AALEME

Légionnaire toujours...

  • Plein écran
  • Ecran large
  • Ecran étroit
  • Increase font size
  • Default font size
  • Decrease font size

Légion étrangère Marche et crève

Envoyer

Jean-Dominique MERCHET 9 janvier 2009

A Djibouti, un exercice a coûté la vie à un jeune Slovaque. Son lieutenant, qui l’avait frappé et privé d’eau, a été écroué et sera jugé aux assises.

Un homme est mort et son chef est en prison. Le drame s’est déroulé à Djibouti, dans le huis clos de la Légion étrangère, et il n’y a pas eu d’omerta militaire, bien au contraire. Voilà l’affaire, mais faut-il l’appeler du nom de la victime, Jozef Svarusko, ou de celui de l’officier aujourd’hui détenu à la Santé, Médérick Bertaud ? Jozef Svarusko aurait eu 26 ans le 7 juillet dernier. Il est mort le 5 mai, dans la caillasse de Djibouti, des suites d’une «hémorragie digestive haute», vraisemblablement provoquée par un très sérieux coup de chaleur. Sa température interne atteignait alors 43,7 ° C et les médecins n’ont pas pu le sauver. Avant de perdre connaissance, tombant la face en avant sur un buisson, il criait «l’eau, l’eau, l’eau» et «santé, santé».

A la Légion, personne ne connaissait Jozef Svarusko. Ce jeune Slovaque, né à Bratislava, s’était engagé l’année précédente sous le pseudonyme de Matus Talas. Pour tous les hommes de la 2e section de la 1re compagnie du 2e Régiment étranger de parachutistes (REP), il était donc simplement «Talas». Il parlait mal le français et ne trouvait pas sa place dans ce régiment d’élite. Ses chefs et ses camarades le décrivent comme «faible physiquement, cherchant à éviter les difficultés, immature, très maladroit». Le mouton noir. «Pas un sale con», disent-ils pourtant. Plutôt le gars qui n’est pas à sa place. Il n’y est pourtant pas arrivé par hasard. Premier tri, la sélection lors de l’engagement dans la Légion - huit candidats pour une place. Puis les quatre mois de formation à Castelnaudary (Aude), qui ne s’apparentent pas à un séjour balnéaire. En principe, seuls les meilleurs peuvent prétendre intégrer le prestigieux REP de Calvi. A Djibouti, où il est arrivé avec ses camarades fin février 2008, il ne suivait qu’avec peine : on l’affecte - ironie du sort lorsqu’on connaît la suite - au soutien, chargé du chaud-froid (chauffage, climatisation…). Il explique à ses chefs qu’il veut devenir jardinier.

Pour l’heure, il est parachutiste dans une compagnie de combat. C’est l’exercice Bour Ougoul 2008, un bouclage de zone dans le cadre d’une manœuvre de contre-terrorisme. La progression se fait à pied dans le paysage aride de Djibouti. Talas porte la Minimi, une petite mitrailleuse pesant 10 kilos avec les munitions. Depuis la veille, il se plaint de douleurs au genou, mais rien de visible à l’extérieur.

«38° C, la zone de danger»

Ce lundi 5 mai, la marche reprend vers 14 h 30, en direction d’un piton sur lequel la section doit installer un poste d’observation. Le thermomètre indique 38° C. Selon les instructions remises aux militaires lors de leur arrivée à Djibouti, c’est à partir de cette température que l’on entre dans la «zone de danger» pour l’organisme (1). Talas s’arrête et refuse de repartir. Pensant qu’il simule, le sergent-chef Martinez et un caporal s’approchent de lui et le frappent. Leur chef, le lieutenant Bertaud, regarde et laisse faire. Talas repart, fait 200 mètres et s’arrête à nouveau. Assis sur le sol, il reçoit une nouvelle fois des coups de pied. Il demande alors à être évacué, mais repart quand même. Deux cents mètres plus loin, il s’écroule sur le sol en position fœtale. Le lieutenant l’engueule et refuse qu’il soit évacué - ce que demande pourtant le sergent. L’officier s’approche de l’homme à terre et lui donne alors un coup de pied. L’officier menace l’homme de l’abandonner là sans armes et sans eau. Il lui prend sa gourde et ses deux bouteilles d’eau, en vide une devant lui en disant «santé !» Il donne l’ordre de ne plus lui donner à boire.

Le groupe reprend sa progression, Talas suivant péniblement derrière. Cinq cents mètres plus loin, il rejoint le groupe qui fait une pause. Le lieutenant lui fait rendre son arme, mais ne lève pas l’interdiction de boire. Le groupe repart et Talas suit. Il croise alors des camions de la 1e section. Des hommes lui donnent une bouteille d’eau. Lorsque le lieutenant le voit, il le rejoint, l’accuse d’avoir voulu déserter et lui rappelle qu’il n’a pas le droit de boire. Un caporal le frappe et le lieutenant le cogne une deuxième fois d’un coup de poing au menton. Le groupe reprend sa marche et trois légionnaires constatent alors «le teint jaune et les lèvres bleues»de leur camarade, mais ils ne disent rien. Un peu plus loin, Talas s’écroule, sans connaissance. Les premiers soins lui sont prodigués. Les secours sont déclenchés à 16 h 24. Malgré les soins et l’arrivée d’un médecin, le jeune légionnaire meurt d’un arrêt cardio-respiratoire à 17 h 35.

