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Kevin le miracle de l'amitié

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 Le légionnaire devenu tétraplégique en Afghanistan a accompli le pèlerinage de Lourdes avec ses camarades. Photo Baptiste Giroudon

Longeant l'imposante basilique de l'Immaculée-Conception de Lourdes, un groupe compact de képis fend la foule d'un pas décidé. On les compte. Exercice difficile tant ils sont entremêlés, collés les uns aux autres. Un, deux, trois, quatre. Cinq, six, sept. On recompte. C'est bien cela. Ils sont sept. Sept légionnaires qui se frayent un passage bruyamment, étrange attelage au milieu des pèlerins, slalomant entre les prêtres en soutane, les brancards, les chaises bleues pour handicapés dont s'occupent des bénévoles.

Un de ces sept légionnaires chemine, le dos légèrement courbé. Il pousse son camarade assis dans un fauteuil roulant. Les autres s'agglutinent contre lui, ne laissant aucun espace, comme un rempart pour protéger le caporal-chef Kévin Emeneya, blessé en Afghanistan le 2 juillet dernier. Ce jour-là, un balle a sectionné l'artère irriguant son cerveau. Depuis, Kevin ne s'est plus relevé. Il a perdu l'usage de ses jambes et de ses bras. A son arrivée à l'hôpital militaire de Percy, en banlieue parisienne, on le donnait pour mort. Sa mère a refusé qu'il soit débranché. Aujourd'hui, il entend, il voit, il parle, il bouge la tête. « C'est déjà un miracle, assure sa maman. Si Dieu l'a maintenu en vie, ce n'est pas pour qu'il ne marche plus. »

Lourdes, la ville aux 245 hôtels, aux innombrables marchands du temple vendant images de Bernadette Soubirous agenouillée devant Marie, bonbonnes vides à remplir d'eau d'ici, chapelets et souvenirs de la ville. Les rues escarpées et commerçantes rejoignent tous les sanctuaires.

Chaque semaine, 6 millions de pèlerins ou visiteurs du monde entier, souvent invalides ou malades, se pressent entre les 10 000 mètres carrés de parvis, la Vierge couronnée, les basiliques, les chemins de croix, la rivière, les piscines remplies de cette eau si recherchée et la grotte, celle où Bernadette aurait reçu 18 fois la visite de Marie. Il n'est pas rare que la moitié des personnes à bord des avions atterrissant à l'aéroport de Lourdes soient handicapées. Pour la plupart, elles viennent dans l'espoir d'une guérison, d'un miracle.

Pour avoir une chance d'être baigné aux piscines, il faut arriver au moins deux heures avant leur ouverture. Les pèlerins se pressent par grappe, attendent aux fontaines pour remplir leur bouteille, patientent devant les lieux saints.

Ce week-end du 20 au 22 mai, se mêlent à eux des gendarmes italiens, un chapelet accroché à leur uniforme, des militaires de Malte en grande tenue, des délégations d'Allemands, des fanfares... C'est le 53e pèlerinage militaire international. Douze mille soldats d'une trentaine de nationalités différentes se sont inscrits. C'est à sa demande que Kevin y participe. Il dit : « J'ai la foi. » Il dit aussi : « Mon avenir est entre les mains de Dieu. J'espère de Lourdes un miracle, peut-être pas pour demain, mais dans l'année. »

La veille de l'ouverture des célébrations, il a quitté l'hôpital Percy où, depuis près d'un an, il a passé toutes ses nuits. Il a été transporté, couché dans un Transall, cet avion militaire. « Un long voyage, éprouvant, très bruyant » raconte-t-il en arrivant. Il est logé à l'Hospitalité Notre-Dame-des-Armées, au cœur des sanctuaires, avec une centaine d'autres blessés ou malades. Mais ce premier soir, il a dîné dans sa chambre, loin de l'agitation de la salle commune. Kevin sait que les trois jours qui s'annoncent seront fatigants.

Vendredi matin, église Sainte-Bernadette, à l'heure de la première messe. Le visage de Kevin s'illumine. Il vient de voir apparaître, devant lui, ses six camarades du 1er Régiment étranger de génie. Son régiment. « Tu bouges bien la tête ! Nickel ! » s'exclame le caporal Hakim. Dans de grands rires, ils l'embrassent, heureux d'être là, à ses côtés.

« Notre chambre d'hôtel, s'amuse l'un d'eux, c'est pire qu'à Djibouti. Tu te souviens ? Vraiment, je t'assure ! On est quatre, c'est tellement petit que pour aller dans mon lit, je dois enjamber les trois autres. Et quand l'un va aux toilettes... » A peine arrivés et déjà ils sont entre eux dans des blagues de chambrée, bruissement de cette vie que Kevin aimait tant. Comme s'ils s'étaient quittés la veille, comme si rien n'avait changé. C'est pour lui que ses camarades ont entrepris le voyage en bus, depuis leur régiment à cinq heures de route de Lourdes. Car, pour une majorité, ils ne sont pas catholiques. « On m'a dit 'pèlerinage', lui raconte le caporal Hakim. « J'ai dit 'Quoi, pèlerinage ?' Puis on m'a dit que c'était pour toi, alors je suis venu de suite. » S'ils sont là, affirment-ils en chœur, c'est « pour accompagner notre camarade blessé au combat en Afghanistan. On ne l'abandonne pas. Cela fait partie du code d'honneur de la Légion ».

