de Diego Suarez.
Le 3 mars 1892, le Journal des Débats se fait l’écho de cette tension : « Un nouvel incident s’est produit à Diego Suarez. Ratovelo, gouverneur hova d’Ambohimarina, a prévenu M. Froger, gouverneur de Diego Suarez, que les sentinelles placées sur les routes de l’intérieur, feraient feu sur toutes les personnes qui tenteraient de passer par une autre route que celle d’Antsirane ». Cette agressivité, qui va de pair avec les différends qui s’accumulent entre français et malgaches au niveau national va conduire le gouvernement français à étoffer la garnison de Diego Suarez.
Par décret du 3 mai 1892, une troupe d’infanterie indigène est créée à Diego Suarez. Elle prendra le nom de « Tirailleurs de Diego Suarez ». Cette troupe est formée de deux compagnies de 120 hommes( 10 européens officiers et sous-officiers pris dans l’infanterie de marine, et 110 soldats et caporaux indigènes). La Compagnie de Sakalaves, fondée dès avril 1885 par le Commandant Pennequin, est versée dans la nouvelle troupe. Les soldats sont recrutés par engagements avec primes et toucheront une retraite dans les mêmes conditions que les soldats métropolitains.
Du côté civil, le gouverneur Froger continue sa politique d’expansion, favorisant l’établissement des colons au-delà des frontières délimitées par les accords de 1885, notamment en direction d’Anamakia et de la baie du Courrier, ce qui va provoquer les premières confrontations armées.

Le Gouverneur Ratovelo, commandant de la place forte d’Ambohimarina
Le Gouverneur Ratovelo, commandant de la place forte d’Ambohimarina

 

Les premiers affrontements

Ils se produisent au début de juillet 1892, si l’on en croit le récit qu’en fait Henri Mager, délégué de Diego Suarez au conseil supérieur des colonies – récit dont on ne peut pas tenir l’objectivité pour certaine !
«Au commencement de juillet, le gouverneur hova d’Ambohimarina, agissant d’après les ordres reçus de Tananarive, organisait une colonne de 100 hommes avec l’intention d’envahir notre territoire. Le 5 juillet, les troupes hovas pénétraient sur notre sol et attaquaient nos premiers villages, s’y établissaient et y organisaient quatre postes. Le 7 juillet, nous reprenions un village et, devant notre attitude, les Hovas repliaient leurs postes. Cet incident montre que les Hovas ne sont ni des amis pour nous, ni des protégés, mais des ennemis toujours en armes. Ils ne veulent pas s’incliner devant le traité de 1885, traité dont ils ont jusqu’ici repoussé la lettre comme l’esprit en dépit de ce qu’on a voulu faire croire à la France.»
Et Mager continue en traduisant des « instructions » saisies sur l’un des chefs hovas faits prisonniers, instructions indiquant, d’après lui, que les hovas doivent refouler les colons établis près de leurs postes et mettre aux fers les traîtres malgaches qui passeraient au service des français; ils doivent également répéter aux populations locales (antankarana et sakalava) que « les Français sont des trompeurs [...] qui les ont lâchement abandonnés ». Mager termine sa communication par l’évocation du danger anglais : « Le Premier Ministre de Tananarive est un homme qui nous hait froidement. [...] le mois dernier, il avait concédé à des Anglais le territoire qu’il comptait nous enlever ».

La partie de dames entre la France et l’Angleterre

En fait, même si Mager noircit le tableau, il appuie là où cela fait mal : en effet, si l’on en croit la presse française, une guerre entre la France et l’Angleterre est tout à fait envisageable à l’époque et, l’acquisition de Diego Suarez aurait pour principal intérêt d’être l’équivalent pour les français de ce que représente le Cap de Bonne Espérance pour les anglais : un point de ravitaillement sur la route de l’Asie et une réserve de troupes en cas de conflit. D’ailleurs, dans la Revue Maritime et coloniale de juillet 1892 on peut lire que « dans le plan de mobilisation de l’armée française, dressé en prévision d’une guerre immédiate, tous les réservistes et toutes les personnes appartenant à l’armée territoriale de l’Inde française, doivent être immédiatement dirigés sur Diego Suarez à Madagascar ». L’intérêt stratégique de Diego Suarez est également redouté par les anglais puisque dans une œuvre d’imagination de l’époque : La dernière guerre navale, l’auteur imagine 3000 soldats français, venant de Diego Suarez et «prenant» l’Ile Maurice appartenant aux anglais !
Mais l’intérêt des Anglais pour l’océan Indien et la zone où se trouve Diego Suarez n’est pas seulement le fruit de l’imagination. Placée sur la vieille route des Indes (dans le cas du blocus du canal de Suez), Diego Suarez pourrait être un emplacement stratégique. Pour se prémunir contre la présence française dans la zone, la Grande-Bretagne, qui a déjà fortifié les Seychelles, s’empare des petites îles qui entourent l’Archipel: Aldabra, Cosmoledo, l’Assomption. Voici la version des évènements donnée par le Figaro du 13 novembre 1892 : « A la suite d’études faites dans la baie de Diego Suarez par nos ingénieurs pour utiliser, au point de vue de la défense de nos colonies, la position que nous occupons au nord de Madagascar, un officier de Maurice fut envoyé à Antsirane. Il constata que la France emmagasinait des armes et des munitions; il en conclut que nous voulions faire la guerre aux malgaches et fit prévenir Rainilaiarivony ».
Ce qui, d’après l’article « ne fut pas inutile à l’Angleterre, car le gouverneur de Maurice ayant prouvé à Londres que nous voulions fortifier Diego Suarez, l’Angleterre décida l’occupation des mauvais rochers de l’Assomption à laquelle nous avons répondu par l’occupation des Iles Glorieuses ». En effet, le 23 août 1892, le capitaine Richard, sur l’ordre du gouvernement a solennellement arboré le drapeau français, salué par les canons du Primauguet « en présence des habitants «parlant tous le français mais ne sachant pas signer » (d’après le procès-verbal) ! Dans ce « jeu » où les deux grandes puissances s’emparent alternativement de territoires pouvant avoir une valeur stratégique sur la route des Indes, si précieuse pour les anglais, la mise en valeur militaire de la rade de Diego Suarez devient une priorité.

Le renforcement de la défense de Diego Suarez
Le renforcement de la défense de Diego Suarez s’inscrit donc dans une conjoncture politique qui dépasse le cadre de Madagascar (la rivalité entre les prétentions coloniales françaises et anglaises) et qui déchaîne les passions à Paris. En effet, alors qu’une partie de la classe politique française et de l’opinion souhaite le renforcement du port de Diego Suarez, une autre faction s’élève contre cette formidable dépense jugée inutile. Si Le monde illustré remarque, admiratif, que « la France s’établit formidablement à Madagascar », la Revue scientifique déclare, en janvier 1892, que « Diego Suarez n’est qu’un port de guerre médiocre » !
Cependant, du côté du gouvernement, si l’on en croit la Revue diplomatique, on s’affaire à étoffer la défense de Diego Suarez : « La France possède, au nord de Madagascar, la superbe baie de Diego Suarez dans laquelle peuvent pénétrer les plus grands navires. Sa position dans l’intérieur des terres la rend imprenable et permettrait à l’occasion à notre Division Navale de l’Océan Indien renforcée de s’y réfugier et de braver les Anglais ou toute flotte ennemie assez audacieuse pour venir l’attaquer. Des ordres confidentiels ont été donnés à plusieurs ingénieurs pour étudier la baie et dresser un plan exact des fortifications et des ouvrages qui pourraient être faits ultérieurement et qui feraient de la ville d’Antsirane et des autres points de la côte un port de guerre et de commerce ».
Parallèlement, le Gouverneur Froger, toujours belliqueux, demande des armes... pour les civils : « M. Froger, justement ému de l’insuffisance de nos effectifs – il n’y a, je crois, à Diego Suarez que deux compagnies d’infanterie de marine – a demandé à Paris qu’on voulût bien mettre à sa disposition un lot d’armes de rebut destinées à être distribuées, en cas de besoin, aux colons européens. Intéressés à défendre leur vie et leurs biens, ils pourraient efficacement, si un conflit survenait, concourir à la défense commune et former comme une réserve appelée à donner toute aisance aux mouvements de notre faible contingent régulier ».
Mais, en dépit des bruits de guerre, la petite colonie de Diego Suarez continue de grandir...

