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Une héroïne française

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Le 27 janvier 2016 | Par Gilles Martin-Chauffier

Edmonde Charle-Roux dans sa villa, près d’Aix-en-Provence

Dans sa villa, près d’Aix-en-Provence : des centaines de livres et une photo de Gaston Deferre avec Zizi Jeanmaire, qu’ils adoraient. Edmonde avait écrit des arguments de ballet pour Roland Petit. © Jacques Lange

La romancière, ancienne présidente du jury Goncourt, fut d’abord une combattante pendant la Seconde Guerre mondiale. Edmonde Charles-Roux a régné. Sur la presse, sur le (grand) monde. Et sur le cœur de Gaston Defferre, donc sur celui de Marseille. Puis elle a été élue présidente. C’était à l’académie Goncourt dont elle a été membre pendant trente-trois ans.

On a tout dit d’elle. Qu’elle était belle, intelligente, cultivée, courageuse, proche de la plus haute société comme intime des meilleurs artistes de son temps. Toutes les épithètes flatteuses allaient à son teint. Mais personne ne lui a jamais accolé le terme de « familière ». Edmonde Charles-Roux était d’abord une femme du monde.

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A Marseille, sa ville adorée, où l’on n’ignorait rien de son caractère et de sa personnalité, on l’appelait la « dame de fer » depuis son mariage avec le maire. Mais on connaissait sa famille depuis des générations. Dès le XIXe siècle, les Charles-Roux y avaient tenu le haut du pavé. Propriétaires de savonneries, armateurs, députés attachés à l’expansion de notre empire colonial, ils y symbolisaient la haute bourgeoisie triomphante de la IIIe République qui fournissait le pays en industriels et en grands commis de l’Etat. Parfois, comme son père, ils étaient l’un et l’autre.

A 15 ans, Edmonde Charles-Roux a déjà compris qu’on n’éteint pas la lumière en fermant les yeux

Avant de devenir le dernier président de la richissime Compagnie de Suez, nationalisée par Nasser en 1956, François Charles-Roux avait été un grand ambassadeur à la veille de la Seconde Guerre mondiale. A l’époque, le Quai d’Orsay était le club le plus chic de France, plus sélect encore que le Jockey. On y rencontrait les Margerie, les Chambrun, les François-Poncet et tous ces fils de famille qui incarnaient l’élégance patricienne française mais défendaient la République et ses valeurs face aux voyous tenant les rênes à Berlin, Rome, Madrid et ailleurs. L’Europe était leur salon.

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C’est parmi eux que, petite fille, Edmonde a découvert le monde dans nos ambassades les plus prestigieuses, à Prague, puis à Rome, auprès du Saint-Siège, à deux pas de la place de Venise d’où Mussolini haranguait la foule. Inutile de dire que si, en ces années-là, les enfants pouvaient être vus mais pas entendus, elle n’en ouvrit pas moins grands les yeux.

Edmonde Charles-Roux, une combattante qui recevra la croix de guerre.
Edmonde Charles-Roux, une combattante qui recevra la croix de guerre. © DR

Rien ne lui échappa du spectacle quotidien de la brutalité fasciste. Ni de l’impuissance de nos diplomates en cachemire qui saisissaient leurs pinces à sucre pour contrer les haches de Hitler. Marquée à vie, Edmonde fut du premier au dernier jour une femme de gauche. A 15 ans, déjà, elle avait compris qu’on n’éteint pas la lumière en fermant les yeux. Dans l’existence, il faut se battre. Quand la guerre éclate, elle a 20 ans, et les filles de son milieu, avec leur col en dentelle et leurs gants blancs, ont l’air de Cendrillon au bal. Pas elle. Alors que son père va devenir secrétaire général du Quai d’Orsay à la place d’Alexis Leger, elle s’engage comme infirmière et elle est blessée. Après la débâcle, pas question de se résigner, elle travaille pour la Résistance. Et, en 1944, dès le Débarquement en Provence, elle entre à la 5e DB et mène campagne jusqu’à la victoire.

