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Johan Freckhaus, otage des talibans

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LE MONDE | 28.01.2009

Johan Freckhaus faisait "confiance à (sa) bonne étoile", et les gens qui l'entouraient avaient fini, dit-il, "par y croire aussi" ; mais avec du recul, il a le sentiment de s'être "trompé" et d'avoir "mis tout le monde dans une situation difficile". Sa "situation" ? Au printemps 2008, il a été l'otage des talibans pendant trois semaines. Sa connaissance de l'Afghanistan, où il vivait depuis neuf ans, sa maîtrise du dari, l'une des deux langues principales du pays, et l'absence de séquelles graves liées à sa détention en font un témoin rare, capable de très bien comprendre son environnement. Son témoignage permet aussi d'approcher au plus près le quotidien des combattants talibans et, par extension, certaines raisons de leur retour en force, sept ans après leur chute du pouvoir. Revenu en France après des séjours à l'étranger, il a accepté de se confier sur cette expérience.

Johan Freckhaus, 37 ans, dirigeait une entreprise de BTP et suivait la construction de postes de police en Afghanistan. Il effectuait le trajet en taxi de Kandahar à Kaboul, le 29 mai 2008, avec deux de ses ingénieurs afghans, lorsqu'il a été enlevé à l'aube au sud de la province de Ghazni. Il sera libéré le 19 juin par les services secrets français.

Séparé de ses deux collaborateurs pendant toute cette période, il a été détenu par un groupe de talibans dans le district d'Andar, au sud-est de l'Afghanistan, fief des insurgés opposés au gouvernement afghan et aux forces de l'OTAN.

Ce jeudi 29 mai, faute d'avoir pu trouver un avion pour retourner à Kaboul, il convainc ses deux ingénieurs, réticents, de réveiller un taxi à la gare routière de Kandahar. Aux premières heures de la journée, ils prennent la route jalonnée de camions brûlés. Le chauffeur leur fait la chronique des dernières embuscades sur cette piste, devenue l'une des plus dangereuses du pays, et que les Occidentaux, ONG ou même ONU, n'empruntent plus.

"Vers 6 h 30, on a été bloqués par un barrage, se souvient Johan Freckhaus. J'ai senti que c'était de faux policiers, malgré le pick-up garé en travers de la route qui arborait le sigle police, les uniformes des hommes en armes étaient trop disparates." Il poursuit : "Penché à notre vitre, le garde armé n'a posé son regard qu'une seconde sur moi. J'étais le plus vieux, barbu, les yeux sombres, alors que mes ingénieurs ne portaient pas de barbe, ressemblaient à des citadins, l'un d'eux a les yeux bleus." Cela leur vaut d'être mis à l'écart de la route, juste le temps pour eux de cacher leurs papiers et leur téléphone dans des recoins du véhicule.

"Je leur ai laissé croire que j'étais du Nouristan, une province du Nord, mais ils sentaient qu'il y avait quelque chose d'anormal." L'arrivée du chef du groupe, le mollah Anouar, les interrogatoires séparés des trois hommes et les coups reçus par les deux ingénieurs sous les yeux du Français conduisent Johan Freckhaus à avouer sa vraie nationalité. "Cela ne sentait pas la mort", confie-t-il.

Cet ancien capitaine du 2e régiment étranger d'infanterie de la Légion étrangère se retrouve alors les yeux bandés, pieds et mains entravés. Sous la pression, l'un des deux ingénieurs afghans a révélé au mollah Anouar que, avant de se lancer dans les affaires, le chef d'entreprise français avait combattu dans les rangs du commandant Ahmed Chah Massoud, entre 1999 et 2001. Ce chef militaire, héros de la résistance face aux Soviétiques, tué le 9 septembre 2001, a été le principal ennemi des talibans.

Sommé de s'expliquer sur ce passé, l'otage français ne renie rien. "Mais à ce moment-là, j'ai craqué, les larmes coulaient sous le bandeau, en avouant ces liens, je pensais que mon sort était scellé." Il est laissé jusqu'à la nuit sous quelques arbres avant d'être transféré, sur une Mobylette, dans un cellier où les chaînes remplacent les cordes. "Je n'ai compris qu'après que ce n'était pas des talibans : ce groupe écoutait de la musique et n'avait pas la rigueur théologique des militants islamistes."

Le troisième jour, après un parcours cahoteux en voiture, il est remis à un véritable chef taliban, surnommé "Elias". Le mollah Anouar filme la scène en guise de garantie personnelle ; il ne sera pas dit qu'il a maltraité le Français s'il devait arriver malheur à ce dernier. Après avoir eu peur d'être conduit dans les zones tribales pakistanaises où sont mêlés talibans et combattants d'Al-Qaida, Johan Freckhaus arrive dans le district d'Andar. Il change de lieu de détention tous les soirs. "Elias était un pur et dur de 25-30 ans, un Afghan passé par les madrasas pakistanaises", dit-il.