A suivre...
■ S.Reutt


Les premières années de Diego Suarez - 1890-1891 : Sous l’autorité du Gouverneur Froger 2

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Mercredi, 24 Juin 2015

La « Graineterie Française » à Antongombato

Si les relations avec l’extérieur s’améliorent, l’activité économique de Diego Suarez reste encore à l’état embryonnaire et l’avenir de la nouvelle colonie n’est pas encore nettement dessiné: si certains veulent y voir un pôle de colonisation, d’autres lui prédisent plutôt un rôle militaire dans la mer des Indes

Une économie embryonnaire

Si les commerces se multiplient à Diégo, il est encore difficile d’y trouve des artisans: en juin 1890 il n’y a encore qu’un seul tailleur, un seul cordonnier, un seul ferblantier ; pas de menuisier ni de forgeron, un seul ouvrier chapelier de marine, pas de coiffeur. Par contre les blanchisseurs fourmillent et les détaillants de rhum et liqueurs pullulent.
Les premières industries

Les salines

On peut lire, en 1890 dans Les tablettes coloniales « Le commerce commence à trouver à Diego Suarez matière à d’utiles transactions; elles deviendraient plus considérables promptement, si les salines dont les concessions ont été accordées, entraient dans la voie de l’exploitation ».
En effet, ces salines de Diego Suarez, en 1890, c’est un peu l’Arlésienne: on en parle mais on ne les voit pas ! Pourtant, dès 1887, des terrains ont été accordés à deux sociétés :
- La Compagnie des salines de Diego Suarez, fondée par un armateur, M. Richon, qui obtient du ministre des colonies une concession de 500 hectares de salines, en compensation des pertes subies pendant la guerre de Chine ! La Compagnie des salines s’est engagée par contrat à payer à la colonie un droit de 1f par tonne de sel dès que la production atteindra 35 000 tonnes... ce qui ne sera toujours pas le cas dix ans plus tard !
- Le 25 novembre 1887, un autre armateur, M. Lefèvre-Rioult, obtient du gouverneur de Diego Suarez une concession de 258 hectares, comprenant notamment 50 hectares de salines naturelles, situées entre l’embouchure de la rivière de la main et les hauteurs qui bornent à l’ouest la vallée de la rivière des Maques, dans le Nord de la plaine d’Anamakia. Lefèvre-Rioult ne fondera cependant sa société qu’en 1892. En 1890, on en est donc encore à espérer l’exploitation du sel de Diego Suarez. Cependant, une autre, entreprise d’une toute autre ampleur va voir le jour : la Graineterie française.

La graineterie française

Le 9 juin 1889, le ministère de la guerre français avait accordé, par adjudication publique, un marché de 17 millions de francs pour la fourniture à l’armée de 12 millions de boites de conserves de bœuf (le fameux corned-beef ou « singe » des bidasses français). Locamus, qui avait été à l’origine de la création d’une usine de conserves en Nouvelle-Calédonie parvint à réunir un « tour de table » d’investisseurs et obtint le marché, sous réserve que l’usine soit construite dans une colonie française : or Madagascar n’était pas encore colonie. Diego Suarez, par contre...
C’est ainsi que la Société de Locamus et de ses associés s’installa dans les Etablissements français de Diego Suarez, plus précisément à Antongombato, près d ‘Anamakia où le Gouverneur Froger avait accordé à la Graineterie française une concession d’environ 5000 hectares. Cette immense usine (plus de 10.000 m2 de toitures), originellement destinée à la Nouvelle -Calédonie avait été démontée de Tasmanie et expédiée à Diego Suarez. Dès son arrivée, Locamus fit établir, par les malgaches d’Ambohimarina une conduite d’eau, pour le personnel et pour l’usine, puis une voie ferrée entre la mer et l’usine. Hélas, premier des malheurs qu’allait connaître l’usine d’Antongombato, la tempête de janvier 1891 emporta tout !
Tout était à recommencer...
En fait, la construction des établissements d’Antongombato, où l’on avait vu trop grand (l’usine était susceptible de traiter 300 bœufs par jour!) dura deux ans et demi, coûta 8 millions (environ 32 millions d’euros) ...et ferma ses portes en 1894 sans avoir pu exécuter le contrat prévu en 1889. (Voir Tribune n° 34)
Cependant, en 1891, les activités à Diego Suarez restent surtout centrées autour de la présence militaire : des militaires qu’il faut loger, qu’il faut faire manger (et boire !) et surtout qui participent à l’essentiel de la vie économique du petit Territoire. Et qui en assurent la défense!

La défense de Diego Suarez en 1890-91

En 1891 Monseigneur Freppel, représentant de la colonie de Diego Suarez au Conseil supérieur des colonies avance que Diego Suarez doit être « notre grand établissement militaire et maritime dans la mer des Indes mais que pour cela des travaux sont indispensables ». En fait, à l’instigation de François de Mahy, un crédit de 100 000 francs (environ 400 000 euros) a été voté pour Diego Suarez, ce qui a permis de commencer les terrassements et la maçonnerie des deux batteries destinées à protéger l’entrée de la rade. Mais cette somme est tout à fait insuffisante pour armer ces batteries et pour construire de nouveaux forts sur le front de terre. Quant au seul fort que possède les français, en face du fort hova d’Ambohimarina, c’est le fort de Mahatsinjoarivo, construit parle Commandant Caillet, qu’il faudrait renforcer. Il faudrait également construire des casernements pour les troupes sur les contreforts de la Montagne d’Ambre. Et, pour donner à Diego Suarez son statut de grand port militaire il faudrait construire des phares au cap d’Ambre et à l’entrée de la rade et installer un bassin de radoub. Freppel évalue le montant de ces travaux (en y incluant les routes et la conduite d’eau nécessaires) à 4 ou 5 millions (20 millions d’euros)... On est loin des 100 000 francs accordés par la Chambre ! Quant aux ressources locales, elles sont de 130 000 francs ; la conduite d’eau coûte, à elle seule 300 000francs!)...

Le jeu en vaut-il la chandelle ?

L’ennemi traditionnel dans la zone, ce sont les anglais qui, d’après Freppel « font tous leurs efforts pour nous tenir en échec en s’établissant fortement à l’Ile Maurice » où ils ont fortifié la rade de Port-Louis et construit des casernements pour 8000 hommes. Mais la nécessité de ces investissements à Diego Suarez n’est pas évidente pour tout le monde: dans un article de la même époque paru dans la Revue scientifique, on fait remarquer que Diego Suarez est difficilement accessible en raison des vents et ne peut donc pas être un port de refuge (en 1889, la Meurthe a mis 24h à franchir le Cap d’Ambre) ; par ailleurs, les moyens d’approvisionnement sont quasi-inexistants à Diego Suarez (le port possède un parc à charbon mais ce dernier est amené de métropole). Enfin, si le site se prête à une position défensive (abri de la baie, îlots où l’on pourrait installer des batteries), rien n’a été fait comme installation ce qui prouve, d’après l’auteur de l’article que les sommes à investir sont disproportionnées par rapport à l’intérêt d’une station navale aussi désavantagée au point de vue météorologique ! La conclusion de l’article est sans appel : « il serait profondément regrettable que, dans le but d’améliorer cette colonie naissante, on se laissât entraîner à des dépenses improductives ».

Et les menaces de l’intérieur?

Le gouverneur de la Province d’Ambohimarina avait reçu du pouvoir royal de Tananarive des consignes de conciliation. Quant au Gouverneur de Diego Suarez, Froger, il avait été également appelé à la modération dans ses contacts avec les autorités malgaches du fort d’Ambohimarina. Le Résident Général Bompard, représentant la France à Tananarive, lui avait adressé de nombreuses recommandations en ce sens : « Le Premier Ministre n’envoie au Gouverneur d’Ambohimarina que des instructions tendant à la concorde entre les autorités françaises et malgaches. Ramaka, personnellement, est un homme timide et conciliant dont le plus vif désir est d’éviter les difficultés ; si, de votre côté, vous avez des dispositions pacifiques et que vous agissiez en conséquence, je suis persuadé que le calme ne tardera pas à s’établir autour de Diego Suarez, comme il serait si désirable à tous égards ».
Mais, malgré les injonctions de sa hiérarchie, Froger, fidèle aux consignes reçues au moment de sa nomination, persista dans sa politique d’expansion au delà des limites du territoire concédé par le traité de 1885. A la fin de 1890, le gouverneur d’Ambohimarina, Ramaka fut remplacé par Ratovelo, son adjoint, plus jeune et plus combatif. Ce changement de personnel entraîna un changement de politique : les postes déjà établis par les malgaches furent renforcés et d’autres se créèrent sur la côte ouest.
Fin 1891, un incident attisa les tensions entre le Gouverneur Froger et son homologue malgache. Depuis l’installation française à Diego Suarez, il avait été convenu que les autorités malgaches et les autorités françaises célèbrent ensemble les fêtes des deux nations. La fête du Fandroana, le « Bain de la Reine » fut l’occasion d’un vif incident diplomatique entre Froger et Ratovelo, incident qui aiguisa également les tensions entre le gouverneur civil de Diego Suarez et le commandant militaire de la place...
A suivre...

