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Afghanistan : dans le secret de la guerre high-tech

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mercredi 15 février 2012

sur la base de Bagram, des soldats français contrôlent le fonctionnement du moteur et des commandes d'un drone Harfang.

Photo Yves Gellie

Les Etats-Unis et leurs alliés y ont ­déployé leurs armements les plus ­modernes. ­Jamais technologie aussi complexe n’aura été mise en œuvre pour lutter contre une guérilla. Une guerre asymétrique, où des ­insurgés, équipés de moyens rustiques, tiennent en échec un dispositif occidental dernier cri. Un paradoxe que dévoile notre envoyé ­spécial au sein d’une unité de la cavalerie américaine dans la région de Kandahar.

Notre hélicoptère Chinook décolle au-dessus de la base de Kandahar, la plus importante d’Afghanistan. C’est ici, le long de la frontière du Pakistan, dans le sud du pays, que les ­combats contre les insurgés sont le plus violents. Une forteresse des Etats-Unis et de leurs alliés à la démesure de l’effort militaire américain qui coûte à Washington plusieurs dizaines de millions de dollars par jour. Pour éviter d’emprunter les routes souvent minées, des hélicoptères desservent les postes de combat avancés. Sur le tarmac, des Apache, des Blackhawk, des F-15 et des C-130 Hercules de transport qui assurent par dizaines la logistique des 130 000 soldats encore déployés sur le terrain.

Dans l’hélicoptère, chacun reste sur ses gardes. A travers la rampe arrière baissée, un soldat garde le doigt sur la détente de sa mitrailleuse. De chaque côté de la carlingue, une autre arme est pointée vers le sol. Pour éviter que les ­talibans n’ajustent leurs tirs, le pilote vole en zigzag. Deux anges gardiens veillent sur nous : des hélicoptères Griffon, plus agiles que notre appareil, prêts à ouvrir le feu à la moindre menace. L’atterrissage est particulièrement dangereux. En août dernier, un Chinook américain a été abattu par une roquette tirée par des insurgés, causant la mort de 31 membres des Forces spéciales. Arrivée au poste de combat avancé de Tarnak. Il abrite le PC du premier escadron du 71e régiment de cavalerie (basé à Fort Drum, dans l’Etat de New York). Il est commandé par le lieutenant-colonel John Paganini qui porte le chapeau des Tuniques bleues, les cavaliers de l’armée qui se battaient jadis dans l’ouest américain contre les Indiens.

A la nuit tombée, les sentinelles observent avec des grosses ­jumelles à intensificateur de lumière les mouvements suspects autour du camp. Un homme prie en plein champ. Il est rejoint par un autre. La crainte des soldats, c’est qu’ils posent discrètement une mine. Soudain, le fracas d’un réacteur : un avion de chasse pique sur nous. Un second suit, en rase-mottes : un raid destiné à mettre la pression sur les talibans. Un officier guide les avions depuis le sol. « Des patrouilles volent en permanence au-dessus de l’Afghanistan, prêtes à appuyer, en moins de dix minutes, des troupes au sol en difficulté, m’explique l’officier. On nous a alertés qu’il y avait des mouvements suspects dans notre zone. On a demandé aux avions de voler à basse altitude pour leur faire peur. S’ils deviennent hostiles, ils seront bombardés. »

