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2015




Comtesse du Luart Leila Hagondokoff

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parlons d'orthodoxie

le 26 Janvier 2013

Comtesse du Luart Leila Hagondokoff (1898- 1985)  Commandeur de la Légion d’honneur, grand officier de l’ordre national du Mérite
De tous ses titres, c’est sans doute celui dont elle aurait été le plus fière. Comtesse du Luart par son mariage en France, Leila Hagondokoff, princesse d’une lignée russe, est devenue la « marraine » de la légion étrangère au cours de la Seconde Guerre mondiale qu’elle a passée à soigner les soldats. Une stèle à sa mémoire est inaugurée le 21 janvier 1989, au sein du quartier Labouche, à Orange. Le 4 décembre 2001, le colonel Yakovleff, chef de corps du 1er régiment étranger de cavalerie, inaugure au sein du quartier Labouche, la nouvelle salle de souvenirs des brigadiers-chefs, dédiée à la comtesse du Luart.

C’est d’ailleurs sous cette dernière appellation que ses filleuls du régiment étranger de cavalerie vont s’adresser à elle pour lui rendre hommage, le 25 janvier à 10 heures, au cimetière orthodoxe de Sainte-Geneviève.

L’une des femmes les plus décorées de France

Comme chaque année impaire depuis ses obsèques il y a vingt-huit ans, les principaux dirigeants de la légion étrangère viennent se recueillir sur la tombe de leur « marraine ». « C’est l’une des femmes les plus décorées de France* », rapporte Georges Lelu, le président de l’Association des amis de l’histoire de Sainte-Geneviève. Le parcours de cette « princesse courage », née à Saint-Pétersbourg en 1898, a inspiré plusieurs livres et journaux de l’époque.

 

Comtesse du Luart Leila Hagondokoff (1898- 1985)  Commandeur de la Légion d’honneur, grand officier de l’ordre national du Mérite
Cette jeune infirmière de 19 ans quitte la Russie au cours de la révolution bolchevique. Elle part pour Shanghai puis les Etats-Unis, avant de rallier la France. Mannequin pour Chanel, la fille du général Hagondokoff rencontre le comte Ladislas du Luart avec lequel elle se marie. Durant la guerre d’Espagne (1936-1939), la comtesse du Luart crée, finance, mais aussi anime et dirige une cellule chirurgicale mobile, capable de porter assistance aux soldats blessés au front.
Aucune autre armée dans le monde ne possède alors une antenne de soins de ce type!


La Comtesse Leïla Ladislas du Luart est née le 6 février 1898 à Saint-Pétersbourg.

Issue d'une famille princière du Caucase, son père, le général Hagondokoff est gouverneur militaire et commandant en chef des forces impériales en Extrême-Orient, Ataman des Cosaques de l'Amour (fleuve à la frontière sino-russe). Elle est infirmière bénévole à l’hôpital militaire de Circassie à 19 ans.

Elle épouse le capitaine Nicolas Bagenoff de la Garde impériale, grièvement blessé. Le ménage s’installe en Chine, en raison de l’exil de l’époux. Elle divorce et quitte la Chine. Rejoignant les États-Unis puis la France, en 1934, elle épouse le comte du Luart. Pendant la guerre d'Espagne, elle conçoit, crée, finance, mais surtout anime et dirige une antenne chirurgicale mobile afin de porter assistance aux blessés. Cette antenne est constituée de médecins et chirurgiens militaires, aidés d’infirmières. Avec une quarantaine de véhicules aménagés qui permettent une grande rapidité de mise en place, elle participe à la bataille de France de mai à juin 1940, la campagne de Tunisie de 1943, la campagne d’Italie auprès du maréchal Juin, puis avec le maréchal de Lattre de Tassigny et la 1re Armée qu’elle suit jusqu’en Autriche.

En novembre 1943, près de Rabat au Maroc, la comtesse Ladislas du Luart accepte, à la demande du lieutenant-colonel Miquel, de devenir la marraine du 1er REC. Ses actions militaires lui valent plusieurs citations et l’honorariat du 1er REC dans lequel elle est nommée légionnaire d’honneur de 1re classe, le 11 novembre 1943, brigadier d’honneur, le 1er janvier 1944 et brigadier-chef d’honneur, le 25 décembre 1944. Le soir de Noël 1943, elle offre aux légionnaires du 1er REC, rassemblés dans la clairière de la Mamora, leur premier cadeau de Noël. Plus tard, elle crée un centre militaire de détente au camp de Chenoua pour les légionnaires et soldats du 2e corps d’armée qui séjournent à Alger.

Depuis le retour en France du 1er REC en 1967, elle honore de sa présence tous les grands moments de la vie du régiment : Noël, Saint-Georges, Camerone, passations de commandement. Commandeur de la Légion d’honneur, grand officier de l’ordre national du Mérite, elle totalise six citations, dont trois à l’ordre de l’armée. Elle décède le 21 janvier 1985, à l’hôpital américain de Neuilly.

Lien L’une des femmes les plus décorées de France
Vous pouvez visionner à l'adresse suivante le remarquable film - suscité par le livre de Guillemette de Sairigné conçu et réalisé par une brillante jeune journaliste francophone de la télévision Kabarde, Zhansurat Zekorey, que nous avons eu le plaisir de recevoir l'an dernier pour la présentation de la version française de son film ( père Jean Gautier)

Illustré par de très belles images des fonds de l’ECPAD, "La Circassienne" retrace la vie extraordinaire de cette femme à la beauté célèbre, à la volonté de fer, au grand courage physique, d’une grande humanité, et qui entretint jusqu’à sa mort sa légende et ses mystères.

"La Circassienne", de Guillemette de Sairigné, est publié chez Robert Laffont (510 p., 22 €).

Guillemette de Sairigné est journaliste et écrivain. Elle a publié notamment "Tous les dragons de notre vie" et "Mon illustre inconnu" : enquête sur un père légende.
Comtesse du Luart Leila Hagondokoff (1898- 1985)  Commandeur de la Légion d’honneur, grand officier de l’ordre national du Mérite

Guerre d'Indochine - Bataille de Dien Bien Phu (13 mars - 7 mai 1954)

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Dien Bien Phu est une des dernières et la plus importante bataille livrée par le Corps Expéditionnaire Français d'Extrême-Orient en Indochine. Celui-ci, commandé par le général Henri Eugène Navarre, est opposé au mouvement Vietminh et au parti communiste indochinois, dirigé par Nguyen Sinh Cung, universellement connu sous le surnom de "Ho Chi Minh", et Vo Nguyen Giap. Le Vietminh est financé et équipé par la République Populaire de Chine, et dans une moindre mesure, par l'Union Soviétique. En juillet 1954, la défaite de Navarre entraîne les Accords de Genève et le début de la décolonisation française, et l'Indochine se retrouve partitionnée en deux entitées: le Sud-Vietnam nationaliste et le Nord-Vietnam communiste, séparés par le Dix-Septième Parallèle et une zone démilitarisée.

 




Géographie et démographie de Dien Bien Phu.

Dien Bien Phu est à la fois le nom du village et le nom du district où s'est déroulée la bataille. Simple hameau ne comptant qu'une centaine d'âmes en 1953, elle est aujourd'hui une ville de moyenne importance florissante et prospère de 125,000 habitants, vivant du commerce du bois et du tourisme. Les projections démographiques estiment à 150,000 habitants la population d'ici l'année 2020. (1)

La majorité de la population fait d'ailleurs partie du groupe ethnique Thai, les Vietnamiens ne formant qu'environ un tier.

Géographiquement, la localité est située dans la vallée de Muong Thanh, un bassin de 20km de long sur 6km de large, à environ 35km de la frontière laotienne. La ville faisait partie de la province de Dien Bien et en 2004, elle a été ratâchée à la province de Lai Chau.

Photos ci-dessous: 1° Arrivée d'un An-26 Curl de Vietnam Airlines sur l'aéroport local de Dien Bien Phu (27 mars 2007). 2° et 3° Ville de Dien Bien Phu en 2010.

 







(1) Dien Bien Phu: Development and Conservation in a Vietnamese Cultural Landscape


Contexte historique.

L'Indochine appartient à l'empire colonial français depuis la fin du 19ème siècle. Les territoires français sont administrés en trois colonies, le Tonkin au nord, l'Annam au centre, et la Cochinchine au sud, ainsi qu'en deux "protectorats", le Laos et le Cambodge.

 

 

En mars 1945, les Japonais font brutalement main basse sur l'Indochine. Après la capitulation nippone, six mois plus tard, le mouvement Vietminh dirigé par Ho Chi Minh proclame l'"indépendance" de l'Indochine. Après avoir tenté de négocier avec le Vietminh, la France décide de reprendre militairement ses colonies et envoit un Corps Expéditionnaire Français d'Extrême-Orient (CEFEO).

Après la victoire des communistes de Mao Zedong sur les nationalistes de Chang Kai-Chek et la proclamation de la République populaire de Chine, en octobre 1949, le Vietminh commence à bénéficier d'une aide matériel et logistique chinoise massive. Grâce à cela, le Vietminh constitue un solide corps de bataille de plusieurs dizaines de milliers d'hommes, commandés par le général Vo Nguyen Giap.

En octobre 1950, après avoir constitué et entrainé son armée, Giap passe à l'offensive. Il chasse les Français de la zone frontalière avec la Chine. Temporairement stoppé au cours de la bataille de Hoa Binh au printemps 1952, il repart à l'assaut et conquiert le Laos à la fin de cette année. Pour anéantir le Vietminh une bonne fois pour toute, le CEFEO décide de fixer ses forces. En novembre 1953, dans cette optique, il lance une opération aéroportée près de la frontière laotienne, dans le Haut Tonkin, chasse la petite garnison ennemie locale, et entame la construction d'une base à Dien Bien Phu.


Concept de la "Défense hérisson".

En 1953, la "Guerre d'Indochine", tout comme la Guerre du Vietnam le sera aux Etats-Unis quelques années plus tard, est devenue très impopulaire dans l'opinion publique. Une succession de commandants en chef (Philippe "Leclerc" de Hautecloque, Jean-Etienne Valluy, Roger Blazot, Jean de Lattre de Tassigny et Raoul Salan) se sont montrés incapables de "mater" l'insurrection du Vietminh.

Durant la campagne lancée pendant l'hiver 1952-1953 par Giap, les territoires contrôlés par le Vietminh finissent même par s'étendre au Laos voisin, ses troupes progressant jusqu'à la capitale provinciale Luang Prabang et la Plaine des Jarres.

En mai 1953, pour reprendre l'initiative, le Premier ministre français René Mayer nomme le général Henri Navarre commandant en chef des "Forces de l'Union Française" en Indochine, en remplacement de Raoul Salan. Inspiré des enseignements tirés de la Bataille de Na San, au cours de laquelle l'armée française a établit un solide camp retranché près de la frontière laotienne et a infligé des pertes terribles à l'ennemi, Navarre décide de rééditer l'exploit, cette fois à une plus large échelle encore.

Le mois suivant, le général René Cogny, commandant la région militaire du Golfe du Tonkin, propose Dien Bien Phu comme cible, ce choix étant bientôt approuvé par Navarre. Des critiques sont émises par certains officiers supérieurs, dont le colonel Jean-Louis Nicot, commandant de l'aviation de transport, mais Navarre les rejette lors de la réunion d'état-major qui se tient le 17 novembre 1953, et fixe définitivement le déclenchement de l'opération trois jours plus tard.

 

 

A Na San (23 novembre - 2 décembre 1952) les Bodoïs de Giap s'étaient littérallement cassé les dents contre les positions fortifiées du camp retranché, celui-ci étant ravitaillé uniquement par voie aérienne. Même si à la fin, les Français ont du abandonner cette base, la réussite de l'évacuation (aérienne) et les pertes occasionnées à l'ennemi renforcent la conviction de Navarre dans ce système de "Défense hérisson" (Hedgehogs Defense), dans l'espoir d'"user" à la longue les divisions Vietminh.

Carte ci-dessous: bataille de Na San et système de "défense hérisson".

 



Opération Castor et occupation de Dien Bien Phu (20-22 novembre 1953).

Castor est le nom de code de l'opération aéroportée dont l'objectif est l'établissement d'une enclave dans la province de Dien Bien, en territoire contrôlé par le Vietminh, dans le nord-ouest de l'Indochine. Tout comme à Na San, l'idée générale du plan français est de couper les voies de ravitaillement ennemies venant du Laos, d'y attirer les divisions de Giap et de les anéantir dans une bataille d'usure (Attrition War).

 

 

L'opération est confiée au général de Brigade Jean Marcellin Gilles et débute le 20 novembre 1953 à 10h30. Les parachutages sont prévus pour s'échalonner les deux jours suivants, sur quarante-huit heures.

Le 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux (6 BPC) du major Marcel Bigeard et le 2ème Bataillon du 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes (2/1 RCP) commandé par le major Jean Bréchignac y participent, et seront acheminer par 65 C-47 Skytrain/Dakota et 12 C-119 Flying Boxcar, en deux vagues d'assaut, une le matin et l'autre le soir.

 



 

Leur objectif est la capture de l'aérodrome local, construit par les Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans cette première vague, ont également pris place le 17ème Régiment aéroporté du génie, chargé de remettre les installations en fonction, et l'état-major du Groupement Aéroporté 1 (GAP 1). Ils sont suivis en fin d'après-midi par le 1er Bataillon de Parachutistes Coloniaux (1 BPC), des éléments du 35ème Régiment d'Artillerie Légère Parachutiste (35 RALP) et d'autres unités de soutien logistiques.

Le jour suivant, 21 novembre 1953, c'est le tour du Groupement Aéroporté 2 (GAP 2): l'état-major et la compagnie QG de Jean Gilles, le 1er Bataillon Etranger de Parachutistes, le 8ème Bataillon de Parachutistes de Choc (8 BPC) et d'autres éléments de soutien.

Le 22 novembre 1953, les dernières troupes sont larguées dans la vallée. Il s'agit du 5ème Bataillon de Parachutistes Vietnamiens (5 BPVN). Dans le vol, a pris place Brigitte Friang, une journaliste correspondante de guerre et ancienne membre de la Résistance, arrêtée par la Gestapo en 1943 et déportée au camp de concentration de Ravensbrück. Elle est fraîchement diplomée de saut et a obtenu une autorisation spéciale du général de Navarre pour participer à l'opération Castor. (2)

Carte ci-dessous: positions françaises le 22 novembre 1953.

 


Photo ci-dessous: patrouille du 8 BPC autour de Dien Bien Phu.

 

Soit un effectif total de 4,195 parachutistes. Les largages s'effectuent correctement suivant l'horaire fixé, et dans la soirée du 22 novembre, tous les objectifs ont été atteints. L'unité Vietminh présente dans la vallée, un bataillon du 148ème Régiment d'Infanterie Indépendant, a été anéantie, le village et l'aérodrome de Dien Bien Phu sont sous contrôle.



Ordre de bataille initial de l'opération Castor (20-22 novembre 1953).

  • Groupement Aéroporté 1 (GAP 1).
      - GAP 1 Etat-major et compagnie HQ.
      - 1er Bataillon de Parachutistes Coloniaux (1 BPC).
      - 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux (6 BPC).
      - 2ème Bataillon, 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes (2/1 RCP).
      - 17ème Régiment de Génie Parachutiste (17 RGP).
      - 35ème Régiment d'Artillerie Légère Parachutistes (35 RALP).
  • Groupement Aéroporté 2 (GAP 2).
      - 1er Bataillon Etranger de Parachutistes (1 BEP).
      - 8ème Bataillon de Parachutistes de Choc (8 BPC).
      - 5ème Bataillon de Parachutistes Vietnamiens (5 BPVN).

 

Commencent alors les travaux consistant à établir et fortifier le camp retranché français. Fin novembre 1953, d'autres parachutages sont effectués. Six autres bataillons et de l'artillerie supplémentaire viennent renforcer les effectifs déjà sur place. Notamment 8 obusiers de 105mm de la Batterie d'Artillerie Autonome laotienne et des mortiers de 120mm de la 1ère Compagnie Etrangère de Mortiers Lourds (1 CEPLM).

Le 12 décembre 1953, le commandement du camps retranché est confié au colonel Christian de Castries, un officier de blindés, et à son adjoint, le lieutenant-colonel Pierre Langlais. L'artillerie française, six batteries de 105mm et trois batteries de 120mm, est confiée au colonel Charles Piroth et disposée sur les collines qui entourent et dominent l'aérodrome.

Photo ci-dessous: le colonel Christian de Castrie à Dien Bien Phu, au début de l'année 1954.

 

 

Le 12 mars 1954, la garnison française de Dien Bien Phu compte 10,814 hommes: troupes de la Légion Etrangère, coloniales d'Afrique du Nord (algériennes ou marocaines), ainsi qu'un bataillon de parachutistes vietnamien. En comptant les renforts pendant la bataille, jusqu'en mai, les effectifs totaux se chiffreront à environ 16,000 hommes.


(2) Oeuvres de Brigitte Friang: Les Fleurs du ciel, Paris, Robert Laffont, 1955. La Mousson de la liberté. Vietnam, du colonialisme au stalinisme, Paris, Plon, 1976.


Riposte du Vietminh (23 novembre 1953 - 12 mars 1954).

Dès le 23 novembre 1953, Le Vietminh réagit à l'attaque française et les Divisions 304, 308, 312 et 316, ainsi que la Division d'Artillerie/Génie 351, convergent vers Dien Bien Phu. Le 27 décembre, l'encerclement du camp retranché français est complet.

Photo ci-dessous: l'état-major vietminh pendant la bataille de Dien Bien Phu. De gauche à droite: Pham Van Dong, Ho Chi Minh, Truong Chinh et Vo Nguyen Giap.

 

General Staff in Battle of Dien Bien Phu. From left: Pham Van Dong, Ho Chi Minh, Truong Chinh, Vo Nguyen Giap

 

En mars 1954, les effectifs Vietminh totaliseront environ 50,000 soldats. Si l'on prend en compte les renforts et les unités logistiques, le total est estimé à 80,000 hommes.

Photo ci-dessous: pièces d'artillerie AA mises en oeuvres par le Vietminh, conservées au Musée de Dien Bien Phu. 2 août 1997.

 

  • Division d'infanterie 304 Nam Dinh.
    Commandant: Le Chuong.
      - Régiment d'infanterie 9 (Tran Thanh Tu): Bataillons 353, 375, 400.
      - Régiment d'infanterie 57 (Nguyen Can): Bataillons 265, 346, 418.
  • Division d'infanterie 308 Viet Bac.
    Commandant: colonel Vuong Thua Vu.
      - Régiment d'infanterie 36 (Pham Hong Son): Bataillons 80, 84, 89.
      - Régiment d'infanterie 88 (Nam Ha): Bataillons 22, 29, 322.
      - Régiment d'infanterie 102 (Nguyen Hung Sinh): Bataillons 18, 59, 79.
  • Division d'infanterie 312 Ben Tre.
    Commandant: colonel Le Trong Tan.
      - Régiment d'infanterie 141 (Quang Tuyen): Bataillons 11, 16, 428.
      - Régiment d'infanterie 165 (Le Thuy): Bataillons 115, 542, 564.
      - Régiment d'infanterie 209 (Hoang Cam): Bataillons 130, 154, 166.
  • Division d'infanterie 316 Bien Hoa.
    Commandant: Le Quang Ba.
      - Régiment d'infanterie 98 (Vu Lang): Bataillons 215, 439, 938.
      - Régiment d'infanterie 174 (Nguyen Huu An): Bataillons 249, 251, 255.
      - Régiment d'infanterie 176 (?): Bataillons 888, 910, 999.
    Photo ci-dessous: soldats Vietminh dans une tranchée française à Dien Bien Phu.

  • Division d'artillerie/génie 351 Long Chau.
    Commandant: Dao Van Truong.
      - Régiment d'artillerie 45 (Nguyen Huu My): 12 obusiers de 105mm M101/M101A1 chacun.
      - Régiment d'artillerie 675 (Doan Tue): 20 mortiers de 75mm "Type-41" et 16 mortiers de 120mm M1938.
      - Régiment d'artillerie AA 367 (Le Van Tri): deux bataillons AA. 12 canons AA de 37mm M1939 chacun.
Le ravitaillement des divisions vietminh provient de la base arrière de Tung Giao au Laos, approvisionnée depuis la Chine par des centaines de camions. Le trajet Tung Giao-Dien Bien Phu est assuré par 75,000 porteurs, les "Coolies". Ceux-ci transportent dans des sacs à dos 25 kilos, parcourent 25km par jour sur terrain plat et 15km en montagne. Avec l'aide de bicyclettes Renault spécialement aménagées, chacun d'entre-eux peut emporter jusqu'à 75kg supplémentaires.

Le "Système Renault" pour acheminer le ravitaillement du Vietminh jusqu'à Dien Bien Phu.

 

 

Le Haut commandement français en Indochine prend connaissance à la fin de février 1954 de l'effort engagé par le Vietminh. Vu son ampleur, l'évacuation de la garnison de Dien Bien Phu vers le Laos ou la constitution de colonnes de secours sont envisagées. Mais, une nouvelle fois, la menace est sous-estimée par les Français, qui souhaitent la "bataille finale" pour porter un coup décisif à l'ennemi.

Des attaques d'infanterie vietminh ont lieu contre Dien Bien Phu dès le 26 janvier 1954. Mais non-coordonnées et privées de l'appui d'artillerie, elles échouent. Giap change alors radicalement de stratégie et décide d'attendre que ses unités d'artillerie soit en position.

Photo ci-dessous: maréchal Vo Nguyen Giap en 2008, à l'âge de 97 ans.

 



Ordre de bataille français (13 mars 1954).

Sur les 10,814 hommes présents dans le camp retranché le 13 mars 1954, 2,969 appartiennent à la Légion Etrangère: le 3ème Bataillon de la 13ème Demi-Brigade (3/13 DBLE) occupe le point d'appui Béatrice, au nord-est. Son 1er Bataillon (1/13 DBLE) est sur le point d'appui Claudine, couvrant le flanc ouest du PC-GONO (Groupe Opérationnel du Nord-Ouest). Le 1er Bataillon du 2ème Régiment Etranger d'Infanterie (1/2 REI) protège directement la piste d'aviation sur le même flanc avec les sept points d'appui Huguette. Le 3ème Bataillon du 3ème REI (3/3 REI) se trouve sur une position située 4km au sud du PC-GONO, Isabelle. Le 1er Bataillon Etranger de Parachutistes (1 BEP) est placé en réserve. Enfin, les 1ère et 2ème Compagnies de Mortiers Mixtes de la Légion Etrangère (CMMLE) et la 1ère Compagnie Etrangère de Mortiers Lourds (1 CEPML) sont en soutien autour de la position centrale ou dispersées au profit des unités.

Trois Bataillons de Tirailleurs Algériens (2/1 RTA, 3/3 RTA et 5/7 RTA), un Bataillon de Tirailleurs Marocains (1/4 RTM), deux Bataillons Thaï (BT 2 et BT 3), le 8ème Bataillon de Parachutistes de Choc (8 BPC), le 2ème Bataillon du 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes (2/1 RCP), le 5ème Bataillon de Parachutistes Vietnamiens, le 3ème Escadron du 1er Régiment de Chasseurs à Cheval (3/1 RCC), avec 10 chars M24 Chaffee (démontés puis réassemblés sur place), plus diverses unités d'artillerie, du génie, de transmissions, de services administratifs et de santé, constituent le reste de la garnison.

 


Groupe Opérationnel du Nord-Ouest (PC-GONO). Colonel Christian de Castrie.

1° Commandement.

  • Groupe Mobile 6 (GM 6). Lieutenant-colonel André Lalande. 3/3 REI, 2/1 RTA, 5/7 RTA.
  • Groupe Mobile 9 (GM 9). Lieutenant-colonel Jules Gaucher. 1/13 DBLE, 3/3 DBLE, 1/2 REI, 3/3 RTA.
  • 2ème Groupement Aéroporté (GAP 2). Lieutenant-colonel Pierre Langlais. 1 BEP, 8 BPC, 5 BPVN.
  • Artillerie. Colonel Charles Piroth. 2/4 RAC, 3/10 RAC, 11/4/4 RAC, 1 GAACEO, 1 CMMLE, 2 CMMLE, 1 CEPML).


2° Infanterie.

  • 1er Bataillon / 13ème Demi-Brigade de la Légion Etrangère (1/13 DBLE). Major de Brinon / Major Robert Coutant. PA Claudine.
  • 3ème Bataillon / 13ème Demi-Brigade de la Légion Etrangère (3/13 DBLE). Major Paul Pégot. PA Béatrice.
  • 1er Bataillon / 2ème Régiment Etranger d'Infanterie (1/2 REI). Major Clémençon. PA Hughette.
  • 3ème Bataillon / 3ème Régiment Etranger d'Infanterie (3/3 REI). Major Henri Grand d'Esnon. PA Isabelle.
  • 2ème Bataillon / 1er Régiment de Tirailleurs Algériens (2/1 RTA). Capitaine Pierre Jeancenelle. PA Isabelle.
  • 3ème Bataillon / 3ème Régiment de Tirailleurs Algériens (3/3 RTA). Capitaine Jean Garandeau. PA Dominique.
  • 5ème Bataillon / 7ème Régiment de Tirailleurs Algériens (5/7 RTA). Major Roland de Mecquenem. PA Gabrielle.
  • 1er Bataillon / 4ème Régiment de Tirailleurs Marocains (1/4 RTM). Major Jean Nicolas. PA Eliane.
  • 2ème Bataillon Thai (BT 2). Major Maurice Chenel. PA Eliane.
  • 3ème Bataillon Thai (BT 3). Léopold Thimonnier. PA Anne-Marie.

  • Photo ci-dessous: petite unité d'auxiliaires Thaï prenant position.


3° Parachutistes.

  • 1er Bataillon Etranger de Parachutistes (1 BEP). Major Maurice Guiraud.
  • 2ème Bataillon Etranger de Parachutistes (2 BEP). Major Hubert Liesenfelt.
  • 1er Bataillon de Parachutistes Coloniaux (6 BPC). Major Marcel "Bruno" Bigeard.
  • 8ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux (8 BPC). Major Pierre Tourret.
  • 5ème Bataillon de Parachutistes Vietnamien (5 BPVN). Capitaine André Botella.
  • 2ème Bataillon / 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes (2/1 RCP). Major Jean Bréchignac.


4° Blindés.

  • 3ème Escadron / 1er Régiment de Chasseurs à Cheval (3/1 RCC) [10 chars M24 Chaffee]. Capitaine Yves Hervouët. PA Claudine et Isabelle.


5° Artillerie.

  • 2ème Groupe / 4ème Régiment d'Artillerie Colonial (2/4 RAC) [12 obusiers M101A1 Howitzer de 105mm]. Major Guy Knecht. PA Dominique.
  • 3ème Groupe / 10ème Régiment d'Artillerie Colonial (3/10 RAC) [12 obusiers M101A1 Howitzer de 105mm]. Major Alliou. PA Isabelle et Claudine.
  • 11ème Batterie / 4ème Groupe / 4ème Régiment d'Artillerie Colonial (11/4/4 RAC) [4 obusiers M114 Howitzer de 155mm]. Capitaine Déal. PA Claudine.
  • 1er Groupe d'Artillerie Anti-aérienne Colonial en Extrême-Orient (1 GAACEO) [4 mitrailleuses M2 de 12.7mm]. Lieutenant Paul Redon.
  • 1ère Compagnie de Mortiers Mixte de la Légion Etrangère (1 CMMLE) [8 mortiers M2 de 107mm]. Lieutenant René Colcy. PA Claudine.
  • 2ème Compagnie de Mortiers Mixte de la Légion Etrangère (2 CMMLE) [8 mortiers M2 de 107mm]. Lieutenant Fetter. PA Gabrielle et Anne-Marie.
  • 1ère Compagnie Etrangère Parachutiste de Mortiers Lourds (1 CEPML) [12 mortiers M2 de 107mm]. Lieutenant Paul Turcy. PA Claudine et Dominique.