■ S.Reutt


Les premières années de Diego Suarez-1890-1891 : Sous l’autorité du Gouverneur Froger

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Mercredi, 10 Juin 2015

Le nouveau quartier d'Antsiranana en 1890

La rivalité entre autorité civile et autorité militaire n’a pas toujours rendu les choses faciles à Diego Suarez pendant les premières années de la présence française... A partir de 1890, cependant, la légitimité du gouverneur Froger va être renforcée ce qui permettra la réorganisation et le développement des « Etablissements français » de Diego Suarez

Le décret du 1er juillet 1890 confirme l’autorité du gouverneur civil, Froger
La carte de Diego Suarez en 1891

« Un décret du 4 mai 1888 avait rattaché au territoire de Diego Suarez les îles Nossi-Be et Sainte-Marie de Madagascar. Un décret du 1er juillet 1890 complète l’organisation de ces possessions et les place sous l’autorité d’un gouverneur résidant à Diego Suarez. A Diego Suarez, le gouverneur exerçant les pouvoirs politiques, administratifs et financiers, est assisté d’un conseil consultatif dont la composition sera arrêtée ultérieurement. Le budget local est établi par le gouverneur, avec le concours du comité consultatif, et soumis à l’approbation du sous-secrétaire d’Etat des colonies. Le gouverneur est assisté d’un secrétaire général, qui le remplace en cas de décès ou d’absence. L’administration de Nossi-Be est confiée à un administrateur colonial placé sous l’autorité du gouverneur. L’administrateur est assisté d’un secrétaire-général. Il prépare le budget local soumis à l’approbation du sous-secrétaire d’Etat. L’établissement de Sainte-Marie de Madagascar est placé sous l’autorité directe du gouverneur de Diego Suarez. Le budget local est préparé par l’administrateur de cette dépendance avec le concours d’un comité consultatif dont la composition sera fixée ultérieurement. Il est approuvé par le gouverneur.» (Revue française de l’étranger et des colonies - 1/7/1890)
Investi de ces nouveaux pouvoirs, Froger va pouvoir s’atteler au développement de la petite ville d’Antsirane (qui n’est déjà plus le village qu’ont trouvé les français cinq ans auparavant), et de la région qui l’entoure-et même au-delà du Territoire concédé par le Traité de 1885..
Cependant, la population civile de Diégo qui avait chanté les louanges de Froger commence à trouver son gouverneur assez envahissant, comme en témoigne le député Brunet : « Mais que faire lorsque tous les pouvoirs sont centralisés entre les mains d’un gouverneur, maître absolu de procéder comme il l’entend, en toutes choses, et ayant même le droit de légiférer en matière d’impôts? Fatalement, et si bien intentionné que puisse être le haut fonctionnaire armé de ce droit redoutable, des erreurs peuvent être commises, qui dégénèrent en abus ».
Mais la ville se développe..

Quand Diego Suarez a des problèmes d’immigration...

Si l’on en croit la Revue française des colonies « La colonie est calme. La ville d’Antsirane s’agrandit chaque jour. Des nouvelles constructions s’y élèvent; de nombreux colons s’établissent à la montagne d’Ambre, au-dessous du sanitorium. On attend l’arrivée d’immigrants français qui doivent s’établir à Diego Suarez avec leurs familles.»
Le 12 janvier 1891 a lieu un « envoi de colons » de La Réunion, en direction de Joffreville. Voici les avantages proposés aux émigrants:
- Passage gratuit sur mer
- Demi-tarif sur les voies ferrées jusqu’au port d’embarquement
- Une habitation provisoire
- 2 bœufs de labour et une vache
- 25 hectares de terre
- 3 mois de vivres
Un autre convoi, en provenance de la France doit partir le 12 février.
Mais si le Territoire continue à se peupler, les nouveaux arrivants ne sont pas toujours, si l’on en croit le Père missionnaire Chenay, ceux que souhaite le Gouverneur Froger : « On a eu le tort d’annoncer dans les journaux de France qu’on donnerait gratuitement des terres à tous ceux qui en demanderaient. De pareilles annonces font partir de France une foule de déclassés, qui ne réussissent pas mieux dans un pays neuf que dans notre vieille Europe. Ensuite quand leur paresse et leurs autres vices ne leur ont point procuré une rapide fortune, ils crient qu’on les a trompés et ils donnent une mauvaise réputation à une colonie nouvelle.»
Le bulletin de la Société de géographie de Toulouse donne quelques exemples du manque de «ciblage» des colons arrivant de France: «Un essai malheureux de colonisation a été tenté par la société de colonisation française, laquelle a envoyé en mars dernier quatre familles, formant un total de 28 personnes, les trois-quarts en bas âge, dont celui des chefs varie de 45 à 60 ans. Si encore ces colons étaient des agriculteurs! On trouve un sacristain, un concierge, un chef de musique et un vendeur de journaux, tous Parisiens, ce qui leur donne peu de valeur au point de vue agricole: ces gens-là ont coûté 20.000 francs tant à la métropole qu’à la colonie et n’ont encore rien produit.»
Mais il y a heureusement des exceptions : dans la montagne d’Ambre et dans la plaine d’Anamakia, un certain nombre de cultivateurs, souvent venus de La Réunion, donc plus adaptés au climat, tentent des cultures nouvelles. En ville, des commerçants s’installent (souvent d’ailleurs pour vendre de l’alcool...).
En tous cas Antsirane grandit: des estimations parlent de 5 à 6 000 habitants, d’autres de 7 à 8 000. En 1891, l’Inspecteur Général Espent parle d’un chiffre total d’environ 10 000 individus pour toute la colonie, ce qui, d’après lui, en défalquant l’effectif de la garnison, donne de 3500 à 4000 habitants pour Antsirane. Chiffre «approximatif» de l’avis même deEspent.
Mais il faut loger tout ce monde-là, civils et militaires...

Construire, construire...

Pour les militaires, premiers arrivants, c’est déjà à peu près fait. Si les casernes des disciplinaires et des tirailleurs sakalaves sont encore en partie à Cap Diégo, ainsi que l’hôpital militaire, le gros des troupes de l’artillerie et de la marine est logé à Antsirane. Comme on le voit sur le plan, l’Artillerie est logée dans la ville basse, près de la mer, alors que l’infanterie occupe le plateau. C’est aussi sur le plateau que se trouve la maison du Colonel, commandant militaire de Diego Suarez.
Les premiers casernements ont été importés : «seize grandes baraques préfabriquées ainsi que quatre pavillons d’officiers » mais, dans les années 90, on commence à construire en dur, grâce au four à chaux ouvert à Cap Diégo : « A Diégo, il y a des montagnes de pierres calcaires avec lesquelles on fait de l’excellente chaux; il y a aussi beaucoup d’argile, avec laquelle on fait des briques. Toutes les casernes, l’hôpital militaire, les bureaux de l’administration, le palais du gouverneur et celui du colonel sont bâtis en briques et couverts de tuiles. La pierre de taille ne manque pas non plus ». Les civils sont moins bien lotis mais les choses s’améliorent. Si le Père Chenay parle du «palais « du gouverneur, il ne s’agit pas encore de la Résidence que nous connaissons en bas de la rue Colbert, rue qui n’existe pas encore. En 1890,le gouverneur réside dans un bâtiment qui prend le nom de «Direction de l’Intérieur» et qui est situé à la frontière du quartier militaire et du quartier civil, en bas de ce qui deviendra plus tard la « colonne vertébrale » d’Antsirane, la rue Colbert. (voir le plan). Mais, selon Chenay, « la plupart des habitants sont mal logés dans les maisons en bois, trop petites et couvertes en tôle. Lorsque le soleil de midi darde ses rayons sur cette tôle, il l’échauffe et rend l’atmosphère brûlante comme celle d’un four .» Optimiste, il ajoute: «Peu à peu les habitants abattront ces maisons provisoires; à l’exemple du gouvernement, ils profiteront de cette chaux, de ces briques et de ces tuiles, et ils construiront des demeures fraîches et salubres ».
Il faudra attendre longtemps avant que ces demeures s’élèvent. D’ailleurs, beaucoup de bâtiments publics sont encore construits en bois : c’est le cas de la prison, de l’église et de l’hôpital (sans doute une sorte de dispensaire) que l’on distingue sur le plan de 1891. Ce bois, qui a servi à construire la plupart des maisons de Diego Suarez a une histoire que nous raconte Locamus, qui, à la même époque, crée les usines d’Antongombato. Un Mauricien qui s’était introduit dans les bonnes grâces de Froger, proposa de construire une ville entre Cap Diégo et la baie du Courrier; pour obtenir le bois dont il avait besoin, il s’adressa à une maison de commerce norvégienne qui lui vendit à crédit un chargement de bois. Mais le Mauricien, insolvable, disparut dans la nature... Le bois arriva à Diego Suarez en 1891. L’Indien Charifou Jeewa, tenant boutique dans la ville basse, acheta le bois norvégien ...qui servit à construire le grand marché et une partie de la ville haute d’Ansirane !
En fait, d’après l’Inspecteur Général Espent, la ville d’Antsirane compte à l’époque 815 maisons dont 425 cases malgaches, c’est à dire 390 dont on peut supposer qu’elles étaient en bois ou en briques. Mais Diego Suarez, qui grandit, souffre encore de son isolement: les communications avec le reste de l’île restent difficiles et celles avec la France se développent lentement.