Des pilotes d'un nouveau genre éliminent des talibans avec un joystick

Grâce au système Rover, l’officier reçoit en temps réel les images vidéo prises par les caméras de l’avion. « J’ai plusieurs moyens pour évaluer la situation : depuis le ciel et, au sol, grâce à mes propres yeux. A moi de vérifier que le tir est possible. » Depuis la tente PC, l’officier peut aussi faire appel à un autre type d’appareil, une arme capable d’éliminer l’adversaire par surprise : un drone, un avion sans pilote qui vole jour et nuit au-dessus de l’Afghanistan, guidé parfois depuis les Etats-Unis grâce à des liaisons par satellite. Sur la base de l’US Air Force de Creech, dans le désert du ­Nevada, ou à Langley, en Virginie, au siège de la CIA, ces pilotes d’un nouveau genre, confortablement assis dans un fauteuil, éliminent à 12 000 kilomètres de distance des talibans avec un joystick, comme dans un jeu vidéo, mais mortel. « Aucun “mauvais garçon” ne peut échapper à ces engins, capables de voler en silence au-dessus de leur objectif », m’avait expliqué Christopher C. Ames, directeur du développement stratégique de General Atomics, qui fabrique les fameux drones Predator.

5 000 blindés climatisés à 1 million pièce

Afin de minimiser les risques et pour essayer de contrôler le territoire, l’armée a installé des dizaines de postes avancés équipés de matériel à haute valeur technologique. Les rejoindre est une véritable expédition. Deux fois par jour, les Américains ouvrent des pistes avec des rouleaux en acier qui font exploser les mines afin de sécuriser la circulation des convois. Ils ont inventé le M-ATV, le nouveau blindé lourd climatisé, à 1 million d’euros, qui possède un châssis en V censé diminuer l’effet de souffle des mines. Plus de 5 000 ont été livrés en un temps record par le Pentagone aux troupes ­d’Afghanistan. A l’intérieur, maximum de précautions. Pour éviter d’être projeté contre les parois en cas d’explosion, le cameraman Patrick Chauvel et moi-même portons, comme les ­pilotes d’avion, gilet pare-balles, casque lourd et ceinture de sécurité à trois points, obligatoire pour maintenir les épaules contre le dossier du siège. Des mesures qui, toutefois, ne sont pas une assurance tous risques. A la radio, nous apprenons qu’une mine a explosé sur notre chemin juste avant notre départ. Bilan : deux morts dans l’armée afghane équipée de Humvee, qui offrent moins de protection contre les mines.

Les IED (Improvised Explosive Device) causent le plus de pertes au sein des troupes. C’est la plaie des soldats alliés en Afghanistan : des mines artisanales bricolées. Des instruments de contre-mesures sont utilisés pour déclencher les IED à distance et un écran permet de recevoir des vidéos grâce au système Rover embarqué. Un hélicoptère ou un avion peut survoler la piste devant nous. Si des insurgés sont postés en embuscade, nous les verrons sur les mêmes images que le pilote. Des ordinateurs complètent ce dispositif high-tech. A l’extérieur du blindé, une caméra est couplée à un lance-roquettes et un canon à tir rapide. Sur son écran, le mitrailleur observe tout ce qui se passe alentour. En cas d’attaque, il peut ouvrir le feu à l’aide d’un joystick, tout en restant à l’abri.

Les ordinateurs ne peuvent pas grand-chose face à un kamikaze

Le chef de bord allume la carte du GPS pour ­vérifier notre route. Arrivée à Gorgan, à une vingtaine de kilomètres au sud de Kandahar. Dans la tente PC, les soldats sont installés devant des ordinateurs reliés à l’état-major et aux autres postes avancés du secteur. Dehors, les Afghans vivent dans le dénuement mais ici on fait la guerre avec les moyens les plus sophistiqués. Le capitaine Kevin Krupski, un jeune New-­Yorkais de 27 ans : « Ce conflit, en fait de faible intensité, s’est transformé en guerre high-tech. Notre armée sait en temps réel ce qui se passe sur le théâtre des opérations. L’infanterie bénéficie aujourd’hui d’une aide technologique stupéfiante. » Mais cette guerre asymétrique n’est-elle pas en fait un problème ? Le jeune officier reconnaît du bout des lèvres que les ordinateurs ne peuvent pas grand-chose face à un kamikaze. « Il y a une raison qui explique pourquoi l’ennemi se bat de cette manière, me dit-il. C’est qu’il sait qu’il ne peut pas gagner. Alors, il joue le tout pour le tout. Mais, dans beaucoup d’endroits, il ne survit pas.