6° Génie.

  • 31ème Bataillon du Génie (31 BG). Major André Sudrat.


7° Services de Santé.

  • 29ème Antenne Chirurgicale Mobile (ACM 29). Major Paul Grauwin.
  • 44ème Antenne Chirurgicale Mobile (ACM 44). Lieutenant Jacques Gindrey.
  • 3ème Antenne Chirurgicale Parachutiste (ACP 3). Lieutenant Louis Résillot.
  • 5ème Antenne Chirurgicale Parachutiste (ACP 5). Capitaine Ernest Hantz.
  • 6ème Antenne Chirurgicale Parachutiste (ACP 6). Lieutenant Jean Vidal.


8° Service, Logistique et soutien.

  • 2ème Compagnie / 822ème Bataillon de Transmissions (2/822 BT).
  • 2ème Compagnie / 823ème Bataillon de Transmissions (2/823 BT).
  • 342ème Compagnie Parachutiste de Transmissions (342 CPT).
  • 2ème Peleton / 5ème Compagnie de Réparations Moyennes de la Légion Etrangère (2/5 CRMLE).
  • 3ème Compagnie de Munitions (3 CM).
  • 730ème Compagnie de Ravitaillement [Carburant] (730 CR).
  • 712ème Compagnie de Circulation Routière (712 CCR).
  • 3ème Compagnie de Transport de Quartier-Général (3 CTQG).
  • 1er Groupe d'Exploitation Opérationnel [Quartier-Maitre] (GEO 1).
  • 3ème Légion de Marche / Garde Républicaine de la Gendarmerie Mobile (3 LM/GRGM).

  • 403ème Bureau de Police Militaire (403 BPM).


9° Armée de l'Air / Dien Bien Phu.

  • 1er Escadron / 22ème Groupe de Chasse (1/22 Saintonge) [10 Grumman F8F-1 Bearcat]. Capitaine Claude Payen.
  • 21ème Groupe Aérien d'Observation d'Artillerie (GAOA 21) [Morane-Saulnier MS.500 Criquet (Fieseler Storch)]
  • 1ère Compagnie Légère d'Evacuation Sanitaire (1 CLES) [Sikorsky H-19 Chickasaw].


10° Soutien aérien extérieur.

  • 2ème Escadron / 22ème Groupe de Chasse (2/22 Languedoc) [F8F-1 Bearcat]. Haiphong/Cat Bi.
  • 1er Escadron / 19ème Groupe de Bombardement (1/19 Gascogne) [Douglas B-26 Invader]. Haiphong/Cat Bi.
  • 1er Escadron / 25ème Groupe de Bombardement (1/25 Tunisie) [Douglas B-26 Invader]. Haiphong/Cat Bi.
  • 2ème Escadron / 62ème Groupe de Transport (2/62 Franche-Comté) [Douglas C-47 Skytrain]. Hanoi/Bach Mai.
  • 2ème Escadron / 63ème Groupe de Transport (2/63 Sénégal) [Douglas C-47 Skytrain]. Hanoi/Gia Lam.
  • 1er Escadron / 64ème Groupe de Transport (1/64 Béarn) [Douglas C-47 Skytrain]. Hanoi/Gia Lam.
  • 2ème Escadron / 64ème Groupe de Transport (2/64 Anjou) [Douglas C-47 Skytrain]. Hanoi/Bach Mai.
  • 23ème Groupe Aérien d'Observation d'Artillerie (GAOA 23) [Morane-Saulnier MS.500 Criquet (Fieseler Storch)]. Muong Sai.
  • 80ème Escadron de Reconnaissance Outre-Mer (EROM 80) [Grumman RF-8F Bearcat et Douglas B-26C Invader]. Hanoi/Bach Mai.
  • 52ème Escadron de Liaison Aérienne (ELA 52) [Sikorsky H-19 Chickasaw]. Bien Hoa.
  • 53ème Escadron de Liaison Aérienne (ELA 53) [Sikorsky H-19 Chickasaw]. Hanoi/Gia Lam.

  • Civil Air Transport (CAT) / CIA [Douglas C-47 Skytrain et Fairchild C-119 Boxcar]. Haiphong/Cat Bi.


11° Aéronavale.

  • Flotille 3F [Curtis SB2C-5 Helldiver]. Porte-avions Arromanches (Tourane) et Hanoi/Bach Mai.
  • Flotille 11F [Grumman F6F-5 Hellcat]. Porte-avions Arromanches (Tourane) et Haiphong/Cat Bi.
  • Flotille 14F [Vought F4U-7 Corsair]. Porte-avions Bois Belleau (Baie d'Along) et Hanoi/Bach Mai.
  • Flotille 28F [Consolidated PB4Y-1 Privateer]. Haiphong/Cat Bi.

  • Ci-dessous: 1° F4U-7 Corsair de la Flotille 14F de l'Aéronovale ayant pris part à la Bataille de Dien Bien Phu. 2° Porte-avions Bois Belleau en Indochine, cédé par l'US Navy à la Marine Nationale française en 1953. 3° B-26C Invader du 1/19 Gascogne (Cat Bi) cédé par l'US Air Force.





 

Bataille de Dien Bien Phu (13 mars - 7 mai 1954).

Avant l'assaut général, Giap a fait installer dans le plus grand secret ses pièces d'artillerie et du matériel lourd en pièces détachées, tirés mètre par mètre par des dizaines d'hommes, sur les flancs des montagnes qui dominent Dien Bien Phu, qui permettront un pilonnage systématique des positions françaises. Il envoit régulièrement des patrouilles pour tester les défenses françaises. Les Français font de même en tentant quelques sorties hors du camp. Ces escarmouches épisodiques n'inquiètent pas l'état-major de De Castries, qui attend un assaut ennemi massif.

Photo ci-dessous: char léger M24 Chaffee à Dien Bien Phu.

 



1° Assaut et premier succès vietminh sur Beatrice (13-14 mars 1954).

Le 13 mars 1954 à 17h15, le "festival pyrotechnique" commence. L'ensemble du camp retranché subit un barrage d'artillerie d'une violence inouïe. Les Français sont complètement surpris: ils ne s'attendaient pas du tout à un pilonnage vietminh de cette ampleur. Leurs pièces d'artillerie et leurs postes de commandement sont particulièrement visés. Toutes les mesures de contre-batterie se révèleront inefficaces. (3)

Carte ci-dessous: positions françaises et premiers affrontements des 13, 14 et 15 mars 1954 (source: archives de l'armée vietnamienne).

 

 

Au pied de Dominique-2, les servants de mortiers lourds de 120mm de la Légion sont décimés. Sur Béatrice, le 3/13 DBLE disparaît sous le déluge de feu adverse. Les positions des Légionnaires sont pulvérisées et les pertes augmentent rapidement. Vers 18h15, un obus touche de plein fouet le PC du bataillon, tuant le major Paul Pégot et son état-major au complet. Puis c'est le tour des commandants des 9ème et 11ème Compagnies du 3ème Bataillon. Au bout de deux heures de bombardement, l'assaut vietminh commence avec deux régiments de la Division 312, opposés à deux compagnies malmenées de Légionnaires.

Le 14 mars 1954, vers 3h du matin, la Division 312 se rend maître du point d'appui Beatrice. Les Légionnaires ont perdu en quelques heures 500 tués et disparus. Les pertes vietminh s'élèvent à environ 600 tués et 1,200 blessés. (4)

Dans la matinée, 66 survivants de la 9ème Compagnie du 3/13 DBLE parviennent à rejoindre les lignes françaises. Le Vietminh restituera également 14 blessés graves, dont le lieutenant Etienne Turpin, évacué le jour même par avion. Le 3ème Bataillon de la 13ème DBLE, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, a disparu en l'espace d'une seule nuit. La 13ème DBLE est d'autant plus éprouvée qu'elle perd son commandant, le colonel Jules Gaucher, tué avec plusieurs membres de son état-major le 14 mars vers 19h45 par un obus.

Les bombardements de l'artillerie vietminh se poursuivent pendant toute cette journée. A 14h, trois chasseurs-bombardiers F-8 Bearcat évacuent la base. Les six autres ont été détruits ou endommagés sur la piste. Désormais, l'appui aérien parviendra des bases du Golfe du Tonkin, distantes de 300km. Les avions de transport et de ravitaillement C-47 Skytrain commencent également à subir des pertes, la défense AA vietminh devenant chaque jour plus dense et efficace.

 



(3) Le commandant de l'artillerie française, le colonel Charles Piroth, devant l'impuissance de ses tirs de contre-batteries, se suicidera deux jours plus tard, le 15 mars 1954.

(4) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 236.


2° Point d'appui Gabrielle (14-15 mars 1954).

Le second objectif du Vietminh est le point d'appui Gabrielle, défendu par le 5ème Bataillon du 7ème Régiment de Tirailleurs Algériens (5/7 RTA). Par ailleurs, le bois ne manquant pas aux alentours de la position, les blockhaus de Gabrielle sont réputés être les plus solides du camp retranché. La colline est d'ailleurs surnommée Le Torpilleur.

Après deux heures de préparation d'artillerie, deux régiments de la Division 308 montent à l'assaut sans succès et buttent contre les défenseurs algériens. En quelques heures, la division vietminh est saignée à blanc. Vers 4h du matin, le 15 mars, un obus touche le PC du bataillon, blessant sérieusement le major Roland de Mecquenem et plusieurs membres de son état-major. (5)

Le 15 mars 1954, vers 3h du matin, le Régiment 165 de la division 312, qui n'a pas été engagé sur Béatrice, prend la relève. Lentement, les défenseurs algériens sont submergés. Le colonel Christian de Castries ordonne une contre-attaque à l'aube pour rallier le 5/7 RTA.

Le 1/2 REI fournit deux compagnies. Arrivé en renfort par air pendant la journée précédente, le 5 BPVN participe également à l'opération, mais celui est sous le feu constant de l'artillerie vietminh et subit de lourdes pertes, car il lui faut parcourir un kilomètre de nuit sur un terrain inconnu pour rejoindre la base de départ. Les légionnaires bousculent le bataillon vietminh placé en bouchon avec l'aide des chars Chaffee du 3/1 RCC. Vers 8h, ils ont presque atteint Gabrielle, quand ils aperçoivent des survivants du 5/7 RTA qui se replient et abandonnent le point d'appui. Les derniers Algériens de Gabrielle vont pourtant résister jusqu'à 13h.

La prise de cette position française a couté au Vietminh 2,000 tués (6), et aux défenseurs environ 500 tués et disparus. Mal coordonnée, la contre-attaque a échoué alors que tout restait possible. La panique règne désormais dans le camp retranché. Les chefs en place semblent incapable de reprendre la situation en main. Seul l'adjoint de De Castries, le lieutenant-colonel Paul Langlais, commandant des parachutistes de Dien Bien Phu, conserve son sang-froid.


3° Point d'appui Anne-Marie (16-17 mars 1954).

En raison des pertes subies, Giap rennonce provisoirement à l'attaque du point d'appui Anne-Marie, son troisième objectif. La Division 308 a effectivement perdu 1,500 tués dans l'attaque de Gabrielle, et la Division 312, 500 tués. Les blessés se comptant par milliers.

Anne-Marie est défendue par le 3ème Bataillon Thaï (BT 3). Mais le matin du 17 mars 1954, démoralisés par la perte de Béatrice et Gabrielle, la plupart de ceux-ci se débandent, ce qui force le reste des défenseurs français (2 CMMLE) et thaïs à abandonner la position. (7)


(5) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 237.

(6) Davidson, Philips. Page 238.

(7) Davidson, Philips. Page 239.


4° Période d'accalmie et crise du commandement français (16-30 mars 1954).

Le 16 mars 1954, l'espoir renaît un peu: le 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux (6 BPC) du major Marcel Bigeard saute dans la Cuvette. Du 17 au 30 mars, c'est la période d'accalmie. Le Vietminh en profite pour consolider ses positions et panser ses plaies. Il encercle totalement la zone centrale du camp retranché français, formé des points d'appui Dominique, Eliane, Claudine et Huguette. Isabelle, au sud, avec ses 1,809 défenseurs (3/3 REI, 2/1 RTA et 3/10 RAC), se retrouve totalement isolé du reste de la garnison et forme une seconde poche de résistance. (8)

Les français en profitent également pour s'"enterrer" un peu plus et chaque nuit, ils entendent les Bodoïs du Vietminh creuser un réseau de tranchées autour de leur position, qui se rapproche toujours un peu plus.

Durant cette période d'accalmie, l'état-major français affrontent d'ailleurs plusieurs "crises du commandement", et les défenseurs ont bien besoin de ça! Il est devenu évident, aux yeux d'une partie des officiers du PC-GONO, et c'est un sentiment partagé par le général René Cogny himself, "Général Vitesse", à Hanoi, que De Castries est devenu incompétent et inapte à assurer le commandement de Dien Bien Phu.

Photo ci-dessous: état-major du PC-GONO. De gauche à droite, le major Maurice Guirad (1 BEP), le capitaine André Botella (5 BPVN), le major Marcel "Bruno" Bigeard (6 BPC), le capitaine Pierre Tourret (8 BPC), le lieutenant-colonel Pierre C. Langlais, commandant en chef du Groupement Aéroporté 2 à Dien Bien Phu, et le major Hubert de Séguin-Pazzis, chef d'état-major.

 

 

Le 17 mars, René Cogny tente de rallier par air le camp retranché pour reprendre personnellement le commandement en main. Mais au-dessus de Dien Bien Phu, son avion est violemment pris pour cible par la DCA adverse et sérieusement touché. Il envisage de sauter en parachute, mais les membres de son état-major l'en disuade. (9)

De Castries s'est isolé du reste du PC-GONO et est relevé de son commandement. Le 26 mars 1954, c'est le lieutenant-colonel Pierre Langlais, qui assume déjà le commandement des unités parachutistes, reprend le commandement de l'ensemble du camp retranché français.

Ce qui fait que le commandement français de Dien Bien Phu se retrouve divisé en deux camps: les pro-De Castrie et les pro-Langlais. C'est une situation inextricable, et les deux officiers français parviennent à un accord tacite: De Castries continuera à commander en apparance, mais c'est Langlais qui désormais assume le commandement effectif de la garnison. Et Bigeard reprend le commandement des troupes aéroportées.

Durant cette période, Dien Bien Phu est ravitaillé par air, mais la DCA Vietminh prélève un lourd tribut sur les avions de transport français. Si bien que le 28 mars, le major Marcel Bigeard lance une opération pour éliminer les canons AA ennemis.

L'attaque, menée par le 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux (6 BPC) et le 8ème Bataillon de Parachutistes de Choc (8 BPC ou 8 BC), avec le 1er Bataillon Etranger de Parachutistes (1 BEP) en réserve, réussit pleinement et plus de 350 soldats Vietminh sont tués, un bon nombre de pièces AA de la Division 351 réduites au silence. Pour le prix de 20 pertes du côté français. (10)

Le moral français remonte en flèche, mais ce n'est hélas que "le calme avant la tempête".

 





(8) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 279.

(9) Davidson, Phillip. Pages 240-241.

(10) Davidson, Phillip. Page 244-245.



5° Assaut contre les positions centrales françaises (30 mars - 5 avril 1954).

La phase suivante de la bataille (30 mars - 5 avril 1954) est un assaut frontal massif de l'infanterie vietminh contre les positions centrales françaises, et en particulier Eliane et Dominique. Ces deux points d'appui sont défendus par un mélange de troupes de la Légion Etrangère, de Coloniaux, de Tirailleurs algériens ou marocains, de Vietnamiens et de Thaïs.
  • Eliane:
      - 1er Bataillon du 4ème Régiment de Tirailleurs Marocains (1/4 RTM).
      - 2ème Bataillon Thaï (BT 2).
      - 1er Bataillon Etranger de Parachutiste (1 BEP).
      - 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux (6 BPC).
  • Dominique:
      - 8ème Bataillon de Parachutistes de Choc (8 BPC).
      - 3ème Bataillon du 3ème Régiment de Tirailleurs Algériens (3/3 RTA).
      - 5ème Bataillon de Parachutistes Vietnamiens (5 BPVN).
      - 2ème Compagnie de Mortiers Mixtes de la Légion Etrangère (2 CMMLE).
      - 2ème Groupe du 4ème Régiment d'Artillerie Colonial (2/4 RAC).
      - 1ère Compagnie Etrangère Parachutistes de Mortiers Lourds (1 CEPML).


Photo ci-dessous: les positions françaises sous un déluge de feu de l'artillerie vietminh.

 

Le 30 mars 1954, à 19h, précédée d'un véritable déluge de feu, la Division Vietminh 312 monte à l'assaut et submerge Dominique-1 et Dominique-2. Sur Dominique-3, la seule position qui s'épare encore la Division 312 du QG français (PC-GONO), les obusiers de 105mm du 2/4 RAC tirent à vue en élévation "0-Degré" (pratiquement à bout portant) contre les vagues d'assaut ennemies, et d'autres batteries d'artillerie sur l'aérodrome ouvrent également le feu en utilisant des pièces AA. Ce qui force le Vietminh à stopper sa progression et à se retirer, ce qui permet d'éviter in-extrémis le désastre.

Photo ci-dessous: le 30 mars, les Bodoïs de la Division 312 montent à l'assaut des positions Dominique-1 et Dominique-2.

 

Sur les collines Eliane, le scénario est similaire. La Division Vietminh 316 s'empare d'Eliane-1, défendue par le 1/4 RTM. Après quatre heures de résistance désespérée, les Tirailleurs Marocains doivent abandonner leur position. Puis les Légionnaires d'Eliane-2 (1 BEP) parviennent à rallier les survivants du 1/4 RTM. Mais eux-mêmes succombent aux environs de minuit.

Juste après minuit, le 31 mars 1954, le commandement français de Langlais organise une contre-attaque dans le but de reprendre Eliane-2. Le 6 BPC et la 2ème Compagnie du 1 BEP reprennent la position et force le Vietminh au retrait.

Une autre contre-attaque française reprend également Dominique-2 et Eliane-1. Mais le Vietminh reprend ses assauts. Les Français, manquant de réserves, doivent abandonner de nouveau les deux positions dans la nuit du 1er avril 1954. (11)
Des renforts français sont également envoyés vers Isabelle, 4km au sud, mais ceux-ci n'arrivent pas à rallier le point d'appui et doivent faire demi-tour.

Dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1954, Langlais ordonne à Bigeard d'abandonner les positions Eliane et de traverser la Nam Yum, mais ce dernier refuse. Sur Eliane-2, le 1 BEP, avec l'appui des chars Chaffee du 3/1 RCC, tient fermement ses positions. La Division 316 reprend ses attaques mais les Bodoïs sont taillés en pièce et refoulés.

Le 1er avril 1954, les premiers éléments du 2ème Bataillon du 1er Régiment Colonial Parachutistes (2/1 RCP) du major Jean Bréchignac, en provenance d'Hanoi, saute au-dessus d'Eliane-2 et viennent renforcer le point d'appui français.

A l'ouest, la Division Vietminh 308 parvient brièvement à s'emparer d'Huguette-7 (1/2 REI) au prix de terribles pertes, avant d'en être chassée par une contre-attaque du 8 BPC et quelques chars du 3/1 RCC dans la soirée du 1er avril 1954.

Dans la nuit du 1er au 2 avril 1954, le reste du 2/1 RCP saute en parachute. Dans la nuit du 3 au 4 avril, la Division 308 lance des attaques contre Huguette-6, défendu par la 1ère Compagnie du 1/2 REI, des éléments du 1/13 DBLE et du 8 BPC. Mais les Français s'accrochent au terrain et résistent désespérément. A l'aube du 4 avril, l'aviation française se joint à l'artillerie pour matraquer les Bodoïs survivants.

Photo ci-dessous: légionnaires français sur Huguette-6.


A l'aube du 5 avril 1954, le Vietminh jette l'éponge. Depuis le 30 mars, ses attaques lui ont coûté 6,000 tués, de 8,000 à 10,000 blessés, et 2,500 capturés. Giap suspend ses opérations et attend des renforts en provenance du Laos, le moral de ses troupes est au plus bas. En attendant, il poursuit le développement du réseau de tranchées autour du camp français. (12)


(11) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 248.

(12) Davidson, Phillip. Page 257.


6° Travaux de sappe vietminh (5-30 avril 1954).

Le 5 avril 1954, Giap change de tactique et fait développer considérablement les réseaux de tranchées qui entourent les positions françaises.

Le 10 avril 1954, les Français lancent une contre-attaque pour reprendre Eliane-1 et lever la menace directe qu'elle représente pour Elian-4. L'attaque, comme Bigeard l'a demandé, est précédé d'un court pilonnage d'artillerie. Celui-ci utilise de petites unités d'infiltration à la place d'un assaut frontale direct. Le Vietminh lance à son tour des attaques pour reprendre la position perdue.

Au cours de cette journée, Eliane-1 changera de main sept fois, mais à l'aube du 11 avril 1954, les Français contrôlent la position. Le Vietminh lance une ultime attaque le 12 avril pour reprendre Eliane-1, mais est refoulé. (13)

Durant ces combats pour Eliane-1, de l'autre côté du camp français, les réseaux de tranchées vietminh encerclent presque entièrement Huguette-1 et Huguette-6.

Dans la nuit du 10 au 11 avril 1954, la garnison d'Huguette-1 attaque les tranchées vietminh dans l'espoir de briser son encerclement. Attaques répétées les 14/15 avril et 16/17 avril.

Devant l'inutilité de ces attaques et les pertes croissantes qu'elles entraînent, Langlais ordonne le 18 avril d'abandonner définitivement Huguette-6. Ses défenseurs tentent une sortie pour rejoindre les lignes françaises, mais seul un petit nombre d'entre-eux y parviendra. (14)

Le Vietminh poursuit les travaux de sappe autour d'Huguette-1 et, le 22 avril 1954, la position française est totalement submergée et perdue. Avec la perte d'Huguette-1, le Vietminh contrôle maintenant 90% de l'aérodrome, ce qui rend fort périlleux et aléatoires les parachutages d'armes, d'approvisionnement et de renforts français.

Le lendemain, 23 avril 1954, les Français lancent une attaque dans l'espoir de reprendre Huguette-1, mais celle-ci est repoussée.

A Hanoi, bien que tout le monde sait que tout est perdu, l'état-major organise des recrutements destinés à être parachuter sur Dien Bien Phu. Des centaines de personnes, civils ou militaires, formant un ensemble hétéroclite d'origines sociales diverses, y répondent. Ils n'ont jamais sauté en parachutes et seront une cible de choix pour le Vietminh, mais "tentent le coup". Leur motivation est d'aller se battre "pour aider les copains" ou pour "l'honneur". Une fois arrivés sur zone, en raison de la confusion et de la pagaille qui règnent dans le camp retranché, une partie d'entre-eux atterrit même chez l'ennemi. (15)

Le Vietminh utilise la même technique de sappe, lente mais inexorable et implacable, contre Isabelle, au sud, où à la fin du mois, les défenseurs se retrouveront à court d'eau potable, de vivres et de munitions. (16)

Ci-dessous: blessés français attendant d'être évacués du Chaudron. Jusqu'à la fin, les C-47 de l'Armée de l'Air essaieront de sauver le maximum de personnes.



(13) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 265.

(14) Davidson, Phillip. Pages 258 et 260.

(15) Pierre Schoendoerffer, Dien Bien Phu, 1991.

(16) Davidson, Phillip. Page 260.



7° Assaut final (1er-7 mai 1954).

Les Bodoïs lancent l'attaque finale contre les défenseurs français épuisés dans la nuit du 30 avril au 1er mai 1954. Ils emportent Eliane-1, Dominique-3 et Huguette-5. Eliane-2 parvient à résister et refoule les vagues d'assaut ennemies.

Le 6 mai 1954, le Vietminh lance une autre attaque massive contre Eliane-2. Au cours de cet assaut, le Vietminh emploit pour la première fois des fusées Katioucha. (17)

L'artillerie français innove également: elle met au point les tirs de saturation TOT (Time On Target), où les obus des différentes batteries d'artillerie arrivent au même moment sur leurs objectifs. Ces barrages d'artillerie en général causent des ravages dans les rangs de l'infanterie ennemie et brise les attaques du Vietminh. (18)

Dans la nuit du 6 au 7 mai 1954, vers 2h du matin, les Bodoïs qui ont creusé des galleries souterraines sous Eliane-2 et les ont bourré d'explosif, font sauter littéralement le sommet de la position française. Sur les autres points d'appui, les vagues d'assaut de l'infanterie Vietminh se succèdent sans arrêt et, peu à peu, les défenseurs sont submergés. (19)

A l'aube du 7 mai 1954, Giap ordonne une ultime attaque massive contre le reste du camp retranché français. Vers 17h, Christian De Castries envoit un dernier message radio au GQG français à Hanoi: "Les Viets sont partout. La situation est très grave. Les combats sont confus et je sens qu'ils approchent. La fin est imminente, mais nous combattrons jusqu'au bout..."

Le général René Cogny lui répond: "Bien compris. Vous combattrez jusqu'à la fin. Il est hors de question de hisser le drapeau blanc après votre résistance héroïque." (20)

En fin de journée, c'est la fin: toutes les positions centrales françaises ont succombé. Les défenseurs d'Isabelle qui tiennent encore, 4km au sud du PC-GONO, effectuent une sortie pour échapper à l'encerclement du Vietminh. Seuls 70 survivants, sur une garnison initiale d'environ 1,700 hommes, parviendront à s'échapper et à gagner le Laos. (21)

Photo ci-dessous: les soldats Vietminh de la division 316 investissent le PC-GONO dans la soirée du 7 mai 1954.

(17) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 236.

(18) Davidson, Phillip. Page 261.

(19) Davidson, Phillip. Page 262.

(20) Time Magazine, The Fall of Dien Bien Phu, 17 mai 1954.

(21) Davidson, Phllip. Page 263.



Bilan de la bataille et camps de rééducation Vietminh.

Dien Bien Phu a été la plus longue et la plus sanglante bataille de l'après Seconde Guerre Mondiale. On estime à près de 25,000 le nombre des Bodoïs tués pendant le siège, entre le 13 mars et le 7 mai 1954.

L'armée française compte 2,293 tués et 11,721 prisonniers recensé par le Vietminh, dont 4,436 blessés, dans ses rangs. 71% de ces derniers décèderont dans les mois qui suivent en captivité. A l'instar de la Marche de la Mort de Bataan, aux Philippines, ils doivent marcher à travers jungle et montagnes sur 700km, de nuit pour échapper à l'aviation française. Ceux qui sont trop faibles meurent ou sont achevés en chemin. Puis ils sont cantonnés dans des camps en zone frontalière chinoise.

Là, un autre calvaire les attend. Les conditions d'hygiène sont effroyables, et les prisonniers sous-alimentés doivent subir sans arrêt le matraquage de la propagande communiste. Cela se traduisait par des séances d'autocritique où ceux-ci devaient avouer les crimes commis contre le peuple vietnamien (réels ou supposés), implorer le pardon, et être reconnaissant de la "clémence de l'Oncle Ho qui leur laisse la vie sauve."

La majorité des tentatives d'évasion ont échoué, malgré l'absence de barbelés ou de miradors de surveillance. Les distances à parcourir étaient trop grandes pour espérer survivre dans la jungle, surtout pour des prisonniers très diminués physiquement. Ceux qui étaient repris étaient exécutés.

