Jeudi 17 Février 2011
Déjà 53 morts mais aussi des centaines de grands blessés. Match a rencontré ces hommes brisés que leurs camarades n’abandonnent pas. Et qui ont des droits sur la France.
Par Caroline Fontaine - Paris Match
Sans pouvoir s’arrêter, il tousse, il tousse, et tout son corps se soulève mécaniquement. « Kevin, voulez-vous un verre d’eau ? » Kevin respire, sourit. Oui, il veut bien. A l’aide d’une paille, il en aspire trois, coup sur coup. « C’est à cause de la cigarette », murmure-t-il. Sauf que, depuis le 2 juillet dernier, il n’a plus fumé. Il n’a pas non plus marché, ni bougé. Juste sa tête qu’il appuie sur un bouton pour appeler les infirmières. Il a la trace d’un trou dans la gorge, souvenir d’une trachéotomie, le crâne abîmé et marqué de cicatrices. Dans l’espoir de masquer ma gêne, ma voix se fait plus forte : « Kevin, quelles sont les séquelles de votre blessure ? » En articulant, il répond, comme si tout cela n’était rien : « Ma voix a changé, j’ai un déséquilibre de la mobilité, je n’arrive plus à bouger, je vois mal d’un œil. Et c’est tout ! »
La balle a franchi les distances à 800 mètres par seconde avant de se loger dans son casque, faisant exploser sa voûte crânienne. Elle a sectionné la veine qui irrigue les vaisseaux, entraînant une paralysie des quatre membres. Les lésions cérébrales lui occasionnent pertes de mémoire et troubles cognitifs. Kevin éprouve des difficultés à contrôler ses émotions et passe facilement du rire aux larmes. Il prend des médicaments pour lutter contre les raideurs, éviter les infections urinaires et pulmonaires ou les crises d’épilepsie causées par des morceaux de crâne qui se baladent encore dans son cerveau. Sans oublier les médicaments « pour sourire »…
Kevin a fêté ses 21 ans le 16 octobre, dans sa chambre du service de rééducation de l’hôpital militaire Percy. Il l’occupe encore. Un trait de barbe dessine le contour de son visage. « A l’hôpital, il faut être beau », confie-t-il, malicieux. Les yeux rivés sur les photos accrochées au mur, il rit à l’évocation de sa vie d’avant. Installés sur un fauteuil, trois lions en peluche, dont l’un porte une grande croix en bois, le regardent. « Je suis un lion », affirme Kevin. Ce surnom lui va bien. Il date de l’époque de sa belle tignasse, quand on lui prédisait un radieux avenir de footballeur professionnel. « J’avais ce rêve, dit-il. Mais je me suis mis à traîner. Mon oncle avait fait la Légion. A 18 ans, je me suis engagé. Je ne le regrette pas. »