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Entre Vienne et Berlin, 1914 dans le monde germanique

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Par Laurent Bury | jeu 20 Novembre 2014

Même si la presse se gausse du nouvel opéra que doit construire à Berlin l’architecte Hoffmann (Ludwig, hélas, par Josef), le genre lyrique se porte fort bien dans le monde germanique en 1914.

Wagner ou Schönberg ?

Comme partout ailleurs, l’événement lyrique du début de l’année est la création de l’ultime opéra de Wagner qui échappe enfin à l’exclusivité bayreuthienne. « La première représentation de Parsifal à l’Opéra-Royal de Berlin a été marquée par l’essai d’un nouvel engin destiné à fournir les quatre sons graves de cloches que l’on pourrait appeler le carillon du Montsalvat […]. Au théâtre, l’effet scénique exige que l’on ait l’illusion des cloches sonnant du haut de la couple du temple et dont les sons semblent se rapprocher de plus en plus à mesure que les personnages avancent vers le sanctuaire ; le piano devient donc alors un regrettable pis aller. On ne dit pas si l’expérience tentée à Berlin a complètement réussi ». Un autre article paru dans la presse française nous apprend que « La salle présentait un aspect inaccoutumé : les loges d’avant-scène avaient été remplacées par une décoration architecturale représentant le vestibule d’une église romane. L’orchestre était invisible ». Même ferveur à Vienne, où l’on prévoit une triple distribution pour assurer des représentations nombreuses. Des voix discordantes se font pourtant entendre et, selon le Börsen Kurier, « Parsifal vient trop tard, et trouve une génération qui s’est dégoûtée du pathos de Wagner ; il trouve un nouveau mouvement religieux, non plus contemplatif, mais tragique ; il trouve une évolution musicale qui depuis quelque temps suit une nouvelle voie et qui ressent doublement ce qu’il y a de sénile et de faible dans Parsifal ».

Parsifal à Berlin © DR

L’année 1914 voit en effet s’affirmer une esthétique musicale radicalement différente. « A l’un des derniers concerts du Gewandhaus de Leipzig, une symphonie de M. Arnold Schönberg intitulée ‘Kammersinfonie’ a été exécutée sous la direction de M. Arthur Nikisch. Une violente opposition s’est élevée contre le nouvel ouvrage, mais l’auteur a eu aussi pour lui un assez grand nombre de partisans », nous apprend Le Ménestrel en janvier. Cette musique-là n’inspire que sarcasmes au Monde artiste, qui ironise ouvertement : « Le compositeur viennois Arnold Schönberg, l’auteur acclamé de l’admirable sextuor, op. 4, Nuit transfigurée, d’une beauté musicale incontestable, vient de subir une violente attaque de futurisme de laquelle il est peu probable qu’il puisse jamais se remettre complètement. L’intéressant malade a dirigé, au dernier concert du Queen’s Hall de Londres, Cinq pièces symphoniques, œuvre de sa nouvelle manière, qui a épouvanté par son incohérence tous les assistants. L’état d’Arnold Schönberg inspire à ses amis et à ses admirateurs de vives inquiétudes ». Four colossal pour ce que la presse française appelle « la secte futuriste », mais une rumeur  retiendra l’attention des amateurs d’opéra : « On dit que M. Arnold Schönberg travaille en ce moment à un drame lyrique en six tableaux, d’après Seraphita, de Balzac ». Si le premier des Quatre Lieder op. 22, composée en octobre 1913, s’intitule bien « Seraphita », il ne semble pas que le compositeur ait jamais envisagé un opéra du même nom.