Les relations avec l’extérieur
Les timbres-poste de Diego Suarez en 1890

Le fonctionnement de la poste devient plus régulier : on peut échanger des lettres et des colis avec la métropole. L’affranchissement des lettres devient plus « officiel ». En effet, fin 1890, la franchise postale pour les troupes d’occupation est arrêtée : la colonie manque alors de timbres. Pour résoudre le problème le gouverneur Froger prend la décision, par arrêté du 8 septembre 1890,de fabriquer d’urgence des timbres-postes :
« Sur la proposition du Chef de service de l’Intérieur ; Vu l’urgence
AVONS ARRETE ET ARRETONS :
Article premier ;- Il sera immédiatement pourvu au tirage de figurines de diverses valeurs strictement indispensables pour assurer le service de la poste de Diego Suarez »

Les feuilles se composaient de 56 timbres, 7 rangées de 8 vignettes. Les quantités tirées ne furent pas toutes utilisées car le 10 octobre 1890 arrivèrent les timbres-poste demandés à Paris et tout ce qui restait fut incinéré. (Le Timbre-Poste). Inutile de dire que ces timbres tirés en un petit nombre d’exemplaires firent les beaux-jours des collectionneurs et surtout des faussaires !
Le commerce extérieur, encore peu important commence, à se développer, aidé en cela par l’exemption des droits de douane et de taxes sur les marchandises en transit. « Il se fait chaque année à Diego Suarez d’assez importantes opérations pour l’exportation des bœufs sur pied, destinés à l’Ile Maurice et à La Réunion; ces transports se font sur des navires à vapeur spécialement aménagés à cet effet.» (Les tablettes coloniales)
Des bateaux partent tous les 29 du mois vers la Côte Ouest de Madagascar et tous les 4 du mois vers Tamatave, La Réunion et Maurice. Leur arrivée et leur départ voit toute la population se presser sur le quai pour attendre ce que l’on appelle « Le Courrier »
Dans la liste des produits les plus demandés (et les plus importés) viennent en première place les alccools, mais aussi les faïences et poteries, les tissus...et de façon plus étonnante...les instruments de musique, et surtout les accordéons, importés d’Allemagne. Le commerce est essentiellement tenu par des commerçants indiens musulmans, originaires de Bombay, qui ont une grande réputation d’honnêteté. Quant à la monnaie employée dans les échanges, c’est exclusivement la pièce de 5 francs française en argent appelée piastre : ces piastres sont coupées en morceaux par les malgaches selon les besoins des échanges.
A suivre...

■ S.Reutt


Les premières années de Diego Suarez - 1888-1889 : Diego Suarez civile ou militaire ?

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Mercredi, 20 Mai 2015

«Les trois gouverneurs et leur état-major» - 15 octobre 1887
«Les trois gouverneurs et leur état-major» - 15 octobre 1887

En 1888, le territoire de Diego Suarez est gouverné à la fois par un gouverneur civil, Froger, et par un commandant supérieur des troupes, le colonel Badens. Ce qui ne plaît ni aux civils ni aux militaires !

Si la population civile est théoriquement majoritaire (3480 sur 4607 habitants), elle est surtout composée de 2689 malgaches et Comoriens qui n’ont pas beaucoup voix au chapitre! Les militaires, par contre (1127) comptent beaucoup plus de métropolitains dans leurs rangs. Il s’ensuit une compétition farouche entre militaires et civils dont on relève l’écho dans les correspondances de l’époque et sur laquelle ironise l’auteur du Journal des débats, cité dans la première partie de cet article (Tribune n°129) : « Aujourd’hui, Diego Suarez [...] figure au budget colonial pour une somme de 993 814 Fr, et au budget marine pour la moitié environ de ce chiffre. L’autorité militaire y a installé des artilleurs qui se sont mis à construire, à droite et à gauche, des fortins, des magasins et des maisons ; le professeur de Brest (Froger)...a fait venir des travailleurs civils pour faire concurrence aux ouvriers militaires ».

Des conflits permanents entre civils et militaires

Le député Brunet, pendant sa mission de 1888 à Diego Suarez dresse un véritable réquisitoire contre les militaires, affirmant que « Au reste, il semble qu’à Diego Suarez tout ce qui est civil doive céder le pas à l’élément militaire » et il ajoute : « est-ce vice d’organisation ? insuffisance d’instructions ? Le gouverneur lui-même n’a pas toujours été considéré par le commandant des troupes comme le chef réel de la colonie. Cette question des pouvoirs non séparés est la source d’un conflit permanent ». Le meilleur exemple de ces luttes de pouvoir, d’après Brunet, est le problème de l’alimentation en eau de la ville : « Récemment les habitants se sont vus privés d’eau pendant plusieurs jours, les fontaines ayant tari ; pour les besoins des troupes, on s’approvisionnait par bateaux à Diégo (Cap Diégo); en temps ordinaire, un fonctionnaire est placé près de chaque fontaine, pour surveiller et régler l’emploi de l’eau par les habitants et empêcher que personne ne puisse être servi avant les troupes...» et les travaux entrepris ne le rassurent pas : «Un projet de canalisation a été dressé, par les soins de l’artillerie, à l’effet d’approvisionner d’eau la ville d’Antsirane. Mais il y a lieu d’observer que si c’est l’artillerie qui exécute ce travail et si la surveillance du canal appartient à l’autorité militaire et non à l’autorité civile, la situation actuelle ne sera que faiblement modifiée ».

Des artilleurs qui se sont mis à construire...

Dès les débuts de l’occupation française , le premier Commandant particulier de Diego Suarez, Caillet avait dû loger les troupes et mettre en place la défense du nouveau Territoire. Cependant , les mesures prises par Caillet avaient un caractère provisoire dans l’attente de décisions définitives sur le statut de Diego Suarez. Après la mission d’inspection du Général Borgnis- Desbordes, en 1887, un plan de défense définitif fut décidé. En ce qui concerne la défense du front de terre, le poste de Mahatsinjoarivo (dont on voit encore les ruines au-dessus de l’aéroport d’Arrachart), établi par Caillet , fut choisi comme « point d’appui principal de la colonie ». Le décret du 8 février 1888 affecta à ce poste 300 soldats dont deux compagnies de disciplinaires et une compagnie de tirailleurs indigènes, chaque compagnie comprenant 100 hommes, plus un encadrement de 37 hommes dont 4 officiers et 8 sous-officiers. 5 gendarmes à cheval furent chargés des liaisons avec les autres postes. Cependant peu de constructions furent effectuées pour renforcer le réduit construit par Caillet puisque 4 ans après, le botaniste de Kergovatz constatait que « le fort de Mahatsinzo n’est encore qu’une longue caserne défensive en pierre entourée d’une forte palissade ». En fait, le manque de crédit et d’hommes ne permit pas à l’autorité militaire de faire les aménagements nécessaires. Cependant, la plupart des aménagements de la ville sont dus aux artilleurs qui , en 1889, ont construit une briqueterie à Cap Diégo et qui sont à l’origine de l’aménagement du plateau. Mais, si l’armée s’occupe parfois des constructions civiles, le Gouverneur Froger se charge parfois de problèmes de défense !

Le four à chaux de Cap Diego
Le four à chaux de Cap Diego
Quand le gouverneur Froger installe des bâtiments militaires

Dans sa politique d’expansion territoriale, conforme aux instructions qu’il avait reçues à sa nomination (« il nous est indispensable de posséder autour de la baie un espace suffisant pour constituer un périmètre de protection efficace ; nous devons notamment être maîtres des hauteurs avoisinantes...»), Froger se montra plus agressif que les militaires. Favorisant la colonisation au-delà des frontières fixées par le Traité Franco- Merina de 1885, il peuple la plaine d’Anamakia et crée de nouveaux villages : notamment Mangoaka, Ambararata et le village de la Baie du Courrier. Pour protéger ces nouveaux pôles de colonisation, il dut faire installer des postes militaires tenus par des tirailleurs. En fait, les objectifs de Froger répondaient non seulement aux exigences économiques (recherche de ravitaillement) mais aussi aux nécessités de défense du nouvel établissement de Diego Suarez. Ce double souci stratégique et économique est clairement exprimé dans sa lettre du 23 mai 1888: « En poussant les limites de notre établissement jusqu’à Antsatrokala, à 25km au sud de la baie, nous nous assurons un sanatorium indispensable, nous couvrons les vallées cultivables qui peuvent assurer nos subsistances en cas de guerre. Nous gardons les ruisseaux qui alimentent nos établissements et nous complétons la défense de la rade et de la ville qui pourra toujours être prise à revers à l’improviste si nous n’avons aucune garde dans la montagne...»
Cependant Froger, comme l’autorité militaire, manque d’hommes. Un projet, qui ne se réalisera pas, vise à suppléer cette insuffisance de main d’œuvre.

Un bagne à Diego Suarez ?

En 1885, une série de décrets va fixer les « mesures d’exécution de la peine de la rélégation aux colonies ». Qu’est-ce que la relégation ? « En règle générale, lorsqu’un relégable a subi en France, la peine principale qui a motivé sa condamnation, il est immédiatement mis à la disposition de l’administration, qui, seule, désormais, va s’occuper de son transfert aux colonies, conformément à ce qui se passe pour les condamnés aux travaux forcés ». Il s’agit donc de « recaser » dans les colonies les condamnés ayant purgé leur peine. Cette relégation est présentée comme une chance(!) pour le relégué : « La situation qui est faite au relégué sur le territoire de la relégation diffère absolument de celle qui lui est faite, en France, dans les pénitenciers. Sans exagérer, nous pouvons hardiment affirmer qu’aux colonies, c’est une nouvelle vie qui va commencer pour ce malfaiteur endurci [...] Pour lui, en effet, le changement de patrie va amener un changement dans sa condition ». Toute une série de décrets va donc fixer les conditions de la relégation qui s’appliquera notamment à la Guyane et à la Nouvelle-Calédonie... et à Diego Suarez.
Un décret en date du 13 juin 1889 est relatif à la constitution de groupes de relégués collectifs à Diego Suarez. « Art. premier : Le territoire de la colonie française de Diego Suarez [...] est désigné pour recevoir des groupes de relégués collectifs formés en section mobile qui prend le n°3. Ces relégués seront employés à des travaux de routes, de défrichement et d’assainissement.
Art.2 : L’effectif de la section sera au maximum de 400 relégués.
Art.3 : Les fonctions déterminées par l’art.7 du décret du 18 février 1888 sont confiées à un commandant de pénitencier ou à un surveillant principal de relégation. Tant que l’effectif ne dépassera pas cent relégués, un surveillant-chef pourra être chargé de la direction de la section ».