Vous n’aurez jamais en Afghanistan zéro attaque. Le but, ce n’est pas de tuer les talibans un par un. Les Russes qui ont envahi le pays il y a vingt ans ont tué des milliers d’Afghans. A quoi cela a-t-il servi ? Nous ne sommes pas dans un conflit où il faut tuer à tout prix. C’est une guerre pour permettre un gouvernement démocratique. » Pourtant, les photos des chefs talibans les plus dangereux du secteur sont affichées sur les murs du PC. Tous sont recherchés pour avoir perpétré des attaques contre les autorités afghanes et les forces américaines. L’une des missions du capitaine Krupski : les capturer morts ou vifs.

Ici, on mène une guerre contre-insurrectionnelle, reposant sur le renseignement, un peu comme les Français pendant la guerre d’Algérie. Sauf qu’aujourd’hui elle se conduit avec l’aide de la vidéo. Des opérateurs se relaient devant un écran pour observer la zone autour du poste. Grâce à une caméra juchée en haut d’un mât, ils peuvent voir à plusieurs kilomètres sans être vus. Dans les rues des villages alentour, les habitants sont surveillés jour et nuit. Le but, savoir s’ils transportent des armes ou affichent un comportement suspect. Les soldats ne quittent pas des yeux les véhicules qui traversent le secteur. Surtout s’ils s’arrêtent. Même un homme qui va aux toilettes est surveillé, de peur qu’il pose une mine. Dans le poste administratif qui jouxte le camp, deux soldats américains enquêtent sur un suspect qui photographiait les lieux avec son téléphone portable. Il pourrait s’agir d’un repérage pour des talibans qui voudraient préparer un mauvais coup. Parano ? Grâce à un appareil photo spécial, le sous-officier enregistre les détails qui permettent de caractériser l’inconnu. En premier lieu, son iris. L’armée américaine a déjà rassemblé des informations biométriques sur 2 millions d’Afghans. Leur ADN par exemple via leur salive. Trois mille suspects sont répertoriés sur la « Watch List 1 » ou la « Watch List 2 ».

Chaque attentat est passé au peigne fin. Des empreintes retrouvées sur des kalachnikovs ou des fragments de bombes artisanales ont permis d’identifier leur propriétaire. Douze mille soldats afghans ont déjà été formés à l’utilisation de lecteurs biométriques portables afin d’identifier les insurgés suspects ou connus. Après l’œil, c’est l’index du suspect afghan qui est scanné par le sous-officier américain. Des paramètres qui alimentent une banque de données située à côté de ­Kaboul, sur la base aérienne de Bagram, à 450 kilomètres d’ici. Au bout de quinze minutes, le système informatique renvoie la réponse : négative. L’Afghan suspecté n’est pas sur la liste noire des ­terroristes recherchés. Il ne sera pas arrêté.

Les habitants ont peur de parler

Mais la technique ne fait pas tout. Occuper le terrain, c’est se montrer. A pied. Avec le cameraman Patrick Chauvel nous accompagnons une patrouille. Les soldats n’aiment pas ça. Dangereux. Grâce à une puissante lunette optique, un guetteur juché sur un monticule ne va pas nous lâcher des yeux. « Le jour, on peut voir à 3,4 kilomètres, dit-il. On a déjà réussi à attraper des gars qui posaient des mines. » A 100 mètres à peine du poste, l’ambiance devient plus tendue. « Cette piste est souvent minée. A tel point qu’on l’appelle “la boîte à explosion” », me dit le lieutenant Mathieu Bennet, 28 ans, qui commande cette section de combat. Le doigt sur la détente de leur arme, ces soldats font attention où ils mettent les pieds. Un véhicule est fouillé avec l’aide d’un chien. Il peut transporter des armes. Ou bien des explosifs pour une opération kamikaze. Ici, les menaces sont nombreuses. Y compris le risque d’une embuscade. Dans le village voisin, on entend des explosions et des rafales. « C’est dans le secteur d’une autre unité, lâche un lieutenant. En général, quand il y a du trafic sur la route, c’est qu’il n’y a pas de danger. Mais s’il n’y a personne, vous pouvez être inquiet. Les Afghans savent quand la route est minée. Mais ils ne nous le disent pas toujours. »

