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Avec les cadets de West Point

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jeudi, 17/03/2011

La plus prestigieuse académie militaire américaine cultive le “fighting spirit” d’une grande puissance. Mais les guerres d’Irak et d’Afghanistan ont changé les mentalités. Reportage.

L’immense amphithéâtre Eisenhower est plein, attentif. « Les nouvelles guerres sont plus complexes et plus imprévisibles qu’avant, commence Robert Gates, le secrétaire américain à la Défense. Devenez des spécialistes de la politique étrangère, maîtrisez les langues et les cultures étrangères… » Les 4 500 West Pointers ne sont pas surpris. C’est ce qu’on leur répète ici pendant quatre ans : s’ouvrir au monde, se montrer plus imaginatifs et autonomes que leurs aînés. « L’Irak, puis l’Afghanistan ont remis les pendules à l’heure », confirme un instructeur.

Jeudi, 13 heures, Robinson Auditorium. Près de 300 cadets font face au grand écran pour une séance d’information. Des officiers de la 101e Airborne, la célèbre division des Aigles hurlants, sont en liaison vidéo directe depuis la base aérienne de Bagram (Afghanistan). Leur studio est à 200 mètres de la piste. On entend les avions qui décollent. Le grondement de la guerre.

Ces lieutenants et capitaines, dont une femme, adressent à leurs jeunes une passionnante leçon de leadership. Ils racontent leur quotidien, leurs difficultés, leurs méthodes. Les traits sont tirés. Chez eux, à l’autre bout du monde, il est presque 1 heure du matin. « Gardez l’esprit ouvert… Restez flexible… Positivez… Soyez confiants… Connaissez vos soldats… » Les cadets boivent leurs paroles. Ceux qui leur parlent étaient assis à leur place, il y a quelques mois. Ce sera bientôt leur tour, dès leur sortie d’école.

Les aînés leur parlent des Afghans. Sans suffisance, avec respect : « C’est leur pays, ne l’oubliez pas. Ils le connaissent mieux que nous. » Les questions fusent, sans filtrage : « Est-il plus difficile de conquérir les coeurs et les esprits en Irak qu’en Afghanistan ? » « Comment aller à la rencontre des populations et préserver la sécurité des troupes ? » « Comment être près de ses hommes sans être familier ? » Réponse d’un capitaine, breveté en 2004 : « Vous vivez 16 heures par jour avec eux. Restez à votre place et les hommes resteront à leur place. »

Une blonde à queue-de-cheval se lève : « Comment faites-vous quand un des nôtres est tué ? » Réponse : « Donnez du temps pour le deuil mais il faut continuer la mission. » La pédagogie se veut fraternelle : « Programmez mais faites-le intelligemment… Écoutez vos supérieurs, écoutez vos subordonnés… Faites confiance à l’expérience de vos sous-officiers… » Un leitmotiv : « Soyez créatifs !»

Imagination, humilité, initiative, ouverture : ce sont les maîtres mots. En Irak et en Afghanistan, la première puissance du monde a découvert ses faiblesses. Ces douloureux retours d’expérience ont contraint West Point (18 % des officiers de l’armée de terre) à s’adapter. Lancée en 2004, cette nouvelle approche commence à produire son effet.

Dans ce moule placé depuis 1898 sous la devise “Service, Honneur, Patrie”, les élèves officiers se forment au commandement de terrrain. West Point leur donne aussi un excellent niveau universitaire (lire notre encadré). Ceux qui quittent l’armée vers 28-30 ans – ils ne doivent que cinq ans à l’État après leur sortie d’école – n’ont aucun mal à “se vendre” dans le civil. « À 22 ans, ils ont déjà été responsables de la vie de 40 autres jeunes hommes et de un million de dollars de matériels, souligne le général Timothy Trainor, directeur des études. Ce n’est pas si fréquent à cet âge-là. »

“Pour nos cadets, la guerre est immédiate. Ils sont dedans”

Malgré les déboires en Irak et en Afghanistan, les candidats affluent. Chris, Nate, Marianne, Charles, Jared et les autres s’affirment déterminés : « Celui qui vient à West Point sait qu’il sera un jour engagé au combat. On veut y aller. » Sont-ils impatients ? « Non, on est prêt. C’est tout. » Ils veulent assurer la relève, fiers d’appartenir à cette « long gray line » (“longue chaîne grise”), le célèbre uniforme gris qui unit tous les West Pointers : « Nos aînés étaient assis sur ces chaises où nous sommes. » Dave avait 11 ans le 11-Septembre : « Je me suis engagé pour aider et protéger l’Amérique. » Brogham approuve. Sam est plus pragmatique, comme d’autres : « La formation est gratuite et on nous offre beaucoup d’opportunités. »

Sorti de West Point en 1973, le général David Huntoon est le 58e superintendant de l’académie. Il se montre très soucieux d’adapter l’école aux nouvelles réalités. Et pour cause : ses trois fils sont militaires. L’un a été blessé en Irak, l’autre sert à Kunduz (Afghanistan), le dernier est en quatrième année, sous ses ordres. Il sera engagé au combat l’an prochain.