Pléthore de créations

En dehors de cette avant-garde extrême, le monde lyrique est dominé par le courant post-wagnérien, en commençant par les œuvres du propres fils du maître de Bayreuth. « M. Siegfried Wagner vient de terminer un nouvel opéra, le Roi des Païens. On ne sait encore ni à quelle époque, ni sur quel théâtre aura lieu la première représentation ». Neuvième de ses dix-huit opéras, Der Heidenkönig ne sera en fait jamais joué du vivant du compositeur ; la création n’eut lieu qu’en 1933, à Cologne. « Deux petits ouvrages de M. Siegfried Wagner viennent d’avoir leur première audition dans la ville de Hambourg qui fut hospitalière pour deux des opéras du compositeur ; c’est d’abord un morceau de concert pour flûte et petit orchestre, puis une pièce vocale qui paraît d’actualité aux approches du mardi-gras : la Ballade de la crêpe grasse et dodue. Quel dommage que Richard Wagner ne puisse entendre les œuvres de son fils ! » Il n’est cependant pas certain que le père aurait apprécié Das Märchen vom dicken fetten Pfannekuchen

Siegfried Wagner avait étudié la composition avec Engelbert Humperdinck, qui livre en 1914 son avant-dernier opéra, Les Vivandières, « comédie musicale patriotique » créée le 10 mai à Cologne évoquant les amours d’une Alsacienne et d’un Prussien pendant les guerres napoléoniennes. « L’ouvrage nouveau a reçu bon accueil, mais, comme paroles et musique, n’a pas entièrement répondu à l’attente du public ».

Le succès sourit en revanche à un tout jeune homme qui compose cette année-là deux opéras en un acte. Violanta et Der Ring des Polycrates ne seront créés qu’en 1916, mais on peut d’ores-et-déjà l’affirmer, « un musicien prodigieux est né. Il s’appelle Erich Wolfgang Korngold, il est âgé de dix-sept ans […]. Korngold, qui porte comme Mozart le prénom de Wolfgang, est un enfant très gai, très heureux de vivre. Il n’a rien de ce qui caractérise ces malheureux phénomènes, pauvres êtres dont les qualités surchauffées dans les forceries, ne produisent que des œuvres vieillottes et maladives. Il a la jeunesse de Mozart, sa précocité, son heureux caractère. Fassent les dieux qu’il en ait le génie ».

En 1914, l’opéra germanique semble plus vivant que jamais, comme le souligne Le Monde Artiste. « Ce serait une erreur que de croire que les compositeurs français sont les seuls qui travaillent ; les Allemands, leurs émules, ne s’endorment pas, et chaque jour voit éclore, dans une ville d’Outre-Rhin, une œuvre nouvelle. En voici quelques exemples. Le Deutsche Opernhaus de Berlin représentera, dans les premiers jours de cette année, la Mandragôle, du compositeur Ignatz Waghalter, livret de Paul Eger, intendant du théâtre de Darmstadt. A l’Opéra de Leipzig figurent au programme : un drame lyrique en trois actes, la Dernière Aventure de Don Juan, de Franz Cramer, directeur du Mozarteum de Salzbourg [Don Juans letztes Abenteuer opéra de Paul Graener, créé le 11 juin 1914 à Leipzig] ; l’Attente, le dernier ouvrage du compositeur en ce moment si discuté : Arnold Schönberg [en réalité, Erwartung attendra encore dix ans avant d’être créé…]. Eugen d’Albert ne se repose pas non plus. Il travaille sur le livret que lui ont fourni Les Feld et M. de Levetzow. Titre de l’ouvrage : La Légion étrangère !! Et nous ne parlons pas des compositeurs dont les opéras sont depuis déjà pas mal de temps commencés. S’il nous arrive de discuter le mérite de l’école allemande, nous ne saurions en tout cas dénier à ses représentants une remarquable ardeur au travail ».

Victoire des femmes ?

Richard Strauss n’est pas le seul compositeur à avoir épousé une cantatrice : c’est aussi le cas de Felix Weingartner, dont l’opéra Caïn et Abel est créé en mai à Darmstadt. « Sur le désir exprimé par le grand-duc de Hesse, M. Weingartner dirigera lui-même son œuvre, dont le principal rôle féminin sera chanté par la femme du compositeur, Mme Lucille Marcell ». Cette mezzo-soprano était en fait la troisième des cinq épouses qu’eut le chef d’orchestre et compositeur allemand, auteur d’une dizaine d’opéras. « Caïn et Abel est sans nul doute la partition la plus complète que nous devions à M. Félix Weingartner. Bien qu’étant d’extrême richesse, l’orchestre n’y dément jamais son caractère d’accompagnement et permet aux chanteurs de faire valoir la noble ligne mélodique qui se conforme toujours strictement à l’action dramatique. L’interprétation a été de tout premier ordre. La femme du compositeur, Mme Marcelle de Weingartner, était chargée du rôle principal, la poétique Ada, qui convient à souhait aux qualités vocales surprenantes de cette belle artiste et à son tempérament lyrique ». Et l’on annonce au passage que l’ouvrage a été traduit en français en vue de sa création à Bruxelles la saison suivante. On s’en doute, cette création n’aura jamais lieu.