Gaston Defferre la contemple comme la voûte céleste et elle le seconde dans la cité

Infirmière, elle soigne beaucoup de légionnaires, devient extrêmement populaire, notamment auprès des Tchèques dont elle comprend la langue, et sera faite caporal d’honneur de la Légion étrangère, une distinction dont elle restera aussi fière que de sa croix de guerre et de sa Légion d’honneur où elle atteindra le grade de grand officier. La paix établie, elle redevient ce qu’elle est : une vraie beauté du gratin qui se demande ce qu’elle va bien pouvoir faire de sa vie. Pas question de se ranger en annonçant ses fiançailles dans le carnet mondain du « Figaro ». Avec la souplesse des petits chats, qui retombent toujours sur leurs pattes, elle atterrit dans la presse. Elle est belle, elle a un merveilleux carnet d’adresses plein de De… et de Du…, la presse féminine l’accueille à bras ouverts. D’abord à « Elle », avec Hélène Lazareff, puis à « Vogue ». Mais c’est mal la connaître d’imaginer qu’elle va se contenter de mondaniser pour le journal. Ce n’est pas le champagne qu’elle veut faire couler, c’est l’encre.

Décembre 1971, Edmonde Charles-Roux pose pour le photographe de Paris Match Jean-Claude Sauer.
Décembre 1971, Edmonde Charles-Roux pose pour le photographe de Paris Match Jean-Claude Sauer. Jean-Claude Sauer

Et, là encore, son énergie renverse tout sur son passage. En six ans, elle devient rédactrice en chef et crée un style. Fini, les photos posées et les légendes composées, le style petite dame, les renvois d’ascenseur, les séances maquillage. Elle n’a pas des yeux pour recopier ce qui se fait déjà. Elle appelle les meilleurs photographes (William Klein, Richard Avedon, Irving Penn, Guy Bourdin), rameute ses amis écrivains (Violette Leduc, François Nourissier, François-Régis Bastide) et leur laisse carte blanche en disant, comme Diaghilev à Cocteau : « Etonnez-moi. » Ça marche. Elle n’a pas peur de choquer et d’imposer son point de vue au cric. L’art et la presse ne sont pas faits pour changer le monde mais pour le montrer. Alors, allons-y ! Un jour, elle fait poser des mannequins sur le mur de Berlin ! Une autre fois, elle prétend mettre une top model noire en couverture. Là, c’en est trop pour le groupe Condé Nast. Les provocations de la gauche caviar parisienne font sans doute beaucoup rire Aragon et sa petite bande (dont Edmonde est un suppôt) mais passent par-dessus la tête des annonceurs de Manhattan qui ne veulent jamais prendre leurs lecteurs à rebrousse-poil. Edmonde claque la porte.

Invitée à l’Elysée par Giscard d’Estaing (à g.) lors de la réception pour le pape Jean-Paul II en 1980. A sa droite, François Mitterrand et Gaston Defferre.
Invitée à l’Elysée par Giscard d’Estaing (à g.) lors de la réception pour le pape Jean-Paul II en 1980. A sa droite, François Mitterrand et Gaston Defferre. © Patrick Jarnoux/PARISMATCH/SCOOP

Ça tombe bien, elle avait envie de passer à autre chose. La littérature la démange. Elle s’est fait la main en servant de nègre à Maurice Druon pour sa saga des « Rois maudits ». Depuis, elle songe à un roman personnel. Son licenciement lui donne des fourmis dans les doigts. Bientôt paraît son premier titre : « Oublier Palerme ». Un vrai règlement de comptes : la vie d’une petite Sicilienne partie pour New York où elle entre à « Fair », un journal qui ressemble comme deux gouttes d’eau à « Vogue ». C’est une fresque : l’Amérique, la Sicile, l’amour, la presse, le chagrin. Succès immédiat et, cerise sur le gâteau, le prix Goncourt. Décidément, elle déploie ses talents comme un éventail. Sa troisième carrière est lancée. Tout se passe à merveille. Dans « Elle, Adrienne », un aristocrate, officier dans la Wehrmacht, tombe amoureux d’une célèbre couturière parisienne ; cela ressemble à une liaison fatale de Coco Chanel ou d’Arletty dans l’Europe équivoque des années 1940. Gros succès. Tout comme « L’irrégulière », encore plus visiblement inspirée par Chanel. Ensuite viendront deux ouvrages plus austères pour raconter la vie d’Isabelle Eberhardt, une jeune Suissesse convertie à la religion musulmane et morte à 27 ans lors de la crue d’un oued dans le Sud algérien qu’elle traversait déguisée en garçon. Un sujet idéal pour Paris, ville où beaucoup de mandarins mènent la vie de Cocteau tout en rêvant d’enfiler bientôt les sandales de Charles de Foucauld.

