La noirceur et la désespérance qui imprègne « Cachemire Express » de Michel Embareck, édité chez Pascal Galodé, font de ce roman noir une sorte d’épopée dans laquelle un homme veut se réapproprier son passé, ses souvenirs, ses bonheurs d’antan. Ceux qu’il a laissés un jour de juin 1968 lorsqu’il est monté à bord d’une Jeep occupée par trois militaires. Un véhicule couleur « caca-d’oie » qui l’a conduit jusqu’à la caserne, celle de la Légion Etrangère dans laquelle il s’était engagé pour cinq ans. Et, en septembre 1973, après avoir secoué la poussière de ses guêtres sur les terres de Corse, de Guyane, il a débarqué à Djibouti. C’est ici, dans cette ville ouverte sur la mer rouge, qu’il a choisi sa nouvelle identité selon la tradition de la Légion. Un nom volé (Dimitri Tiomkin) sur l’affiche du film « Alamo » punaisée sur le mur d’un bar malfamé. Et les années ont passé : quarante, exactement ! Le légionnaire après avoir soufflé ses soixante bougies a décidé qu’il était temps de rentrer au bercail, de « défricher enfin la jungle de sa généalogie personnelle et que sa Bhoutanaise d’épouse sache à quoi ressemble le pays des Droits de l’Homme ». Mais, patatras ! Ce n’est pas de la faute à Voltaire ni à celle de Rousseau mais son pays natal a bien changé. On y vit dans la crainte, dans la peur. Et ce légionnaire qui porte un nom bizarre, accompagnée d’une femme aux yeux bridés, au visage mat et venue du fin fond de l’Asie du Sud, lorsqu’il débarque de l’avion et qu’il passe les contrôles de l’aéroport de Roissy est aussitôt soupçonné d’actions terroristes. "Tout a changé dans son pays, même la mentalité des anciens. Un exemple ? Lorsqu'il veut retrouver la tombe de son grand-père et qu’il se renseigne chez le vieux Lucien « qui n’a jamais eu la moindre pétoche, même quand des saletés de cabots le coursaient » l'homme de la campagne a peur désormais. Il est vrai – et c’est le vieux Lucien qui lui a dit – que « plus personne ne respecte rien. ..." Les marmots ne savent plus lire, ni écrire, sauf pour barbouiller des âneries sur les boîtes aux lettres ou sur la guitoune de l’arrêt de bus. Et que je te casse les rétroviseurs, et que je te raye les bagnoles et je te bois de la bière… ». Et pour preuve que plus rien ne va dans ce foutu pays on est appelé à faire attention partout dit encore Lucien au vieux légionnaire : « même au supermarché, à l’entrée, il y a un panneau qui dit pour votre sécurité, ce magasin est placé sous vidéosurveillance. Pour votre sécurité hein… tu m’entends. Ca veut bien dire ce que ça veut dire… ».