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La Légion étrangère - Récits militaires par M. ROGER DE BEAUVOIR. Illustrations de M. DOLDIER.

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Le Monde Illustré - 07/12/1888

 


(Voir les numéros 1649, 1651, I652 et 1653.)
(Suite et fin.)


Le capitaine de Castries, ayant pris le commandement de l'arrière-garde, réussit à rallier son monde sur un petit plateau et à former un carré au centre duquel on plaça les blessés. Toutes les attaques de l'ennemi échouèrent devant la résistance des survivants.

Informé par un espion de la situation où se trouvait le détachement de Castries, le colonel de Négrier se mit aussitôt en route d'Aîn-bel-Khelil avec 5oo hommes, franchit 5o kilomètres en une nuit et dégagea nos braves.

Ce fut seulement par des prisonniers qu'on apprit que la petite troupe du capitaine Barbier avait eu à lutter contre tous les contingents de Bou-Amema.

Nous avons dit, au commencement de cette notice, que la légion renfermait des hommes de toutes les classes de la société, des personnages ayant joué un rôle dans leur pays, des savants même, des gens sur le visage desquels il est difficile de ne pas remarquer une distinction native, de grandes douleurs, quelquefois aussi, de grands vices.

Les anecdotes que nous allons raconter sont absolument vraies; elles sont, du reste, à l'honneur de la Légion.A Géryville, l'eau potable étant venue à manquer dans le camp, on dut la chercher à une assez grande distance. Comme les officiers s'entretenaient entre eux des calculs nécessaires pour la trouver, un caporal les entendit; sans rien dire, il se mit à l’œuvre, et quarante huit heures après, il indiquait l'endroit où il fallait creuser un puits. Tous ses Calculs étaient justes; au bout de quelques jours, l'eau arrivait dans le camp. Ce caporal avait été officier du génie de l'armée autrichienne; il était sorti le second de l'école militaire de Vienne.

Dans un combat en Kabylie, où un bataillon de la légion avait été fort éprouvé, il n'y avait plus personne pour donner des soins aux blessés, le médecin major étant au nombre des morts.

Le commandant rassemble son bataillon.

— Y a-t-il des médecins parmi vous ? demande-t-il.

Aussitôt, quatre hommes se détachent des rangs et se présentent au chef.

Tous les quatre étaient reçus docteurs, venant des facultés des quatre coins de l'Europe. Et tous firent leur métier de médecin et de chirurgien, en gens parfaitement expérimentés, habiles et dévoués.

 

***

A une revue qu'il passait des bataillons de la légion, le général de X. s'arrêta devant un homme de belle tenue et d'aspect tout à fait martial, dont la figure l'avait frappé et remuait ses souvenirs.

— Eh!. mais. je vous ai vu quelque part( demanda le général.

L'homme ne répondit que par un geste de dénégation.

— Mais si. à coup sûr, votre figure ne m'est pas inconnue! Attendez donc!

A M. si je ne me trompe.

— Non, mon général, fit le soldat.

Le général le regarda fixement et passa outre, ne voulant pas pousser plus loin l'interrogation, mais bien convaincu qu'il ne se trompait pas et qu'il était en présence d'un personnage de rang élevé, rencontré par lui dans des circonstances dont il n'avait qu'un vague souvenir.

— Il a des raisons sans doute pour vouloir garder l'incognito, pensa-t-il; inutile d'insister.

Quelques mois plus tard, il le retrouva grièvement blessé dans une ambulance.

Il s'approcha de lui, s'enquit avec intérêt de ses besoins.

Et toujours le visage de cet homme lui rappelait quelque chose du passé.

Le blessé s'en aperçut et, confidentiellement, lui dit:

— Vous avez raison, mon général, j'ai eu l'honneur de vous voir autre part, dans un temps meilleur. A M..., en effet, j'étais au nombre des officiers qui avaient reçu l'agréable mission de vous faire les honneurs des palais de la ville.

— Le colonel K., fit le général se souvenant tout à coup.

— Oui, mon général; j'ai eu le malheur, dans un moment de folie, de manquer gravement de respect à un haut dignitaire et l'empereur m'a enlevé mon régiment et rayé des cadres. Désespéré, dépouillé, sans espoir de pardon, j'ai fui mon pays et suis allé là où l'on se bat faire mon métier de soldat et mourir au service de la nation que j'aime et estime le plus après la mienne.

Voilà, mon général, ma triste histoire. Si je reviens de cette blessure-là, ajouta-t-il, j'espère être plus heureux la prochaine fois!

On sait la part brillante que les légionnaires prirent à tous les combats du Tonkin où ils retrouvèrent leur ancien chef, le général de Négrier.

A peine débarqués, les voilà prêts à combattre les Pavillons noirs, à les repousser, à leur enlever leurs places d'armes principales: Sontay et Bac-Ninh.

Entrés les premiers dans Sontay, ils ont à venger les morts profanés et les blessés torturés et décapités; aussi, détruisent-ils tout ce qui leur tombe sous la main; ils s'habillent en mandarins, font des trophées avec les drapeaux. conquis et pavoisent au moyen d'étoffes multicolores le quartier, qui leur est affecté.

Au moment d'attaquer Bac-Ninh, le jeune général de Négrier dit au lieutenant-colonel Duchesne: « A la légion, l'honneur d'entrer dans la place! Prenez ce que vous avez sous la main, je vous fais soutenir. Emmenez le génie avec des pétards de dynamite; il" faut prendre ce soir une porte de la ville. »

Le soir, en effet, les compagnies de la légion occupaient la citadelle, et, le lendemain, elles entraient dans Bac-Ninh.