L’autopsie ne fait état d’aucune lésion traumatique externe. A peine quelques ecchymoses superficielles. Les coups n’ont pas été très violents et Talas n’en est certainement pas mort. Tout le problème, c’est l’eau. Les coups ? «C’est assez habituel à la Légion. Recevoir des coups est normal, jusqu’à un certain point. Coups de pied aux fesses, claques, coups de poing dans la poitrine», reconnaît le sergent-chef Martinez, interrogé par la justice. C’est parfaitement illégal, contraire aux règlements militaires, mais c’est ainsi. Tout le monde le sait dans l’armée. Les légionnaires ne sont pas des enfants de chœur.

L’eau, en revanche, c’est une tout autre histoire. «C’est sûr, il va crever», répond le sous-officier, lorsqu’on lui demande ce qu’il risque d’arriver si l’on prive un homme d’eau dans ces conditions. L’«ordre initial» qui a été rédigé pour cet exercice est explicite : «Début de saison chaude. Surveillance coups de chaleur. Prendre beaucoup d’eau.» Interdire de boire à un homme, surtout affaibli, est une décision impardonnable. Le rapport de commandement, interne à l’armée de terre, le reconnaît explicitement : «La responsabilité principale revient au lieutenant Bertaud qui a donné l’ordre de ne plus donner à boire.»

«Caractère borné»

Le lieutenant Médérick Bertaud a le même âge que la victime, presque 26 ans. Comme lui, il est né en 1982 et la Légion étrangère l’attirait. D’origine nantaise, il a intégré Saint-Cyr Coëtquidan en 2003, l’école qui forme les officiers de l’armée de terre. Il est décrit par ses camarades de la promotion Général Simon comme «d’un bon niveau académique, très bon niveau en sport, état d’esprit très militaire, affirmant vite un profil action». «Fana Légion», il choisit l’infanterie à la fin de sa scolarité et son bon classement à l’Ecole d’application lui permet d’obtenir, en 2007, une affectation au prestigieux 2REP. Ce séjour à Djibouti est sa première mission extérieure.

Une personnalité complexe : l’un des ses proches le décrit comme un «gentil garçon, qui a beaucoup souffert du divorce de ses parents. Le genre à faire bonne figure devant les autres, puis à aller s’enfermer dans sa chambre pour pleurer». Son intégration au REP, le régiment qu’il rêvait de rejoindre, ne va pas sans difficultés. «Trop sûr de lui», estiment les cadres du régiment. Ses relations avec les sous-officiers sont mauvaises : «Caractère borné, ne tient pas compte de l’avis de ses subordonnés, manque de maturité». Lors de manœuvres en France, il a eu une violente altercation avec son adjoint, un sous-officier expérimenté, pour avoir - déjà - abandonné un homme qui ne suivait pas. «S’il n’a pas compris que cela ne se faisait pas, il n’a rien compris à l’armée et à la Légion», s’emporte le sous-officier d’origine polonaise. «Intelligent, mais capable de mentir avec aplomb», pense la hiérarchie. Il a été puni (sept jours d’arrêt) pour avoir tenté de tromper ses chefs lors de la réintégration de munitions, après un exercice. On lui reproche de porter des chaussures de marche non réglementaires.

Ennuis avec la police

Sur ce qui s’est passé le 5 mai, le lieutenant Bertaud ne nie rien. A peine minimise-t-il son rôle, expliquant ne pas avoir constaté les symptômes d’un coup de chaleur (peau sèche, par exemple). Les coups ? «La première fois, par colère. La deuxième, parce qu’il avait vraiment dépassé les bornes.» Violent ? Son dossier signale qu’en classes préparatoires, il avait eu des ennuis avec la police pour «dégradation de véhicules».

Interrogé par les gendarmes dès la mort du légionnaire, il va se passer plus de six mois avant qu’il soit mis en examen, le 19 novembre, par la juge d’instruction auprès du Tribunal aux armées de Paris, seul compétent pour les affaires concernant les militaires à l’étranger. Trois autres légionnaires, aussitôt exclus de l’armée, sont également mis en examen pour «actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort sans intention de la donner». L’un d’eux, un Mexicain, est en fuite, les autres, un Roumain et un Chilien, placés sous contrôle judiciaire. Seul le lieutenant est incarcéré à la prison de la Santé. Les avocats s’étonnent de la qualification de «tortures», estimant qu’il s’agit plutôt de «violences volontaires». La cour d’assises jugera.

Ce qui est certain, c’est que cette mise en examen était réclamée par l’état-major de l’armée de terre qui, à l’automne, ne comprenait pas pourquoi la justice tergiversait. Alors que l’armée française redécouvre la guerre en Afghanistan, ses chefs estiment qu’il est impossible de faire le silence sur de tels actes, au risque d’ouvrir la porte à tous les excès. Si un officier maltraite ses hommes, que fera-t-il de ses prisonniers ? Dans les rangs des jeunes officiers, cette sévérité est parfois incomprise. Certains accusent la hiérarchie d’avoir «lâché» ce jeune lieutenant. «Nous ne l’avons pas lâché, martèle le général Elrick Irastorza, chef d’état-major. Il n’a pas sa place parmi nous.» Fermez le ban.

 

(1) L’entrée dans la «zone de danger» varie de 38° C à 45° C, selon le taux d’humidité de l’air. 38° C correspond à plus de 80 % d’humidité.

 


 

Traduction

aa
 

Visiteurs

mod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_counter
mod_vvisit_counterAujourd'hui4896
mod_vvisit_counterHier6287
mod_vvisit_counterCette semaine13098
mod_vvisit_counterSemaine dernière40850
mod_vvisit_counterCe mois90062
mod_vvisit_counterMois dernier119907
mod_vvisit_counterDepuis le 11/11/0919949398

Qui est en ligne ?

Nous avons 5648 invités en ligne

Statistiques

Membres : 17
Contenu : 14344
Affiche le nombre de clics des articles : 42812019
You are here PRESSE XXI° 2009 Légion étrangère Marche et crève