En réalité, ces relégués doivent être demandés par la colonie mais seule Mayotte demandera à en recevoir. Pour Diego Suarez, la seule personne désignée fut une femme à propos de laquelle il est précisé « où son mari, qui désire la rejoindre, trouvera facilement de l’ouvrage ». Cette femme vint-elle finalement à Diégo ? On ne le sait pas. Certaines sections de relégués devaient être utilisés « aux travaux de route » : c’est une section de ce type qui devait être envoyée à Diego Suarez. Cependant, la 3ème section « qui devait avoir son établissement à Diego Suarez, mais qui, pour des causes qui nous échappent, n’y a point encore été installée comprend à peine vingt-deux sectionnaires ».
En tous cas, Diego Suarez n’accueillit pas de relégués civils jusqu’en 1896 (4 relégués) et 1897 (20) qui accomplirent à Diego Suarez leur service militaire. Les autorités civiles continuèrent donc à manquer d’ouvriers qualifiés ...et l’autorité militaire de soldats pour assurer à la fois les travaux du génie et ceux de la défense. Mais la défense contre qui?

Le poste de télégraphie optique du Point 6
Le poste de télégraphie optique du Point 6
L’attitude merina face aux empiétements français

La France veut se défendre contre les ennemis de toujours, les hovas d’Ambohimarina retirés dans leur forteresse d’Ambohimarina, alimentée en armes par leurs alliés anglais qui ont débarqué du matériel en baie du Courrier en novembre 1886... Les habitants de Diego Suarez sont persuadés de la menace et n’hésitent pas à la dénoncer, comme dans cette lettre d’un anonyme, en date du 10 août 1888, parue dans la presse française : « Les Hovas, qui ne veulent pas qu’on leur fasse concurrence et considèrent avec jalousie le développement de Diégo et de Nossi-Be, demandent le relèvement des droits de douane et j’ai bien peur qu’ils ne l’obtiennent. En ce moment, ils sont occupés à établir des postes militaires et douaniers autour de nous pour couper nos communications par terre avec Nossi-Be et à abattre les pavillons français que nos anciens protégés, les Antankares avaient gardés avec obstination. Leur audace restant impunie, ils osent tout. Ils enlèvent des enfants à Ansirane même pour les vendre, ils tuent un créole qu’ils soupçonnaient d’espionnage, et ces actes restent impunis. Vous comprenez que cette situation n’est pas faite pour encourager nos commerçants ni les colons qui se demandent si leurs concessions ne vont pas être demain données aux Hovas ». Et, dans son délire anti-merina, l’auteur de la lettre va jusqu’à accuser le Résident français à Tananarive de collusion avec les hovas d’Ambohimarina : « Je suis persuadé qu’ils (les commerçants et les colons) se trompent mais je comprends qu’ils pensent ainsi lorsqu’ils voient détacher des officiers (français) pour aller former et commander l’infanterie des Hovas contre nos alliés d’hier (les Antankarana)». Et, effectivement, les militaires français entretiennent, avec la garnison merina d’Ambohimarina, de meilleures relations que les civils. C’est ainsi que les premières photos du Gouverneur d’Ambohimarina seront prises et offertes aux officiers merina par le capitaine de Tugny, officier photographe accompagnant le Résident français Le Myre de Villers.
En face de cette animosité du Gouverneur Froger et de la population française d’Antsirane, quelle est l’attitude des autorités d’Ambohimarina?

La politique d’Ambohimarina

Lors de la mission effectuée par Rainizanamanga, fils du Premier Ministre, afin de trancher les problèmes de la délimitation celui-ci avait laissé des instructions visant à supprimer les tensions aussi bien avec les français qu’avec les Antankarana. Les officiers de haut rang qui ont été nommés, (Ramaka , 1er gouverneur, Ratovelo 2ème gouverneur et Rainitavy, 3ème gouverneur,) dans la «politique de charme» qu’ils pratiquent pour dissuader les populations autochtone d’émigrer dans l’établissement français, se livrent à des travaux de modernisation : une école est créée à Ambohimarina, le port d’Ambodivahibe est rénové afin de remplacer celui de Diego Suarez occupé par la France, des travaux d’aménagement agricole sont effectués. Cependant ce qu’Ambohimarina appelle la « politique de conciliation» n’est en fait qu’un aveu d’impuissance en face des empiètements français.
En fait, en 1888-89 en dehors des litiges concernant les droits de douane, peu de conflits opposeront français et hovas. Mais cette politique de conciliation n’aura qu’un temps...
A suivre...

■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez - 1888 : Quel avenir pour Diego Suarez ?

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Mercredi, 29 Avril 2015 05:32

La rade d'Antsiranana

Quand Diego devient territoire français, en 1885, les journaux ne tarissent pas d'éloges sur cette baie, une des plus belles du monde, d'une parfaite salubrité, capable d'accueillir toutes les flottes du monde, indispensable à l'essor maritime de la France, etc... Cependant, des avis divergents vont se faire jour quand il s'agira de voter les crédits nécessaires au développement de la nouvelle colonie

« Deux gros bourgs ont été édifiés »

Malgré cela, le Territoire, et Antsirane notamment, se développe. Alors que la ville basse s’était développée anarchiquement, au gré des nouvelles arrivées, l’espace civil qui se construit sur le plateau répond aux impératifs d’urbanisme. Découpé géométriquement, il obéit au régime des concessions qui exige un titre foncier pour toute construction; concessions qui, depuis l’arrêté du 16 novembre 1887 sont attribuées à titre temporaire : « les concessions urbaines qui n’auront pas été closes et habitées dans un délai de 3 mois seront reprises par l’administration ». Les constructions, faites d’abord en bois ou même en « falafa » se multiplient: on compte, au début de 1888, 187 maisons en bois et 528 cases en falafa. Le bulletin de la Société de géographie de Marseille énumère les progrès de l’urbanisme: « Notre colonie de Diégo-Suarez se développe rapidement. Une grande école indigène a été ouverte; on y construit un hôpital avec le produit des droits sur le rhum; un boulevard a été tracé pour monter sur le plateau qui domine Antsirane et il est question d’amener l’eau dans la ville. La plaine d’Anamakia, dans le voisinage, devenue déserte pendant la guerre, se peuple et se couvre de riches plantations ».

« Le seul commerce florissant est celui des marchands de liquide »

Dans cette ville qui se crée, la quasi-totalité des produits consommés proviennent de l’importation. D’après le Ministère de la Marine et des colonies, les produits d’importation les plus recherchés en 1888 sont les suivants : « Les toiles peintes sont très recherchées. Elles sont de fabrication anglaise et viennent de Nossi-Be ou de Bombay[...] Les Malgaches achètent surtout, pour leurs limbous ou lambas, les mouchoirs de coton, en pièces, à couleurs vives et à dessins rouges, noirs, blancs et verts sur jaune. Les guinées, les cotonnades croisées, blanches, bleues ou écrues, sont d’origine américaine. Elles se vendent 0fr75 le yard à Nossi-Be et 1 fr 10 le mètre à Diégo-Suarez. Les soies et le satin, trame de coton, sont très recherchés par les femmes malgaches[...] La chaussure et les vêtements blancs, par contre se vendent à des prix très bas. Ainsi, une paire de bottines coûte 10 francs et un vêtement complet de toile croisée, avec boutons de nacre, 12 francs. Tous ces articles pourraient être expédiés de France, ainsi que la vaisselle commune, à fleurs. Une douzaine d’assiettes est vendue un franc à Diégo-Suarez. Les articles de quincaillerie, envoyés à Madagascar, sont de provenance anglaise ou allemande. L’industrie française pourrait fournir des pelles, des bêches, des pioches, des scies, des clous et des objets en fonte.»
Les Tablettes coloniales dans leur numéro du 25 juillet 1888 déplorent d’ailleurs que « les marchandises françaises ne figurent encore qu’à l’état d’exception à Diego-Suarez. Le marché est encombré de produits anglais et allemands ». Le gouverneur Froger s’adressera d’ailleurs, dans plusieurs lettres, à Rouen pour trouver des fournisseurs de textiles. Alors, une calomnie l’article du Journal des débats qui affirme que l’on vend surtout du rhum ? Hélas non. C’est encore dans Les tablettes coloniales que l’on peut lire que « les débitants de rhum et de liqueur pullulent» et que «les articles d’importation les plus demandés sont [...]les spiritueux»!
Mais à quelque chose malheur est bon puisque les taxes sur le rhum ont servi à financer l’hôpital !