Puis, vint le siège de Thuyen-Quari, — le plus beau fait d'armes de cette campagne, — dont la prodigieuse défense rendit célèbre le commandant Dominé, et qui eût suffi à immortaliser la légion.

On se rappelle que la garnison se composait de quelques sapeurs du génie; de plusieurs tirailleurs tonkinois et de deux compagnies du régiment étranger, lesquelles perdirent 158 hommes, c'est-à-dire plus du tiers des combattants.

Aux noms glorieux de Sébastopol (1855), de Kabylie (1857), de Magenta (1859), de Camerone (i863), le drapeau de la légion étrangère peut ajouter Thuyen-Quan (1884).

Un des officiers de cette phalange héroïque, M. de Borelli, a célébré en beaux vers, colorés et énergiques, la gloire de ses anciens compagnons d'armes: son poème porte cette dédicace: Très particulièrement, je dédie ceci à la mémoire de Théobald Streibler qui m'a donné sa vie le 3 mars 1885.

Nous en détachons quelques strophes parmi les plus vibrantes, avec le regret de ne pouvoir donner en entier, cette noble inspiration:

Mes compagnons, c'est moi : mes bonnes gens de guerre,
C'est votre chef d'hier qui vient parler ici,
De ce qu'on ne sait pas ou que l'on ne sait guère.
Mes morts, je vous salue et je vous dis: Merci!

Jamais gardi de Roi, d'Empereur, d'Autocrate,
De Pape ou de Sultan; jamais nul régiment
Chamarré d'or, drapé d'azur ou d'écarlate,
N'alla d'un air plus mâle et plus superbement.

Vous aviez des bras forts et des tailles bien prises,
Que faisaient mieux valoir vos hardes en lambeaux;
Et je rajeunissais à voir vos barbes grises,
Et je tressaillais d'aise à vous trouver si beaux.

Votre allure était simple et jamais théâtrale ;
Mais le moment venu, ce qu'il eût fallu voir,
C'était votre façon, hautaine et magistrale,
D'aborder « le Céleste» ou de le recevoir.

On fait des songes fous, parfois, quand on chemine,
Et je me surprenais en moi-même à penser
Devant ce style à part et cette grande mine,
Par où nous pourrions bien ne pas pouvoir passer?

Je sais où retrouver, à leur suprême étape,
Tous ceux dont la grande herbe a bu le sang vermeil.
Et ceux qu'ont engloutis les pièges de la sape.
Et ceux qu'ont dévorés la fièvre et le soleil.

D'ici, je vous revois, rangés à fleur de terre
Dans la fosse hâtive où je vous ai laisses,
Rigides, revêtus de vos habits de guerre
Et d'étranges linceuls faits de roseaux tressés.

Les survivants ont dit, — et j'ai servi de prêtre, —
L'adieu du camarade à votre corps meurtri;
Certain geste fut fait bien gauchement peut-être —
Pourtant, je ne crois pas que personne en ait ri !

Mais Quelqu'un vous prenait dans sa gloire étoilée,
Et vous montrait d'en haut ceux qui priaient tout bas,
Quand je disais pour tous, d'une voix étranglée,
Le Pater et l'Ave que tous ne savaient pas!

Ces vers, si bien frappés, si délicats, si touchants sont dédies à un brave de la légion auquel M. de Borelli doit la vie.

De tous les capitaines du régiment étranger, M. de Borelli est le seul qui soit sorti vivant de Thuven-Quan, après s'y être conduit vaillamment.

Streibler servait dans sa compagnie; c'était un Alsacien bon teint, un vrai, — car à la légion, tout ce qui mâche de la paille, de Koenigsherg à Radstadt, se prétend Alsacien. — Il était fils d'un vieux garde du génie, décoré et retraité. M. de Borelli avait pris en affection ce brave garçon qui, paraît-il, le lui rendait bien. Au combat de Yuoc (19 octobre 1884), il n'avait pas voulu aller se faire panser en arrière, bien qu'ayant le bras traversé. Son capitaine l'avait proposé pour la médaille militaire, mais elle ne lui fut accordée que par décret du 4 mars 1885.

Or, il était mort la veille! On mit tout de même un bout de ruban jaune sous un morceau de verre casse à la croix de la fosse, dans la citadelle de Tuyen-Quan.
Ce fut le dernier tué de ce siège.

 

***


Quels merveilleux soldats au combat! Quels lions, dès que la poudre a parlé! La bataille, c'est pour eux une distraction, une tête. Aussi, que de souvenirs, que de pages resplendissantes dans leur histoire !

C'est pourquoi en ne saurait trop recommander aux jeunes officiers ainsi qu'aux engagés volontaires qui ont l'âme bien trempée, de choisir, au début de leur carrière, la légion. Avec elle, on marche, on fait campagne toujours, on apprend a tout supporter, à connaître les hommes, leur nature et leurs besoins.

A de très rares exceptions-prés,ce beau corps a constamment eu de vigoureux Officiers dont les personnalités et les caractère ont conquis la Renommée. La vie aventureuse de la Légion a servi leur ambition légitime. Presque tous sont arrivés au summum de la hiérarchie militaire.

H. Roger de BEAUVOIR.
FIN

Traduction

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