Après la Conférence de Genève, la France et le Vietminh parvinrent à un accords sur le principe d'échange des prisonniers. 3,290 combattants de Dien Bien Phu furent restitués, dans un état squelettique comparable à celui des survivants des camps de la mort nazis, à la Croix-Rouge internationale. Par contre, le destin des 3,013 prisonniers d'origine vietnamienne demeure à ce jour inconnu. (22)

Photos ci-dessous: 1° "Accord de Genève" au Palais des Nations, 21 juillet 1954. Dans l'assemblée, on reconnait les représentants de l'Union Soviétique, Vyacheslav Molotov, et de Grande-Bretagne, Anthony Eden. Les délégués du Vietminh apparaissent de dos, à l'avant plan. 2° Prisonnier de guerre restitué par le Vietminh après les Accords de Genève. 3° Affiche cinéma du film Dien Bien Phu de Pierre Schoenderffer (1992). 4° Signature du Livre d'Or au QG de l'Armée française à Hanoi. 5° PC-GONO aujourd'hui.

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(22) Jean-Jacques Arzalier, Les Pertes Humaines, 1954-2004: La Bataille de Dien Bien Phu, entre Histoire et Mémoire, Société française d’histoire d'outre-mer, 2004.


Georges Boudarel, le Camp 113 et le rôle du Parti communiste français.

Né le 21 décembre 1926 à Saint-Etienne (Loire) dans une famille catholique, Georges Boudarel fait de bonnes études chez les Pères Maristes, puis obtient sa licence de philosophie.

Boudarel prend sa carte du Parti Communiste Français en 1946. Nommé enseignant en Indochine, alors qu'il n'a pas encore effectué son service militaire et se trouve en situation de "sursis", il embarque pour l'Indochine au début d'avril 1948. Débarqué en Cochinchine, il est affecté au Lycée Yersin de Dalat comme professeur de philosophie.

A Saigon, il établit des contacts suivis avec la cellule du Kominform appelée "Groupe culturel marxiste numéro 106". Il remplit diverses missions pour l'Education Nationale: correction du baccalauréat à Hanoi en juin 1949, stage au Collège de Vientiane au Laos en automne 1949, affectation au lycée Marie Curie à Saigon fin 1949.

En 1950, il décide de sauter le pas, écrit-il, et rejoint le maquis vietminh. Il y sert pendant deux ans. Plus tard, il sera appelé sous les drapeaux sur le territoire indochinois et, ne se présentant pas aux autorités militaires françaises, il sera considéré comme "insoumis", et non comme déserteur.

Pendant cette période, il devient membre du Parti Communiste Indochinois d'Ho Chi Minh, qui se transforme peu après, le 3 mars 1951, en Parti des travailleurs (Dang Lao Dong). Il est affecté à la radio "Saïgon-Cholon libre" où il a en charge l'émission en français. Il prend le nom vietnamien de Daï Dong, c'est-à-dire: "Fraternité universelle".

Fin 1951, il est désigné pour servir au Nord en vue de faire de la propagande en faveur de la paix et du rapatriement du Corps Expéditionnaire français (CEFEO) auprès des prisonniers que le Vietminh envisage de libérer pour faciliter la fin des hostilités.

Il se met en route début 1952 et mettra presque un an à rejoindre le Tonkin, en passant par les pistes de montagne de la Cordillère Annamitique, et en évitant soigneusement les forces françaises.

Le 22 décembre 1952, il arrive au Viet-Bac (Zone "libérée" par le Viet Minh) et se voit nommé "Instructeur Politique adjoint" au commissaire politique du Camp 113. Il est assimilé à un chef de compagnie avec une rémunération triple, soit trois kilos de paddy par jour. Le kilo de paddy, riz non décortiqué, est alors l'unité monétaire dans les zones occupées par le Vietminh.

Il arrive le 7 février 1953 au Camp 113, situé à Lang-Kieu, non loin de la frontière chinoise, au sud d'Ha-Giang, dans le bassin de la Rivière Claire (Song Lô), à une vingtaine de kilomètres de Vinh Thuy.

Il y appliquera consciencieusement le programme de lavage de cerveau conçu par le Dich Van, organisme du gouvernement central chargé de la rééducation politique des prisonniers de guerre.

Il mesure parfaitement les absurdités du système, et parfois même son ignominie, surtout lorsqu'il constate le taux très élevé de la mortalité parmi les captifs: 50%, au sujet duquel il alerte sans succès sa hiérarchie. Il écrira par la suite: "Comme les détenus, j'étais prisonnier du système" (Voir son autobiographie).

Il quitte le Camp 113 en février 1954 et se voit affecté à l'émission radio La voix du Vietnam, situé dans un endroit tenu secret du Tonkin.

En octobre 1954, à la suite des Accords de Genève, il rejoint Hanoï où il restera dix ans.

Déçu par l'évolution du régime communiste et les purges de 1955-1956 qu’il décrira plus tard dans un livre témoignage (23), il quitte le Vietnam et se réfugie à Prague en 1964. Il y obtient un poste à l'"Institut d'Etudes Orientales", puis il entre comme rédacteur à la "Fédération Syndicale Mondiale". Il découvre alors la sclérose du système communiste dénoncé par Nikita Krouchtchev.

Entre temps, en France, il a été condamné à mort pour "insoumission et désertion". Le 17 juin 1966, à Paris, l'Assemblée Nationale vote la loi d'amnistie relative aux infractions commises en relation avec les évènements d'Algérie. Un amendement communiste constitue l'article 30 de cette loi. Il stipule que "sont amnistiés de plein droit tous crimes et délits commis en liaison avec les évènements consécutifs à l'insurrection vietnamienne, et antérieurement au 1er octobre 1957".

Georges Boudarel profite de ces dispositions pour rentrer en France après dix-huit ans d'absence qu'il qualifiera pudiquement, par la suite, de "voyage d'études en Extrême-Orient". Il reprend une vie normale sans être ennuyé, y compris en ce qui concerne son service militaire qu'il n'a pas encore effectué. Grâce à l'amnistie, il est redevenu simple sursitaire. Le réalisme politique prévalant, il en est "exempté pour raison médicale".

Il entre à l'université Jussieu-Paris-7, dès sa création en 1970, et y devient maître de conférence d'Histoire. Il milite pendant un temps au sein du "Front de solidarité Indochine" trotskiste, puis fait deux courts séjours au Vietnam en 1978 et 1989.

Il prend position contre le régime d'Hanoï dont il dénonce les méthodes d'endoctrinement et le système en publiant un second livre. (24)

Il vivra tranquille jusqu'à la fin de sa vie. Le 13 février 1991, au cours d'un colloque organisé au Sénat par le "Centre des Hautes Etudes sur l'Afrique et l'Asie Modernes", il doit prendre la parole. Il est alors pris à partie par Jean-Jacques Beucler, ancien ministre et ancien député, qui a été lui-même captif en Indochine quatre ans durant et parle au nom des nombreux anciens prisonniers du Vietminh qui l'entourent.

Ainsi débute "l'Affaire Boudarel". Boudarel, qui est accusé de "torture envers des prisonniers de guerre français", sera soutenu par de nombreuses personnalités de gauche, au nombre desquelles Pierre Vidal Naquet, qui, sans pour autant l'exonérer, "refuse de cautionner, même par un simple silence, la chasse à l’homme qui est en train de se dérouler" (Le Monde, 23 mars 1991).

Plus tard, il quittera le Parti Communiste Français, déclarant au journal Le Monde en 1991: "J'étais stalinien, je le regrette à 100%..." C'était bien tard...

Il cesse d'exercer à Jussieu en 1992, date de son départ à la retraite. Il s'éteint paisiblement le 26 décembre 2003 à l'âge de 77 ans.

Biographie de Boudarel

Georges Boudarel (Wikipedia.org)


(23) Georges Boudarel, "Cent fleurs éclosent dans la nuit du Vietnam", Jacques Bertoin, 1991.

(24) Georges Boudarel, "La bureaucratie au Vietnam", L'Harmattan, 1983.


Opération Vulture: participation américaine à la bataille.

En vertu de la Loi d'Assistance et de Défense Mutuelle (Mutual Defense Assistance Act), les Etats-Unis fournissent déjà le Corps Expéditionnaire français en matériel depuis 1945. Aide matérielle consistant principalement en avions B-26 Invader, P-63 Airacobra, C-47 Skytrain, F6F Hellcat, F8F Bearcat, Vought F4U Corsair, SB2C Helldiver et Douglas A-1D Skyraider. En outre, 34 pilotes de la Civil Air Transport (CAT), la compagnie aérienne des Tigres Volants créée par Claire Chennault et affraitée par la CIA, effectuent des vols au-dessus de la "Cuvette" dès novembre 1953.

Le 31 mars 1954, après la chute des positions Beatrice, Gabrielle et Anne-Marie, un groupe de sénateurs et de représentants du Congrès américain soumettent la question d'une éventuelle participation, active et directe, des forces armées américaines au chef d'état-major adjoint interarmes (Chairman of the Joint Chiefs of Staff), l'amiral Arthur W. Radford.

Après la demande d'assistance d'Henri Navarre, Radford fournit aux Français deux squadrons de B-26 Invader. 34 de leurs équipages américains accompliront 682 sorties de bombardements des positions Vietminh jusqu'à la fin. Mais Radford avoue qu'il est désormais trop tard pour que l'US Air Force sauve le camp retranché français.

Dès le début de l'opération Castor, en novembre 1953, le général Chester McCarty fournit aux Français douze C-119 Flying Boxcar de transport pour convoyer les parachutistes français sur zone. Ceux-ci serviront pendant toute la durée de la bataille de Dien Bien Phu, et deux aviateurs américains, Wallace Bufford et James McGovern, Jr, seront tués en service commandé de la France.

Le 25 février 2005, les sept derniers pilotes américains de la CAT ou de la CIA encore en vie qui ont participé à la bataille de Dien Bien Phu, sont décorés de la Légion d'Honneur par Jean-David Levitte, l'ambassadeur français aux Etats-Unis.

L'écrivain français Jules Roy suggère également que l'amiral Arthur Radford discuta avec l'état-major français la possibilité d'utiliser des armes atomiques (une des options envisagées par l'opération Vulture), larguées par des B-29 sur les positions et les voies de ravitaillement du Vietminh autour de Dien Bien Phu. Mais cette option aurait été finalement rejettée par le gouvernement français.

On rapporte que John Foster Dulles, alors Secrétaire d'Etat du président Dwight Eisenhower, aurait également envisagé l'utilisation d'armes nucléaires tactiques. Et d'autres sources encore prêtent un avis similaire au Ministre britannique des Affaires Etrangères, sir Anthony Eden.

Photos ci-dessous: 1° Fairchild C-119 Flying Boxcar de la CIA, avec cocardes françaises, ravitaillant Dien Bien Phu. 2° Grumman F8F-1B Bearcat de l'Armée de l'Air, Groupe de Chasse GC 1/22 Saintonge, à Dien Bien Phu en janvier 1954. 3° F4U-7/AU Corsair du Marine Attack Squadron VMA-324 sur le pont du USS Saipan, au large de Tourane (Da Nang), porte-avions "prêté" à la marine française en avril 1954 pour aider le camps retranché.





La Légion étrangère à Diên Biên Phu: le témoignage de Paloit

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Suite à la défaite de 1940 qui avait affaibli la présence de la France en Indochine, et anticipant les velléités japonaises sur le pays, le Front de l’indépendance du Vietnam est fondé en 1941.

Le Viêt-minh, cette formation politique issue de la réunion du parti communiste indochinois et d’éléments nationalistes, dirige ensuite le premier gouvernement vietnamien en 1945 et compose d’abord avec la France avant de reprendre la lutte armée contre les forces françaises et les alliés vietnamiens de l’empereur Bao Dai.

A la fin d’octobre 1953, le Viêt-minh prépare une attaque puissante sur le Nord du Laos. Or la France a signé un traité avec le Laos et s’est engagée à défendre ce pays dont la fidélité a été constante. La décision est prise de barrer la route au Viêt-minh en l’obligeant à livrer bataille au point de passage obligé de Diên Biên Phu. Dans ce but, un vaste camp retranché est créé dont la garnison comptera bientôt 12 bataillons et un matériel considérable transporté par avion à partir d’Hanoi dès fin novembre 1953.

La Légion y est présente en force. Les premières semaines sont consacrées à la construction des ouvrages, à la pose des réseaux de barbelés et aux reconnaissances du terrain.

Très rapidement les patrouilles quotidiennes sont prises à partie, mais le harcèlement de l’adversaire sur le camp ne commence que le 11 janvier 1954, après que le Viêt-minh ait réussi à rassembler une artillerie nombreuse. Celle-ci a pu être acheminée à pied d’œuvre malgré les coupures des pistes faites par l’aviation française, par des dizaines de milliers de coolies empruntant des sentiers invisibles depuis l’avion.

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Les fantassins ennemis sont très actifs mais évitent l’accrochage. Début mars, apparaissent les premières tranchées creusées la nuit.

Le 13 mars, c’est l’attaque en règle, ouverte par une intense préparation d’artillerie et de mortiers. Tous les centres de résistance ont été éprouvés par ce bombardement précis et le P.C. de l’artillerie a plus particulièrement souffert au point que le colonel Piroth se suicide. A la tombée de la nuit, deux régiments d’infanterie ennemie partent à l’assaut. Insensibles aux pertes, les vagues se succèdent sans relâche et finissent par anéantir totalement le centre de résistance du 13ème D.B.L.E. établi sur Béatrice.

Le 25 mars, un autre verrou –Gabrielle- est soumis à la même méthode de pilonnage, puis de submersion par vagues de l’infanterie et cède à son tour. L’ennemi qui a reçu des renforts va ensuite procéder à l’extension rapide de son réseau de tranchées. En outre, l’aide chinoise en dotation d’obus a accru sa puissance de feu. Du côté de la Légion, les pertes sont lourdes mais jamais l’union n’a été plus étroite entre les cadres et la troupe. En 57 jours, près de 4 000 hommes sont parachutés en renforts, mais de son côté le Viêt-minh se renforce en troupes fraîches. On compte parmi elles les escouades de la mort qui, chargées d’explosifs se feront sauter sur les défenses des abris du camp retranché. L’assaut final commence le 6 mai. L’artillerie ennemie détruit les pièces, écrase les blockhaus, comble les tranchées. Sous un déluge de feu, les légionnaires tentent une sortie et se jettent désespérément et avec détermination sur les lignes ennemies. Mais celles-ci ont de nombreuses réserves  qui colmatent les brèches faites, et seuls quelques isolés dont le courage est servi par la chance, parviendront à quitter la cuvette sanglante. Ils atteindront au prix d’une fatigue surhumaine, les forces françaises du Laos.

Le 8 mai 1954, Diên Biên Phu n’est plus. Mais l’honneur militaire de la France est sauf, mais au prix de 1500 tués et de 4 000 blessés. La Légion n’a pas lésiné pour payer sa très large part.

La défaite française conduit aux accords de Genève qui partagent le pays en deux, de part et d’autre du 17ème parallèle. Hô Chi Minh gouvernera alors le Vietnam du Nord.

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Je suis né en Basse-Autriche, à 30 km de Vienne le 8 Octobre 1931.

Mon nom d’origine -Palkowits Léopold, dit Poldi-, la légion me l’a francisé en Paloit. Ma jeunesse s’est passée sans histoire dans mon village natal d’Ebreichsdorf.

Ma mère est morte d’un cancer lors­que j’avais 3 ans. Sous le régime nazi, le village vivait sans grande ostentation et ferveur hitlériennes.

Au contraire, les gens, avec leur franc-parler, criti­quaient ouvertement le régime fasciste, pratiquaient le marché noir, tuaient même le cochon, ce qui était strictement inter­dit parce que réservé à l’armée en guerre. La gestion municipale était appliquée avec une nonchalance et une rouerie bien typiques de chez nous. On suivait le mouvement tout en traî­nant fortement des pieds. Les gens étaient unis et ne se laissaient pas aller facilement à la délation. Mon oncle, malheureusement, a été interpellé en possession de tracts communistes, il fut aussitôt dirigé vers le K.Z. (Konzentrationslager). La Gestapo avait eu vent que dans la chapellerie où travaillait mon parent, ses agissements clandestins l’avaient catalogué comme contestataire anti-fasciste. Juste après la guerre, un officier russe est venu per­sonnellement à la maison féliciter mon père pour les actes de bravoure affi­chés par son frère ; il l’a emmené visiter le camp où bien sûr rien ne subsistait. Les gens avaient tous été gazés.

Mon père s’est remarié quelques an­nées après, mais il est mort relative­ment jeune à 54 ans en 1947.

La vie n’était pas facile, surtout après guerre, et pendant trois ans j’offris mes services de jardinier auprès d’un exploitant horticole dans mon village natal. Cet homme peu entreprenant fit rapide­ment faillite, sans doute parce qu’il était métayer-locataire. Je partis travailler à Vienne, di­visée à cette époque en quatre zones militaires comme Berlin. Je gagnais bien ma vie en oeuvrant dans une usine de métallurgie, mais l’aller-retour du domicile à l’usine n’était pas commode. Alors, avec un camarade, nous sommes allés nous renseigner au bureau recruteur de la Légion étrangère qui magnifiait avec quelque exagération tous les avantages perçus après la signa­ture : voir du pays, acquérir une solide formation, obtenir une très bonne solde et goûter à la soif de l’aventure. C’était pour nous les jeu­nes, une propagande bien alléchante de pouvoir servir dans cette prestigieuse unité dont la réputation avait dépassé les frontières. Je me suis engagé le 3 octobre 1951, mais il fallait pour cela vaincre les réserves et les réticences d’un com­mandant alsacien qui nous demanda par deux fois de rectifier nos deman­des d’engagement. Plus d’un volontaire, sans doute lassé par cette bureaucratie tatillonne, préféra alors quitter les lieux.  Je suis parti à Bregenz sous l’uniforme français. Nous dûmes observer un mutisme complet dans le Dodge qui nous emmenait au centre de recrutement. Cependant, les douaniers allemands qui connaissaient no­tre destination ne firent pas d’histoire pour nous laisser passer au poste-frontière.

A Lindau, mon camarade ne fut pas enrôlé, imaginez mon désappoin­tement de me retrouver seul face à mon destin de soldat allant se battre pour un autre pays que le mien !

La sélection était draconienne : une supposée appendicite vous éjectait automati­quement du circuit. J’avais une bonne condition physique ; à 100 % je répon­dais aux normes. Une dernière diffi­culté se dressait : il fallait convaincre le 2ème bureau des raisons qui me poussaient vers la Légion. Les candi­dats étaient à l’époque si nombreux que ces messieurs les recruteurs fai­saient la fine bouche et ne concédaient des places qu’avec parcimonie. Chaque jeudi en effet, un train de 150 volontaires partait d’Offenburg vers Marseille. Aussi un tri très sélectif nous était imposé. «Que dire à ces futés instructeurs ?» tel était mon tracas. Un des anciens me suggéra de racon­ter une baliverne : j’avais engrossé une demoiselle dont je devais fuir l’ire des parents très mécontents d’une progéniture conçue avant mariage ! Cette évocation saugrenue parut plausible aux enrôleurs ! Par contre, avancer comme arguments les dettes, les bagarres ou les mau­vais rapports avec la police vous rayait automatiquement des registres d’enrôlement ! Les voleurs, par exemple, étaient amenés sans ména­gement à la Kripo ! Durant ces cinq semaines d’initiation, j’ai appris les rudiments de français, la marche au pas et la vie en grand groupe. A Marseille, j’ai reçu les piqûres en série nécessaires pour séjourner en Afrique du Nord.

Je débarquai à Mascara au centre d’instruction où j’appris à vivre comme un vrai légionnaire. Au bout de cette période d’instruction, j’optai pour Sétif qui était un camp d’entraînement de parachutistes. Vous raconter les étapes qui mènent au brevet de para serait fastidieux. Il fallait savoir se réceptionner au sol, genoux collés, et atterrir sur la pointe des orteils pour amortir l’onde de choc. Chaque jour, lors de l’apprentissage, une difficulté additionnelle se présentait : sauter de différents escaliers dont la hauteur allait cres­cendo, à chaque marche supplémentaire gravie garder un papier entre ses jambes serrées qui ne devait en aucune manière s’envoler lors de la culbute, plonger de la tour en sachant bien se harnacher.

Je me rappelle bien sûr du premier saut à bord d’un Junker 88. Quel choc au moment de l’ouverture ! Notre instructeur notait scrupu­leusement nos réactions en vol et pouvait nous refuser le brevet. J’avais une légère appréhension comme tout légionnaire qui se respecte. J’arrosai enfin mon brevet après six sauts réus­sis.

Un anecdote : lorsque j’étais au CIPLE (Compagnie Indochinoise Pa­rachutistes Légionnaires Etrangers), un de nos meilleurs voltigeurs indochinois était livide au moment du saut. Il fallait l’arracher au plancher de la carlingue et le culbuter dehors. En bas, il retrouvait à nouveau toute sa valeur. En mars 1952, nous avons investi Tunis secouée par des émeutes et sillonné l’arrière-pays couvert de plantations, histoire de rappeler la présence fran­çaise. La vie de légionnaire était dure, je réfléchirais à deux fois avant de me prononcer aujourd’hui sur un nouvel engagement. Nous effectuions surtout des marches de nuit de 30 à 50 km avec tout le barda, tente, FM 24/29 en sus. Cette vie spartiate ne m’a pas gêné : j’avais une bonne santé et n’eus pas à me plaindre du climat. Nous n’avions guère de contact avec la population : seuls les enfants qui venaient nous vendre les oranges, assistaient admiratifs aux manœuvres. Lors des quartiers libres, les fellahs nous proposaient les carafons de vin à 52 centimes le litre. L’orien­tation à la boussole à travers le bled et par des nuits fraîches était systéma­tique. Après mon emprisonnement chez les Viets, je me souviens de l’hiver 1954-55 où il neigeait sur le Rif. Je fus déclaré à cette époque inapte pour effectuer ces marches de nuit. En effet, à mon retour des camps de prisonniers viets, je ne pesais plus que 45 kg, fantôme de moi-même, affublé d’une longue barbe.

A Sétif qui était la base du 3ème BEP (le 1er et 2ème BEP étaient en Indochine), la vie se déroulait sans problèmes. Il n’y avait pas de rébel­lion, on pouvait sortir en ville, mais tous, nous préférions le bistrot du foyer. Je n’ai pas cherché à obtenir de grade, le handicap du français n’arrangeant pas les choses. Pour tout vous dire, le simple fait de faire le mur et de rentrer à 6 heures du matin, gommait tout espoir de promotion.

Je suis parti le 9 novembre 1952 en Indochine, par bateau avec une seule escale à Djibouti pour atteindre un mois après, la ville de Saigon, d’où un train nous a emmenés à Bach May, un aérodrome voisin de la ville de Hanoi. D’emblée, je me suis senti à l’aise dans ce pays accueillant, où les gens étaient formidables. La vie militaire y était agréable, mais aucun soldat, même officier, ne pouvait prétendre rester plus de deux ans là-bas sans devoir partir rejoindre une garnison ou gagner la métropole avant de pouvoir replonger dans la fournaise. Certains de mes camarades ont rem­pilé trois fois. A peine installés, nous voilà chargés d’ouvrir la route vers Na San sur 60 km. On nous a vivement félicités lorsque, dans la cuvette de Na San, le BEP a pu y desserrer l’étreinte viet.

En avril 1953, notre unité a été débarquée dans la plaine des Jarres. Nous nous dou­tions que le Viêt-minh allait lancer une attaque puissante sur le nord du Laos et vers Luang Prabang, capitale du royaume. Les Laotiens étaient fidèles à la France, d’où nos multiples opérations dans cette contrée pour défendre leur pays agressé. Notre compagnie était composée de quatre sections qui alternaient chaque jour leur rôle d’avant-garde.

En avril 1953, notre unité a été débarquée dans la plaine des Jarres. Nous nous dou­tions que le Viêt-minh allait lancer une attaque puissante sur le nord du Laos et vers Luang Prabang, capitale du royaume. Les Laotiens étaient fidèles à la France, d’où nos multiples opérations dans cette contrée pour défendre leur pays agressé. Notre compagnie était composée de quatre sections qui alternaient chaque jour leur rôle d’avant-garde.Fort d’une dizaine d’hommes, notre groupe s’est heurté, le 27 mai 1953, à des éléments ennemis dans les rizières à Nong Pet, dans la zone opérationnelle de Tranninh (Laos). Chaque fois que nous ouvrions la route, le reste de la section suivait à moyenne distance paloit-3-pm

Fort d’une dizaine d’hommes, notre groupe s’est heurté, le 27 mai 1953, à des éléments ennemis dans les rizières à Nong Pet, dans la zone opérationnelle de Tranninh (Laos). Chaque fois que nous ouvrions la route, le reste de la section suivait à moyenne distance. Ce jour-là, comme cela se pratique chez toute troupe aguerrie, quelques-uns de nos voltigeurs patrouillaient devant la section pour éviter un quelconque guets-apens meurtrier.

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Dès l’accrochage, j’installai mon fusil-mitrailleur et je décochai des rafales précises sur le commando adverse qui lais­sa morts et blessés sur le carreau. On me donna ensuite l’ordre de prendre position sur une levée de terre pour resserrer la tenaille d’encerclement et subitement, je me retrou­vai nez à nez avec un jeune combattant. Voyant ma détermination, il lâcha son arme et se rendit. Enfin un prisonnier ! Voilà une source précieuse de ren­seignements que mon unité allait pouvoir exploiter ! J’obtins ma première citation à l’ordre du régiment pour cette action de bra­voure, (croix de guerre avec étoile de bronze). C’était le jeu du chat et des souris. Maintes fois, nous  retrouvions les bivouacs abandonnés des sections viets refusant le combat ou le provoquant lorsqu’elles étaient en surnombre. Les villages étaient rares et souvent distants d’un jour de marche les uns des autres.

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Les paillotes étaient infestées d’essaims de poux qui ex­plosaient sur nous dès notre installa­tion. Tous, nous étions piquetés de morsures indésirables et nous nous lavions dans chaque arroyo rencontré pour éloigner la vermine. L’eau que nous buvions était bouillie dans nos casques. Le choum (alcool de riz) était strictement interdit. Un de nos hommes, transgressant les ordres, en avait bu lors d’une opération : il écopa de 60 jours d’arrêt de rigueur. La vie d’un groupe exigeait que cha­cun, dans la plénitude de ses moyens, remplît son rôle utile vis-à-vis de tous. Un homme diminué par son intempérance pouvait conduire au désastre de sa troupe.

Nous étions en pays conquis, la pression ennemie était certaine. Etant de garde la nuit, je n’ai jamais éprouvé de crainte. Le froissement des feuilles, les branches brisées at­testaient d’une activité nocturne in­discutable. On serrait alors imperceptiblement la gâchette de son ar­me. Le paysage était plat ; au loin se découvraient les plateaux. Parfois, on nous laissait au repos ; on profitait alors pour laver nos frusques, sans savon la plupart du temps, pourvu que les auréoles de transpiration acide pussent quelque peu dispa­raître. Les rations individuelles étaient notre seul menu ; parfois des rations collectives plus équilibrées agrémentaient l’ordinaire. Il nous arrivait face au dégoût que nous inspirait la sempiternelle pitance du guerrier que les biscuits de guerre enrobés dans leur nylon plastifié ou le contenu des boîtes de conserves qui nous répugnait à force d’être ingéré atterrissent au fond d’un trou au bord de la piste. Sur le chemin de la captivité, nous avons découvert quelques cachettes de ce genre  dont les rebuts délaissés précédemment purent alors diablement sustenter nos fines gueules. Rares ont cependant été ces trouvailles car la végétation reprenait vite son emprise en effaçant les traces d’enfouissement.