Louis Brunet, un missionnaire français à Madagascar Louis Brunet, né le 23 juillet 1847 à Saint-Denis de La Réunion et mort le 24 ou le 26 décembre 1905, à Paris, est un homme politique français. Journaliste de profession, il est élu député de La Réunion dans la première circonscription de La Réunion le 20 août 1893 au premier tour face au parlementaire sortant, Édouard Le Roy. Il entre ensuite au Sénat français en tant que sénateur de La Réunion le 8 janvier 1905, soit quelques mois seulement avant son décès. Il est le père d'Auguste Brunet, qui fut lui aussi député de La Réunion.En 1888, il est Chargé par le gouvernement français, d’une mission à Madagascar. Il rapporte de ce voyage d’études un rapport du plus haut intérêt sur les conditions d’occupation de la Grande Île et le développement de l’influence française. Inscrit au groupe républicain à l'Assemblée Nationale, il appartint à diverses commissions spéciales, dont la Commission chargée de l'examen des projets de loi relatifs aux colonies. Il se montra particulièrement actif. Il interpella le Ministère Casimir Périer sur sa politique générale à Madagascar, et l'ordre du jour qu'il déposa, adopté à l'unanimité, fut à l'origine de l'expédition française dans cette île en 1895.
Un coin de terre désolé par la fièvre?

Effectivement, et malgré la réputation de salubrité de Diego Suarez, de nombreux civils et militaires ont été décimés par ce que nous appelons « le palu » et que l’on nommait « les fièvres ». Le Président du Conseil général de La Réunion, Brunet, venu en mission en 1888 s’élève contre cette crainte dans une argumentation contestable : « Un des meilleurs moyens d’éviter la fièvre est de vivre, non dans l’isolement en rase campagne, mais dans les centres de population[...]On a reconnu qu’au centre des villes situées dans les plaines marécageuses, la fièvre ne sévit pas ».
Moralité : il faut développer Antsirane, et principalement, selon Brunet, grâce à des colons réunionnais habitués au climat ! Plus prudent, le colonel Badens, commandant militaire de Diego Suarez avait fait commencer, dès fin 1887, la construction du « sanitarium » (sic) de la Montagne d’Ambre à 1136m d’altitude!

Un coin de terre ...rebelle à toute culture?

Là encore, le Journal des débats n’a pas tout à fait tort... et pas tout à fait raison. Si le Bulletin de la Société d’Acclimatation de France, sous la plume d’un botaniste, déplore la difficulté qu’il y a à faire pousser certaines plantes (d’après lui « il n’y a rien à faire pour faire pousser le eucalyptus » !), par contre, Brunet, lors de sa mission, constate que les sept dixièmes de la plaine d’Anamakia « sont affectés à la culture presqu’exclusive du riz, entreprise par des indigènes Makoas et Betsimisaracks » et que « 50 hectares environ sont détenus et travaillés par des colons originaires pour la plupart de l’île de La Réunion: MM.A.Gangnant, G.Hoareau, Ethève, Gabriel Turpin, Emile de Lanux, Vincent Paris, Sarda, Fontaine, Dalleau, Nativel etc.» dont les plantations de légumes « sont fort belles ». Même chose le long de la rivière des Caïmans où des portions de terre sont occupées par quatorze concessionnaires.
Cependant, malgré l’enthousiasme de Brunet vis à vis des réalisations de ses concitoyens, beaucoup de colons se décourageront et plusieurs dizaines repartiront à La Réunion.
(A suivre)

■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez - 1888 : Quel avenir pour Diego Suarez ?

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1 avril 2015

Une «grande rue» de Diego Suarez

Une «grande rue» de Diego Suarez

Quand Diego devient territoire français, en 1885, les journaux ne tarissent pas d'éloges sur cette baie, une des plus belles du monde, d'une parfaite salubrité, capable d'accueillir toutes les flottes du monde, indispensable à l'essor maritime de la France etc... Cependant, des avis divergents vont se faire jour quand il s'agira de voter les crédits nécessaires au développement de la nouvelle colonie

Si on peut lire dans la presse française de 1888 cette phrase encourageante pour l’avenir : « La petite colonie de Diego-Suarez continue à prospérer » ...ces paroles optimistes ne reflètent qu’à moitié la réalité. En effet, la « petite colonie » n’est pas beaucoup aidée par la métropole qui n’est plus tout à fait persuadée de l’intérêt qu’il y a à garder ce port lointain et difficilement accessible.
Dans le Journal des débats du 20 septembre 1888 on peut lire une charge terrible sur la création de Diego Suarez : « C’était, au dire des marins, une acquisition appréciable pour notre flotte qui y trouverait un abri sûr contre les ras de marées et les cyclones qui désolent la mer des Indes. On a réédité à cette occasion tous les clichés qui avaient servi, une première fois, à justifier la prise de possession de Mayotte [...] et une seconde fois, à faire voter par la Chambre, la création à La Réunion du mémorable port de la Pointe des Galets ; l’occupation de Diego Suarez ne devait, d’ailleurs, rien coûter ou presque rien ; et, par le fait, les débuts furent timides. Un capitaine de frégate, commandant un navire de la division navale, fut chargé de représenter à Diego l’autorité militaire ; quant à l’administration civile, elle fut confiée à un professeur de l’École Navale de Brest, passionné de colonisation, et à qui l’on pensa pouvoir livrer sans inconvénient ce modeste champ d’expériences. Aujourd’hui, Diego Suarez, après avoir nécessité par deux fois le vote de crédits extraordinaires, figure au budget colonial pour une somme de 993 814 fr, et au budget marine pour la moitié environ de ce chiffre. L’autorité militaire y a installé des artilleurs qui se sont mis à construire, à droite et à gauche, des fortins, des magasins et des maisons ; le professeur de Brest, heureux de pouvoir enfin coloniser, a fait venir des travailleurs civils pour faire concurrence aux ouvriers militaires. De chaque côté de la baie, deux gros bourgs ont ainsi été édifiés : Antsirane, d’une part, Diégo de l’autre et les rapports officiels discutent gravement si le siège du gouvernement qu’a institué M. de la Porte doit être Diego ou Antsirane. La vérité est que ce ne devrait être ni l’un ni l’autre. L’occupation du petit territoire que nous ont si généreusement cédé les Hovas n’aurait un intérêt quelconque que s’il s’agissait de faire la conquête de Madagascar. C’est là une hypothèse que les députés de La Réunion sont peut-être les seuls, en France, à envisager sérieusement. En tant que colonie, c’est un coin de terre désolé par la fièvre, rebelle à toute culture, où le seul commerce florissant est celui des marchands de liquide. Dépense : 1 500 000 fr par an pour le seul profit de quelques "mercantis" qui empoisonnent avec des absinthes frelatées plusieurs centaines de nos soldats.»
Terrible condamnation de ce qui se fait à Diego Suarez mais qui donne une assez bonne idée de ce qui se passe dans la nouvelle colonie sur le plan civil et sur le plan militaire.

L’administration civile : un « passionné de colonisation »

Tout le monde ne partage pas l’opinion du Journal des débats sur le « professeur de l’Ecole Navale » Froger. Dans l’ouvrage Madagascar depuis sa découverte jusqu’à nos jours, paru en 1888, Le Chartier et Pellerin affirment que « Dès le début, M.Froger a déployé la plus grande activité; il a pris à cœur les intérêts de notre colonie naissante ». D’ailleurs, ses pouvoirs ont été renforcés par le décret du 4 mai 1888 qui stipule que:
« Article premier : L’île de Nossi-Be, avec ses dépendances, et le Territoire de Diégo-Suarez formeront désormais un seul gouvernement dont le siège est fixé à Diégo-Suarez.
Article 2 : L’île de Sainte-Marie de Madagascar cesse d’être une dépendance du gouvernement de la Réunion, pour être rattachée au gouvernement de Diégo-Suarez.»
En effet, le Ministre de la Marine, à l’origine de cette proposition de rattachement, a fait observer qu’il était nécessaire « pour éviter les divergences dans notre action politique, de soumettre à une même autorité le territoire de Diégo-Suarez, l’île de Nossi-Be avec ses dépendances (Mayotte), et notre établissement de Diégo-Suarez », qui, par sa situation était tout désigné pour devenir le centre des possessions françaises de la région. Pour gouverner cet ensemble devenu plus important, le gouverneur fut assisté par un directeur de l’intérieur et par un chef du service administratif.