La photo préférée de Gaston Defferre : Edmonde Charles-Roux et lui sur le yacht « Eglantine ».
La photo préférée de Gaston Defferre : Edmonde Charles-Roux et lui sur le yacht « Eglantine ». © DR

Mais les deux livres, même longs comme les dunes du désert, confirment son talent : l’histoire inouïe d’une femme qui se noie au Sahara ! C’est une grande romancière. Tant mieux pour ses confrères car elle finit aussi par être la grande prêtresse du Goncourt. Et attention, prudence ! Les éditeurs découvrent vite que, avec elle, mieux vaut s’abstenir de savantes manoeuvres d’approche. Elle aime ou elle n’aime pas, mais elle n’a besoin de personne pour se faire expliquer les subtilités d’une oeuvre. C’est une femme libre. Une femme heureuse, aussi. Elle a enfn rencontré l’homme de sa vie. Ce n’est pas le premier. Elle a beaucoup de succès. On l’a vue longtemps auprès d’Orson Welles, puis avec Maurice Druon. Plus tard, le Tout-Paris médisant lui prêtera une liaison avec Kadhafi – elle en sourira, ni plus ni moins. Mais cette fois-ci, c’est le bon. Au lendemain du Goncourt, quand Marseille a voulu rendre hommage à son prix, Gaston Defferre est tombé amoureux au premier regard.

Edmonde Charles-Roux devant la Sainte-Victoire
Edmonde devant la Sainte-Victoire, la montagne de Cézanne, près d’Aix, où elle avait choisi de se retirer en 1989, trois ans après la mort de Gaston Defferre © Jacques Lange

Très vite, ils sont comme le gant et la main. Il la contemple comme la voûte céleste et elle le seconde dans la cité dont elle devient le ministre de la culture, de la communication et de mille autres petites choses qui nous échappent. En épousant ce protestant austère venu de Nîmes pour s’emparer de la ville et ne plus la lâcher jusqu’à sa mort, elle est à sa place, la première. Qu’il s’agisse du « Provençal », de Bernard Tapie, du Festival d’Aix, du théâtre La Criée, du musée Cantini, dès qu’une question se pose, la réponse s’impose : « Qu’en pense Edmonde ? » On attend alors ce que dit l’oracle. Edmonde est la reine, tout simplement. A la mort de Gaston, elle lui consacrera un superbe album photo, « L’homme de Marseille », où on les voit avec leurs amis, des gens tout simples, les Mitterrand, par exemple, ou le kiosquier de la rue Paradis. De son Olympe, Edmonde ne classait pas les gens. A la fin de sa vie, elle vivait beaucoup dans sa propriété de la campagne provençale. Une très belle maison, pas le genre qu’on achète, plutôt celle « qui est dans la famille depuis l’Antiquité ». Elle donnait encore des critiques littéraires à « La Provence », mais on n’osait plus la déranger. Fille de mandarin, femme de mandarin, mandarin elle-même, elle aurait pu susciter la jalousie mais c’est le respect qu’elle inspirait. La prudence aussi car on sentait vite en sa présence que cette femme, tellement élégante et séduisante, pouvait d’un mot vous effacer du paysage, sans élever le ton, d’une voix blanche tombée de la plus haute branche de son arbre généalogique.


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