« Les guerres ont changé beaucoup de choses, dit Huntoon, devant la photo de ses trois fils. Le nouvel environnement est beaucoup plus incertain et complexe. On en tient compte. Depuis 2004, l’endurance et le leadership ont été renforcés. Nous préparons les jeunes à ce qu’ils affronteront réellement. Ma génération, celle de la guerre froide, croyait tout savoir. Mais ce qu’on apprenait était déconnecté de la réalité. »

Les enseignants sont choisis sur leur expérience du combat, à l’exemple du commandant Jason Musteen, passé par la 101e Airborne et l’Afghanistan. Il enseigne l’histoire. Ancien de l’École de guerre française, il porte le brevet para français n° 611144. Quand Musteen parle de Napoléon sur le Danube ou dessine un schéma tactique au tableau, les cadets l’écoutent, avec respect. « La guerre vient à nous. » Ils ont vu des blessés de guerre. « On a fait venir dix amputés de l’hôpital militaire Walter-Reed, précise le général Huntoon. Pour nos cadets, la guerre est immédiate. Ils sont dedans. Ils savent qui a été tué ou blessé. »

Près de 80 diplômés de West Point ont laissé leur vie en Irak et en Afghanistan. Le dernier de la liste, le lieutenant Daren M.Hidalgo, 24 ans, breveté en 2009, a été tué le 20 février. Deux autres “jeunes anciens” étaient tombés en juillet 2010 : Jason E.Holbrook, 28 ans, promotion 2004, capitaine des bérets verts, et Christopher S. Goeke, 23 ans, lieutenant parachutiste. Il était sorti sixième en 2008. « Un supermec, se souviennent des cadets. Il avait remporté un concours d’éthique et aidait toujours les plus jeunes

L’histoire occupe une place majeure, comme l’affirme un slogan de l’école : “L’histoire qu’on enseigne a souvent été faite par ceux à qui nous l’avons enseignée.” Chargé de ce cours, le colonel Betros connaît les goûts de ses cadets : « La guerre du Viêtnam est très étudiée car elle est une des clés de la situation actuelle. Mais votre guerre d’Algérie, Napoléon en Espagne et les Philippines sont très suivis.»

Fantassin et spécialiste de l’histoire de West Point, fin connaisseur de la 2e DB, Betros rêve d’emmener les cadets (dont sa plus jeune fille, élève de première année) à Diên Biên Phù pour expliquer la bataille. Il leur projette chaque année le – mauvais – film la Bataille d’Alger : « Pour les aider à comprendre la guerre d’insurrection, la complexité des situations. » À West Point, tout le monde connaît Galula et Trinquier, les théoriciens français de la contre-insurrection, redécouverts en Amérique.

Un effort important est fait sur l’enseignement des cultures et des langues. Près de 150 cadets partent chaque année à l’étranger, contre un seul en 2001 ! Près de 50 sont accueillis en France (à Saint- Cyr, Lyon, Lille, Polytechnique), grâce à des fonds privés. Elyse, Daniel, Jordan et David en sont revenus conquis.

Dirigé par le colonel Rickie McPeak dont le fils, breveté de West Point, sert en Irak, le département des langues étrangères compte « cinquante langues stratégiques », dont le français – ouf ! –, service confié au major David Ashcraft : « Au total, 150 cadets pratiquent le français et 23 l’ont choisi comme matière majeure pour 2013, contre 2 seulement en 2002. » Ancien officier de renseignement pendant la guerre froide, McPeak a fait du russe. «Mais le russe n’est plus recherché comme avant, regrette ce spécialiste de Tolstoï. L’espagnol l’a détrôné. Le chinois s’est hissé en troisième choix. »

Un chant puissant s’élève au détour d’un couloir du département des langues. « Nous sommes les hommes des troupes d’assaut… » Des cadets reprennent à pleins poumons ce vieux chant de la Légion étrangère. Les mots sont massacrés, comme les Viets, mais le coeur y est. « En chantant nous vaincrons… » Blazer bleu marine, cravate rouge, petite baguette en main, François-Xavier Yves bat la mesure, corrige et encourage ses cadets. Il est l’un des sept professeurs de français.

Saint-cyrien de la promotion Davout, colonel à la retraite, cet ancien chef de corps du 1er régiment de Tirailleurs (Épinal) tombé amoureux d’une Américaine et des États-Unis, s’est installé à West Point. Après le chant Légion, l’Expiation de Victor Hugo : « J’exige qu’ils connaissent un chant mili, un poème et la Marseillaise par coeur, c’est excellent pour le vocabulaire et la grammaire », explique ce tonique ambassadeur de la culture militaire française.

Yves et ses méthodes attirent les cadets vers le français. Très disponible, le “Frenchie” ne compte pas son temps.Son dynamisme et ses talents sportifs font le reste. West Point a même accepté de lui confier la direction de l’équipe de voile. Quand on connaît la passion autour du sport universitaire ici, on apprécie l’exploit.

Ce renouveau du français à West Point n’aurait pas été possible sans une grande figure du campus, le colonel Craig Flowers. Arrivé en juillet 2002 après l’École de guerre française et le poste d’attaché militaire au Maroc, ce sosie de Bruce Willis est le “directeur des activités” : «Une des affectations les plus originales de notre armée.» Flowers gère tout ce qui n’est pas militaire, ni académique : « Dix restaurants, deux magasins, des spectacles artistiques et sportifs, le second plus grand théâtre de la côte Est après le Radio City Music-Hall de New York, plus de 300 civils, un budget de 20 millions de dollars. »

Amoureux de la France – « Mon année en France a modifié mon regard sur le monde »–, Flowers conçut le “plan stratégique” qui multiplia par dix les élèves en français et par sept les stagiaires envoyés France. « Je leur répète qu’il faut s’ouvrir, se parler », raconte cet officier souriant. Lui-même a appris le haoussa à l’université du Kansas.

Flowers s’est donné pour mission de « dégrossir » les cadets : « J’apprends au grand roux de Boston comme au petit brun de Los Angeles à se comporter en Afghanistan et en Europe, à parler, se tenir, comprendre les autres. » Il est confiant : « La mentalité de nos officiers est en train de changer. » La promotion 2011 lui semble excellente. Elle porte le nom de Twin Towers. 

Frédéric Pons


Traduction

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