La vie est rythmée par les cinq prières du jour. "Il y avait un taliban chargé de la logistique, un ancien de la guerre contre Massoud. Parfois, le soir, on ne bougeait que de 500 mètres, d'autres fois on marchait une heure, on dormait dans des fermes tenues par des partisans. Les enfants de la maison venaient me voir entravé, leur regard me faisait plus mal que les liens. Dans cette région, les talibans sont insérés dans la population, elle les héberge, les nourrit et les informe." Lors des transferts, le ciel était parcouru d'avions sans pilote et d'hélicoptères. "Les talibans semblaient moins craindre les observations aériennes que leur localisation grâce aux cartes SIM de leurs téléphones, qu'ils enlevaient chaque nuit." Les forces américaines mènent alors une offensive sur le district d'Andar pour y déloger les talibans qui y sont installés en nombre.

Un soir, Johan Freckhaus se retrouve en compagnie d'un codétenu, un commerçant irakien, arrêté un mois auparavant. "A partir du neuvième jour, j'ai arrêté de les compter, je me préparais à une longue détention, tout en pensant à l'évasion, j'imaginais partir un soir, en profitant de la nuit, où ils sont sans communication."

Les gardiens alternaient entre les combats et la garde du prisonnier. L'otage se souvient les avoir entendus raconter certaines de leurs opérations. "Ils avaient attiré des commandos américains dans un guet-apens en laissant un portable allumé, avec lequel ils avaient communiqué en arabe dans une maison abandonnée, puis avaient miné le lieu ; ils étaient contents, le piège avait semble-t-il fonctionné."

Le quotidien avec ses geôliers réserve d'autres surprises. L'un d'eux, lors d'une prière, laisse tomber une grenade, créant une grande émotion dans la maison. Un autre jour, un garde s'endort. Le plus âgé d'entre eux avait déjà été requis, en juillet 2007, pour surveiller des otages sud-coréens. Deux d'entre eux avaient été tués et les autres avaient été libérés après négociations. Il explique à l'otage irakien que l'hiver, il retourne à Karachi, au Pakistan, pour s'occuper de son petit commerce. "Malgré son âge, il faisait le djihad depuis la mort de son fils à Kunduz, en 2001", indique Johan Freckhaus.

Un après-midi, Elias organise un entretien, qui sera filmé, entre le Français et un haut responsable taliban. "Il parlait couramment anglais, il m'a notamment posé des questions sur mon parcours avec Massoud. Il voulait savoir si j'avais tué des talibans, je suis resté évasif."

Johan Freckhaus, lors de son engagement aux côtés de Massoud, s'est rendu, avec des tireurs d'élite, dont il était l'instructeur, sur la ligne de front dans la plaine de Shamali, au nord de Kaboul. Mais ses geôliers ne le savent pas. Ils en sont restés à ses premières déclarations sur son seul statut "d'instructeur".

"En vivant avec ces talibans, je pensais aux Afghans que j'avais côtoyés à l'époque de Massoud, aussi nationalistes et religieux les uns que les autres, se souvient-il. En 2000, les commandants de Massoud me disaient de tirer sur les Arabes et les Pakistanais, et de les laisser régler leurs affaires entre Afghans. Les talibans, cette fois-ci, reconnaissaient à Massoud une bravoure afghane qu'ils déniaient aux Pakistanais et aux Arabes. Dans les deux camps, ils ne comprenaient pas que je ne sois pas musulman." Cela n'exclut pas de vraies nuances. "Pour Massoud, dit-il, les filles ont le droit à l'éducation, et il respectait l'héritage historique préislamique du pays, incarné par les statues de Bouddha détruites par les talibans, en 2001."

Le 19 juin, alors que la routine de la vie d'otage s'est installée, Johan Freckhaus saisit une conversation entre deux gardiens : "Il va être échangé", se disent-ils. "Je pensais qu'ils parlaient de mon codétenu irakien, mais c'était pour moi." Il est transféré, en plein jour, sur une moto, les yeux bandés, dans la cour de la maison d'un mollah local, proche des talibans, où il retrouve ses deux ingénieurs. Une liaison téléphonique avec un négociateur français, chargé par la France d'obtenir sa libération, annonce l'issue de l'épreuve, alors que, cachée dans un recoin, la fille du mollah fixe l'otage du regard. En guise d'au revoir, "Elias" lui glisse, "si on te reprend, on te tue, on n'est pas copains", puis lui demande, peu après : "Qu'est-ce que tu penses de moi ?"

L'un des deux hélicoptères Caracal de l'armée de l'air française basé à l'aéroport de Kaboul récupère alors les otages. Rapatrié sur l'une des bases des services secrets (DGSE), à Orléans, l'ex-détenu français est interrogé quelques heures après avoir atterri. Dans l'avion du retour, Johan Freckhaus, comprenant la somme de moyens déployés pour sa libération, s'inquiète, en souriant, de la facture qu'il va devoir acquitter. Un membre de la DGSE lui rétorque, sur le même ton : "T'inquiète, tu pourras jamais rembourser."

Jacques Follorou


Traduction

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