Dans ces contrées perdues, la population vivait misérablement. Pas de routes, pas de magasin ! Un enclos de haies entou­rait chaque village qui disposait sou­vent d’étangs très poissonneux. L’habituelle pitance de ces hères paysans était du riz du matin au soir, assaisonnée parfois de sauces ou de viande.

paloit-5-pm Puis nous avons sauté de concert, (moi avec le 2ème BEP), le 8ème bataillon colonial et le 6ème B.C.P. de Bigeard sur Lang Son près de la frontière chi­noise. Nous avions bien préparé l’embuscade. Pour endormir la mé­fiance de l’ennemi, nous avons ostensiblement défilé le 14 juillet à Hanoi, avec son lot de festivités et d’agapes prévues en pareille circonstance. En pensant que nous allions honorer comme il se doit notre fête nationale, les espions n’avaient pas manqué de signaler la chose à leur hiérarchie ainsi piégée par notre subterfuge. Aussi quelle surprise désagréable pour la direction viet lorsque Bigeard et les gars de la coloniale attaquèrent la région rebelle en y faisant sauter des dépôts de muni­tions, un  millier de fusils et quelques camions Molotov ! De notre côté, nous devions gar­der un pont pour assurer la retraite de nos compagnons victorieux et maintenir l’ennemi à distance.

Les Viets, piqués au vif par cette intrusion inopinée, envoyèrent une division à nos trous­ses. Constitués d’un simple bataillon, nous assurions l’arrière-garde. Avec nos ânes et chevaux chargés de vivres et de muni­tions, nous avons ramassé au passage deux bérets rouges totalement épuisés. Les obus ennemis commencèrent à pleuvoir sur nous au moment où les péniches de débar­quement nous récupérèrent. Ouf ! il était moins une !

Continuellement, nous étions dehors pour déstabiliser l’organisation re­belle. Dans les villages, on avait très vite appris à se méfier des pièges ten­dus : trous dans les haies où traînait une ficelle actionnant une charge explosive, gre­nades planquées sautant à hauteur d’homme dès qu’on franchissait les portes, mines habilement enterrées dans les sentiers (antipersonnel, antichar).

Lors de nos opérations dans les hameaux désolés, il nous arrivait de dénicher des caches secrètes. Un de mes amis, Hans Figle, osa s’aventurer dans un de ces labyrin­thes souterrains toujours truffés de piè­ges.

Certaines bourgades étaient annoncées pacifiques, il nous était alors interdit de chaparder quoi que ce soit. Notre musette était cependant bourrée de volatiles en quittant l’endroit. Comment faire confiance à des autochtones vous jurant Vichnou, Confucius et tous les saints du Ciel d’être restés fidèles à Bao Daï et aux chefs blancs ?

Dès qu’on était accroché par des éléments revanchards dans une quelconque localité, on ne faisait pas dans la dentelle : on inves­tissait les lieux à la recherche de ces ennemis déterminés qui se vaporisaient littéralement dans les rizières. On les débusquait parfois lorsqu’on apercevait des bulles d’air crever la surface de l’eau : une grenade suffi­sait, on les pêchait ainsi. La vue de nos gars massacrés lors d’accrochages précédents (ou tués lors de l’engagement en cours) accentuait cette fureur aveugle de représailles.

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Nous emmenions avec nous des supplétifs indochinois très utiles pour flairer les mauvais coups au bon moment. Je n’ai jamais eu à me plaindre de leur manque de valeur, ils étaient courageux et ris­quaient gros s’ils étaient pris. J’avais sous mes ordres quatre aides : 1er,  2ème, 3ème chargeurs plus un porteur-auxiliaire.

Souvent pris entre deux feux, les villageois étaient bien malheureux. De jour, nous les rassurions de notre soutien indéfectible, et la nuit, c’est le Viêt-minh qui les traumatisait d’ardeur révolu­tionnaire. En octobre 1953, le lieutenant Bétry prit le commandement du CIPLE qui allait devenir la 8ème Compagnie du 2ème REP lors du saut sur Diên Biên Phu dans la nuit du 9 au 10 avril 1954.

Le Capitaine De Saint-Mars nous quitta à cette époque automnale pour rentrer en métro­pole. Ah ! Quel vaillant guerrier ! Même lorsque les tireurs viets le pre­naient pour cible, il avançait sans ciller. Et Dieu sait si une balle qui miaule près de vos oreilles vous incite à vous planquer ! Lui, avançait imperturbable. Je l’ai revu après le putsch d’Alger, à une émission de TV, l’air toujours aussi altier, ne regrettant rien de son geste de mutin.

En janvier 1954, mon unité a pris ses quar­tiers à Hanoi. La ville ne connaissait pas d’attentats, je coulais des jours paisibles. Il faut dire que les Tonkinois étaient des gens agréables à vivre au contact des Européens. Je leur faisais confiance en allant effectuer mes achats en ville ou en partant déguster les recettes culinaires de la région.

 Le 29 janvier, débutait la manoeuvre entre Pleiku et An Khe. Nous oeuvrions dans le centre Annam con­tre des bandes du Viêt-minh très actives mais qui se dérobaient constamment.

L’ennemi qui s’efforçait d’entretenir la guérilla afin de nous interdire le prélèvement de renforts à injecter sur Diên Biên Phu (DBP) s’évaporait constamment dans la nature complice ; sa connaissance des lieux et sa sou­plesse de mouvements constituaient pour nous d’insurmontables obstacles à la pacification entreprise.

Les accrochages étaient ponctuels ; on échangeait des tirs une heure durant, puis l’adversaire rompait l’étau. En investissant un jour un village, l’adjudant Klimowitsch sauta sur une mine. Les mines, mais surtout les grenades bondissantes demeuraient notre hantise : elles vous lacéraient impitoyablement les entrailles, la mort survenait rapi­dement suite aux hémorragies provo­quées. Comme chaque compagnie disposait d’un infirmier compétent pouvant dispenser les premiers soins, ce dernier lui porta rapide­ment secours. Resté conscient malgré la dou­leur atroce qui le tenaillait, le sous-officier nous réunit pour nous dire que c’était la fin. Il sentait monter en lui cette angoissante paralysie létale dans son corps, signe avant-coureur du trépas. Il serra fièrement le drapeau de la Compagnie. Nous le ramenâmes vers l’arrière sans espoir de vie sauve. Un matin, le sergent-chef Oesterle, vraie tête brûlée, m’emmena d’autorité, avec mon chargeur vietnamien, traverser un village. «Aïe, pensai-je, si nous tom­bons sur une résistance, ce sera fini pour nous ! » L’endroit heureuse­ment était désert.

Nous apprenions, au travers d’éditoriaux alarmistes ou de reportages censurés, repris par la presse indépendante, et par des indiscrétions du commandement, que l’adversaire ac­centuait sa pression sur DBP assiégé. Pourtant, en ce début d’année, chacun se voulait rassurant.

Ce camp retran­ché était super équipé avec ses chars d’accompagnement, son artille­rie, son terrain d’aviation avec ses avions protégés dans leurs alvéoles et ses hommes aguerris. La construction des ouvrages se flanquant mutuellement sur les nombreux pitons, de même que la pose de mines et d’un réseau inextricable de barbelés  qui en interdisaient l’appro­che, devaient rendre le bastion invulnérable et servir d’abcès fixateur aux armées de Giap. Tel était l’avis général au vu des grandioses moyens qui avaient été aéroportés dans ce stratagème.

Quelle cruelle sur­prise lorsque nous apprîmes que l’at­taque ennemie habilement soutenue par son artil­lerie avait sérieusement entamé et éprouvé tous les sommets de ces De­moiselles (Béatrice, Gabrielle, Eliane, Claudine...) ! Les emplacements de tir, ingénieusement camouflés dans des cavernes secrètement creusées à flanc du Mont-Chauve et du Mont-Fictif, s’avérèrent inexpugnables face aux sorties aériennes de notre chasse. Cet ouragan de feu provoqua un effet démoralisateur auprès des supplétifs du corps expéditionnaire.

Face au danger d’investissement mais surtout de submersion, nous voilà ramenés sur Hanoi et mis début avril en alerte aéroportée. L’extension ennemie s’amplifiait chaque jour. Nos pertes là-bas étaient lourdes et bientôt, nous le pressentions, on allait nous jeter dans ce chaudron brû­lant. Dans la nuit du 9 au 10 avril, nous fûmes largués sur la cuvette. Nous avions appris dans l’avion notre desti­nation précise. Le vol de 2 h 30 fut bien silencieux. Chacun d’entre nous sou­pesait ses chances de survie, se remé­morait sa jeunesse, pensait à sa fa­mille. Aucun chant ne monta de la carlingue, l’atmosphère était lugubre. Les blagues qui fusaient d’habitude restaient lettre morte. En ces moments solennels, chacun était absorbé dans ses pensées funestes, et comme immergé au cœur du drame qui allait se nouer. Nous portions la tenue camouflée ha­bituelle et nos casques (l’un métallique et lourd, l’autre, plus souple) semblaient une vaine protection. Je faisais partie de la 8ème Com­pagnie. En tant que mitrailleur, mes pensées m’amenaient vers la façon rapide de dégrafer mon F.M. (fusil-mitrailleur) lors du largage. Dans l’avion, j’avais la jambe raidie par les sangles de l’arme. Il fallait impérativement dégrafer cet engin sous peine d’être grièvement blessé dès l’atterrissage. J’étais obnubilé par la hantise de rater cette manœuvre, je la ressassais sans arrêt. Bientôt l’avion se présenta dans l’axe du terrain d’aviation. Quelques impacts de balles étoilèrent ça et là la tôle, tandis que les éclats et le grondement nous environnaient dans notre cercueil volant. La lumière verte clignota.

Nous jaillîmes du zinc. Question de vie ou de mort, le saut ne devait s’effectuer qu’à hauteur minimale, c’était un impératif pour activer la réception au sol et pour ne pas servir de cible aux snipers d’en face. Suspendus à nos corolles, nous voilà aveuglés par un feu d’artifice dégageant son magnésium luminescent du plus bel effet. Mais ce n’était pas un air de fête ! car les flashs des explosions et les traçantes mortelles qui zébraient sans arrêt le ciel nous suivaient comme leurs ombres. Quelques camarades s’empalèrent dans les barbelés héris­sant les champs de mines ; d’autres, touchés en plein vol, atterrirent morts, leur voile les enve­loppant déjà comme un linceul. Le vent nous dissémina aux alentours de Dominique 3. (I) paloit-7-pm

Impossible de guider de nuit mon parachute. J’avais heu­reusement, et comme à la parade, pu dé­bloquer la gaine du F.M. qui pendouilla bientôt cinq mètres plus bas. La ré­ception se déroula vaille que vaille. Dans le chaos, nous attendîmes le jour, somnolant et recroquevillés dans nos trous, avant d’être formés en sections. Quelle horreur le matin, lorsque la lumière éclaira le champ de bataille ! Des corps gisaient à proximité, mutilés par les tirs de mortiers et l’on retrouvait des lambeaux de chair étendus sur les barbelés. Des voix amies se firent entendre. Les assiégés nous reçu­rent comme des héros. «Venez ici ! » Notre venue leur causa une des dernières joies. Les co­pains nous guidaient vers des empla­cements plus sécurisants à travers les champs de mines ou par les fossés pour éviter les tirs en enfilade venus des pitons conquis. Arrivés dans leur zone, nous constatâmes qu’aucune place n’était vraiment disponible pour nous accueillir. Tous les abris étaient occupés. Plus d’une cagna dut être réaménagée avec les moyens du bord ! Chaque jour, je partais prêter main forte aux sections disséminées sur les collines. Le paysage était chaotique, labouré sans arrêt par des chapelets d’obus de mortier ou retourné par d’incessants tirs d’obus. Il n’y avait plus aucune végétation : tout était sabré menu. Sous un déluge de feu, nous continuions à tendre les bar­belés, à conforter par des rondins (si l’on en trouvait) nos abris éboulés, à remplir les sacs de sable devant les tranchées, en guise de pare-éclats.

J’ai vu circuler le Capitaine Bigeard dans sa jeep, il venait prendre des nouvelles ou donner des ordres. Sacré gus qui n’avait pas froid aux yeux !

Le 12 avril, dans une situation quasi désespérée nous avons lancé une contre-attaque sur les pentes d’Eliane 1. Le Capitaine Delafont y fut tué, le Lieutenant Lecour-Grandmaison le remplaça. Nous combattîmes avec fureur. Mon aide tonkinois Man se démenait comme un beau diable au milieu du tintamarre. « Chep ! Chep ! tire, tire, les voilà !» L’alimentation en cartouches de mon arme automati­que défilait à grande vitesse. En un rien de temps, les caisses se vidaient. Mes trois aides-chargeurs me pourvoyaient continuellement en munitions. La marée grouillante de soldats verts, coiffés du casque de latanier, avançait inexorable. Enfin, un mouvement de panique s’installa chez eux, ils reculaient, oui, ils reculaient. Le piton fut finalement pris. (II)

Pour ravitailler les sections éparses sur Huguette 6, nous étions aussi amenés à venir leur rendre visite la nuit car, en plein jour, nous devenions des cibles trop faciles pour leurs tireurs. Certai­ns boyaux n’étaient séparés que de dix à vingt mètres des tranchées ennemies. Des compatriotes est-allemands, communistes, nous in­citaient à déserter, à nous libérer de l’impérialisme. En effet, ces gars-là, déserteurs récents de la Légion, encadraient les bataillons viet et comprenaient nos ordres lancés à tue-tête dans le feu de l’action. «Des grenades !» hurlions-nous. «Bald kaputt !» enrageaient-ils. J’ai rapidement su m’adapter au ter­rain et apprécier les points d’explo­sion des différents obus en écoutant uniquement leurs sifflements. Le bruit caractéristique d’un départ de mortier me permettait de savoir où il allait s’écraser. En une fraction de seconde, il fallait anticiper, bondir et se protéger.

En face, dans les galeries ouvertes, de nom­breux Tchèques, Hongrois, Allemands de l’Est servaient dans l’élite des régiments ennemis N° 316, 308 et 312. Ils nous interpellaient gentiment : «Jeunesse hitlérienne, dé­sertez donc ! Venez nous rejoindre. C’est bientôt la fin.» En guise de réponse, quelques grenades bien ajustées interrom­paient leur monologue. Les tranchées stratégiques passaient trois fois par jour d’une main à l’autre, car à l’instar des chenilles processionnaires, les sapeurs viet creusaient, nullement découragés par nos contre-attaques. Leurs pionniers bourraient les fourneaux de charges d’explosifs qui faisaient s’envoler des lignes de crête en laissant d’énormes cratères comme signes de leur avancée inéluctable. Dès qu’une attaque se combinait, nous tirions comme des for­cenés sur ces masses vociférantes. Il faut avoir l’âme légionnaire bien accrochée pour résister au stress du combat. Paniquées, des sections entières de tirailleurs algériens quit­tèrent leurs postes et désertèrent en nous disant «cama­rade légionnaire, pas tirer ! camarade moi, me sauver !» Les Thaïs réussirent également à se défiler, à se fondre dans le paysage et à s’éclipser, nous laissant de plus en plus seuls. Nous, par contre, nous attaquions de bon matin ou lorsque les obus partis du Mont-Chauve faisaient long feu. Les derniers temps, dans un halo incertain dû aux fumi­gènes, nous combattions sans savoir où nous étions. L’artillerie ennemie touchait toujours un de nos points névralgiques dans la cuvette. Nos seuls abris restaient les casemates éventrées ou partiellement remblayées. Pas moyen pour nos avions de détruire cette sata­née emprise qui nous étranglait progressivement ! Vus du ciel, les emplacements ennemis noyés dans la brume tropicale échappaient à l’œil averti de nos courageux pilotes qui craignaient de lâcher leurs bombes sur les positions amies.


paloit-8-pm

Je perdis mon ami Hans Figle qui marcha sur une mine. Avec son pied pulvérisé, il prit rapidement conscience qu’il allait mourir, il le sut en se voyant vider de son sang. Je le devinai aussi à sa mine défaite, à son teint de plus en plus pâle. Je l’étreignis comme un frère. Nous ramenâmes sa dépouille sur un brancard. Qu’allait-il m’arriver ? Cette question, je me la posais tous les jours. Les rations étaient notre pitance habituelle, l’eau de la Nam Youn nous servait de boisson préalablement aseptisée par des ta­blettes.



Avec quelques pri­sonniers, nous devions ramener les blessés et récupérer le ravi­taillement largué la nuit avec la consi­gne du parfait silence lors de ces opérations. Un avion descendu par la DCA recéla une manne in­croyable de munitions et de vivres. Tout fut ventilé dans les sections. Chaque jour, les sapes ennemies s’allongeaient et l’on mesurait avec stupeur les pro­grès opiniâtres réalisés par ces taupes humaines. Ordre était alors d’aller les déloger et détruire leur abri : un obus de mortier bien placé faisait taire pour un temps les terrassiers.

Chaque jour, les sapes ennemies s’allongeaient et l’on mesurait avec stupeur les pro­grès opiniâtres réalisés par ces taupes humaines. Ordre était alors d’aller les déloger et détruire leur abri : un obus de mortier bien placé faisait taire pour un temps les terrassiers. Mais leur étranglement persévérant se précisait tous les jours davantage. Sous les coups meurtriers, notre Compa­gnie de 120 hommes se réduisait au fil des jours comme une peau de chagrin. Mais notre moral restait ferme. Les ordres arrivaient, nous les honorions, fidèles à notre engagement. Une déter­mination farouche nous animait. Mon aide-chargeur me préparait constam­ment du café bouilli dans la gamelle à partir d’un brasero bricolé, constitué par une boîte de conserves échancrée par des aérations. Quelques paillettes de poudre ou de l’essence -c’était bien mieux - assurait la chauffe du bouillon. Le sourire de Man ne le quittait pas, ce p’tit bonhomme serviable savait pourtant ce que le Viet allait lui réserver ! Je devins horriblement nerveux et grillai continuellement des cigaret­tes. Je m’assoupissais souvent 2 à 3 heures de fatigue extrême car notre implication continue se passait à veiller aux créneaux de tir, à sillonner les cratères à la recherche des blessés et à alimenter en caisses de ravitaillement les sections disséminées sur Huguette 6. (III)

Des années après, je sursautais encore la nuit en repassant ces scènes de désolation dans mon sub­conscient.

En apprenant le 23 avril la prise de Huguette 1 par l’ennemi, le P.C. jugea que l’abcès était grave et gênait l’ensemble du dispositif français. Ordre nous fut donné de reprendre la position, coûte que coûte ! L’attaque, fixée le jour même, fut bien mal réglée. En effet, comment rassembler le 2ème BEP disséminé sur dix positions en si peu de temps ? A 13h 50, les avions B 26 canardèrent les empla­cements de tir. Où était donc le régiment ? que faisait-il ? Par groupes éclatés, il avançait vers sa base d’attaque au milieu des tirs. A 14 heures, le pilonnage de l’artillerie fran­çaise éclata, mais la formation ne put être prête dans les temps. Qu’importe, advienne que pourra, ordre nous fut passé que l’on chargerait avec une partie de l’effectif, et cela, trente minutes après le marmitage. «Préparez-vous, on y va.» Et les compagnies non regroupées et disparates foncèrent. Le Viet qui avait certes été secoué par le double matraquage mais nullement terrassé, réagit. Empruntant le drain large de 2 à 3 mètres le long du terrain d’aviation, j’avançai, suivi de mon quatuor. La consigne précisait de courir sus à l’ennemi sans esprit de recul, de traverser la piste dans le sens de sa largeur, de dépasser la piste Pavie pour culbuter et limiter la présence ennemie. Mon cœur battait la chamade en galopant sur les plaques métalliques Sommerfeld posées sur le sol pour éviter l’embourbement des roues des aéronefs. La 5ème Compagnie qui évoluait à notre gauche fut rapidement stoppée. J’apprendrai au retour de captivité que le journal de marche de notre régiment mentionnait que la présence d’un nid de mi­trailleuses installé astucieusement dans une épave d’avion arrêta net notre élan. Et pour nous, cet obstacle infernal dont on ignorait, en ces moments de l’assaut, l’existence et que nous mettions, nous, sur le compte d’une résistance démentielle de nos adversaires, nous interdisait d’avancer vers l’objectif assigné car les tireurs solidement retranchés dans la carcasse balayaient notre axe de progression sur la piste. De plus, comme je le lirai, les positions adverses étaient truffées de soldats d’élite qui maniaient admirablement les mortiers. Et sous la mitraille ennemie, nous fonçâmes à découvert. Mais, face à un tel bouclier de feu, notre assaut mal coordonné resta stérile. Plus moyen d’avancer, je restai cloué au sol deux heures durant. Au moindre tir de mon fusil-mitrailleur, une giclée de balles m’entourait. Et lorsque retentit le signal du repli, j’aperçus au milieu des défla­grations la culbute du lieutenant Garin. Il venait d’être grièvement blessé par des éclats de mortier. Portant mon arme, je ne lui étais d’aucun secours au contraire des pourvoyeurs qui s’approchèrent de lui pour le hisser vers nos lignes. Les giclées de balles nous déquillaient comme des lapins. Il nous intima alors l’ordre formel de déguerpir et je l’ai vu se tirer une balle dans la tête pour éviter d’être une charge inutile pour ses hommes ! Quel fantastique héros !

Le Lieutenant de Biré (5èmede Biré) soudain s’affaissa et tomba, il venait lui aussi d’être touché aux jambes par une rafale. Son remplaçant qui devait prendre la relève s’affala dans la poussière. Alors notre de Biré blessé, se traînant sur son manche de pelle, reprit l’assaut. Mais comme les renforts ne suivaient pas, il regagna très éprouvé sa base de départ. C’était l’hécatombe. (IV)

Avec un dixième de fraction de seconde de retard, je me plaquai au sol en entendant l’obus fon­dre sur moi.

Je fus projeté par terre et je ressentis une drôle d’impression sur ma cuisse droite ainsi qu’une sensa­tion de brûlure dans le mollet. En appliquant ma main, je la retirai pleine de sang qui giclait comme un jet d’eau. Je pus encore me traîner jusqu’à l’infirmier qui attendait dans le fossé de drainage et qui m’appliqua des bandes de gaze pour arrêter l’hémorragie. Mon ami Klaus Rachner, chef de groupe, n’eut pas cette chance. L’obus du mortier ne l’avait pas raté, il gisait déchi­queté à trois mètres de moi, tête décapitée. Il me disait constamment : «Mon père qui était Colonel dans la Wehrmacht me re­commande, dans ses lettres, de filer en ligne directe vers l’abri et de ne pas faire de zigzags inutiles, qui allongent la course et of­frent plus de chance de se faire avoir, fais comme moi.» La guerre mo­derne avec ses mortiers performants ne pardonne pas.

J’arrivai à l’infirme­rie, un abri surréaliste qui sentait l’hor­reur. Les médecins débordés ampu­taient sans arrêt, vous soignaient avec leur blouse maculée de parfait charcutier sanguinaire. Les blessés attendaient leur tour, anxieux du diagnostic. J’appris qu’un éclat de mortier s’était logé dans ma cuisse et qu’il s’avérait impossible de l’inciser, priorité étant donné aux cas désespérés. (Il se promène toujours et m’occasionne quelques nuits blanches quand il se manifeste). Quant à mon mollet, il avait été percé par une balle. Un bandage fut la seule thérapie proposée. Ayant repris mes esprits, je constatai que c’était mon FM qui avait tout amorti et pris l’éclat principal. Affaibli par la perte de mon sang, je restai quatre jours à l’infirmerie aux odeurs pestilentielles où les chairs se putréfiaient rapidement. Braves médecins, sorciers de l’impossible dans leur enfer souterrain !

J’y ai mangé du riz cru durant mon séjour. Nous pou­vions difficilement le cuire au dehors, les vapeurs du bouillon avec le feu sous nos casques alertaient les tireurs de mortiers qui nous embêtaient alors drôlement. En revenant bien pâle et toujours blessé à mon poste de combat, j’appris la fusion du 1er et 2ème BEP (il y eut 74 tués le 23 avril). Nous faisions maintenant la bataille en commun dans la pluie et la boue, constamment mouillés et barbouillés de glaise liquide. Dans un décor lunaire, apparaissait l’insoutenable au milieu des barbelés retournés. Les coulées de boue charriaient des membres humains épars : là, un bras pointait d’un amas de palplanches pulvérisées, ici les restes pestilentiels d’un tronc humain à nouveau déterrés.

 Le 30 avril, nous fêtâmes tristement «Camerone» sur les Huguettes. Le 1er Mai les Viets attaquèrent Huguette 5 Ils reprirent possession de la colline. Mais le jour suivant à 6 heures du matin, nous attaquâmes dans la fu­mée âcre. Quel carnage chez les nôtres ! Des obus des mortiers lourds tom­baient de partout, mais nous tenions bon dans les tranchées inon­dées. (V)

Le 3 Mai, pas de découragement chez nous. Une parole circulait : «Un grou­pement va venir ! » Immense espoir. Même les blessés tiraient. Le lendemain, nous continuâmes à stopper l’élan ennemi devant Huguette 5.

La Légion était aux abois, mais elle résistait malgré les importantes forces de l’ennemi. Nous nous battions au coude à coude avec les bérets rouges. Déjà nos mu­nitions s’épuisaient. Alors il nous restait le poignard solidement serré dans la main tremblante ou la baïonnette fixée au bout du fusil MAS. Nous ne vou­lions pas que le drapeau blanc flottât sur les positions.

Le 6 mai, sous un déluge de feu, nous quittâmes les Huguette sous les volées des roquettes du type orgues-de-Stalibne. La fin, on la sentait proche. On s’installa sur la défensive. Au matin du 7 mai, les Viets phagocytèrent les Eliane. Bientôt, le dernier acte se joua. Je détraquai mon FM que je balançai dans un trou en y faisant exploser une grenade. (VI) «Camalades, la guêle est finie. Vive Ho Chi Minh le pacificateur ! »

Nous voilà emmenés vers l’inconnu, sans soldats d’escorte. L’ensemble de la garnison - c’est-à-dire tous les hommes encore vaillants (officiers, sous-of­ficiers,...) hormis les blessés graves, nous marchions vers les camps de prisonniers. On nous avait tout volé : surtout les mon­tres dont on aurait pu faire des bous­soles idéales. Aux officiers, on enleva chaussures et ceinture. Le troupeau disparate rencontrait çà et là une sentinelle. Les premiers soirs, aux heures de halte, j’allai quémander du tabac. L’officier Bonnel me fournit quelques cigarettes.

En cours de route, je croisai le valeureux Man, chargé comme un buffle. Aucune parole ne fut prononcée de peur de dévoiler ses précédentes relations. Ce patriote me fit un clin d’oeil complice en guise d’adieu. Je ne le revis plus. Le pauvre supplétif, transformé en coolie, transportait notre riz de misère durant ces corvées interminables, car notre sergent-chef avait décrété que comme prisonniers de guerre, nous n’avions pas à nous charger de ces fardeaux-là.

En route vers le camp 41, je m’éclipsai avec mon copain August Wolf et trois autres compères ; nous nous sauvâmes. Mais étant démunis de coupe-coupe et désorientés par l’épais et inextricable maquis, notre escapade tourna court. De plus, la population qu’on avait conditionnée dans cette contrée hostile participait aux recherches, l’ennemi aussi ! Repris par une patrouille, on nous entrava les poignets un jour durant.

Dans notre camp libre de toute clôture, nous surnagions comme des naufragés perdus dans l’hostile mer verte. C’est la jungle seule qui constituait la gardienne de luxe de notre prison à ciel ouvert !