Et le lieutenant Leclair, celui qui, en Afghanistan, lui a une première fois sauvé la vie, d'ajouter : « On lui donne de la force mais c'est un exemple pour nous tous. Il a été blessé comme personne ici, et il est toujours là, avec le sourire, la volonté de s'en tirer. » Ils ont pris des jours de permission et payent leur logement à Lourdes. Jusqu'à dimanche, ils ne vont plus le lâcher. Trois jours de prières, chemins de croix, messes, adorations, rencontres... Trois jours ensemble.

Ses compagnons le récupèrent le matin à l'hospitalité, l'emmènent d'un lieu à l'autre, l'accompagnent aux célébrations, lui donnent à boire, remettent son képi en place, s'assurent qu'il est bien installé, le poussent sur le chemin de croix, celui des « malades » dans la pleine. Aux prières, succèdent blagues et éclats de rire. Les légionnaires l'emmènent à la grotte, passent devant les autres pèlerins et, délicatement, prennent la main de Kevin pour la poser sur le rocher, là où un filet d'eau s'écoule.

Grâce à une stimulation électrique, un paraplégique a pu remarcher

Ils filent vers la ville sans assister à la célébration pénitentielle. Ils grimpent vers un bistro « repéré la veille », avoue un des caporaux en riant. Il faut bouger quelques tables, déplacer des chaises, porter le fauteuil d'abord par en dessous, puis sur les côtés... pour, enfin, être tous assis, en terrasse, au soleil, à regarder les filles passer, en buvant des bières. Et, kevin, à la paille n'est pas le moins rapide. Ils lui relatent le quotidien à la Légion, répondent à ses questions (« Les nouveaux, ils sont comment ? »), imaginent des virées ensemble, se remémorent les bons moments, font comme si de rien n'était. Le caporal Othman dit : « Je ne le vois pas comme un blessé, mais toujours comme mon camarade. Je le vois comme un héros. Il a accompli sa mission jusqu'au bout. »

A Lourdes, Kevin a croisé le chemin du colonel Déméocq, 75 ans, en charge de la logistique du pèlerinage. Celui-ci a été blessé à la colonne vertébrale. Les médecins lui avaient assuré qu'il ne remarcherait plus. Aujourd'hui, il court dans tous les sens pour gérer les 110 malades de l'Hospitalité. « Kevin a souri quand je lui ai raconté mon histoire », dit-il. Il ajoute : « Je crois qu'avec de la volonté, on peut beaucoup... Et j'ai toujours forcé sur la bête ! A Lourdes, les malades arrivent avec l'espoir un peu fou d'une guérison. Mais tous, malgré la fatigue, ont un sentiment de sérénité en partant. C'est la première grâce qu'ils trouvent ici. » kevin ajoute : « Ce sont les messes qui m'ont le plus ému. Je me suis senti en paix, libéré pendant quelques secondes. »

Aux informations, on apprend que grâce à une stimulation électrique, un paraplégique a pu remarcher quelques instants. Au 1er Régiment étranger de génie à Laudun, dans le Gard, le chef de corps, le colonel Nachez, surfe sur Internet à la recherche d'une solution. Il espère que l'exosquelette qui fait des miracles aux Etats-Unis, pourra être adapté à kevin. Il compte sur les associations du monde militaire, notamment celles de la Légion, pour le financer. Déjà, grâce à elle, il a pu offrir un ordinateur à reconnaissance vocale à Kevin. Signe qu'il fonctionne, le caporal-chef a envoyé un mail à son colonel pour le remercier.

Kevin est confiant. Il est à lourdes et, malgré l'avis défavorable de son médecin, il a été baigné. Des bénévoles l'ont soulevé de son fauteuil, l'ont déshabillé puis plongé dans l'eau froide des sanctuaires. A ce moment précis, le caporal-chef Emeneya a murmuré son vœu : « remarcher. »

Sur le guide officiel des sanctuaires de Lourdes, écrit par l'évêque de Tarbes et Lourdes, Monseigneur Jacques Perrier, gardien de la Grotte, on peut lire : « Si les guérisons caractérisées ont toujours été l'exception, pourquoi les malades viennent-ils à Lourdes ? » Le général Bernard Rouvier, président de l'hospitalité Notre-Dame-des-Armées, a une réponse : « Souvent, les blessés sont à l'hôpital depuis plusieurs mois. La prise en charge est longue et difficile. Ils ont été sous perfusion longtemps endormis et opérés fréquemment. Ils ont connu des infections. Ils prennent des médicaments contre la douleur, des anxiolytiques, et sont saturés de soins. A mon sens, ils viennent d'abord chercher une bouffée d'oxygène. Et pour retrouver leurs copains. Quand ils rentrent, ils ont la pêche pour reprendre la rééducation. »

Samedi, en fin de journée, après sa baignade et son vœu, Kevin a été emmené par ses camarades au McDonald. « C'est lui qui a choisi le lieu », précise le lieutenant Leclair. C'était la première fois depuis plus d'un an, depuis son départ en Afghanistan. Peut-être qu'il est là, finalement, le miracle de Lourdes. Dans ces instants volés de sa vie d'avant.

Par Caroline Fontaine - Paris Match


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