Le 1er avril voir la création à Vienne de Notre Dame, de Franz Schmidt. Les dames sont d’ailleurs très actives dans le domaine de l’opéra, qu’il s’agisse du livret ou de la partition. Au Volksoper de Vienne, on donne Marioara, opéra en trois actes de George Cosmovici (1859-1927), « dont le poème est dû à Carmen Sylva, pseudonyme ordinaire de la reine de Roumanie […] A part son premier acte, le livret est un peu pâle et sans grand intérêt ; la musique, au contraire, est bien venue. Un journal prétend que ‘le succès est dû en grande partie au bon vouloir des spectateurs, parmi lesquels se trouvaient nombre de représentants de la colonie roumaine’ ». Succès complet, en revanche, pour une compositrice : « Au Théâtre-Municipal de Hambourg vient d’avoir lieu la première représentation de Daniel dans la fosse aux lions, opéra en quatre tableaux de Mme Arthur Nikisch, femme du célèbre kapellmeister et directeur de l’Opéra de Leipzig. L’œuvre a été bien accueillie et Mme Nikisch a été l’objet de plusieurs rappels ». Soprano d’origine belge, Amélie Nikisch rédigea également le livret de l’opéra Aebelö, créé à Berlin en 1915.

Pourtant, à Berlin, Leo Fall donne une nouvelle opérette, Jung-England, qui tourne en dérision le combat des suffragettes anglaises. L’opérette occupe une part importante de la vie musicale, et l’on fête en ce début d’année 1914 le quarantième anniversaire d’un titre emblématique, La Chauve-souris de Strauss, créée en avril 1874 au Theater an der Wien. Le même théâtre vient de donner en janvier Endlich allein (« Enfin seuls », repris en 1930 sous le titre Schön ist die Welt) de Franz Lehar : « L’ouvrage, dont la partition est d’une facture assez compliquée, a été accueilli par les applaudissements qui constituent un grand succès ». « Très grand succès.  La meilleure œuvre peut-être de Lehar », n’hésite pas à affirmer Le Monde Artiste. « Vienne, qui fait une si prodigieuse consommation d’opérettes, n’est pas près de manquer de nourriture sous ce rapport ». Parmi « celles dont on annonce la prochaine apparition sur les diverses scènes spéciales de la capitale », on trouve, au milieu des titres d’Oscar Strauss et Emerich Kalmann, « L’Hirondelle, trois actes, paroles de MM. Wilchelm et Reichert, musique de M. Giacomo Puccini » [mais la création de La Rondine sera repoussée jusqu’en 1917 et aura lieu à Monte-Carlo].

Festivals anciens et nouveaux

Les festivals de l’été 1914 sont aussi au cœur des préoccupations. Du 22 juillet au 20 août, Bayreuth proposera cinq représentations du Vaisseau fantôme, sept de Parsifal et deux Rings complets, dirigés par Karl Muck, Michel Balling et Siegfried Wagner. Le déroulement est néanmoins perturbé. Le 1er août, alors que la guerre n’est pas encore mondiale, ni même européenne, on apprend que ces représentations risquent fort d’être annulées : « Aux dernières nouvelles, on laisse prévoir la suspension des représentations wagnériennes de Bayreuth, la plupart des musiciens de l’orchestre étant sujets autrichiens et se trouvant par suite rappelés sous les drapeaux. Curieuse conséquence de la guerre austro-serbe ». Bayreuth est loin de connaître la paix totale puisque 1914 est l’année du procès intenté par Isolde Beidler, fille de Cosima Wagner, qui souhaite être reconnue comme fille de Wagner et non de Hans von Bülow. Malgré tout, Wagner est plus que jamais le héros national. « La maison Wahnfried a l’intention de léguer au peuple allemand l’Opéra de Bayreuth et tous les biens qui en dépendent : la villa Wahnfried, avec tous les trésors et tous les souvenirs qu’elle renferme et les fonds de représentations de Bayreuth, qui sont fort considérables. Le Bayreuth de Richard Wagner, ajoute son fils, appartient au peuple allemand, et les héritiers de Wahnfried le lui rendront avec joie. Telle est notre réponse aux injures de ceux qui nous accusent d’avarice ».