Au camp 41, un commissaire politi­que de Dresde, un Allemand de l’Est, nous expliqua que la bonté de l’oncle Ho Chi Minh était infinie. Le Politruk s’exprimait en bon français.

« Les colonialistes et les capitalistes sont à l’origine de tous les maux de la société et de vos ennuis actuels…. » Assis par terre, les valets de l’impérialisme, écoutaient impassibles le discours lassant et répétitif, unique­ment préoccupés par les gargouillis rageurs de leur estomac. Notre seule pitance restait la boule de riz distribuée le matin et le soir. Tiques et sangsues s’attablèrent aussi ! On imagina faire du café avec du riz grillé dont je vous laisse deviner l’arôme atroce.

A tour de rôle, nous étions désignés pour partir au ravitaillement du riz et de la mélasse. Nous allions parfois rechercher des feuilles de ronces que nous faisions brunir sur des tôles avant de l’infuser dans de l’eau qu’il fallait impérativement bouillir. Et le fastidieux lavage de cerveau reprenait le lendemain, vantait la miséricorde du peuple vietnamien et nous forçait à l’autocritique. Un jour, en revenant du petit coin, je croisai l’officier Bonnel. De manière respectueuse, je me mis au garde-à-vous, attitude que me reprocha immédiatement mon instructeur communiste qui cherchait à éradiquer en chaque détenu tout réflexe bourgeois. L’officier me reforgea du courage en me disant que la France n’oubliait pas ses vaillants combattants.

Je perdis rapi­dement du poids, j’eus des accès de forte fièvre occasionnés par mes crises de paludisme.

Je fondais, mes pieds enflaient, ma vue se brouillait. Nous nous forgions du courage en fantasmant sur des repas mirifiques qui obnu­bilaient notre imaginaire d’affamé. Nous vivions alors transposés dans une autre sphère paradisiaque.

Et devant la ribambelle de menus les uns plus alléchants que les autres, où chacun évoquait sa recette favorite, je n’ai jamais mieux mangé qu’en cette période de jeûne imposé !  Mes cheveux partaient en touffes, j’avais du mal à me traîner vers les WC, une simple cahute de bambous adossée au ruisseau. Nous nous découragions, un prisonnier français moisissait là depuis quatre ans. Quelle loque ! On déplora deux morts. Leurs pauvres squelettes vivants, minés par la dysenterie, n’absorbaient plus rien, exprimaient leur dégoût à la vue de la poignée de riz, et avec leurs forces qui déclinaient de jour en jour, ils abandonnèrent leur combat pour la vie.

A Genève, la paix fut conclue. Dans nos cerveaux lavés, la nouvelle filtra bientôt : oui, le peuple vietnamien était non seulement pacifique, mais également indulgent, même envers ses momies captives au teint diaphane et au regard éteint qu’il fallait maintenant requinquer et remplumer pour aveugler l’opinion internationale.

Un mois avant ma libération, je recevais quotidiennement trois piqûres fortifiantes (aux deux bras et dans le dos), puis je fus gavé durant une quinzaine d’une brochette journalière de bananes bien farineuses. Quel régime !

On m’habilla dans un uniforme de l’armée démocratique. Il fallait donner un air présentable à nos silhouettes bien hâves. Lorsque je sautai du camion GMC qui me sortit du pétrin, j’eus toutes les peines du monde à retrouver mon équilibre avec les petites mouches dues à la sous-tension qui dansaient devant mes yeux. A Hanoï, un adjudant-chef, rond-de-cuir zélé qui gagna sans doute plus de médailles à l’arrière que moi au combat, nous fustigea en nous traitant de sal….  de Rouges acquis à la cause communiste. Quel paperassier mesquin !

J’arrivai le 1er Novembre 1954 à Alger, où je fus sujet à des crises de malaria. Déclaré inapte au vu de mon état, à servir dans les parachutistes légionnaires, je m’engageai dans l’infanterie du côté de Fez et de Meknès. La vie s’y déroula sans histoire et début octobre 1956, après 5 ans de bons et loyaux services, je raccrochai et me re­trouvai bientôt aux HBL (Houillères du Bassin de Lorraine).

Là aussi, on me demanda d’aller au charbon, mais ça c’est une autre histoire !

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L’armée populaire de libération à Djibouti : une évolution notable des stratégies chinoises

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[23 juin 2015] • François Danjou

 

12 ans après les États-Unis qui ont établi leur Commandement en Afrique et y ont déployé 4000 hommes, 5 ans après le Japon, la Chine envisage d’installer un point d’appui militaire à Obock exactement en face des GI’s et des militaires nippons.

Djibouti a le double avantage de bénéficier d’une stabilité politique unique dans une région bouleversée et d’être une position d’observation idéale et un éventuel point d’appui à proximité du détroit de Bab el-Mandeb, porte d’entrée du canal de Suez, l’une des routes maritimes les plus fréquentées de la planète. Également débouché naturel de l’Éthiopie et de la voie ferrée venant d’Addis-Abeba, cette position stratégique, ancienne colonie française, autrefois occupée par 2 unités de l’armée de terre dont l’une a été transférée vers les Émirats Arabes Unis en 2011, est aujourd’hui investie par les États-Unis, le Japon et bientôt la Chine.

Si la présence militaire américaine dans la région qui remonte à 2001 n’est pas une surprise, celle du Japon jusque là peu enclin à se projeter militairement à l’extérieur et celle de la Chine qui a toujours nié vouloir mettre en œuvre une stratégie de bases militaires prépositionnées à l’étranger, méritent attention.

Pékin après Washington Tokyo dans le chaudron de l’Est africain.

L’intérêt de ces grands rivaux stratégiques du XXIe siècle pour l’ancienne colonie française est accru par l’insécurité récurrente dans toute la corne de l’Afrique.

D’abord au Yemen, aux prises avec l’insurrection chiite des Houthis contre les clans de l’ancien président Ali Abdullah Saleh et la réaction des tribus sunnites rivales qui fut le terreau du terrorisme lié à Al Qaida ; ensuite, en Somalie où, depuis 2006, le groupe salafiste Al-Shebab (5000 Djihadistes divisés en plusieurs factions rivales mais toutes unies contre le président somalien Sharif Ahmed) fomentent des troubles révolutionnaires qui se nourrissent d’une économie en déshérence et de l’explosion du chômage, générant spontanément la profusion des pirates en mer d’Arabie.

A ces déstabilisations durables d’une région stratégique où se croisent les intérêts énergétiques planétaires, s’ajoute pour la Chine les effervescences du sud Soudan (700 km de frontière commune avec l’Éthiopie) où sont investis les groupes pétroliers chinois et où, en décembre dernier, l’APL a décidé de tripler le nombre de militaires engagés au sein de la mission des Nations Unies, dépêchant pour la première fois de son histoire une unité combattante de 700 hommes dans une zone de conflit, dont le déploiement s’est achevé début avril.

Non loin des 4000 « Gis » américains stationnés au Camp Lemonnier, l’ancienne base de l’unité de Légion Étrangère basculée vers les Émirats en 2011, la présence militaire japonaise, tout en restant modeste, n’en signale pas moins l’évolution des ambitions stratégiques de Shinzo Abe décidé à augmenter le rôle international des Forces d’auto-défense aux côtés des États-Unis.

Montés en puissance depuis mars 2009, les militaires japonais que l’ironie de l’histoire a installés non loin du camp Lemonnier du nom du général français assassiné à Lang Son au Vietnam par les troupes nippones en 1945, articulent essentiellement leur engagement autour de la lutte contre la piraterie et de la protection des ressortissants japonais. En même temps, les travaux de planification par l’état-major japonais du point d’appui mettent en mesure les forces d’auto-défense stationnées sur place d’accueillir des renforts venant du japon en cas d’aggravation de la situation.

Fort de 200 hommes, le détachement japonais met en œuvre 2 appareils de surveillance maritime P-3C 2 destroyers de la marine et 2 sections d’infanterie équipées de blindés légers destinés à la protection du site et à l’éventuelle extraction de citoyens japonais. La première base militaire japonaise à l’étranger depuis 1945 dont le loyer annuel coûte 40 millions de dollars au budget du pays, fut formellement établie en 2010.

Notes :

[1Interrogée sur l’installation d’une base militaire chinoise à Djibouti lors d’une conférence régulière du Waijiaobu, le 11 mai 2015, Hua Chunying la porte parole a répondu que la Chine était à la fois « prête et obligée » de contribuer à la stabilité et à la paix de région.

 

Les intérêts internationaux de la Chine explosent.

 

A la fin mars, plusieurs bâtiments de la marine chinoise firent escale à Djibouti pour évacuer du Yemen plus de 500 ressortissants chinois et sri-lankais.

Face au déploiement de ses deux plus grands rivaux stratégiques dans une zone où ses intérêts sont au moins aussi importants que ceux de Washington, Pékin ne pouvait pas rester indifférent. Même si le Bureau Politique communique peu sur le sujet, l’évolution stratégique chinoise est à l’œuvre. L’entorse aux principes de non ingérence énoncés par Zhou Enlai à la conférence de Bandung il y a exactement un demi siècle, n’est cependant que théorique. Rappelons en effet que Mao les avaient constamment violés en apportant une aide systématique aux mouvements révolutionnaires dans le tiers-monde.

Aujourd’hui, le prosélytisme idéologique maoïste a disparu. Mais la motivation globale est toujours là et se renforce. Elle est attisée par la rivalité stratégique avec Tokyo et Washington à quoi s’ajoute l’explosion planétaire des intérêts chinois soulignés par la présence partout dans le monde de 5 millions d’expatriés et par l’augmentation des stocks d’investissements dont le volume a bondi de 3 Mds de $ au début du siècle à plus de 100 Mds aujourd’hui. Presque mécaniquement, la Chine est poussée à l’intervention pour protéger ses intérêts et ses ressortissants.

Alors que durant les 36 dernières années elle a soigneusement évité de se laisser entraîner dans un conflit armé, là voilà aujourd’hui engagée dans un affichage militaire outre-mer qu’elle a toujours affirmé vouloir éviter. Dans le même temps, l’image internationale de la Chine se modifie par l’attente qu’elle suscite chez nombre de rivaux de Washington qui la voient comme le principal pôle alternatif à la puissance sans partage des États-unis. Sans compter que la diplomatie américaine elle-même exhorte régulièrement Pékin à assumer ses responsabilités dans la conduite des affaires du monde.

Tel est le fond de tableau de la récente initiative chinoise pour installer une base militaire à Djibouti. Confirmée de manière sibylline par le porte parole du Waijiaobu, le 25 mai dernier [1], la décision de Pékin constitue le signal d’un changement stratégique dont il est impossible de minimiser la portée.

Pour autant, depuis le début des années 2000 Pékin avance en Afrique à sa manière qui n’est pas que militaire. Les stratégies de la Chine sont en effet articulées autour de coopérations d’infrastructures dont le but essentiel est d’augmenter son influence auprès du plus grand nombre possible de dirigeants africains. En même temps, miroitent les grands projets de voies ferrées trans-africaines capables de désenclaver des régions entières du Continent.

Entorse à la non ingérence militaire : Obock après le Sud-soudan.

L’APL s’installera à l’écart des Japonais, Américains et Français, à Obock sur la rive nord du golfe de Tadjourah, à 42 km à vol d’oiseau au nord de Djibouti avec qui la France a toujours un accord de défense révisé en 2011 qui stipule que l’armée française assure la surveillance de l’espace aérien djiboutien et la défense de son territoire en cas d’agression extérieure.

Obock fut la première possession française de la région et la première capitale du territoire. On peut encore y visiter les maisons d’Arthur Rimbaud et d’Henri de Monfreid. Achetée en 1862 par Napoléon III au sultan de Tadjourah pour 10 000 Thalers autrichiens (soit environ 80 000 € actuels), devenue indépendante en 1977, elle est une position stratégique convoitée dont l’importance augmente en même temps que se dégrade la situation de sécurité aux portes des gisements d’hydrocarbures du Golfe.

La stratégie du rail. Recherche d’influence par les infrastructures.

 

Essai des voitures du chemin de fer Djibouti – Addis Abeba construit par la Chine. la ligne devrait être mise en service en octobre.

L’installation des militaires chinois à Obock que Pékin louera 100 millions de $ par an contre 63 millions payés par les Américains pour le Camp Lemonnier, fera suite à un accord stratégique signé avec Pékin dont une des clauses autorisait la marine chinoise à utiliser le port de Djibouti. En échange, l’APL a promis de participer à la formation de l’armée djiboutienne.

Mais l’initiative chinoise s’inscrit dans une coopération plus large commencée en 1979 au cours de laquelle Pékin a financé un stade de sports, le ministère des Affaires étrangères, le centre de conférences international du « Palais du Peuple » et un hôpital à Arta dans l’arrière pays à 80 km à l’ouest de Djibouti. Surtout, le 12 juin, le président djiboutien Ismail Omar Guelleh et le premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn ont inauguré la dernière portion de la voie ferrée de 750 km reliant Djibouti à Addis-Abeba construite et financée par la Chine.

Alors que les essais ont commencé, le premier convoi reliant les deux capitales est planifié pour octobre. Capable de transporter 3500 tonnes de fret (soit 3 fois la charge de la vieille ligne construite par la France en 1917), le nouveau train électrifié accomplira le trajet en moins de 10 heures au lieu des deux jours par la route. Il sera le cordon ombilical du commerce éthiopien et la principale voie d’exportation des produits de Djibouti vers le marché éthiopien, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique (95 millions). Deux autres tronçons sont prévus, l’un vers Mekele, 500 km à l’ouest, sur la route du nord-Soudan, l’autre vers le sud Soudan.

Profitant de l’élan des autorités djiboutiennes qui veulent faire du territoire le principal nœud logistique de l’Est africain, - envisageant de construire 6 nouveaux ports et 2 aéroports - les spécialistes des constructions d’infrastructures du Groupe chinois de génie civil (中国土木工程集团) sont à leur affaire.

Déjà surgissent, en phase avec les grands projets chinois d’infrastructure, que Pékin développe ou envisage en Asie centrale et en Asie du Sud-est, des projets transafricains qui, selon Abubaker Hadi, Directeur du port de Djibouti pourraient voir le jour en moins de 10 ans.

Quoiqu’il en soit, en prenant pied sur cette partie stratégique de l’Afrique, la Chine ajoute un nouveau maillon à la chaîne de ses bases logistiques le long de ses lignes de communication vers le golfe. En même temps, elle se donne les moyens de participer à la lutte contre la piraterie, tout en marquant au plus près les Japonais et les Américains, développant par la même occasion, son emprise économique et son influence dans la zone.

En complément :
- La huitième perle
- Chine – Afrique, une autre vision
- Li Keqiang en Afrique. L’heure des bilans


Compte rendu d’audition du général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées

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Commission de la défense nationale et des forces armées

Jeudi 21 mai 2015

Séance de 15 heures 30

Compte rendu n° 62

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

La séance est ouverte à quinze heures trente.

Mme la présidente Patricia Adam. Au nom de la commission, je remercie le général de Villiers qui, pour nous rejoindre, a dû écourter une réunion, à Bruxelles, avec ses homologues de l’Union européenne et de l’OTAN.

Le projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 suscite de nombreuses questions et nous avons déjà procédé à deux auditions sur le sujet : celle, ce matin, de M. Bodin, secrétaire général pour l’administration, qui nous a apporté des éléments de réponses sur le montage financier ; celle aussi, hier après-midi, du ministre de la Défense.

Général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées. Je vous remercie, en premier lieu, de me donner une nouvelle fois l’occasion de m’exprimer devant vous. C’est toujours un plaisir de sentir l’intérêt que porte votre commission à nos préoccupations de défense – je le dis sincèrement. Je vous remercie pour cette relation de confiance entre vous, parlementaires, et nous militaires. C’est un signe fort du lien entre la Nation et son armée.

Si l’actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) était prévue, c’est bien la dégradation du contexte sécuritaire national et international qui l’a accélérée et qui a conduit le Président de la République, lors du conseil de défense du 29 avril dernier, à décider de maintenir déployés, dans la durée, 7 000 soldats dans le cadre de l’opération Sentinelle, de réviser la cible des déflations, d’augmenter le budget de la défense et d’abandonner l’incertitude des recettes exceptionnelles au profit de ressources budgétaires.

Ces décisions, en matière budgétaire et d’effectifs, sont celles que je souhaitais, en accord total avec le ministre de la Défense et les chefs d’état-major d’armées. Si nous avons été entendus, c’est aussi grâce aux soutiens apportés par les parlementaires et singulièrement par les membres de votre commission.

Mme la présidente Patricia Adam. Les membres de la commission des Finances aussi.

Général Pierre de Villiers. Certes, votre commission n’a pas l’exclusivité de ce soutien, mais vous avez largement votre part et, avec votre appui, le redressement de l’effort de défense permet de maintenir une cohérence entre les moyens qui nous sont donnés et les missions qui nous sont confiées. Vous trouvez là l’idée maîtresse de l’argumentation que j’ai faite valoir auprès du Président de la République.

Dans le cadre de la LPM, nous avions défini un modèle complet d’armée, certes taillé au plus juste – je vous l’ai dit déjà plusieurs fois –, mais cohérent et adaptable. C’est grâce à ces qualités que nous avons pu, jusqu’à présent, remplir les missions qui nous ont été confiées. C’est grâce à ces qualités que nous pouvons maintenant l’actualiser à l’aune d’un nouveau contexte. Nous nous livrons à un exercice de densification d’un modèle toujours pertinent et que nous voulons plus robuste, c’est-à-dire à la fois adapté à un contexte sécuritaire qui s’est durci et prenant en compte les missions nouvelles que nos armées doivent désormais assumer.

Pour remplir les missions qui me sont confiées, l’augmentation du budget de la défense est plus qu’un besoin, c’est une nécessité. Je ne mésestime pas l’effort que cela représente pour la Nation dans le contexte économique actuel, mais ce n’est pas une faveur faite aux armées, c’est la preuve que notre pays, dans un monde de plus en plus imprévisible et menaçant, veut demeurer maître de son destin. C’est l’honneur de la France de prendre cette décision courageuse.

Renforcer le budget de la défense est nécessaire : sans les ajustements proposés par le projet de loi d’actualisation de la LPM, nous ne serions bientôt plus en mesure d’assurer correctement la totalité de nos missions ni de conserver notre modèle d’armée, notamment pour la période 2016-2019. Pour vous le démontrer, j’articulerai mon discours en trois parties : je reviendrai, dans un premier temps, sur les facteurs qui mettent sous tension nos armées et justifient l’actualisation de la LPM, puis sur la réponse qu’apporte précisément le projet de loi, enfin sur trois points d’attention.

L’actualisation de la LPM était prévue pour 2015 – de même qu’une autre aura lieu en 2017. Trois éléments la justifient : la protection du territoire national, les opérations extérieures et le soutien aux exportations.

J’évoquerai d’abord les missions des armées qui concourent directement à la protection du territoire national. Au-delà, bien sûr, de la dissuasion nucléaire, que je n’évoquerai pas ici et qui n’est pas concernée par l’actualisation, ces missions comprennent la protection des approches maritimes et aériennes de notre territoire – à laquelle concourent quotidiennement plusieurs milliers de marins et d’aviateurs – ainsi que l’engagement de nos soldats sur le sol national pour protéger la population.

Sur le territoire national, jusqu’à 10 000 hommes ont été déployés en quelques jours, en janvier dernier, après les attentats parisiens. Ce déploiement sans précédent s’inscrit désormais dans la durée avec l’opération Sentinelle. L’emploi de ce volume de troupes déséquilibre actuellement les armées, et singulièrement l’armée de terre : la préparation opérationnelle a été réduite, des engagements internationaux ont été annulés, des relèves modifiées ; en outre, des soldats ont eu leurs permissions diminuées, voire supprimées, certains entamant en ce moment leur troisième rotation, ce qui correspond parfois à douze semaines d’engagement – sur seize – depuis la mi-janvier. C’est considérable. Qui assumerait cette charge sans faire valoir ses droits individuels ? Nos militaires, ces jeunes Français que vous croisez dans Paris et dans vos circonscriptions, le font sans se plaindre. C’est mon devoir de vous le dire : ils méritent la reconnaissance de la Nation, ils méritent en tout cas les moyens de leurs missions – c’est un minimum. Les armées n’ont pas de syndicat ; leur seul syndicat, c’est la voix de leurs chefs et donc, en l’occurrence, aujourd’hui, devant vous : la mienne.

Soyons clairs : cet engagement n’est pas tenable sans effectifs supplémentaires. Le volume de forces engagées sur le territoire national s’ajoute en effet à celui en opérations extérieures, dans le cadre des missions permanentes, aux forces de présence et de souveraineté. Au total, à l’heure où je vous parle, environ 37 000 soldats sont déployés dans ces missions et dans la durée – je prends ici en compte, bien sûr, les missions de protection. On ne peut pas aller au-delà sous prétexte que les militaires ne se plaignent pas.

Sur l’emploi des armées sur le territoire national en protection de la population, la réflexion doit être poursuivie : quel cadre, quelles missions, quelle coopération avec les forces de sécurité intérieure, quels équipements ? Un rapport sur le sujet, sous l’autorité du Premier ministre, a été commandé par le Président de la République. Il permettra, je l’espère, de mieux définir l’emploi des forces déployées à l’intérieur de nos frontières.

Deuxième justification de l’actualisation de la LPM : les opérations extérieures. Plus de 8 000 hommes et femmes de nos armées sont actuellement déployés en opérations extérieures. Ils remportent d’indéniables succès opérationnels. L’actualité la plus récente nous le montre encore avec le bilan de l’opération qui, au nord du Mali, a conduit, lundi matin, sous mon commandement, à mettre hors de combat le principal chef opérationnel touareg d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Abdelkrim le Touareg, ainsi que l’adjoint d’Iyad Ag Ghali chargé de la police religieuse et des éliminations ciblées d’opposants, Ibrahim Ag Inawalen. C’est un exemple emblématique, car la disparition de ces deux terroristes porte un coup sévère à nos adversaires. C’est aussi un exemple qui montre la qualité de notre renseignement militaire, de nos capacités de planification, de nos capacités d’action. Il montre la qualité de la boucle – vertueuse : renseignement, suivi de la cible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et neutralisation au bon moment, au bon endroit, avec les bons modes d’action et les bons moyens.

Au-delà du volume de troupes, la pression opérationnelle exercée par les OPEX sur les armées est accentuée par deux facteurs principaux.

Le premier facteur concerne les élongations. Les opérations se déroulent sur des zones aux dimensions très importantes qui mettent sous tension nos moyens de transport aéroterrestres avec une surconsommation de leur potentiel. La zone d’opération au Sahel, on ne le dit pas assez, représente à elle seule près de huit fois la superficie de la France, ce qui implique des temps de vol importants pour que nos avions et nos hélicoptères arrivent sur leurs objectifs, et nécessite deux fois plus de moyens de communication qu’un autre théâtre. Autre illustration de ces élongations : l’évacuation de nos ressortissants par la marine, le mois dernier au Yémen, s’est déroulée à 5 000 kilomètres de nos frontières.

Le deuxième facteur est la dureté des théâtres et des opérations. Les conditions d’engagement sont extrêmes pour le personnel comme pour les équipements. Au nord du Mali, du fait de la chaleur – quelque 45 degrés –, chaque homme consomme chaque jour plus de douze litres d’eau. Le caractère abrasif des sables du Sahel et du Levant, de la rocaille des massifs du nord du Mali et de la latérite centrafricaine, conjugué aux vents violents, à la chaleur et aux amplitudes de température de ces théâtres, provoquent également une usure accélérée de nos matériels. Pour les vecteurs aériens, notamment les hélicoptères, ces conditions extrêmes provoquent une dégradation majeure des ensembles mécaniques. En outre, quelque 20 % des matériels terrestres de retour de l’opération Barkhane sont irrécupérables.

Sans moyens financiers supplémentaires pour régénérer ces matériels, et compte tenu de leur âge, le maintien du niveau d’engagement actuel se traduirait à court terme par une diminution rapide de plusieurs parcs, dont ceux des avions de transport tactique et de patrouille maritime, des hélicoptères de manœuvre et des véhicules blindés. Sans moyens financiers supplémentaires pour l’entretien des matériels, nous mettons en danger notre personnel.

Il faut avoir à l’esprit l’état réel de nos équipements : lors de mon déplacement à Tessalit, il y a une quinzaine de jours, j’ai embarqué dans un véhicule de l’avant blindé (VAB) livré en… 1983. Si nous ne réagissons pas, notre efficacité et notre capacité à durer seraient rapidement compromises. Nos amis britanniques ont connu ce phénomène de retour d’Irak et, plus récemment, d’Afghanistan. Pour éviter ce risque, des mesures urgentes s’imposent et avec d’autant plus de force que le contexte sécuritaire international se dégrade aussi bien sur le flanc est que sur le flanc sud de l’Europe.

En effet, aujourd’hui, ce sont Daech et le terrorisme islamiste radical qui continuent à se déployer en s’appuyant sur une propagande mondiale puissante ; ce sont environ 1 600 Français partis combattre à l’étranger et dont le retour, réel ou potentiel, accentue la menace à l’intérieur même de nos frontières ; c’est AQMI et les groupes armés terroristes de la bande sahélo-saharienne (BSS), qui se jouent de la porosité des frontières pour se camoufler, puis agir – mais nous venons de leur faire mal ; c’est Boko Haram, qui déstabilise la région du lac Tchad et terrorise la population ; c’est le risque de connexion entre les groupes armés terroristes des différents théâtres : AQMI au Sahel, Daech et Jabhat Al-Nosra au Levant, Boko Haram au Nigeria, sans parler des Shebabs de Somalie ; c’est la crise ukrainienne, qui fait peser le risque du retour de la guerre en Europe : l’évolution de la situation y reste mouvante et incertaine ; c’est la misère, qui pousse des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants à prendre tous les risques pour rejoindre l’Europe.

Ne nous payons pas de mots : la guerre, l’affrontement sont de retour de façon durable, avec une multiplication de crises de plus en plus violentes qui nous menacent très directement.

Le troisième et dernier élément qui justifie l’actualisation de la LPM touche aux exportations. C’était un point d’attention de la LPM et, nous pouvons l’affirmer, c’est un pari réussi. Je fais référence aux ventes de Rafale à l’Égypte, au Qatar, probablement à l’Inde, mais aussi d’une frégate à l’Égypte et de différents matériels au Liban. L’augmentation des exportations d’armements est significative. Nous pouvons collectivement en être fiers : c’est le fruit d’années d’efforts et ce sont autant de succès pour « l’équipe France » qui consolident l’équilibre et la soutenabilité de la LPM, tout en renforçant notre plateforme industrielle de défense.

Les armées ont pris leur part dans ces réussites avec, en amont, la participation aux travaux de conception et de définition du besoin, puis la crédibilité opérationnelle apportée aux équipements sur les théâtres d’opérations. Les armées contribuent également, par la qualité des relations internationales militaires qu’elles entretiennent de par le monde, à faciliter les négociations. Les armées participent également à l’accompagnement de ces marchés. Nous devons prendre en compte cette mission nouvelle, qui comprend notamment la formation des équipages, des pilotes et des maintenanciers.

L’impact sur l’équipement de nos forces doit également être considéré. Je prendrai deux exemples concrets. Le prélèvement d’une frégate multi-missions (FREMM) pour l’export impose de prolonger trois frégates anciennes pendant un an chacune. Cela représente une charge de 212 équivalents temps plein (ETP) pour la période 2016-2019, effectifs auxquels s’ajoutent trente-cinq marins affectés au soutien à l’export. De la même manière, l’exportation de Rafale impose, entre autres, un surcroît d’activités et donc la nécessaire prolongation d’un parc de six Mirage 2000C pendant quatre ans. Vous le voyez, ces contrats d’exportation ont, pour les armées, un effet sur les effectifs, le fonctionnement et la formation ; ils ont donc un coût financier. L’actualisation de la LPM doit intégrer ces paramètres.