Froger « fait venir des ouvriers civils »

De jour en jour la population civile d’Antsirane s’accroît: si, en 1886 le commandant de la division navale de l’océan Indien indiquait 883 habitants (dont 602 malgaches), les chiffres du premier recensement de la colonie de Diego Suarez, en date du 31 décembre 1887 sont les suivants:
-Français et créoles de La Réunion: 527
- Européens et créoles de Maurice: 93
-Malgaches et Comoriens: 2689
- Fonctionnaires civils et leur famille: 31.
Le total de la population recensée s’élève à 4607 dont 1127 militaires (armée: 1051- Marine:76) et environ 150 non sédentaires.
Mais, dans le compte des « Français » il y a peu de métropolitains .
Le gouverneur Froger va donc tenter d’attirer colons (venant de France ou de La Réunion) et travailleurs locaux. Pour attirer les bras dont a besoin la ville dans son processus d’expansion, Froger utilise une politique de charme vis à vis des Antankarana et de leurs chefs, les engageant à « s’abriter sous le drapeau français à Diégo-Suarez » et offrant un terrain au roi Tsialana II pour qu’il « puisse se réfugier à Diégo-Suarez s’il juge sa vie en péril ».
Par ailleurs, l’esclavage étant interdit à Diego Suarez en raison de l’article 6 de la constitution française de 1848 qui dispose que « l’esclavage ne peut exister sur aucune terre française », Froger attire dans la ville les esclaves voulant échapper à leurs maîtres Merina ou Antankarana.
Pour faire venir des colons, le gouverneur s’adressa d’abord au Gouverneur de La Réunion : « C’est avec une satisfaction réelle que notre jeune colonie verra sa population s’agrandir de nouvelles familles de colons agriculteurs » (Le Temps 29/12/1888) à qui il promet d’allouer gratuitement des terres.
Cependant, le problème de la main d’œuvre reste un souci primordial à Diego Suarez en 1888.
(A suivre)

■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez - 1886-1887 : Quelles frontières pour Diégo ? 2

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Dimanche, 15 Mars 2015 07:34

La plage d’Antsirane en 1886

Le 17 décembre 1885, un traité met fin à la première guerre franco-hova. Si les français trouvent que l’Amiral Miot et le consul Patrimonio, qui l’ont signé, ont fait trop de concessions, en revanche, le Premier Ministre de la Reine, Rainilaiarivony considère qu’on l’a « amputé » d’un membre

Le village se transforme en petite ville

La présence militaire avait attiré à Diego Suarez une population civile, encore peu nombreuse et très diversifiée. Le docteur Bonain décrit ainsi cette ville en train de naître : La population se compose actuellement d’une centaine de blancs et de mulâtres (Européens ou créoles de La Réunion et de Maurice) commerçants et ouvriers, et d’environ cinq cents Antankaras, Betsimisarakas, Antalotras, Makoas, Indiens et Comoriens. Le quartier malgache est nettement séparé du quartier habité par les blancs. Pour le moment les feuilles du rafia et le chaume font peu à peu tous les frais des diverses constructions ; quelques maisons en bois à la toiture formée de feuille de tôle cannelée s’élèvent cependant peu à peu. D’ailleurs, le territoire militaire de Diego Suarez allait changer de statutavec le départ du Commandant particulier Caillet remplacé par un civil, Ernest Emmanuel Froger. Nous l’avons vu précédement, le résident général, Le Myre de Villers avait, dès le 2 août 1886, nommé un gouverneur civil, Ernest Froger. Dans la presse parisienne, on peut lire le 9 février1887 : « M.Ernest Froger, nommé commandant particulier des Etablissements français de Diego Suarez est parti pour sa destination ». Il y arrivera le 4 mars. Qui est Ernest Froger ? Ancien professeur de littérature et d’histoire à l’Ecole Navale, il a fondé à Brest, en 1883, la Société française de colonisation. Personnage « susceptible » selon ses contemporains, il va marquer durablement les débuts de la ville d’Antsirane en s’opposant souvent aux militaires ainsi qu’aux gouverneurs hovas du fort d’Ambohimarina.

Les premiers efforts d’organisation civile de Diego Suarez

Un certain nombre de structures vont être mises en place en 1887 sous le gouvernorat de Froger. Tout d’abord, il faut nourrir Diego Suarez ; et surtout, trouver dans cette région à peu près vide d’hommes, les travailleurs nécessaires au développement de la nouvelle colonie. Pour cela, inlassablement, Frogerva adresser des lettres à La Réunion et en France pour qu’on envoie dans le territoire des cultivateurs. Le 18 juillet 1887, dans une lettre adressée au gouverneur de La Réunion, il demande à ce que l’on publie l’avis « que l’Administration de Diego Suarez verrait avec plaisir quelques petits cultivateurs expérimentés dans les cultures tropicales s’établir dans les vallées qui environnent Antsirane pour y tenter la culture vivrière et celle de la vanille, du café, du cotonnier, des épices en général...».
En 1887, la population du Territoire s’est fortement accrue puisqu’elle compte 2200 habitants. Mais Diego Suarez manque d’infrastructures, notamment sur le plan sanitaire : « A Diego Suarez, que l’on croyait le point le plus sain de Madagascar, règne depuis le 1er février une période de grande mortalité : cinquante-sept décès [...] La question sanitaire est devenue une question brûlante ». L’administrationa donc décidé de créer un lazaret en baie du courrier (c’est à dire en dehors du territoire concédé par le Traité). Pour loger tous ces nouveaux venus, des concessions urbaines seront accordées à titre provisoire. Les arrêtés locaux des 16, 25 mars et du 16 novembre 1887 qui régissent ces concessions précisent que « les concessions urbaines qui n’auront pas été closes et habitées dans un délai de trois mois seront reprises par l’Administration », ceci afin de freiner la spéculation et de ne pas obérer la mise en place d’un plan d’alignement de la ville.

« Vue générale d’Antsirane en 1887 » La rapidité du développement de la jeune ville est manifeste...

En ce qui concerne la sécurité, Froger va installer une police, qui n’aura pas vraiment la faveur de la population si l’on en croit le texte publié par la Société de géographie commerciale : « Le commandant particulier, M.Froger est arrivé à Diégo le 4 mars ; il est rempli de bonnes intentions, mais, malheureusement, il a les bras liés par ses instructions [...] Déjà, cependant il a réorganisé le corps de la police, mais à mon avis sur une mauvaise base....». Cette « mauvaise base » selon l’auteur de la lettre c’est d’avoir recruté des Anjouanais qui sont un peu trop rudes avec la population ! La sécurité est d’ailleurs assurée également par un détachement de gendarmerie créé en mai 1887. En octobre de lamême année, un Tribunal de paix est mis en place.
En ce qui concerne le commerce, il est freiné par le fait que toutes les marchandises sont importées et que les droits de douane, que l’on paye à l’entrée et à la sortie, sont « exorbitants » : « Il (le droit de douane - NDLA) est en ce moment de 12% sur n’importe quelle marchandise ». Pour éviter les droits de douane les boutres vont débarquer dans la baie d’Ambodivahibe qui appartient aux hovas d’Ambohimarina, réputés plus « arrangeants ». Aussi, les commerçants demandent-ils que Diego Suarez devienne un port franc.
Enfin, l’année 1887 va voir la naissance d’une modeste industrie avec la création des premières salines.

Les nouvelles constructions militaires

De leur côté, après le départ de Caillet, les militaires continuentde renforcer le Territoire. Le bulletin de la Société de Géographie commerciale donnant des « Nouvelles de Diego Suarez » indique que « un nouveau fort a été créé au Point 6. Le général Borgnis-Desbordes avait trouvé que le fort de Matsinzo ne répondait pas au but que l’on s’était proposé : il était placé trop près de la Montagne d’Ambre et la plaine de Betaix était assez vaste pour permettre à une colonne de passer inaperçue. Aussi l’occupation du Point 6 fut-elle décidée ; mais [...] ce point 6 était situé entre la douane hova et le fort hova ; il fallait donc faire reculer la douane hova, ce qui n’était pas facile ». Pour y arriver le colonel Badens utilisa la diplomatie et les cadeaux en rendant visite au Gouverneur d’Ambohimarina, Ramaka, et en établissantdans le fort hova une station optique. Enfin, le colonel Badens (qui a donné son nom a un des sommets de la montagne d’Ambre) commence en 1887 à étudier l’installation d’un sanatorium dans cette montagne à 1136m d’altitude.
A la fin de 1887, si Diego Suarez n’est pas encore la « forteresse de l’Océan Indien » que certains souhaitent, l’implantation française s’est considérablement étendue et renforcée. Ce développement va se poursuivre, plus ou moins difficilement, dans les années qui suivent.

■ Suzanne Reutt


Les premières années de Diego Suarez : 1886-1887 : Quelles frontières pour Diégo ?

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Dimanche, 01 Mars 2015 07:31

Antsiranana, village français de la baie de Diego Suarez

Le 17 décembre 1885, un traité met fin à la première guerre franco-hova. Si les français trouvent que l’Amiral Miot et le consul Patrimonio, qui l’ont signé, ont fait trop de concessions, en revanche, le Premier Ministre de la Reine, Rainilaiarivony considère qu’on l’a « amputé » d’un membre

Ce membre, c’est Diego-Suarez que la France conserve, avec le droit d’y « faire des installations à sa convenance ». Cependant, Rainilaiarivony ayant demandé d’expliciter plusieurs articles, Miot et Patrimonio adressèrent, le 8 janvier 1886, une lettre qui leur fut âprement reprochée et dans laquelle il précisait, à propos de Diego Suarez, « En ce qui concerne le territoire nécessaire aux installations que le Gouvernement de la République fera, à sa convenance, dans la baie de Diego-Suarez, nous croyons pouvoir assurer qu’il ne dépassera pas un mille et demi dans tout le sud de la baie, ainsi que dans le contour de l’est à l’ouest, de quatre milles autour du contour nord de la baie, à partir du point de la dite baie le plus au nord...» Engagement que le Résident Général, Le Myre de Villers, se hâta de désavouer en déclarant qu’il ne reconnaissait aucune valeur à la lettre de Miot et de Patrimonio. De son côté, le Premier Ministre de la Reine, affirma qu’il considérait cette lettre comme une annexe indispensable au traité.