Nous pénétrons dans un village. L’officier distribue des bouteilles d’eau à des enfants. Puis il écoute avec attention son officier de renseignement qui interroge un villageois, son contact. « Avez-vous toujours la carte de téléphone que je vous ai donnée pour nous informer si vous voyez des gens suspects la nuit autour du village ? » demande l’Américain au commerçant afghan. Celui-ci affirme l’avoir perdue. En fait, les militaires savent que les talibans ne sont pas loin. « Mais les gens ont peur de parler, me dit le lieutenant Bennet. Ils craignent pour leur vie. Même avec une récompense, ils se taisent par crainte que les talibans remontent jusqu’à eux. » Un ancien à la barbe blanche soupire : « On bénéficie de l’aide des Américains, mais les Afghans les considèrent comme des forces d’occupation. Nous subissons le bon vouloir des armées alliées et des talibans, alors que nous demandons simplement à vivre en paix et à manger correctement. » Une heure est passée. Les insurgés pourraient être au courant de notre présence, grâce au téléphone portable qui fonctionne sur les hauteurs !

Il faut partir. Toujours en regardant où on met les pieds. Au poste, le lieutenant ­Bennet montre ce à quoi il faut faire attention par-dessus tout en ­Afghanistan : un morceau de bois en apparence. En fait, le système de mise à feu d’une mine artisanale. « Les insurgés le mettent sur le sol. Ils connectent le fil à une batterie et, quand un véhicule ou un individu passe dessus, ça provoque une explosion. Ce n’est pas sélectif. Quiconque touche cette mine, un civil ou un militaire, saute avec ! » Une arme du pauvre mais très ­efficace : des pièges rustiques avec lesquels les talibans contrecarrent la technologie américaine. Pour l’équivalent de quelques dollars, ils fabriquent une bombe artisanale capable de détruire des blindés qui coûtent 1 million !

En 2014, adieu la technologie

Aujourd’hui, l’escadron de cavalerie du colonel Paganini a quitté la région de Kandahar. Mais le secteur n’est toujours pas totalement remis aux mains de l’armée afghane. En 2014, date définitive du retrait des troupes alliées, l’Afghanistan devrait compter 350 000 militaires et policiers formés par les pays de l’Otan. Une armée de 195 000 soldats doit même être prête dès l’été 2012 sans bénéficier de la technologie occidentale, alors que les talibans gagnent de plus en plus de terrain. En 2014, en effet, les ordinateurs, caméras et drones ne seront plus là. Le conflit en Afghanistan a déjà fait plus de 2 775 morts dans les rangs occidentaux et au minimum 20 000 chez les ­Afghans, dont une bonne partie par les insurgés.

Avec un effort de guerre et un déploiement technologique sans précédent, la coalition occidentale n’est pas arrivée, après dix ans de conflit, à venir à bout d’une insurrection qui risque de prendre le dessus après son départ. A Kaboul, le syndrome de Saigon est dans toutes les têtes. Dans les états-majors, personne ne veut que le régime du président Karzaï s’écroule face aux talibans, comme celui du Sud-Vietnam, en 1975, après le départ des Américains. Personne n’a oublié les images de panique de l’évacuation de l’ambassade américaine par les hélicoptères de la Navy. Pour éviter cette hypothèse, qui n’est pas improbable, restent les négociations, qui ont déjà commencé avec les talibans...

Patrick Forestier


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