Aussi, pour résumer cette première partie, je retiens, sur la base d’une LPM sans marges : un engagement massif sur le territoire national, lequel remet en cause le format cible de nos armées ; des opérations extérieures qui usent les matériels ; enfin des exportations qui impliquent de nouvelles charges pour nos armées. L’actualisation de la LPM doit donc répondre à ces problématiques ; c’est l’objet de ma deuxième partie.

La réponse apportée par le projet de loi est à la fois capacitaire et organisationnelle : elle n’est possible qu’avec des ressources budgétaires adaptées.

Elle est d’abord capacitaire et se décline en trois domaines principaux : les effectifs, les équipements et le maintien en condition opérationnelle du matériel.

La mise en œuvre du contrat protection a montré la nécessité de pouvoir disposer d’effectifs militaires en nombre suffisant. Vous le savez, le Président de la République a décidé de réduire de 18 750 postes la déflation des effectifs du ministère d’ici à 2019. Je rappelle qu’il ne s’agit pas d’une augmentation des effectifs, mais bien d’une moindre baisse ; nous aurons en 2019 moins de militaires professionnels qu’en 1996 avant la professionnalisation. Ce n’est donc pas une inversion, mais une moindre déflation. Elle marque cependant une réelle inflexion de tendance et une mise en cohérence entre le constat sécuritaire et les conclusions qu’il faut en tirer, entre les missions et les moyens.

Cette décision desserre l’étau des effectifs et nous permettra une remontée en puissance rapide de la force opérationnelle terrestre de 66 000 à 77 000 soldats, afin de conserver la capacité à maintenir dans la durée les 7 000 hommes que j’ai évoqués, impliqués dans l’opération Sentinelle. Elle donne en outre la capacité permanente d’aller, si besoin et sur court préavis, jusqu’à déployer 10 000 soldats pour quatre semaines. À travers la force opérationnelle terrestre, qui est aussi le réservoir pour les OPEX, c’est donc bien aux unités de combat que va la priorité en effectifs. Pour la première fois depuis cinquante ans, on va recréer des compagnies de combat dans les régiments.

Cette dynamique bénéficie également à l’ensemble des armées. Environ 1 000 postes seront consacrés au domaine du renseignement et de la cyberdéfense. L’actualisation de ces besoins est incontournable. Traquer des terroristes et anticiper au plus tôt leurs attaques, se protéger contre les attaques cyber de Daech, telle celle qui a ciblé TV5 Monde au mois d’avril, retrouver la trace d’un otage, comme ce ressortissant néerlandais au milieu du désert malien – toutes ces actions nécessitent des moyens matériels perfectionnés et des ressources humaines de grande qualité.

Une dernière part des effectifs préservés permettra aux armées, directions et services, de répondre aux besoins nouveaux liés principalement au soutien des exportations et au renforcement de la protection des sites militaires, mais également de limiter les risques dans la conduite de leurs plans de transformation, en évitant un « bourrage » par des effectifs non identifiés dans les déflations.

La moindre déflation d’effectifs a un coût en matière de masse salariale, de formation, de vie quotidienne – je pense en particulier à l’infrastructure –, d’équipement et d’entraînement de ces militaires. Ce coût doit aussi prendre en compte la rénovation de notre système de réserve qui devient indispensable pour aider à répondre aux nouveaux défis. Les réserves font partie intégrante de notre modèle d’armée professionnelle. Je suis pour ma part persuadé que leur développement pourrait contribuer davantage encore à la cohésion nationale. Elles doivent participer, plus et mieux, à de nouvelles missions comme, en particulier, la protection du territoire. Il faut une réserve plus jeune, plus réactive, et plus attractive. Cette actualisation va dans la bonne direction, là aussi, sur ce plan.

Effort sur les effectifs, développement de la réserve, effets induits par le soutien à l’exportation nécessitent au total un financement de 2,8 milliards d’euros pour la période 2016-2019.

En ce qui concerne les équipements et le maintien en condition du matériel, si le cap d’un modèle complet d’armée pour 2020 reste inchangé, nous avons dû, là encore, nous adapter au nouveau contexte en portant notre effort sur la modernisation de nos capacités de renseignement et cyber, sur les frappes dans la profondeur, sur la mobilité et sur la protection des forces. C’est surtout le bon moment pour intégrer les enseignements de nos engagements des trois dernières années au Sahel, au Levant, en République centrafricaine et ailleurs.

Nous devons veiller à quatre aptitudes principales – ce ne sont pas les équipements qui dictent les choix, mais les aptitudes dont doit disposer le chef militaire sur le terrain. Des mesures capacitaires prévues par le projet de loi viennent les appuyer pour un montant total de 2 milliards d’euros : 1,5 milliard d’euros pour les équipements et 500 millions d’euros pour l’entretien programmé des matériels.

La première aptitude consiste à garder l’initiative. Dans la bande sahélo-saharienne, nos opérations aéroterrestres nécessitent de disposer d’une grande réactivité pour conserver l’initiative. Nos actions combinent hélicoptères de transport de troupes et hélicoptères d’attaque. Le potentiel de nos parcs est actuellement insuffisant pour tenir le rythme des opérations. Pour y remédier, l’acquisition d’hélicoptères est primordiale. Le projet de loi prévoit d’anticiper l’acquisition de six NH90 et de valider la tranche conditionnelle de sept Tigre supplémentaires. Maîtriser le processus de ciblage, s’assurer de la précision des tirs et maîtriser les effets collatéraux, sont aussi des savoir-faire qui font la différence sur le terrain. C’est l’objectif de l’acquisition de pods de désignation laser de nouvelle génération pour nos avions de chasse. De la même façon, l’achat de matériels, comme celui de jumelles de vision nocturne complémentaires, permettra à nos forces spéciales de conserver leur avantage technologique au combat. Il s’agit ensuite – c’est la deuxième aptitude – d’accroître la mobilité de nos forces. Du fait de la dispersion des théâtres et de leur étendue, face à un ennemi fugace, nous devons renforcer nos capacités de mobilité stratégique et opérative. Elles sont, vous le savez, particulièrement sous tension. Le besoin sur les théâtres en transport tactique et en ravitaillement en vol est supérieur de 50 % à ce que prévoient les contrats opérationnels du Livre blanc. Nos avions de transport tactiques sont vieillissants et d’un fonctionnement très coûteux. L’urgence de la situation ne permet pas d’attendre plus longtemps la montée en capacité tactique des A400M. Par ailleurs, le vieillissement de la flotte de ravitailleurs fait peser un risque sur l’action aérienne. Il est donc de première importance d’acquérir quatre avions de transport tactiques Cl30 et d’avancer la livraison des trois derniers MRTT.

Troisième aptitude, il convient d’optimiser l’endurance et la disponibilité de nos matériels. Pour cela, nous devons consolider le soutien logistique avec un effort nécessaire pour l’entretien du matériel – que nous appelons « entretien programmé du matériel » –, indispensable à la régénération des équipements les plus sollicités. Le projet de loi prévoit d’affecter 500 millions d’euros, pour la période 2016-2019, à la régénération des matériels fortement sollicités en opérations. C’est un minimum, car, actuellement, nous consommons plus vite que nous ne sommes capables de régénérer. C’est pourquoi cette somme est vitale pour le maintien des capacités opérationnelles de nos armées.

La quatrième et dernière aptitude revient à anticiper nos engagements grâce à nos capacités de renseignement, de surveillance et de maîtrise des espaces matériels et immatériels. La nécessaire anticipation stratégique et tactique passe notamment par l’observation spatiale avec l’acquisition, en coopération avec l’Allemagne, d’un troisième satellite pour le programme de la composante spatiale optique (CSO). Elle passe également par des capacités d’écoutes tactiques. Ces capacités amélioreront la surveillance des vastes zones d’opérations et l’appui direct des forces au contact, ainsi que les actions de ciblage.

Au-delà de ces aptitudes essentielles, nous devons aussi répondre à l’urgence de ruptures de capacités réelles ou potentielles. Nous le faisons avec des mesures de cohérence opérationnelle qu’il ne nous est plus possible de reporter, comme l’achat de lots OPEX pour les Rafale, la régénération des véhicules blindés légers, l’acquisition d’un quatrième bâtiment de soutien et d’assistance hauturier et d’un bâtiment multi-missions supplémentaire. La mobilité, l’initiative, l’endurance et l’anticipation : toutes ces aptitudes ne valent que si elles sont mises en œuvre par des hommes et des femmes compétents au sein d’une organisation performante. Cela m’amène à aborder, après ce premier volet capacitaire de la réponse, le volet organisationnel, sous-tendu par la transformation des armées, directions et services, qui continue et représente elle aussi un enjeu de cohérence, une exigence de réussite et un gage d’avenir pour notre outil de défense.

Les objectifs de rationalisation et de réforme interne demeurent. Vous pouvez compter sur moi et sur les chefs d’état-major d’armée pour maintenir les objectifs définis par le projet CAP 2020. Il s’agit toujours d’optimiser nos capacités opérationnelles et d’affûter notre organisation générale. Ne croyez pas que ce que nous avons obtenu grâce à l’actualisation de la LPM nous permettra de ralentir le rythme de ces projets de transformation, bien au contraire : nous irons au bout.

La transformation concerne toutes les armées, directions et services. Vous connaissez les différents projets mis en œuvre par chacun : « Au contact ! », pour l’armée de terre – nouveau projet cohérent, rationnel, adapté à la nouvelle situation –, « Horizon Marine 2025 », pour la marine, « Unis pour faire face », pour l’armée de l’air, « SCA 21 », pour le service du commissariat des armées, « SSA 2020 », projet ambitieux pour le service de santé des armées, « projet DRM », pour la direction du renseignement militaire, « projet Quartz », pour la direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la défense (DIRISI), « SEA 2020 », pour le service des essences des armées, « SIMu 2019 », pour le service interarmées des munitions. Je les cite tous pour montrer qu’un modèle d’armée est bien un tout cohérent, entre nos trois armées et toutes les directions et services. Tous ces projets sont en marche autour de trente-deux chantiers ministériels.

Ces projets visent en particulier : à rationaliser le soutien, l’environnement des forces et de nos organisations, sans fragiliser l’efficacité opérationnelle ; à rénover notre modèle des ressources humaines – nous voulons un modèle plus dynamique dans ses flux, avec un vrai « dépyramidage », un modèle plus souple dans la gestion des carrières, plus attrayant par des parcours professionnels mieux adaptés aux besoins opérationnels des armées, en renforçant la cohérence entre le grade, les responsabilités et la rémunération – ; ces projets visent enfin à optimiser des structures de commandement ; objectif symbolisé par le regroupement du ministère à Balard et qui concerne tous les états-majors.

La transformation, c’est, en somme, un nouveau logiciel de fonctionnement des armées, directions et services, avec, en prime, un recentrage encore plus marqué sur le cœur opérationnel.

Au total, j’affirme avec gravité que l’effort humain et financier que comprend ce projet de loi nous donnera les moyens d’atteindre ces objectifs.

Je souhaite à présent vous livrer mes points d’attention – ma troisième et dernière partie –, au nombre de trois : la préparation de l’avenir, le budget et le moral de nos soldats.

Les décisions que nous prenons dans le domaine de la défense engagent toujours l’avenir sur le long terme. Aucun de nous ne sait de quoi demain sera fait – et ce qui s’est passé ces dix dernières années incline à la modestie. Préparer l’avenir, c’est notre devoir vis-à-vis des générations futures. Le tragique du monde pourrait de nouveau changer les configurations actuelles. La défense des Français doit être globale et sans maillon faible. Ultime garantie de la nation, elle doit s’adapter à toute surprise stratégique. Face à un très large spectre de menaces, l’équilibre entre les cinq fonctions stratégiques décrites dans le Livre blanc – protection, dissuasion, intervention, connaissance et anticipation, prévention – ne doit pas être remis en cause, comme l’a souligné devant vous le ministre de la Défense lors de son audition d’hier. Le danger existait en effet d’un déséquilibre de l’intervention au bénéfice de la protection.

Pour assurer la cohérence d’ensemble, je reste attentif à l’adéquation entre les missions et les moyens, que j’ai évoquée ; à l’adéquation entre les besoins et les ressources – on touche là à la question des ressources exceptionnelles, et le Président de la République a tranché en sécurisant l’essentiel des ressources en zone budgétaire ; enfin à l’adéquation entre le physique et le financier, là où, parfois, la seule approche comptable peut provoquer des dégâts dévastateurs.

Voilà qui me conduit à mon deuxième point d’attention : le budget.

En dépit d’un abondement en ressources, l’équation financière reste tendue : nous avons obtenu plus de crédits – 3,8 milliards d’euros –, mais nous devons remplir davantage de missions – comme le déploiement de 7 000 hommes sur le territoire national. C’est la raison pour laquelle nous restons concentrés et organisés pour mobiliser en interne les ressources nécessaires au financement des capacités. C’est, entre autres, l’enjeu des plans de transformation dont je vous ai parlé.

Depuis ma dernière intervention devant vous, nous avons conjuré plusieurs risques que laissaient craindre la tension sur les effectifs, les hypothèses d’export et le montant des ressources exceptionnelles. Toutefois, des préoccupations subsistent : le surcoût des opérations extérieures et intérieures, le tempo d’arrivée des ressources et les conséquences des contrats d’exportation.

En ce qui concerne le surcoût des opérations, au-delà de la provision annuelle de 450 millions d’euros, le mécanisme de financement des opérations doit continuer à répondre à une logique de besoins et non à une logique de moyens avec le principe de couverture par recours à la réserve interministérielle de précaution, conformément à l’article 4 de la LPM. Une revue des opérations est en cours afin de déterminer les potentielles sources d’économies. Nous veillons à modérer les coûts des opérations en prenant en compte un juste équilibre entre les effets à obtenir sur le terrain et les moyens engagés. À ce stade, pour 2015, la prévision est au moins de 1 milliard d’euros, auquel il faut ajouter le financement de l’opération Sentinelle.

Pour ce qui est du tempo d’arrivée des ressources financières, je continue à craindre le grignotage progressif, en gestion, de nos ressources financières. Je vous l’ai dit, certains de nos matériels arrivent en fin de vie. Il n’est plus possible de les prolonger sans faire prendre des risques inconsidérés à nos soldats. Le calendrier d’arrivée des équipements ne peut être tenu que si le tempo de mise en place du budget correspondant est respecté. Il en va de l’équilibre structurel et indispensable entre les hommes, les équipements et le budget.

Je resterai vigilant sur trois domaines de fragilité en gestion et tout d’abord sur le coût des facteurs. Actuellement, la conjoncture économique est favorable et a permis de prendre sous enveloppe certaines charges additionnelles sans remettre en cause les équilibres de la LPM. Nous restons néanmoins attentifs à un retournement toujours possible de la conjoncture économique. Pour couvrir ce risque, la mission d’évaluation des conditions économiques confiée à l’Inspection générale des finances (IGF) et au Contrôle général des armées (CGA) a été prolongée, et j’y suis favorable. Elle devra analyser les conséquences des derniers indices économiques de mai, ainsi que l’évolution des charges nouvelles au sein du ministère de la Défense qui viennent diminuer d’autant les économies putatives issues du coût des facteurs et du prix du carburant. L’objectif est de dégager 1 milliard d’euros par ce biais afin de contribuer à financer les dépenses d’équipement. Deuxième point de fragilité : le financement du service militaire volontaire. L’adaptation à la métropole du principe du service militaire adapté (SMA) était une proposition des armées au titre de la cohésion nationale – c’est moi qui l’ai proposée. Je crois en effet que nos armées peuvent et doivent aider les jeunes en marge des dispositifs traditionnels socio-éducatifs. Les armées sont déjà engagées dans des dispositifs d’aide aux jeunes en difficulté. Le service militaire volontaire est un enjeu de cohésion nationale. Dès lors, au-delà de la phase d’expérimentation, son coût ne doit pas être pris sur le budget de la défense. Mon discours ne varie pas : à mission nouvelle, moyens nouveaux.

Le troisième point concerne les charges financières liées au soutien aux exportations, qui sont également l’un de mes sujets de préoccupation, car il est encore trop tôt pour les évaluer avec précision. J’attends d’ailleurs des industriels qu’ils soient vigilants à ne pas pénaliser financièrement les armées qui ont contribué à leurs succès. Il serait incompréhensible que nous ne bénéficiions pas de la baisse des coûts unitaires de certains équipements vendus à l’export et des retours sur le coût des programmes d’équipements à venir.

Dernier point d’attention, le moral reste pour moi un sujet majeur de préoccupation. Dans le contexte actuel, nos subordonnés ressentent parfois un double sentiment : d’une part, une surchauffe et une lassitude engendrée par l’opération Sentinelle, la livraison reportée de certains équipements majeurs et les conséquences des multiples réformes de ces trente ou quarante dernières années ; d’autre part, une condition du personnel dégradée du fait du report de permissions, du célibat géographique, de l’état de certaines infrastructures. Les décisions prises par le Président de la République ont créé un soulagement certain et une espérance réelle. Toutefois, leurs effets ne se feront pas tous sentir à court terme.

Le moral est à surveiller aussi dans le contexte de la création des associations professionnelles nationales des militaires. À défaut d’avoir été souhaitée par les militaires eux-mêmes, c’est une évolution inéluctable imposée par les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Le texte qui est inclus dans l’actuel projet de loi a été préparé en totale concertation avec les armées, sur la base du rapport Pêcheur. Ce texte est équilibré en ce qu’il préserve la finalité opérationnelle des armées ainsi que le commandement de proximité. Je n’ai pas d’inquiétude à ce stade. Je n’en resterai pas moins attentif à l’application de ce dispositif, afin que la concertation ne s’oppose pas au commandement, mais que les deux se bonifient mutuellement, pour une plus grande efficacité de nos armées.

Le moral de nos armées est un sujet crucial, car ce sont les forces morales qui font la différence sur le terrain. Nous avons de formidables soldats – je ne le dis jamais assez. Ces femmes et ces hommes font preuve d’un courage, d’un sens du devoir et d’une générosité incroyables, alors que leurs conditions de vie et de travail sont souvent rudimentaires. Ils ne demandent que les moyens nécessaires pour remplir décemment les missions qui leur sont confiées. Depuis des années, ils acceptent, ils endurent, ils risquent leur vie, avec des rémunérations modestes. Nous leur devons une attention à la hauteur des sacrifices personnels, familiaux et financiers qu’ils consentent au quotidien pour protéger la France et les Français.

Mesdames et messieurs les députés, pour conclure, je dirai que le projet qui vous est proposé est bon. Je me suis battu, avec le ministre de la Défense, pour obtenir trois décisions. La première touche à la réduction des déflations d’effectifs à hauteur de 18 750 postes. La deuxième concerne l’augmentation du budget de la défense à hauteur de 3,8 milliards d’euros et le maintien du bénéfice des économies réalisées grâce à un environnement économique plus favorable, à hauteur de 1 milliard d’euros. Enfin, est acquise la consolidation du budget grâce à des ressources désormais garanties et à l’abandon de la majorité des recettes exceptionnelles qui le rendaient fragile.

Cette actualisation donne aux armées les moyens de remplir toutes leurs missions, telles qu’elles sont inscrites dans le Livre blanc et dans la LPM. Les sujets de défense dépassent les clivages entre les Français. Ils les rassemblent autour d’une communauté de destin.

Dans un contexte économique difficile, j’ai bien conscience que le Président de la République, chef des armées, a pris une décision stratégique très volontariste. Elle répond à l’état du monde et aux menaces qui pèsent sur notre pays. Vous pouvez compter sur mon engagement sans faille et sur ma totale loyauté pour mettre en œuvre ce projet. Je suis dans l’action et c’est pour cela que j’ai besoin de décisions rapides et d’un calendrier resserré.

Nous sommes en effet à un tournant stratégique de notre histoire où, pour la première fois depuis des années, nous avons l’occasion de redresser l’effort de défense. Ce tournant historique est à la mesure de la situation. Nous comptons dès lors sur votre appui pour le respect du calendrier de mise en œuvre de ces mesures d’actualisation de notre outil de défense, et de densification de nos armées.

Nos soldats, marins et aviateurs, soyez-en persuadés, demeurent fidèles à la belle devise du maréchal de Lattre, particulièrement d’actualité pour nos militaires d’aujourd’hui : « Ne pas subir. »

Mme la présidente Patricia Adam. Il est plus que nécessaire que la commission s’intéresse aux questions de doctrine. Nous allons d’ailleurs bientôt auditionner le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. De même, la Commission doit suivre de très près, avec le cabinet du ministre de la Défense, l’évolution du coût des facteurs et du fameux milliard d’euros d’économies qu’elle doit permettre. Enfin, concernant nos industriels, compte tenu de leurs succès à l’exportation, nous devons examiner le « retour » qu’ils se doivent de donner à nos forces – retour en matière de maintien en condition opérationnelle (MCO) ou sur les coûts des matériels ? Nous interrogerons à ce sujet les représentants du Conseil des industries de défense (CIDEF), que nous allons bientôt auditionner. Je vous rejoins en tout cas, général, sur le fait qu’elles doivent consentir un effort.

En ce qui concerne les réserves, nous avons toujours été animés de la même volonté, au sein de la commission, même si les chiffres annoncés ne se sont jamais vérifiés. Comment pensez-vous que nous pourrons y parvenir ? Y a-t-il une véritable volonté au sein du ministère de la Défense ? C’est certes celle du ministre, la vôtre et, j’y insiste, celle de la commission, mais je trouve que l’on est un peu frileux sur ces questions et que l’objectif de 2021 me paraît un peu lointain compte tenu de l’histoire des réserves en France.

Vous avez très peu évoqué les organisations professionnelles. Le texte ne prévoit la présence de ces organisations qu’au sein du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM). Estimez-vous que, à terme, ces organisations doivent trouver leur place au sein des conseils de la fonction militaire (CFM) ?

M. Olivier Audibert Troin. Le ministre de la Défense déclarait hier que ce rendez-vous sur l’actualisation de la LPM était aussi, sinon plus important que celui de 2013. Je partage le souci de vigilance de la présidente de la commission sur le milliard d’euros d’économies réalisées sur le coût des facteurs, et destiné aux équipements. Il ne faudrait pas, en effet, que nous soyons débarrassés de recettes exceptionnelles au profit d’économies qui seraient virtuelles. Vous avez à ce sujet insisté, mon général, sur le fait que vous restiez attentif aux indices économiques du mois de mai ; or, malheureusement, les taux du crédit commencent à remonter.

De même, en ce qui concerne les recettes exceptionnelles des cessions immobilières – presque 1 milliard d’euros –, nous pourrions imaginer un dispositif permettant leur sanctuarisation.

Pouvez-vous nous confirmer par ailleurs que les sas de décompression sont toujours budgétés ?

Le texte prévoit que les espaces d’entraînement s’appuieront sur des modalités nouvelles de soutien : quelles sont-elles ?

Enfin, plus important, pouvez-vous nous éclairer sur la traduction budgétaire concrète de la vente des Rafale ? La LPM 2013 mentionnait 215 avions de combat en parc, le Livre blanc, 225, et, avec l’actualisation, nous passons à 247 appareils, soit 32 de plus que ne prévoyait la LPM 2013. Or le nombre de Rafale qui devaient être livrés – 26 – est toujours le même. Doit-on dès lors ajouter 6 Mirage 2000 ? Qu’est-ce que changent pour nous nos exportations de Rafale ? Nous avons beaucoup entendu dire qu’elles allaient alléger notre engagement vis-à-vis du constructeur. Or si l’on avait 26 commandes en 2013 et toujours 26 après l’actualisation, cela ne change rien.

M. Michel Voisin. Nos prévisions, en matière de révision de la LPM, sont motivées par les événements que nous avons connus – et je tiens à rendre hommage, mon général, au travail de vos hommes et salue les résultats qu’ils obtiennent. Or la hausse de treize autres budgets de la défense en Europe, si je me reporte à la page 15 du document qu’on nous a distribué hier, obéirait à des motifs géostratégiques tout autres que ceux que nous retenons pour nous, puisqu’il s’agit pour ces pays de répondre au différend entre l’Ukraine et la Russie. À titre personnel, je pense que c’est dans une certaine mesure réveiller la guerre froide. Il me paraît difficile de justifier notre propre révision en fonction de ces mêmes considérations.

Général Pierre de Villiers. Si treize pays augmentent leur budget de défense en Europe, c’est une réelle prise de conscience. On avait tendance jusqu’à présent, en effet – et je l’ai répété pendant trois jours à Bruxelles – à constater que le monde était de plus en plus dangereux et, par conséquent, à diminuer les budgets alloués à la défense ! Les pays membres de l’OTAN se sont engagés à arrêter la baisse de ces budgets, puis à faire en sorte qu’ils représentent 2 % du PIB. Tout le monde est d’accord pour renforcer les moyens face au flanc est et face au flanc sud – terme impropre, d’ailleurs, pour ce dernier, puisque le terrorisme frappe partout, y compris au nord.

L’actualisation de la LPM n’est pas spécifiquement faite pour répondre à une menace, par exemple celle de la Russie vis-à-vis de l’Ukraine, mais pour répondre à toutes les menaces ; et, si le calendrier a été accéléré, c’est d’abord à cause des attentats de janvier et de la nécessité de protéger le territoire national.

En ce qui concerne la question de M. Audibert Troin relative aux coûts des facteurs, bien sûr, il ne s’agit pas d’éviter un aléa pour retomber dans un autre. Je considère par conséquent que je dispose bien du milliard d’euros en question et qu’il engage l’équilibre entre les capacités et les effectifs.

Quant aux recettes immobilières, vous avez pu constater une augmentation par rapport à la LPM précédente. Ces recettes, comme toute recette exceptionnelle, sont liées au résultat des ventes – sur lequel je resterai très vigilant. La clause de sauvegarde a disparu – il me paraîtrait pourtant logique qu’elle soit maintenue dans le cas de recettes exceptionnelles. Les recettes issues de cessions, pour la période 2015-2019, représentent 930 millions d’euros

Pour ce qui concerne le sas de décompression, désormais, quand une opération à risque est susceptible d’entraîner des chocs post-traumatiques, il sera obligatoire. Il sera financé dans le cadre du surcoût OPEX, comme le prévoit l’article 4 du texte.

J’en viens aux espaces d’entraînement et aux nouvelles modalités d’entraînement et de soutien. Les soutiens se modernisent dans tous les domaines, qu’il s’agisse du commissariat des armées, des organismes destinés à la préparation opérationnelle ou des écoles. Nous sommes en train d’affiner le maillage territorial avec les bases de défense. Pour l’heure, ces espaces concernent l’armée de terre et sont liés à son projet « Au contact ! ». Le CEMAT a débuté sa mise en œuvre ce qui conduira à réorganiser la force opérationnelle terrestre et donc le soutien en liaison avec le soutien interarmées et les bases de défense. Je note que ce dispositif marche de mieux en mieux, en tout cas si j’en juge par le nombre de plus en plus réduit de visites qui me sont faites sur ce sujet – car on vient évidemment toujours voir son chef non pour lui signifier que tout va bien, mais pour lui signaler des dysfonctionnements.

Pour ce qui est de la vente des Rafale, ma seule référence est la LPM, mais chaque contrat a sa spécificité. Par exemple, en ce qui concerne le contrat avec l’Égypte, on nous prélève six Rafale. Mais, en 2019, j’aurai les 26 Rafale que je dois avoir. Par ailleurs, on nous a prélevé une FREMM que la marine attendait depuis des années et qu’elle était sur le point d’obtenir. Nous la récupérerons et il y aura bien six FREMM en 2019. Il est certes de l’intérêt non seulement de la marine, mais de tous d’exporter des FREMM ; mais ce qui m’intéresse, c’est le contenu physique et le contenu financier. Je ne suis pas, par ailleurs, en mesure de vous donner le détail du contrat avec le Qatar et donc de vous indiquer ses conséquences pour les armées.

