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Hélie de Saint Marc, sentinelle de légende

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Mardi 27 Août 2013

Hommage. 1922-2013 “Le paradoxe de mon existence aura été d’être souvent attiré aux avant-postes de

l’Histoire, d’en côtoyer les passions et les brûlures, tout en demeurant, sur le plan intérieur, en proie au

questionnement…” Photo © AFP


« J’approche du mystère et je me sens plus démuni qu’un enfant. » Hélie de Saint Marc avait laissé, il y a trois ans, un testament spirituel sous le titre l’Aventure et l’Espérance. « À mon âge, écrivait-il, c’est peut-être la seule grâce qui reste, cette flamme fragile, si bouleversante, que je veux confier à mes lecteurs. » C’est parce qu’il a voulu la transmettre intacte, au-delà de la génération de ses frères d’armes, à celle de leurs enfants et petits-enfants, que cette flamme ne s’est pas éteinte le matin du lundi 26 août.

« Repiquer chaque matin le riz de nos souvenirs, écrivait-il encore, pour que d’autres en extraient quelques grammes d’humanité, pour les repiquer ailleurs. » Il était la sentinelle, le veilleur d’une très longue Histoire, le témoin dont parle Pascal quand il dit : « Je ne crois qu’aux témoins qui se font égorger. » « Les témoins, rappelait Saint Marc, sont le sel d’un pays. De près, ils brûlent la peau car personne n’a envie de les entendre. »

La première fois qu’il se fit entendre par d’autres hommes que ses soldats, ce fut le 5 juin 1961 devant le président et les huit juges du Haut Tribunal militaire réunis au palais de justice de Paris. Il portait son uniforme de sortie, son béret vert de légionnaire parachutiste et ses décorations (treize citations) sur la poitrine. « Depuis mon âge d’homme, monsieur le président, j’ai vécu pas mal d’épreuves, dit-il, la Résistance, la Gestapo, Buchenwald, trois séjours en Indochine, la guerre d’Algérie, Suez et puis encore la guerre d’Algérie. »

Il s’exprime ce jour-là comme détenu sous le mandat d’arrêt délivré le 6 mai 1961 par le juge Henry Théret à Denoix de Saint Marc, Marie Joseph Élie (avec une faute d’orthographe), né le 11 février 1922, commandant le 1er régiment étranger de parachutistes (Rep), cantonné à Zéralda (Algérie), sous l’inculpation d’“occupation d’édifices publics, port d’arme d’un mouvement insurrectionnel, intelligence avec les dirigeants d’un mouvement insurrectionnel”. Il s’en explique devant ses juges : « Monsieur le président, on peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c’est son métier. On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer… »

C’est pour cette raison-là, pour ne pas renier les engagements qu’il avait pris sur l’honneur en Algérie au nom de l’armée française, pour ses hommes, pour ses harkis, que six semaines plus tôt, le 21 avril 1961, il avait rallié un général entré en révolte, Challe, qu’il admirait comme il avait admiré de Lattre en Indochine. Il avait entraîné son régiment dans un putsch militaire et son destin avait basculé. Il est condamné, lui l’officier français, résistant, déporté, légionnaire, à dix ans de détention criminelle. Incarcéré à la Santé, à Clairvaux, à Tulle, il sera gracié par de Gaulle et libéré le jour de Noël 1966.

Le soldat jusqu’alors plongé dans l’action passe brutalement de l’aventure la plus intense à l’enfermement total. « Ce fut un temps de réflexion après une vie d’une incroyable richesse et le commandement d’hommes étranges et rudes. La prison peut pourrir. Elle m’a permis de beaucoup travailler. » Il avait près de lui aussi bien Péguy — « Mère, voici vos fils qui se sont tant battus » — qu’Aragon, Conrad, Kipling, ou même Duras — Un barrage contre le Pacifique, « le livre de l’enthousiasme et de l’utopie », dira-t-il. Ce temps de réflexion est aussi un temps de travail sur lui-même.

Mais à sa sortie de prison, le destin extraordinaire de ce soldat n’intéresse personne ou presque. Après tout, écrira Laurent Beccaria, son petit-neveu (il est le fils d’une Saint Marc), « il partageait avec les autres réprouvés une mémoire blessée et orpheline ; il avait connu la prison, la dégradation et la privation des droits civiques ». À 60 ans, « il était encore en quête de sa vérité et mettait une intensité rare à la recherche du passé ».

Ce passé, Beccaria, né deux ans après le putsch d’avril 1961, le fait surgir dans une biographie publiée en 1988. Apparaît soudain devant le grand public comme une figure de Commandeur ce personnage de légende, combattant de la Résistance à 19 ans, arrêté par la Gestapo à 21, déporté au camp de Buchenwald, puis transféré par un froid glacial dans un tunnel pire encore, Langenstein, et finalement libéré de cet enfer quotidien le 9 avril 1945 alors qu’il vient d’avoir 23 ans… Il s’est nourri de Malraux — « l’espoir ne commence qu’au-delà du courage et du malheur » — ou de Montherlant — « je reste pour juger quels bonheurs valaient que je périsse ».

Que faire après une telle épreuve ? L’armée ? Défaite en 1940. Alors les services spéciaux ? Il se laisse finalement convaincre : ce sera quand même Saint-Cyr, pour être officier. À la sortie, il choisit la Légion. « J’ai été attiré par elle comme par un aimant. Sa mythologie faisait partie du roman national. Mais je me suis surtout dirigé vers le seul univers dans lequel je pourrais refaire ma vie en entier, dans lequel je pourrais reprendre goût au bonheur. »

La Légion l’emmène au Maroc, en Indochine, à Suez, en Algérie enfin : auprès du général Massu, qui conduit la bataille d’Alger, d’abord comme chef de cabinet, puis comme chargé des relations avec la presse. Cette bataille d’Alger est gagnée, même si c’est dans la douleur. Sur un coup de tête, Saint Marc demande un congé sans solde et s’en va. Mais c’est pour revenir, en avril 1960, après la révolte des Barricades, reprendre un poste à l’état-major de la 10e division parachutiste et retrouver son 1er Rep dans le djebel, en Petite-Kabylie. Jusqu’à ce vendredi 21 avril 1961, où il reçoit un message du général Challe, qui l’appelle à Alger.

Après une heure d’entretien, Saint Marc rentre à son PC de Zéralda, convoque les sept commandants de compagnie de son régiment : « Ce que nous allons faire est très grave, leur dit-il. Nous y risquons notre peau. Si jamais ça tourne mal, c’est moi qui prendrai la responsabilité de cette aventure. »

Elle tourne mal, en effet, au bout de quatre jours. Comment avait-il pu se laisser engager dans une telle affaire, aussi contraire à l’obéissance et à la discipline, aussi risquée à l’époque qu’elle paraît incroyable aujourd’hui ? C’est cela qu’il tente de faire comprendre à un tribunal militaire qui se refuse à comprendre. « Monsieur le président, dit-il, j’ai sacrifié vingt années de ma vie à la France. Depuis quinze ans, je me bats. Depuis quinze ans, j’ai vu mourir pour la France des légionnaires, étrangers peut-être par le sang reçu, mais français par le sang versé. C’est en pensant à mes camarades, à mes légionnaires tombés au champ d’honneur que j’ai fait, devant le général Challe, mon libre choix. »


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