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Les peuples de Madagascar.

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Le Monde illustré du 23/11/1895

 

Comme le disait très justement M. Grandidier, dans l'une de ses si savantes études sur Madagascar, cette grande île, n'est pas, comme on le croit généralement à tort, soumise à la domination de la reine des Hovas : Ranavalo III tient sous son despotisme une partie seulement de Madagascar, partie appréciable au quart selon certains, au tiers selon d’autres : le reste de l'île (les trois quarts ou les deux tiers) est indépendant de la souveraine jaune.

Madagascar est en réalité une agglomération d’États, de royaumes indépendants les uns des autres, d'origine, de mœurs et de couleurs différentes..

Les Hovas qui habitent la partie médiane des plateaux du centre, l'Imérina (ou Emyrne), dominent sur toute la zone haute, qui comprend au nord de l'Imérina, l'Antsianaka (pays du peuple du lac Alaotra) et au sud le Betsileo : ce domaine, qui est extrèmement étroit en largeur, puisque sur certains points il ne se développe pas sur plus de 80 à 100 kilomètres, mesure du nord au sud 550 kilomètres; vers l'est, les Hovas sont descendus jusqu'aux rivages de la mer. depuis 1817, et ils tiennent la zone entière comprise entre la baie d'Antongil et Vangaindrano; au nord de la baie d'Antongil, ils n'ont pu se maintenir que sur certains points, comme Vohemar et Ambohimarina, dont nous les avons délogés en avril dernier; au sud de Vangaindrano, ils n'ont qu'un seul poste, où ils se maintiennent d'ailleurs très difficilement, c'est Fort Dauphin ; vers l'ouest, les Hovas commandent deux routes commerciales seulement, au nord-ouest, la route des plateaux de l'Imérina au fort de Majunga, et au sud-ouest la route des plateaux de Betsileo au fort de Morondava; sur toute cette immense côte de l'ouest, qui se développe le long du canal de Mozambique sur plus de 1500 kilomètres, les Hovas ne possèdent que quelques points fort peu nombreux, au nord les postes ils ont envahis en 1883, sur les territoires soumis à notre protectorat étroit depuis 1840, et au Sud Tulléar, où nous les avons installés nous-mêmes, tout récemment.

Ce n'est pas l'ambition de la conquête qui leur a manqué : depuis Andrianampoinimerina et Raarna 1er, ils luttent contre leurs voisins ; mais ils ont été impuissants à les réduire et jamais des peuples indépendants ne se plieront au joug hova.

Si nous voulons imposer aux peuplades de Madagascar le joug de la reine des Hovas, nous réouvrirons une ère de luttes et de guerres sans fin, qui exigeront des millions et des millions.

Poursuivre l'unité de Madagascar - au profit dune reine malgache, - quelle qu'elle soit, hova, sakalava, betsimisaraka ou toute autre, jaune, noire ou blanche, de race arabe, est une utopie insensée, une folie pure.

Une lutte séculaire n'a pu les rendre maîtres , du reste de l'île.

Nous pouvons, nous, les blancs d'Europe, grouper dans notre main, la direction des peuplades indigènes; et elles accepteront notre action, les peuplades d'origine noire surtout, parce que nous sommes les Blancs, des demi-dieux pour eux (tant que nous serons forts et justes) ; mais il faut que le maitre commandant à ces peuplades soit un Blanc; à lui elles obéiront : elles ne se soumettront pas à un noir ou à un jaune.

Pour ces motifs, il faut rejeter la pensée de créer une reine de Madagascar, qui deviendrait intermédiaire entre nous et les peuplades de l'île : cette conception est irréalisable et ne peut nous conduire qu'à de cruels mécomptes.

J'ai toujours pensé qu'il faut sectionner Madagascar en un certain nombre de divisions ethnographiques et laisser ces divisions indépendantes les unes des autres.

N'avons-nous pas, en Indo-Chine, accepté de tels principes : tout en créant un gouverneur général clm, l'Indo-Chine, nous avons maintenu l'indépendance respective des grandes divisions de la presqu'île ; nous avons donné à chacune de ces divisions, à la Cochinchine, au Cambodge, à l'Annam, au Tonkin, au Laos, l'organisation et le régime le plus approprié aux besoins particuliers de chacune de ces zones.

A Madagascar, il faut agir de même : sous l'autorité d'un gouverneur général il convient de maintenir l'indépendance respective des provinces qui entourent, comme une ceinture, les plateaux du centre.

Un mot sur ces provinces, auxquelles on donne le nom bien significatif de Provinces indépendantes.