Les filles du Rhin à Bayreuth en 1914 © DR

En Autriche, c’est Mozart qu’on fête. « Du 10 au 22 août 1914, un festival Mozart sera donné à Salzbourg. On jouera trois fois Don Juan avec une interprétation comprenant MM. Forsell, Karl Braun, Mmes Gadsky, Lilli Lehmann et Geraldine Farrar. On jouera deux fois l’Enlèvement au sérail avec des chanteurs de l’Opéra de Vienne. M. Muck aura la direction de ces représentations, et aussi celle d’un concert. M. Arthur Nikisch conduira l’orchestre pour deux autres concerts. Le festival comportera, en outre, l’audition de deux messes. Le 11 août, le nouveau Mozart-Haus (Maison Mozart) sera inauguré. A cette occasion, deux ouvrages de dimensions restreintes, Bastien et Bastienne et les Petits Riens, seront exécutés en plein air » Programme officiel communiqué dans le numéro du 28 février ».  La distribution suscite des commentaires : « une remarque curieuse a été faite, c’est que, parmi les interprètes de Don Juan, il n’y a que Mme Lehmann qui chantera le rôle de Donna Anna, qui soit allemande. Les autres artistes appartiennent à toutes les nationalités : Forsell, le protagoniste, est suédois ; Mme Gadski, Donna Elvira, est polonaise ; Mlle Farrar, Zerlina, est américaine ; MacCormack, Don Ottavio, est irlandais, et Segurola, Leporello, est espagnol ».

A Salzbourg, on donnera Orphée de Gluck, en plein air : « Ces représentations auront lieu dans les dépendances du château de Mirabell. Le tableau des Champs-Elysées sera l’objet de dispositions spécifiques qui en feront une sorte de ‘Scène de mystères’. […] En ces temps où les transformations de la chorégraphie occupent, parfois bien en vain, tant de cerveaux [pique contre les Ballets Russes ?], beaucoup de personnes s’intéresseront à la ‘scène de mystères’ d’Orphée, et ce pourra être assurément quelque chose de significatif et de très curieux, s’il s’agit d’une pantomime bien réglée et empreinte d’une véritable beauté plastique présentée dans un superbe cadre naturel ». Preuve que la mise en scène avait déjà commencé à s’imposer à l’opéra…

Même si le festival prévu à Salzbourg fut annulé, l’Allemagne et l’Autriche comptent parmi les rares pays où le déclenchement de la guerre n’interrompra pas les représentations d’opéra. Au printemps 1914, « On s’occupe déjà de la semaine musicale projetée à Vienne pour l’époque de mai 1915. En dehors des ouvrages de jeunes compositeurs dont le choix n’est pas encore arrêté, les œuvres choisies sont : Iphigénie en Aulide, de Gluck, Le Grillon du foyer, de M. Goldmark, et La Chauve-Souris, de Johann Strauss ». Par ailleurs, « L’opéra nouveau de M. Max [von] Schillings, Monna Lisa, sera représenté pour la première fois le 1er novembre prochain au théâtre royal de Stuttgart. Quelques jours après, l’ouvrage sera donné à l’Opéra de Vienne, avec Mme Jeritza dans le rôle de Monna Lisa, et ensuite à Hambourg ». Cette dernière création n'aura finalement lieu qu'en septembre 1915.


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