1 Janvier 2013
Entre 1917 et 1919, 6 000 Tchécoslovaques ont vécu à Cognac Journaliste à la retraite, Michel Moineau s'est intéressé au destin de ces militaires de la Légion étrangère Il raconte.
Le jumelage aurait du sens. Il faudrait qu'on y pense sérieusement un jour. J'en ai déjà parlé au maire.
Il s'en est fallu de peu pour que le tchèque supplante le patois charentais dans les rues de Cognac de 1917 à 1919. Entre 5 000 et 6 000 militaires de la Légion étrangères s'étaient établis dans la ville pour combattre aux côtés de la France pendant la Première Guerre mondiale. Seule trace de leur passage aujourd'hui: une plaque apposée rue Gaudronne, à l'endroit où siégeait l'état-major.
En août dernier, Jan Czerny, ministre conseiller à l'ambassade de République tchèque en France, était venu se recueillir au cimetière du Breuil sur les dizaines de tombes des soldats. Une visite éclair qui a ravivé le souvenir de cette part d'histoire. Tout comme l'étude de Michel Moineau, publiée dans la revue l'Aguiaine (1) en septembre dernier.
Des chais réquisitionnés
Ancien journaliste d'Europe 1 et correspondant de CL, le Charentais à la retraite a reconstitué les deux années de vie de ces soldats en épluchant les archives municipales et départementales ainsi que les archives militaires de Vincennes. «J'avais vu la plaque commémorative dans les rues de Cognac, un ami m'avait raconté l'histoire d'une jeune fille prise en charge par des soldats tchèques. J'ai voulu comprendre. D'après moi, aucune étude exhaustive sur le sujet n'a été réalisée jusque-là.»
Dès septembre 1917, les premiers soldats tchécoslovaques ont débarqué à Cognac. Pourquoi ici? «Parce que la région dispose d'installations militaires et civiles non utilisées ou mal utilisées», répond l'apprenti historien. Les soldats sont logés dans l'ancien chai Marie-Brizard, près de la gare, et dans ceux de la société Bisquit-Dubouché. Peu à peu, ils s'installent aussi dans les communes alentour. Ils s'entraînent sur un terrain de la société de tir de Cognac, à Ars, Châteaubernard ou encore Jarnac. Les places d'honneur de l'UA Cognac (2) sont réservées aux «représentants supérieurs du contingent tchécoslovaque».
Après l'armistice du 11 novembre 1918, des messages d'amitié sont envoyés à Prague. Beaucoup de soldats s'installent en Charente. En 1924, une société de secours mutuel pour la colonie tchécoslovaque est même créée et s'établit au Café du commerce, rue du canton (3).
Michel Moineau regrette qu'aucun jumelage n'existe entre Cognac et une ville tchèque. «Certes, les relations entre les deux pays se sont distendues durant le deuxième conflit mondial, mais c'est dommage qu'il n'en subsiste rien, d'autant qu'il y aurait une vraie raison historique.» Un argument qui fait mouche auprès de Patrick Sedlacek, adjoint aux finances du maire de Cognac et lui-même d'origine tchèque (voir encadré). «Cela aurait du sens. Il faudrait qu'on y pense sérieusement un jour. J'en ai déjà parlé au maire.»
(1) L'Aguiaine est une revue ethnologique et historique sur la région qui paraît tous les trois mois: www.sefco-subiet.eu
(2) Union amicale Cognac football.
(3) Le café a aujourd'hui disparu.
François Sedlacek, le grand-père paternel de Patrick Sedlacek, adjoint aux finances du maire de Cognac (Photo archives CL), a fait partie de la légion étrangère. Si l'élu ne l'a pas connu - «Il est mort en 1945 et moi je suis né en 1950» -, il en connaît beaucoup sur son parcours. Dans son bureau, il sort des dizaines de photos d'époque et des coupures de presse. «Il finissait un apprentissage en cordonnerie quand la Première Guerre mondiale s'est déclarée. Il s'est engagé dans la Légion étrangère pour combattre aux côtés des alliés. Il a été transféré à Cognac, dans une caserne de la rue d'Isly.» En 1920, arrive l'heure de la démobilisation et du retour au pays. «Sauf qu'entre-temps, il avait rencontré ma grand-mère, qui était cognaçaise. Il a décidé de rester.» Il a d'abord travaillé dans une usine de chaussures avant de s'installer à son compte rue Alsace-Lorraine. «Ce qui est drôle, c'est que ma grand-mère a découvert un peu plus tard que ses propres grands-parents étaient eux aussi d'origine tchèque!» Le vocabulaire tchèque de Patrick Sedlacek se limite à quelques mots d'usage, mais il se rend souvent à Prague voir des amis. «Je n'ai plus de famille en République tchèque, mais je suis toujours attaché au pays.»
«Je suis toujours attaché au pays»