Au nord est l'Antankarana (se prononce Antankar); ce royaume est pays de protectorat français, depuis avril 1841 : le traité qui nous l'a donné, figure dans le Recueil des Traités de la France : c'est donc un territoire français, bien français, si français que lorsque le roi des Antankarana (Tsimiharo) mourut le 12 novembre 1882, le commandant français de notre colonie de Nossi-Bé, chargé du protectorat de l'Antankarana (et du Sakalava), donna l'investiture à Tsialana, fils ainé du roi défunt.

Or, ce Tsialana, que nous avons investi comme notre protégé, il est encore, à cette heure, roi de l'Antankarana.

Irons-nous le déposséder pour donner ses États à Ranavalo III ? Ce serait de l'aberration.

A l'ouest de la baie d'Ampasindava, à la baie de Saint-Augustin, court la côte Sakalava: les Sakalaves sont demeurés, pour la plupart, indépendants des Hovas.

Les Sakalaves sont d'origine africaine ; leur teint noir foncé et leurs cheveux demi-crépus en témoignent.

On a souvent répété que ce sont des pillards qui ne méritent aucune commisération; je ne suis pas de cet avis. Les Sakalaves nous ont fourni, en 1883, d'excellents soldats : ils se sont distingués alors sous les ordres de Pennequin, et si les Hovas ne furent battus qu'une fois au cours de cette longue campagne d'alors, ils le furent par des tirailleurs sakalaves; malgré les services qu'ils nous avaient rendus, nous les avons, en 1885, abandonnés à la reine des Hovas; nous leur avions fait des promesses formelles : « Venez à nous, avaient dit nos amiraux, en 1883, jamais nous n'abandonnerons Majunga, jamais nous n'abandonnerons les pays sakalaves que nous protégeons, en vertu des traités de 1849 et de 1860 ; venez à nous. » Ils vinrent, confiants dans notre parole ; ils se battirent pour nous ; en 1885, nous les avons livrés aux vengeances hovas. Aujourd'hui, ils se défient : cela est assez naturel; aujourd'hui, ils hésitent à nous fournir de nouveaux tirailleurs; est-ce une raison pour les livrer de nouveau à leurs ennemis jaunes ? Ce n'est pas mon avis : les Sakalaves il importe de s'en souvenir, ont institué dès le début du XVIIe siècle, une monarchie puissante, et les Hovas leur payaient tribut à cette époque ; nous pourrions relever cette monarchie que des divisions intestines ont morcelée ; si les Sakalaves demeurent continuellement sous les armes, c'est qu'ils ont à se défendre continuellement contre les incursions des Hovas.

Je suis certain que sous une direction éclairée, les noirs sakalaves seraient, en peu d'années, aussi complètement assimilés à nous que les noirs de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion, qui sont aujourd'hui citoyens français, et, à tous égards, dignes de l'être.

Dans la zone du nord-ouest sont venus de nombreux Comoriens qui sont nos protégés et qui constituent une population très intéressante.

Indépendants des Hovas sont aussi les peuples du Sud : les Mahafaly. les Antandroy, les Masikora (ou Machicores), dont il est tant parlé dans les Relations du XVIIe siècle, les Antanosy, au milieu desquels furent créés nos Établissements de 1643 à 1672. M. le Dr. Cotât, qui a parcouru le pays des Anosy (l'Anlanosy), estime que cette peuplade ne le céderait en rien aux Hovas, si leurs contacts avec les Européens avaient été aussi fréquents et aussi suivis. Les Antanosy ont ceci de commun avec les Sakalaves et tous les peuples indépendants, qu'ils exècrent les Hovas et « tout ce qui en vient ».

Quant aux Betsimisaraka de l'Est, nos anciens sujets, ces sujets qui, en 1823, prêtaient encore serment d'allégement au roi de France, quoique vaincus par les Hovas et soumis, ils attendent de nous leur libération : tromperons-nous leur attente ? Ils méritent toute notre sollicitude, car les habitants de Sainte-Malie de Madagascar, qui sont des Betsimisaraka, et qui sont devenus sous notre domination d'excellents colons, qu'il est parfois bien difficile de distinguer des créoles, et même des Européens, nous prouvent ce que nous pouvons faire de ces peuples.

Il est un autre peuple de l'Est, du Sud-Est, qui mérite une mention particulière : ce sont les Tanala d'Ikongo ; sous le règne de Ranavalo Ire, les Hovas voulurent les soumettre; par quatre fois ils attaquèrent le plateau d'Ikongo : les quatre fois ils ne purent avoir raison de la résistance. des Tanala, et, en 1862, Radama II dut, par un acte solennel, reconnaître l'indépendance du Tanala.

La Reine des Hovas n'est donc pas la reine de Madagascar, et ne la sera jamais.


HENRI MAGER.


Traduction

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