Les positions étant inconciliables, les négociations furent rompues jusqu’à ce que Rainilaiarivony propose de les renouer. Une mission comprenant un émissaire français et un officier hova (le propre fils du Premier Ministre), fut donc envoyée sur le terrain mais ne put trouver un accord.

Les empiétements français

Renonçant à trouver une entente, Le Myre de Villers décida de remplacer les discussions par des actes. Il ordonna au commandant de la division navale de « ne laisser occuper par les hovas aucun point situé en dedans de la ligne des crêtes qui entourent la ville côté sud ». Le 2 août 1886, un gouverneur fut désigné pour gouverner la baie de Diego Suarez avec mission d’étendre la colonie aussi loin que possible.

Les établissements français à Diego Suarez constituent un service distinct placé sous l’autorité du ministre de la marine et des colonies. Les relations entre le commandant de ces établissements et les autorités de l’île ont lieu exclusivement par l’intermédiaire du résident général

Dans le même sens, en France, le 29 novembre 1886, après une interpellation à la Chambre, le Président du Conseil avait répliqué : « M.Freppel a semblé croire que nous étions enserrés dans les limites qui avaient été indiquées dans un document non-officiel, et il a supposé que nous aurions accepté à cet égard les exigences du gouvernement hova.Il n’en est rien ; nous avons pris à Diego Suarez la position que nous avons jugé à propos de prendre; nous comptons la garder[...] et nous l’étendrons autant que cela nous paraîtra indispensable, tant au point de vue de notre développement commercial qu’au point de vue de nos nécessités militaires et de notre dignité ». L’année 1886 vit ainsi les troupes françaises se heurter aux soldats hovas installés dans les territoires contestés. Le 19 janvier la garnison de Diego enlève un camp hova près d’Antsirane ; le 19 décembre des sakalaves, conduits par le capitaine Jacquemin détruisent le village de Bekaraoka où se trouvaient des hovas (La Dépêche malgache) ; « en octobre 1886, le commandant Caillet, passant outre aux protestations du gouvernement hova, occupa la hauteur de Madgindgarive [Mahatsinjoarivo], point stratégique de premier ordre » (La France coloniale).
Les quelques années qui suivirent allaient voir les français étendre le domaine qui leur avait été assigné par la lettre Miot-Patrimonio, sans trop d’incidents avec le gouvernement des hovas d’Ambohimarina avec qui un « modus vivendi » semble s’être établi. Et ce, d’autant plus que les Français font preuve de la plus grande mauvaise foi : « Il n’est pas nécessaire de donner à ces opérations un caractère officiel. Pendant ce temps, le règlement avec les Hovas interviendra et il sera même d’autant plus facilité que nous aurons la possession de fait » (lettre du 16 août 1886 au Sous-secrétaire d’Etat aux colonies).

Le gouvernement d’Ambohimarina face aux empiètements français
Ramaka, gouverneur général des Antakarana et son état-major

La province d’Antomboka, c’est à dire la province du Nord est très loin de la capitale et les communications sont difficiles entre Tananarive et le fort d’Ambohimarina où se sont repliés les hova. Aussi est-elle, jusqu’en 1886, à peu près délaissée par le pouvoir central. Avec l’installation des français à Diego Suarez, le gouvernement royal va entreprendre auprès des populations du Nord une politique de séduction pour ramener les populations tentées par le développement et l’animation d’Antsirane. Lorsque Rainizanamanga, le fils du Premier Ministre vient contrôler la délimitation de Diégo, il laisse aux officiers d’Ambohimarina une série d’instructions précisant la conduite à tenir vis à vis des étrangers mais aussi des populations du nord. Il s’agira d’accorder le pardon aux populations révoltées, de restituer les biens confisqués mais aussi de supprimer les abus( réquisitions abusives, escroqueries, taxes excessives etc.). Des gouverneurs de plus haut rang sont nommés qui réformeront la justice, développeront la scolarisation, supprimeront certaines corvées et confirmeront les privilèges des chefs locaux. Ceci suffit-il à ramener les populations tentées par le nouveau territoire ? Apparemment si l’on en croit, le gouverneur Ramaka qui écrit au Premier ministre le 16 octobre 1886 : « très peu de sujets royaux restent encore à Diego Suarez ».
Par ailleurs une politique de développement de l’économie est mise en œuvre avec l’aménagement des rizières et le développement du port d’Ambodivahibe. En réalité l’attraction de la ville en train de naître est la plus forte d’autant plus que Diego Suarez, terre française, a aboli l’esclavage et sert d’asile aux esclaves qui fuient leurs maîtres. Par ailleurs, les militaires hovas, mal équipés ne « font pas le poids » face aux militaires français : le 10 septembre 1887, le gouverneur d’Ambohimarina, Ratovelo, écrit au Premier ministre pour se plaindre du fait que les Sakalaves équipés de carabines se moquent des militaires merina qui ne disposent que de vieux fusils à pierre, et il réclame des munitions et des uniformes pour renforcer. leur dignité.

Diego Suarez, territoire militaire
M.Froger, Résident de Diego Suarez

Le décret de mars 1886 qui fixe les attribution du représentant de la République française à Madagascascar précise, dans son article 6 : « Les établissements français à Diego Suarez constituent un service distinct placé sous l’autorité du ministre de la marine et des colonies. Les relations entre le commandant de ces établissements et les autorités de l’île ont lieu exclusivement par l’intermédiaire du résident général ». C’est donc un marin, le capitaine de frégate Caillet, nommé commandant supérieur du nouvel établissement, qui va être chargé des premiers aménagement du territoire de Diego Suarez.
En août 1886 un télégramme précise : « Informez Commandant Caillet qu’il est maintenu nouvel ordre dans commandement Diego Suarez. Instructions nouvelles lui ont été envoyées par Zanzibar : il devra autant que possible occuper tout territoire sud qui s’étend au nord de la crête est et ouest séparation des eaux au nord du mont d’Ambre sans menacer le fort Ambohimarina et en évitant toute collision- Meurthe partant 6 septembre vous amènera infanterie marine renforts ».
Conformément aux ordres reçus, Caillet va d’abord s’occuper de la défense de Diégo Suarez. Nous avons vu (n° 126 de La Tribune)que, dès son arrivée, Caillet avait fait construire deux petits fortins destinés à protéger Antsirane d’une éventuelle attaque des soldats merina d’Ambohimarina. Il fit aussi construire, sur la hauteur de Mahatsinjoarivo, un petit fort en rondins , tenu par les tirailleurs sakalaves du Commandant Pennequin, pour surveiller la route d’Ambohimarina. En 1886, ayant reçu des renforts et du matériel par le navire La Meurthe, il dut songer à loger les troupes et à installer une infirmerie à Cap Diego.Le Br Bonain, médecin de la Dordogne, le navire-transport sur lequel avait d’abord résidé Caillet, décrit ces premières installations : « J’ai parlé plus haut de l’établissement maritime qui se fonde actuellement au Cap Diégo ; vis à vis, dans le port de la Nièvre, au sommet du promontoire qui sépare ce port de la baie dite des Français, s’élève le village d’Antsirana (village de la pointe) à tort nommé sur les cartes Antomboka (région du pied, de l’extrémité) qui est le nom donné par les Hovas à la partie extrême Nord de Madagasar. Les Hovas avaient avant la guerre, à Antsirana, un poste de douane ; au début des hostilités, ils se sont retirés à vingt-cinq kilomètres en arrière, dans leur fort d’Ambohimarina. Situé sur une plage basse et de médiocre étendue, au pied d’un plateau aux flanc abrupts, d’une hauteur d’environ vingt-cinq à trente mètres, le village en train de se transformer en petite ville, comprend aujourd’hui, outre les casernements des troupes, une réunion de cases massées sur la droite de la plage, et s’étendant sur une longueur de trois à quatre cents mètres, dans une sorte de cirque, véritable échancrure du plateau dont les bords le dominent dans les trois quarts de sa circonférence. Deux fortins couronnant la crête du plateau assurent la défense à droite et à gauche. [...] L’établissement militaire est placé sur la gauche où le sol est un peu plus élevé et surtout plus déclive. De beaux casernements en fer et en briques construits assez hauts sur des piliers en maçonnerie, offrent aux troupes un logement très confortable. Une source d’excellente eau jaillit en ce point des flancs du plateau ; traverse, conduite par un long canal de bois, les cantonnements et vient se déverser dans un bassin cimenté où peuvent se baigner les hommes ».
Caillet, militaire, s’était surtout préoccupé de l’installation des troupes, aussi bien à Cap Diego, qu’à Antsirane, dans la ville basse où l’on peut voir encore ces casernements construits sur piliers dont parle Bonain.

■ Suzanne Reutt


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