Un des dangers des contrats à l’export, on l’a vu avec l’Égypte – il nous a fallu être très vigilants –, serait de « déséquiper » l’armée française pour exporter nos matériels. On a fait un effort avec l’Égypte et c’était de l’intérêt de tout le monde, mais le ministre s’est fermement engagé à ce que nous récupérions la FREMM et les six Rafale.

M. Olivier Audibert Troin. Dans la LPM 2013, 26 Rafale devaient être livrés, sur la base de contrats d’exportation comptant 40 Rafale vendus. Nous en sommes à 48 vendus aujourd’hui, sans compter ce qui pourrait se passer avec l’Inde. Quelle est concrètement l’implication budgétaire de cette manœuvre ?

Général Pierre de Villiers. Il s’agit d’une manœuvre globale, mais nos 26 Rafale et nos six FREMM seront bien livrés sur la période de la LPM. Le calendrier a évolué mais nous avons ainsi réglé le problème du maintien des lignes de production pendant les années blanches, - années qui ne prévoyaient pas de livraisons au profit des armées et durant lesquelles l’export devait prendre le relais.

M. Olivier Audibert Troin. Il n’y a donc pas d’impact budgétaire ?

Général Pierre de Villiers. C’est essentiellement un glissement de calendrier dont l’impact budgétaire, sur le plan de l’activité, du MCO et des effectifs est en train d’être évalué.

M. Michel Voisin. Concernant la hausse des treize budgets de défense en Europe, quel est le mécanisme qui nous permet d’avoir les mêmes objectifs ? Je pose la question de la défense européenne : les budgets augmentent et les objectifs doivent être les mêmes.

Général Pierre de Villiers. Il est vrai que la Pologne, l’Estonie ou l’Allemagne augmentent leur budget. Pour ce qui est du Royaume-Uni, la situation reste incertaine. En tout cas, les pays européens et les pays de l’OTAN ont compris que la France augmentait son effort de défense. Le signal a été clairement perçu.

M. Philippe Vitel. On va créer 15 399 postes : 11 000 vont être consacrés aux forces opérationnelles terrestres, 1 000 au renseignement, 1 000 à la cyberdéfense, ce qui fait 13 000 postes. Il en reste donc 2 400. En même temps, on en supprime 22 300. La déflation va donc être de 20 000 postes – sur 220 000 – pour toutes les armées en dehors de l’armée de terre. Comment cela peut-il se faire sans impact sur les capacités opérationnelles ?

D’autre part, on va supprimer 5 500 postes de civils, en privilégiant le recrutement des catégories A et B. Cette mesure aura donc un impact sur les catégories inférieures. La disparition de ces postes ne va-t-elle pas entraîner une externalisation ?

J’ai le sentiment que l’action de l’État en mer n’est pas la mieux servie, alors qu’il y a aujourd’hui des menaces majeures, en particulier en Méditerranée. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, concernant l’entretien programmé des matériels, qui représente grosso modo 3,2 milliards, une hausse de 4,3 % était initialement prévue, à laquelle s’ajoutent 500 millions. Ces sommes sont-elles suffisantes par rapport à l’état des matériels qui reviennent du Mali ? Ne faudrait-il pas que les crédits soient libérés plus rapidement ?

M. Yves Fromion. Il est question de recréer des compagnies dans l’armée de terre, ce qui ne s’était pas produit depuis fort longtemps et constitue effectivement un événement. Nous restons toutefois dans le cadre d’une déflation globale et d’une manœuvre des ressources humaines au sein des forces armées. Le chef d’état-major de l’armée de terre a mis en œuvre un nouveau modèle, baptisé « Au contact ! ». Pourriez-vous nous en dire quelques mots et nous expliquer quels sont les transferts prévus entre l’armée de terre, la marine et l’armée de l’air, afin d’avoir enfin des informations précises ?

S’agissant des livraisons de matériels, nous partageons votre sentiment : il est indéniable que l’affaire des 2 milliards dont vous avez parlé présente un intérêt, mais elle n’en paraît pas moins fragile. Pouvez-vous préciser le calendrier ? Nous nous interrogeons sur le coût des facteurs. Vous demande-t-on des économies supplémentaires ? Ou compte-t-on simplement sur une baisse des prix ?

Enfin, nous ne pouvons que nous réjouir de constater qu’il a été décidé de rebudgétiser les ressources exceptionnelles. Cela consolide l’ensemble de nos forces. Nous espérons que vous continuerez à bénéficier d’un vent favorable.

Général Pierre de Villiers. En matière d’effectifs, il faut avoir un raisonnement global interarmées. À ce stade, les 18 750 postes correspondant à la moindre déflation se répartissent de la manière suivante : 11 000 iront renforcer la force opérationnelle terrestre (FOT), principale composante de l’armée de terre. Grâce à ces effectifs supplémentaires, l’engagement durable dans Sentinelle sera tenable. Les 7 750 restants seront ventilés au sein du ministère afin de réaliser les plans de transformation des trois armées directions et services, renforcer le renseignement, la cyberdéfense et la protection mais aussi le soutien à l’export.

Il nous reste à construire finement la manœuvre tant quantitativement que qualitativement. Ainsi, nous allons poursuivre le dépyramidage, car nous sommes persuadés qu’il est vertueux, qu’un jeune peut commander qu’il n’est pas nécessaire d’attendre d’avoir cinquante ans pour occuper certains postes à responsabilités.

La manœuvre quantitative touchera toutes les armées, directions et services. Le calendrier est certes influencé par la montée en puissance de la FOT : elle doit se mettre en place rapidement, en deux ans ou deux ans et demi, mais cela ne se fera pas au détriment de la marine ou de l’armée de l’air, car la cohérence du modèle serait alors perturbée.

Le chantier, énorme, complexe, ne sera pas terminé en huit jours. Nous voudrions avoir élaboré l’ensemble d’ici au 14 juillet, pour que chaque chef d’état-major, chaque directeur, chaque service ait une vision claire de la période 2015-2019. Mon action est dictée par le souci de l’intérêt général et se déroule dans la fraternité d’armes : avec les chefs d’état-major, nous formons une véritable équipe de commandement.

Monsieur Vitel, je ne partage pas votre sentiment en ce qui concerne l’action de l’État en mer (AEM). Peut-être ne lui a-t-on pas accordé suffisamment d’importance pendant des années, mais la maîtrise des flux, de tous types, vient nous rappeler qu’elle est indispensable, y compris pour la protection de nos côtes. Vous savez que l’AEM dépend du Premier ministre. Or j’ai passé quatre ans au cabinet militaire de Matignon et je suis donc très sensible à la question. Aujourd’hui, il me semble au contraire que la fonction est consolidée. L’amiral Rogel et moi-même sommes très vigilants, car nous connaissons l’état de certains de nos bateaux : nous nous sommes battus pour inscrire le B2M, le bâtiment multi-missions, et le BSAH – bâtiment de soutien et d’assistance hauturier. Sans doute, il faut faire encore plus. Mais ces deux bâtiments n’étaient pas prévus à l’origine.

En ce qui concerne l’entretien programmé du matériel (EPM), je ne sais pas si les 500 millions d’euros suffiront, car les besoins sont importants. Nous n’avons certes eu aucun mal à convaincre sur ce sujet, car personne ne peut contester la nécessité de remettre à niveau et de régénérer nos équipements après les engagements que nous menons sur les théâtres d’opérations. Mais c’est tout de même un beau geste, et d’autant plus que les crédits avaient déjà été augmentés dans la LPM.

Ce sont donc 2 milliards qui sont consacrés aux équipements : 500 millions pour l’EPM, 500 millions budgétés en 2018-2019 et 1 milliard lié au coût des facteurs. Nous avions bâti nos hypothèses en euros courants : en règle générale, cela ne nous est pas toujours favorable, mais, cette fois, nous avons eu un coup de chance et l’hypothèse s’est révélée favorable. J’ai demandé qu’on nous laisse le bénéfice des économies ainsi réalisées, d’autant que les charges additionnelles en consomment une bonne partie. Ce milliard est indispensable pour financer les équipements en 2016 et 2017.

Considérant nos besoins capacitaires en 2016-2017, je dois flécher les économies à récupérer durant la même période au sein des programmes – 212, 178 et 146 –, pour que le train d’équipement reçoive les crédits qui conviennent. Telle est la manœuvre que nous élaborons avec le délégué général pour l’armement (DGA) et la direction des affaires financières (DAF). Nous nous sommes donnés jusqu’à la fin du mois de juin pour parachever ces travaux. Vous pourrez interroger le DGA à ce sujet.

Il faut ensuite lier cela à la gestion et au report de charge, variable importante du programme 146, qui ne se présente pas trop mal pour 2015 : cela nous aidera pour la manœuvre concernant les équipements.

M. Yves Fromion. Quand on considère la liste importante des matériels qui vont être commandés, on se demande comment ce milliard d’euros – somme intéressante, mais modeste au regard des commandes – a suffi à débloquer la situation.

Général Pierre de Villiers. Nous avons conduit notre démarche d’élaboration du besoin capacitaire en un temps record. La liste des équipements a été circonscrite et leur acquisition échelonnée dans le temps. Aux 2,8 milliards pour les effectifs et aux 500 millions d’euros pour l’EPM, il faut ajouter 1,5 milliard, indispensable à la cohérence du modèle.

M. Yves Fromion. Cette somme de 1,5 milliard d’euros paraît modeste au regard de la liste que vous avez évoquée.

Général Pierre de Villiers. La LPM était bonne, et nous n’avons pas grand-chose à y ajouter pour tenir compte des principaux enseignements capacitaires de nos engagements d’aujourd’hui. Certes, si nous disposions de 4 milliards, nous saurions les dépenser. Pour capturer un chef terroriste, j’ai été amené à reporter des opérations, souvent par insuffisance de moyens : hélicoptères, flotte tactique, drones, jumelles de vision nocturne. Le 1,5 milliard d’euros doit servir à nous procurer ces équipements.

Notre modèle était donc bien conçu. Il suffit, pour s’en convaincre, de considérer le nombre des opérations que nous avons menées depuis deux ans et demi. Je le mesure à l’emploi du temps de mes vacances et de mes week-ends, ce qui est un indicateur comme un autre ! Finalement, ce 1,5 milliard nous permet uniquement d’ajuster un modèle qui a fait ces preuves.

M. Philippe Folliot. Vous avez dit à juste titre que des aléas très forts caractérisaient la LPM. Ils ont été remplacés, dans le cadre de cette révision, par des aléas de moindre importance, mais qui n’en restent pas moins des aléas. C’est le cas, par exemple, du milliard d’économies sur le coût des facteurs et des recettes anticipées des cessions immobilières. Celles-ci sont soumises à un double aléa : celui du marché, qui n’est pas très porteur en ce moment, et celui lié à l’application des dispositions de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové. Nous avons été plusieurs, lors de la discussion du texte, à demander que le ministère de la Défense soit exclu du champ d’application de la loi, qui prévoyait de transférer gratuitement aux collectivités locales du foncier public pour réaliser du logement social.

L’opération Sentinelle et les nouveaux engagements ont eu pour conséquence, dites-vous, de réduire la préparation opérationnelle. Pourriez-vous nous donner quelques précisions à cet égard ? Des engagements internationaux ont été annulés. Lesquels ? Dans quel cadre ? Qu’en est-il des problèmes liés au repos et à la récupération ?

Le rapport annexé signale que la cyberdéfense fera l’objet d’un effort marqué, avec 1 000 personnels supplémentaires. Pour la première fois, il est question des capacités offensives de la cyberdéfense, alors que nous étions jusqu’à présent dans un schéma plutôt défensif. Pourriez-vous nous donner quelques éléments d’information sur ce point ?

Concernant les drones, la page 18 mentionne des « drones MALE », mais la formulation est assez floue. On ne sait pas si ce sont des Reaper et si l’état d’avancement des projets nationaux et européens en la matière permettra de faire en sorte que nous n’achetions pas sur étagère. Pourriez-vous nous apporter des précisions en la matière ?

En ce qui concerne le quatrième B2M et le remplacement des frégates de surveillance, je voudrais vous interroger sur le programme BATSIMAR, qui vient compléter les missions de souveraineté fondamentales dans notre domaine maritime.

On parle toujours de 1 000 hommes supplémentaires pour les forces spéciales. Où seraient-ils affectés en priorité ?

N’y a-t-il pas une contradiction entre l’objectif de diminution du poids des états-majors et la création d’un commandement du territoire national et d’un commandement de la formation et de l’entraînement interarmes ?

Deux cents chars Leclerc doivent être modernisés. Il me semble que nous en possédons 250. Qu’adviendra-t-il des 50 chars qui ne seront pas modernisés ?

S’agissant du transport tactique, j’aimerais en savoir plus sur les quatre C-130.

Pour conclure, quid de l’A400M, après l’accident survenu à Séville il y a quelques jours ?

M. Francis Hillmeyer. Nous apprenons que 20 % des matériels revenant du Mali sont irrécupérables et que nous consommons plus vite le matériel qu’il n’est régénéré. Cette constatation a tout lieu de nous inquiéter.

Dans quel sens doit être rénové le système de la réserve ?

Nous nous sommes récemment rendus, avec la présidente de la Commission et quelques collègues, à la Brigade franco-allemande (BFA). Nous y avons vu du matériel datant de l’époque de mon service militaire ! Dans certains camions antédiluviens, les sièges du conducteur étaient complètement défoncés. Quelle peut être l’employabilité de la BFA dans ces conditions ?

M. Jean-François Lamour. Pourriez-vous ajouter, Mon général, un point d’attention en ce qui concerne la rebudgétisation des ressources exceptionnelles ? Certes, c’est une excellente nouvelle. Mais, dès lors qu’on parle de budget, il peut être question de mise en réserve, de gel, de régulation et, parfois, d’annulation de crédits. La nouvelle ligne budgétaire de 2,3 milliards, qui devrait apparaître en septembre, risque-t-elle d’être soumise à une réserve, à un gel, voire à une annulation ? La question se posera en tout cas pour les prochains exercices, puisqu’il reste encore un peu plus de 3 milliards d’euros qui, selon la règle, sont transformés en crédits budgétaires. Savez-vous ce que cela donne pour le prochain exercice ?

Vous avez évoqué la remontée en puissance de la FOT, qui passe de 66 000 à 77 000 soldats. Si je comprends bien, cet effort sera fait sur deux exercices : 7 500 cette année et 2 300 sur l’exercice suivant. Cela veut dire que l’essentiel de l’effort en matière de moindre déflation va être demandé à la FOT. Si c’est le cas, cela implique que les autres armées, mer et air, subiront à plein la déflation qui va se poursuivre. Comment allez-vous concilier deux nécessités : la présence d’hommes sur le terrain pour l’opération Sentinelle et un lissage de la déflation pour que tout le monde y trouve son compte ?

Ma dernière question concerne le coût des facteurs. Le ministre avait évoqué, il y a quelques semaines, un coût du carburant très raisonnable, mais il n’en a pas parlé hier, évoquant plutôt une inflation basse. D’autres facteurs entrent sans doute en ligne de compte. Mais, au regard du chiffre global – 1 milliard d’euros pour la période 2016-2019 –, cela fait à peu près 250 millions par an. Puisqu’on ne vous demande pas de réaliser des économies supplémentaires, où trouve-t-on ces gains ? Comment se répartissent les coûts des facteurs ?

M. Nicolas Bays. La LPM a fixé un objectif de 40 000 réservistes. Pensez-vous que les moyens supplémentaires qu’elle affecte à la réserve sont suffisants pour en améliorer la qualité ? Ne faudrait-il pas prévoir des dispositifs incitatifs en faveur des entreprises qui embauchent les réservistes, afin que ceux-ci soient libérés plus facilement ? Être réserviste, aujourd’hui, est parfois mal perçu, voire handicapant pour une embauche. Pour l’entreprise, cela signifie la non-disponibilité du salarié.

Ne craignez-vous pas que les candidats aux recrutements pour la cyberdéfense ne soient pas de qualité ? Pour faire de la cyberdéfense et surtout de la cyberattaque, il faut des hackers de très haut niveau. On connaît le coût d’un tel hacker, dont le salaire, dans les grandes banques ou dans les grands groupes de l’internet, correspond à l’indice salarial d’un général dix-sept étoiles de l’armée française ! Comment attirer ces personnels avec des salaires qui ne correspondent pas à ce qu’ils peuvent gagner ailleurs ? Aujourd’hui, un très bon hacker chargé d’assurer la sécurité d’une banque gagne 40 000 à 50 000 euros par mois. Comment trouver les meilleurs cadres pour former ces équipes de cybersécurité ?

Général Pierre de Villiers. Nous nous sommes posé la question dès 2009, monsieur Bays, mais, jusqu’à présent, nous avons su attirer des hackers de qualité, qui ne gagnent pas autant que ce qu’ils pourraient gagner ailleurs. Quand nous avons professionnalisé l’armée en 1996, je pensais que nous n’arriverions pas à recruter dans la durée des gens de qualité pour remplacer les appelés dans certaines niches. Or je constate tous les jours qu’il y a des militaires du rang, des bacs + 2, payés au SMIC. Nous recrutons dans des domaines pointus des gens qui ne gagnent pas ce qu’ils seraient en droit d’espérer ailleurs. Ils viennent chercher chez nous des valeurs, une famille, de l’aventure, y compris en matière de cyber. Peut-être serons-nous contraints de trouver un jour des systèmes d’attractivité.

Pour ce qui est de la réserve, je ressens une conjonction de facteurs favorables, ne serait-ce que, pour la première fois, son inscription dans un projet de loi. Il s’agit d’un projet cohérent : une réserve plus nombreuse – 40 000, avec une dotation budgétaire supplémentaire de 75 millions d’euros sur 2016-2019 –, plus réactive, avec des périodes plus longues, et plus attractive vis-à-vis de la fonction publique et du secteur privé.

Nous devons par ailleurs réorganiser les réserves en profondeur, en les territorialisant, pour que le militaire engagé dans l’opération Sentinelle à Marseille soit un Marseillais plutôt qu’un Strasbourgeois. Ce serait plus intelligent, puisqu’il connaîtrait la ville et la population. C’est cela, la territorialisation, l’esprit de défense. C’est pour cela qu’on peut aller beaucoup plus loin dans la réorganisation des réserves.

Le projet est globalement cohérent. Ce qui n’y figure pas, c’est ce qu’il reste à faire : changer la loi, discuter de dispositifs incitatifs, y compris au plan économique ou social, rédiger les décrets d’application. Tout cela ne se fera pas en un jour, même s’il est toujours possible d’accélérer en cours de route. Mieux vaut, pour avoir une chance d’aboutir, se doter d’un calendrier prudent et de chiffres modestes. Notre armée professionnelle n’est pas encore totalement équilibrée, car le pilier réserve y est insuffisant. La défense du territoire, telle qu’elle se dessine, nécessitera que ce pilier ait plus de responsabilités qu’aujourd’hui, y compris dans des missions comme Sentinelle. Notre système, issu de la réserve d’avant 1996, doit définitivement faire sa mutation. Partout, je rencontre des volontaires qui sont prêts à y participer. En outre, dans les armées, certains ont besoin d’une réserve plus collective, d’autres d’une réserve plus individuelle. Tout doit être cousu main, et cela prendra du temps.

En ce qui concerne la montée en puissance de la FOT, notre ambition est de recruter 11 000 soldats supplémentaires en deux ans. C’est une nécessité pour l’armée de terre puisque 7 000 soldats ont été déployés sur le territoire national et que l’opération Sentinelle est appelée à durer. Nous avons fait appel à tous les personnels disponibles de la FOT. Nous avons donc annulé 50 % des exercices centralisés de l’armée de terre. C’est pourquoi j’ai besoin d’une accélération du calendrier : nous devons commencer sans tarder, accélérer, empêcher les départs et recruter. Si, depuis quelques semaines, nous mettons en place cette manœuvre, c’est pour que les gens puissent continuer à s’entraîner, pour que les exercices puissent avoir lieu au second semestre et pour que soient rapidement rétablis les exercices internationaux que nous avons annulés en catastrophe.

Pour les ressources exceptionnelles de 2015, nous avons choisi de passer par le projet de loi de finances rectificative de fin d’année. D’ici là, pour éviter la rupture de trésorerie entre septembre et novembre, s’agissant notamment du programme 146, il y aura un décret d’avance, un dégel des crédits, puis des mesures de gestion. Je suis assez optimiste en la matière, mais je reste très vigilant. Pour la suite, c’est plus clair, puisque les crédits figurent dans le budget pour 2016.

Je milite, moi aussi, pour l’employabilité de la Brigade franco-allemande. Les matériels que vous avez vus sont ceux des unités de l’armée de terre. Loin d’être choqué que vous les ayez vus, j’en suis au contraire ravi et j’ai félicité la BFA d’avoir montré à des députés la réalité de nos armées. Jusqu’à présent, en bons soldats que nous sommes, nous mettions notre fierté à toujours mettre en avant ce qui va bien et à cacher ce qui va moins bien. Les temps changent.

S’agissant du MCO, ma priorité, c’est de régénérer nos anciens matériels, usés par le rythme des opérations et l’abrasivité des théâtres, afin qu’ils tiennent jusqu’à l’arrivée des matériels nouveaux. Avec 500 millions d’euros, ce sera juste. Nous réajusterons en gestion au fur et à mesure, si nécessaire. Je ne peux pas répondre à toutes les questions de M. Folliot, mais je peux lui dire que, de même que pour le B2M et le BSAH, je tiens aux quatre C-130 et que nous les obtiendrons. Ils représentent le minimum vital, selon les études qui ont été faites, pour remplacer les C-160. Le modèle des chars Leclerc est le même que dans les LPM précédentes où nous avions 200 chars modernisés. Il n’y a pas non plus de changement pour les frégates, les BATSIMAR. Les drones MALE sont des Reaper. Il ne faut pas confondre les douze drones MALE que nous devons avoir et le drone MALE 2025, qui est le futur drone MALE européen.

Pour faire face à toutes les difficultés qu’entraîne l’opération Sentinelle en matière de permissions, d’exercices et de désorganisation, nous avons conçu un plan d’action qui porte sur la régénération des effectifs, les conditions de vie du personnel – logement, alimentation, équipement –, décorations, indemnisation. Il comporte deux phases, la première allant jusqu’au 14 juillet, la seconde concernant davantage l’infrastructure. Nous considérons ce plan de la même manière qu’une opération. Les militaires attendent des mesures concrètes qui améliorent leurs conditions de travail.

M. Jean-François Lamour. Pourriez-vous nous éclairer sur la ventilation du milliard du coût des facteurs ?

Général Pierre de Villiers. Ce milliard vient des programmes 146, 178 et 212. Il faut faire l’exercice année par année, sur la période 2016-2019, et mettre en regard nos besoins en équipement. C’est l’exercice que nous sommes en train de faire.

M. Jean-François Lamour. Avez-vous pu identifier le lien, en termes de coût des facteurs, sur l’exercice 2014, qui était la première année de la LPM ?

Général Pierre de Villiers. Nous débattons des chiffres avec l’Inspection générale des finances, le Contrôle général des armées et Bercy. Nous avons identifié le lien entre les économies qu’ont entraînées une moindre inflation et les dépenses des « charges additionnelles », lesquelles sont de deux types : les charges additionnelles interministérielles, auxquelles tout le monde est soumis – augmentation des taxes foncières ou nouvelles normes environnementales – et les charges additionnelles plus spécifiques à la défense, comme le système TELSITE à Mururoa ou le logiciel Louvois. Nous savons à peu près répartir ce milliard sur la période et par programme, en fonction des priorités, dont les quatre C-130 et la tranche hélicoptères, qu’il faut lancer tout de suite.

M. Jean-François Lamour. Cela ne concerne que les exercices qui vont suivre, c’est-à-dire ceux de la période 2016-2019. Vous avez déterminé le volume et le fléchage du coût des facteurs, même si j’ai bien compris que, pour l’instant, vous n’étiez pas d’accord avec Bercy. Mais le lien de 1 milliard ne concerne que l’exercice. Vous n’avez pas une cagnotte en 2015.

Général Pierre de Villiers. L’IGF et le CGA doivent poursuivre leur mission pour nous indiquer si l’hypothèse est réaliste et ce que représentent les charges additionnelles. Nous pourrons ainsi, dans les mois qui viennent, affiner le schéma. Quoi qu’il en soit, 2016-2017 me semble être un exercice raisonnable. Cela étant, il ne faut pas confondre construction et gestion. En l’occurrence, nous sommes en construction. Sans doute de nombreux aléas viendront-ils se greffer en cours d’exécution, mais il me semble que l’exercice tient la route.

M. Jean Launay. En tant que rapporteur spécial de la commission des Finances, je peux vous aider sur la question du budget. Vous en avez évoqué les termes : équation financière tendue, surcoûts liés aux OPEX, tempo d’arrivée des ressources financières, etc. Mais n’y a-t-il pas un autre élément induit par l’actualité ? Je m’interroge en effet sur la portée que pourrait avoir, aux yeux de Bercy, la question des bâtiments de projection et de commandement (BPC) dans l’actualisation de la LPM.

Général Pierre de Villiers. Je n’ai pas de besoins capacitaires supplémentaires par rapport à la LPM. Je n’ai donc pas besoin de ces BPC. Il ne s’agit pas d’un dossier militaire, mais d’un dossier diplomatique, économique, politique, international. Je reste vigilant, car ce sont des bateaux militaires, mais, à ce stade, cela ne pollue pas l’exercice. Je rappelle que des garanties Coface ont été prises.

J’en viens, madame la présidente, à votre question sur les associations professionnelles militaires. Nous avions un certain nombre d’exigences et de garanties à obtenir. Nous ne voulions pas introduire les syndicats, de près ou de loin. Le ministre l’a clairement annoncé. Telle que la loi est rédigée, ce sera le cas. Nous ne voulions pas alourdir la chaîne de commandement, notamment au plan local, avec des comités Théodule qui compliqueraient encore un peu plus le métier militaire d’un chef de corps, d’un commandant de base aérienne ou d’un commandant de bateau. La concertation fonctionne bien localement. Nous ne voulions pas opposer commandement et concertation. Le projet de loi garantit tout cela.

Votre question porte sur les conseils de la fonction militaire (CFM). Nous avons longuement discuté avec les chefs d’état-major. Au départ, certains voulaient introduire les associations dans les CFM, tandis que d’autres souhaitaient les limiter au Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM). Finalement, on en est arrivé, à la conclusion que les CFM fonctionnaient bien et que, dans l’immédiat, il était préférable de limiter la présence des associations au CSFM. Le projet de loi ne ferme pas structurellement les CFM aux associations et le décret d’application prendra en compte cette possibilité d’ouverture. Nous avons tenu à ce qu’il en soit ainsi, après avoir eu un débat en interne entre les chefs d’état-major des différentes armées.

À ce stade, je considère que c’est un bon projet, qui ne présente pas de risque pour le commandement et va créer une dynamique de concertation supplémentaire. Introduire les associations dans le CSFM va redynamiser l’ensemble, qui sera peut-être plus opérationnel. Ces associations ayant forcément plus de temps et une plus grande liberté pour étudier les dossiers, elles apporteront un plus au CSFM. En fin de compte, d’une contrainte imposée par la Cour européenne des droits de l’homme, naît ce qui peut constituer une opportunité. Je ne vous cache pas que nous avons d’abord considéré l’affaire avec circonspection, mais, tel qu’il est rédigé, le texte apporte toutes les garanties auxquelles nous tenions.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie, général, ainsi que nos collègues, pour la qualité de ces échanges.

La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.


Le général ROLLET, "premier légionnaire de France"

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Publié le 15 juin 2015 par légionnaires-officiers

dessin à l'encre de chine et point par point de Daniel Lordey et huile de madame Isabelle Maury

dessin à l'encre de chine et point par point de Daniel Lordey et huile de madame Isabelle Maury

Au moment où s’amorcent les commémorations liées au centenaire de la guerre 14 – 18, il me semble intéressant de mettre sous les feux de la rampe un homme exceptionnel, « premier légionnaire de France » le général Paul Frédéric ROLLET, chef de Corps du célèbre RMLE tout au long de ce premier conflit mondial:

Tout commence en 1875, année qui a vu naître Paul-Frédéric ROLLET. Son père affecté au 46° Régiment d’Infanterie de ligne à Auxerre est capitaine, grade attribué en 1871 à titre exceptionnel en raison de son comportement durant la guerre de 1870-71. Nul doute que l’influence de son père - pour lequel il nourrissait une véritable vénération - l’a  conduit tout naturellement à choisir le métier des armes.   Une deuxième approche paraît intéressante aussi : le fait que plusieurs fois il s’est retrouvé sous les ordres du célèbre commandant BRUNDSAUX dont l’effigie coiffée d’un casque colonial, type Madagascar ou Dahomey,  est l’un des barbus, sentinelles  géantes qui gardent notre monument aux morts à Aubagne. Enfin au cours  de ses multiples affectations tant à Madagascar qu’en Algérie et au Maroc, il rencontra celui qui devait devenir un de ses amis: Louis, Hubert, Gonzalve LYAUTEY. Tous les gens qui ont eu le privilège de côtoyer le maréchal LYAUTEY ne pouvaient  rester indifférents au contact de cet homme exceptionnel qui était doté d’un réel pouvoir et d’un charisme hors du commun. Le jeune lieutenant Rollet, ne pouvait avoir de meilleur exemple que cet officier au caractère remarquable. Peu de temps après son entrée dans le corps des officiers, le lieutenant Lyautey avait montré sa forte personnalité en publiant audacieusement en 1891, dans la   Revue des deux mondes   le « rôle social de l’Officier »,  dans lequel il faisait connaître sa conception humaniste de l’Armée. Ce  livre  bouleversa le monde militaire et civil de l’époque et influença toute une génération d’officiers.

Cependant, pour ce qui  est de l’action sociale du général Rollet, ce n’est qu’à partir de 1925, lorsqu’il est chef de corps du 1er Régiment Etranger d’Infanterie que se fait ressentir une réelle nécessité d’organiser « l’après Légion » des légionnaires rendus à la vie civile. C’est pour lui une vraie prise de responsabilité; l’inexistence d’une action sociale légionnaire lui apparaît comme un vide. Un constat simple s’offre à nous, il suffit d’ouvrir le fameux « livre d’or de la Légion étrangère » celui de 1931. Il comprend très exactement 374 pages et seules 2 d’entres-elles sont réservées aux « œuvres d’entraide et d’assistance, sociétés d’anciens légionnaires », la FSALE de l’époque et encore, en y retirant le superflu et l’inutile, très peu se présente pour l’action sociale.

Bien entendu qu’il existait le « Centre de repos d’Arzew » qui durera, d’ ailleurs 34 ans, celui de Salé au Maroc, un « centre d’hébergement » de 20 lits à Marseille au 21 rue des 13 escaliers et en 1933, la maison de retraite d’Auriol dite « le petit village international de la Vède ». Bien entendu aussi que de nombreux libérés restaient en Algérie ou au Maroc,  mais avec un effectif de plus de vingt deux mille hommes, la légion « lâchait », chaque mois sur le port de Marseille, près d’une centaine de nouveaux « anciens légionnaires » qui se retrouvaient livrés à eux-mêmes...

Lorsqu’éclate en 1929, la crise économique mondiale, une incontrôlable vague de chômage déferla sur l’Europe. Cette situation ne pouvait arranger les situations des légionnaires « rendus » à la vie civile.

 Pour mieux appréhender les répercussions de cette débâcle mondiale sur la vie des anciens légionnaires en France métropolitaine, le Général ROLLET demande en 1932, au capitaine ROLLIN, patron du Service d’Immatriculations de la Légion à Marseille, de faire une étude minutieuse et sans concession sur les conditions dans lesquelles s’effectuent le retour à la vie civile des légionnaires et surtout sur les améliorations possibles à y apporter.

Entretenant d’étroites relations avec les amicales, le capitaine ROLLIN s’acquitte de sa mission et rend compte peu de temps après au Général du résultat de ses investigations: le constat qui en résulta était des plus sévères et surtout sans appel ! C’était celui d’un horrible parcours du combattant que constituaient, les formalités administratives pour des étrangers qui n’avaient pas connaissance de leurs droits, qui maitrisaient mal la langue française et qui ne savaient où et à qui s’adresser.

Une évidence s’imposait: le grand besoin pour les libérés d’être soutenus, seuls ils ne pouvaient et ne savaient bénéficier de leurs droits.

Le Général était persuadé  que la Légion ne pouvait continuer à se désintéresser du sort de ses anciens serviteurs d’autant qu’il était convaincu que porter une aide conséquente aux anciens se répercuterait  sur le moral des légionnaires en activité de service qui verraient, avec grand soulagement, l’occasion de ne plus penser avec appréhension au moment de leur départ de la Légion. C’est aussi   cela, précise-t-il, l’esprit de famille légionnaire.

Ces hommes déchargés de leur service légionnaire ne comprenaient pas  qu’ils ne puissent trouver à leur libération, une aide officielle organisée, dans un pays à la grandeur duquel ils ont donné de leur temps par au moins 5 ans de jeunnesse pour une vie très dure payant au prix fort, souvent, de leur sang versé.

Dans le mensuel « La Légion étrangère » en 1931, un ancien adjudant s’exprime en ces termes: « Dois-je mendier dans la rue, moi, ancien légionnaire avec 11 ans de service, médaillé militaire, ou me laisser arrêter pour vagabondage, puis reconduire à la frontière entre deux gendarmes, ou bien dois-je me suicider ? »

Conscient de la gravité  de la situation, le Général décide d’appliquer son axe d’effort, dans un premier temps, sur les objectifs suivants:

  • Souci de donner aux retraités et réformés les moyens d’une nouvelle existence à l’abri de la misère,
  • Maintenir « l’esprit Légion » entre les anciens en créant des liens qui les attachent à la famille légionnaire
  • Meilleur passage de la vie militaire à la vie civil ;

L’entraide légionnaire:

L’entraide légionnaire était devenue pour le Général une priorité. Il fallait défendre et appliquer l’idée  que le « libéré » puisse trouver du travail, élément indispensable à sa bonne intégration dans un milieu civil sans concession du fait même que celui-ci connaissait une crise économique sans précédent.

Cependant, cette œuvre d’entraide s’avéra d’emblée plus complexe à organiser que prévu et la première des difficultés et non des moindres, était  de réunir les fonds nécessaires sans lesquels aucune action sociale n’est possible.

Le capitaine ROLLIN, concluant une seconde étude estimait que l’action sociale ne pouvait perdurer que si : elle devenait une mission prioritaire et surtout, qu’elle devait être  totalement indépendante des amicales et sociétés d’anciens légionnaires qui n’arrivaient pas  à se fédérer, se concurrençaient maladroitement et surtout n’arrivaient pas à s’organiser.

Fort de ce constat, le fil conducteur qui guida le Général se concrétisa par les actions suivantes :

  • Procurer un travail avec contrat d’embauche;
  • Orienter ceux qui ne veulent pas se fixer en région marseillaise;
  • Maintenir le contact avec tous les anciens légionnaires;
  • Offrir un refuge aux retraités et réformés;
  • Créer des points d’accueil pour les formalités administratives à Marseille et à Paris;
  • Etudier les modifications à apporter aux lois et règlements en vigueur;
  • Solliciter les offres d’emploi et les centraliser;
  • Intervenir et garder en permanence le contact avec le ministère du travail;
  • Se procurer les ressources de fonctionnement de ce volet social, les répartir entre les centres d’hébergement;
  • Contrôler l’emploi des fonds pour chacun de ces centres;

C’était pour le « Père des légionnaires » un autre et nouveau combat ; celui, cette fois-ci, contre l’égoïsme et l’indifférence.

Le rayonnement du général ROLLET a fait énormément pour stimuler et sacraliser les liens entre la Légion d’active et celle des anciens.

En conclusion, que pouvons nous retenir du « rôle social » du général Rollet ou quelles ont été les actions menées sous son influence ?

Son action se concrétisée autour de :

  • L’abolition du « maquis » des formalités administratives,
  • La mise à jour des livrets individuels,
  • Les rappels de soldes et de primes,
  • L’établissement des pensions de retraite ou de réforme qui étaient des plus négligés et en particulier pour les réformes d’affections pour lesquelles la présomption d’origine ne pouvait être établie,
  • Le pécule de libération,
  • L’habillement des libérés en vêtements civils corrects et décents, autres que le costume dit « Clémenceau » sans col.
  • Les conditions de transport différents de ceux qui consistaient à partager les fonds de cale avec les bestiaux…
  • Les attributions de titre de transport et titres liés aux frais de voyage,
  • La facilitéde résider en France pour les anciens de nationalité étrangère avec la possibilité, certificat de bonne conduite obtenu, de se faire attribuer  une carte de séjour,
  • Les aides financières aux centres à travers de nombreuses sources comme à titre d’exemple la loterie nationale, zone d’influence des « Gueules cassées »,
  • Et enfin un soutien permanent aux mobilisés par l’intermédiaire des amicales et des sociétés d’anciens légionnaires.

Dès 1939, ses ennuis de santé  deviennent plus fréquents, plus graves, et plus préoccupants ce qui oblige le Général à réduire considérablement ses activités mais ne l’empêche pas de continuer à s’intéresser de près au bureau d’accueil des anciens légionnaires, des Invalides, d’assurer les présidences des « Amis de la Légion » ainsi que celle des « Gueules cassées ».

 

Le 15 avril 1941, le général ROLLET s’entretien encore avec quelques intimes des problèmes du moment, sans avoir perdu confiance en lui.

Le 16 au petit matin, il rend le dernier soupir, sans s’être vu mourir.

 

En supplément permettez-moi de vous présenter un petit texte du maréchal LYAUTEY qui pourrait parfaitement être d’actualité:

« Ce n’est plus un mystère que chez nous l’éducation du citoyen reste à faire. La démocratie l’appelle et l’exige.

A défaut, la liberté dégénère en licence, l’ordre public est troublé, l’autorité bafouée.

Aucune construction politique, aucune doctrine économique, aucun régime social, même le plus généreux, ne vaudront si le citoyen fait un usage insensé de la parcelle de souveraineté dont il dispose.

L’intérêt national n’a que trop souffert de ce manque d’éducation.

Il est grand temps d’y songer si l’on veut empêcher le pays de rouler aux abîmes. »

C’est écrit en 1891.

Christian Morisot

 

Dessin point par point à l'encre de Chine par Daniel Lordey.

Dessin point par point à l'encre de Chine par Daniel Lordey.


Le père Yannick LALLEMAND

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Publié le 10 juin 2015par légionnaires-officiers

Interview d'un grand Homme: le père Yannick LALLEMAND

 

 

Aumônier à la retraite, le père Yannick Lallemand laisse un souvenir impérissable, en particulier dans les régiments où il apporta son soutien et sa bienveillance caractéristique, tel le 2e REP ou encore le 4e RE. Il n’en continue pas moins ses activités de "Padre" au sein de la communauté légionnaire à Puyloubier et Auriol.

L'interview qui suit nous présente un homme de foi dans la lignée des grands missionnaires qui ont fait, eux aussi,  à leur manière, l'histoire de notre pays...

Interview :

MRT : Comment vous est venue votre vocation d’aumônier militaire ?

Père Lallemand : Ayant fait la guerre d’Algérie, j’ai vu les aumôniers militaires qui œuvraient magnifiquement dans des situations souvent difficiles au service du seigneur. Moi-même fils de militaire, l’armée est un milieu que je connais bien et c’est tout naturellement que la vocation militaire m’était venue d’être officier, comme l’étaient plusieurs de mes frères. Quand j’ai pris la décision de devenir prêtre, je n’avais d’autre alternative que celle d’être au service d’autres militaires. C’est un milieu au service de Dieu et de la France que j’estime. J’ai ainsi baigné dans cette vie que nous devons donner à notre pays et dont nous recevons chaque jour les bienfaits sans que nous nous en apercevions. Mon père a donné toute sa vie au pays, à l’Armée et je l’ai toujours entendu dire : « Faire le sacrifice de sa vie est un honneur et aussi un service que chacun devrait rendre s’il le fallait » : mon frère ainé est mort en Algérie. Mon père qui à ce moment-là était en Tunisie, a fait le déplacement pour remettre sur le cercueil de son fils la Légion d’Honneur.

Ayant aussi le désir de rester sportif, le fait d’être aumônier militaire était, pour moi, la possibilité de faire du sport, j’ai pratiqué beaucoup de cross, de ski, de montagne, de marches, de parachutisme ; être prêtre aux Armées me permettait cette vie sportive.

MRT : Parlez nous, mon Père, de votre aventure tchadienne ?

Père Lallemand : De 1986 à 1996, j’ai vécu 10 ans au Tchad mais je revenais chaque année pour ma mère qui était très âgée, un peu malade et je me faisais un devoir de la revoir et de passer en sa compagnie trois semaines à un mois, c’est moi-même qui payais le voyage.

Alors pourquoi suis-je parti au Tchad ?

Il y a plusieurs raisons : quand j’ai décidé d’être prêtre, j’avais l’intention de devenir missionnaire mais je n’ai pu réaliser ce projet du fait que mon frère ainé venait d’être tué, je ne souhaitais pas m’exiler loin de ma famille à cause des parents. La deuxième raison vient de ma participation pendant 6 mois à l’opération « Manta », opération qui avait pour mission le soutien de l’Armée française aux combattants tchadiens contre l’envahisseur Libyen. J’ai rencontré très souvent des chrétiens tchadiens perdus dans le désert surtout des fonctionnaires : soldats, instituteurs et infirmiers venus du sud du pays qui n’avaient pas vu de prêtres depuis une dizaine d’années et qui avaient de réels besoins spirituels importants. Une troisième raison est que j’ai bien compris que l’esprit saint était là ! qu’il m’appelait à venir au Tchad, à tout quitter et en particulier ma situation privilégiée d’aumônier parachutiste avec son gros salaire, pour retrouver la vie d’un religieux, coexistant avec  les Tchadiens, vivant comme eux la pauvreté, la misère et le dénuement. Il y a peut-être une quatrième raison : celle de la mission « FMSB » à Beyrouth où j’ai passé quatre mois d’enfer, à vivre le terrorisme qui y régnait en maître à cette époque. J’ai été témoin de la mort de 72 parachutistes et 4 marins, alors sans doute, trop touché et par la  lassitude de voir  ces jeunes gens mourir et de les accompagner dans leur dernier parcours terrestre, mais je n’ai pas choisi finalement le meilleur territoire en paix puisque j’ai trouvé un pays sans cesse en état de guerre.

Le prêtre est un homme seul, il vit de solitude, de recherche de silence, éléments indispensables pour la place que tient la prière dans son quotidien, dans son face à face avec Dieu.

Merci mon Père !

Christian Morisot


13e demi-brigade de Légion étrangère (13eDBLE)

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vendredi 12 juin 2015, par HistoireDuMonde.net


La 13e demi-brigade de Légion étrangère (13e DBLE) est la seule unité interarmes de la Légion étrangère. Créée en 1940, elle est le seul régiment en unités constituées à rallier les Forces françaises libres (FFL). Des côtes de Norvège aux sables de Bir Hakeim, de l’Érythrée à l’Alsace, en passant par la Syrie et l’Italie, elle fut de toutes les campagnes de la Seconde Guerre mondiale.

 

La 13e DBLE quitte l’Algérie en 1962. Elle est basée jusqu’en 2011 au quartier général Monclar à Djibouti, en vertu d’un accord entre la France et la République de Djibouti après l’accession de ce pays à l’indépendance en 1977. Au cours de l’été 2011, la structure du régiment a été profondément remaniée à l’occasion de son déménagement aux Émirats arabes unis.

Comme toutes les unités outre-mer, la 13e DBLE est composée en partie de permanents et en partie d’unités en missions de courte durée (MCD de 4 mois). La particularité de la Phalange Magnifique, est que ses personnels en MCD sont presque tous issus de la Légion étrangère. Les grands espaces désertiques et les facilités de la coopération interarmées permettent un entraînement de qualité aux unités sur place. Elles peuvent ainsi s’aguerrir au combat en zone désertique.

 

Création et différentes dénominations

Cette unité de Légion est créée le 1er mars 1940 dans le cadre du corps expéditionnaire franco-anglais destiné à intervenir initialement en Finlande. Sa première dénomination est 13e demi-brigade de marche de la Légion étrangère (13e DBMLE).

Le 1er juillet 1940, le 1er bataillon, 900 hommes, constitue en Angleterre au sein des FFL la 14e DBMLE tandis que le reste de la demi-brigade, 800 hommes issus principalement du 2e bataillon, rentre au Maroc et conserve le nom de 13e DBMLE.

Le 4 novembre 1940, la demi-brigade du Maroc est dissoute ce qui permet aux troupes restées en Angleterre de reprendre le nom de 13e DBLE.
Historique des campagnes, des batailles et garnisons

Seconde Guerre mondiale

L’unité est constituée en Afrique du Nord à partir de volontaires des autres unités étrangère stationnées sur places. Elle est alors commandée par le lieutenant-colonel Raoul Magrin-Vernerey et comprend au départ deux bataillons :

Le 1er bataillon - CBA Guéninchault - Sidi bel-Abbès
Le 2e bataillon - CBA Boyer-Ressès - Fez

À partir du 13 mai 1940, elle livre ses premiers combats en Norvège au sein des troupes du général Béthouart où elle s’empare de Bjervik puis de Narvik. L’opération est un succès mais les évènements en France l’oblige à être rapatriée sur la France. Les pertes en Norvège sont de 8 officiers et 93 légionnaires dont le CBA Guéninchault.

La 13e DBLE débarque en Bretagne le 4 juin en vue de constituer l’ossature d’un réduit breton à la mi-juin. Toutefois, devant la progression allemande, elle est prise dans la tourmente de la débâcle. Le 21 juin les rescapés de la demi-brigade réussissent à embarquer et rejoindre l’Écosse. Ces troupes qui n’ont pas entendu l’appel du 18 juin retrouvent d’autres unités du Corps expéditionnaire de Norvège dans la région de Trentham (en). Les plus avertis n’entendent parler de l’appel du 18 juin que les jours suivants, dans la presse britannique ou par ouï-dire.

Adhérant à cet appel, le capitaine Pierre Kœnig adjoint du lieutenant-colonel Raoul Magrin-Vernerey, convainc celui-ci de se rendre à Londres, où ils ont un entretien avec le général De Gaulle. Magrin-Vernerey y rencontre le général Antoine Béthouart, chef du Corps expéditionnaire de Norvège qui lui permet de rencontrer ses hommes au camp de Trentham Park (en) le soir du 30 juin. Sur 1 619 légionnaires présent le 28 juin, un peu moins de 900 rallient la France libre, les autres rejoignent le Maroc sous le commandement du général Béthouard.
Rejoignant ensuite le camp d’Aldershot, où sont regroupées les Forces françaises libres, la 13e DBLE participe au défilé du 14 juillet à Londres.

L’unité des Forces françaises libres prend temporairement, entre le 1er juillet et le 2 novembre 1940, le nom de 14e demi-brigade de Légion étrangère, elle se compose :

d’un état-major (avec une compagnie de commandement et une compagnie régimentaire d’engins) commandé par le CBA Cazaud
3 unités de combat
1 unité d’accompagnement

Elle est alors forte de 25 officiers, 102 sous-officiers et 702 militaires du rang.

Fin septembre 1940, l’unité participe à l’opération Menace contre Dakar. À la suite de l’échec du débarquement au Sénégal, elle finit par débarquer, sous le commandement du lieutenant-colonel Cazaud, en Afrique-Équatoriale française pour participer, en novembre 1940, à la campagne du Gabon et au ralliement de la région à la France libre, sous le commandement du général de Larminat.

Elle reprend alors sa dénomination d’origine et, au sein de la Brigade française d’Orient, contourne l’Afrique et débarque à Port Soudan le 12 février 19415 pour participer aux combats en Érythrée contre l’armée italienne. La brigade se distingue lors de la bataille de Keren, le 27 mars 1941, puis de Massaoua le 8 avril 1941).

Au cours du mois de mai suivant, l’unité rejoint la Palestine et le camp de Qastina (en) en vue de participer à la Campagne de Syrie. La demi-brigade entre en Syrie le 8 juin et après de durs combats, elle entre à Damas le 21 juin.
Le 6 septembre 1941, le lieutenant-colonel prince Amilakvari prend le commandement de l’unité.
En décembre, les 2e (chef de bataillon commandant René Babonneau), et 3e bataillons partent pour l’Afrique du Nord où l’unité, au sein de la Brigade Koenig, fait face aux forces de l’Afrika Korps.

Promu chef de bataillon en septembre 1941, excellent entraîneur d’hommes, René Babonneau prend le commandement du 2e bataillon qui, à Bir Hakeim, le 27 mai 1942, repousse l’attaque de plus de 70 chars de la Division Ariete, en détruisant 356. Son bataillon reçoit une citation à l’ordre de l’armée. Resté à l’arrière pour assurer le repli, lors de la sortie de vive force de Bir Hakeim, dans la nuit du 10 au 11 juin 1942, il est fait prisonnier et transféré en Italie, d’où il tente de s’évader par deux fois.

De mai à juin 1942, une partie de l’unité se couvre de gloire à la bataille de Bir-Hakeim.Ce sera l’occasion pour Pierre Messmer, capitaine commandant de compagnie d’écrire plus tard, un livre : La patrouille perdue. Puis la "13" prend part à la seconde bataille d’El Alamein, où son chef est tué.

Lors de la mise sur pied de la 1re DFL, début 1943, la DBLE disparaît en tant que corps de troupe et ses trois unités (le 1er BLE, 2e BLE et la 13e compagnie antichars) sont incorporées dans la 1re brigade de la division.

Elle combat ensuite au sein du Corps expéditionnaire français en Italie puis débarque en Provence dans le cadre de l’opération Dragoon mi-août 1944. La demi-brigade prend part à la libération de la France au sein de la 1re Armée française, notamment au cours de la Bataille des Vosges.

Le 6 avril 1945, l’unité se voit attribuer la Croix de la Libération.

Guerre d’Indochine

Désignée pour faire partie du corps expéditionnaire français en Extrême-Orient, la 13e DBLE débarque du SS Ormonde le 6 février 1946 à Saïgon et s’installe au nord de la ville, dans le triangle Gia Dinh -Thu Duc - Hoc Mon.

Les opérations commencent, avec le 19 juin 1946, le premier combat à Mat Cat (Cochinchine). La 13e DBLE est engagée des frontières du Siam jusqu’à Tourane, en passant par la plaine des Joncs. Ses bataillons sont éparpillés.

Le 1er bataillon au Cambodge, poursuit les Khmers issarak, qui se réfugient au Siam.
Le 2e bataillon au Centre Annam, défend Tourane, dégage Hué et installe une série de postes autour de Quang Nam.
Le 3e bataillon affronte les durs combats de Cochinchine, où les embuscades quotidiennes alternent avec des actions de force.

La 13e DBLE participe aux opérations « Vega », « Dragon II et III », « Geneviève », « Jonquille », « Canigou »… Souvent les adversaires y laissent de nombreux combattants, comme à Largauze le 26 mars 1949. En 1950, la 13e DBLE, rassemblée en Cochinchine, reçoit en renfort un 4e bataillon. Elle est désignée pour se joindre aux unités ayant pour mission de nettoyer la plaine des Joncs, la « plaine maudite ».

Le rythme des opérations s’accentue avec le début de la saison sèche : « Potager », « Normandie », « Ramadan », « Trois Provinces », « Tulipes », « Ulysse 3 », « Neptune », « Revanche ». Après cette opération, la 13e DBLE est à nouveau scindée. Trois bataillons restent en Cochinchine où il participent à différentes opérations « Araba », « Mandarine », « Pamplemousse », « Caïman ».

Le 31 janvier 1953, le 4e bataillon est dissous et le 3e bataillon se transforme en bataillon itinérant : il se retrouve au Tonkin, puis à Hué, à Na Sam, Xoang Xa, à Than Hoa, dans une série de durs combats.

Anecdotes

Le 29 septembre 1946, l’interprète « indigène » du poste de Trunq Chan mélange du datura aux aliments : 47 légionnaires sont dans le coma, mais huit autres ont heureusement préféré prendre une douche avant le repas. Voyant l’état de leurs camarades, ils demandent des secours et préviennent ainsi l’attaque.
Un an plus tard, le 19 août 1947, encore une séance d’empoisonnement collectif au poste de Ben Muong. Nantis de l’expérience précédente, les ennemis coupent les fils du téléphone et mettent le datura dans le café. Mais un sergent et quatre légionnaires n’ont pas eu le temps d’en boire lorsque l’attaque se déclenche. L’un d’eux traverse inaperçu les lignes ennemies tandis que les autres tiennent tête aux 150 assaillants, pas trop mordants, il est vrai, car ils sont convaincus qu’ils n’ont qu’à attendre pour vaincre sans pertes. Quelques heures plus tard les renforts arrivent et les attaquants deviennent assiégés.
Le 24 avril 1947, la sentinelle du poste « Franchini » voit arriver un groupe de soldats français poussant devant eux un prisonnier ligoté. La sentinelle les laisse pénétrer dans le poste, mais à l’intérieur, sur un signe du soi-disant prisonnier, ils ouvrent le feu, tuant les sept légionnaires et quatre partisans de la garnison.
En avril 1948, on arrête un agent VM qui offre aux légionnaires des briquets. Le prix est très intéressant, et pourtant ce n’est pas une bonne affaire. Le coton est remplacé par du fulmi-coton destiné à exploser à la première étincelle. Mais les briquets sont vendus sans pierre, le vendeur déclare les avoir épuisées et quand un légionnaire en sort une de sa poche pour essayer, le vendeur tente de s’enfuir.

Combats

La 13e DBLE est attaquée à Ca Mau par 700 combattantsle 13 juin 1947.
À Cau Xang neuf légionnaires défendent la tour de garde, jusqu’à la mort.
Le 23 août 1947, la compagnie d’intervention du 3e bataillon est surprise par un ennemi supérieur en nombre. Les légionnaires forment le carré et repoussent tous les assauts en chantant le « Boudin ». Lorsque la colonne de secours arrive, le poste déplore un tué et quatre blessés, mais l’ennemi se retire avec trois charrettes pleines de morts ou de blessés.
Le 1er mars 1948, un convoi de permissionnaires et de civils escortés emprunte la route de Saigon à Dalat et tombe dans une embuscade. Le lieutenant-colonel de Sairigné, chef de corps de la 13e DBLE est tué parmi les premiers. Les adversaires s’emparent de 134 civils pour servir de boucliers. La poursuite n’aboutit qu’à la récupération d’une partie des otages que l’ennemi est contraint d’abandonner.

Ðien Biên Phu

Fin 1953, la 13e DBLE se rassemble au Tonkin, le 2e bataillon dans le Delta, les 1er et 3e sont à la bataille de Ðien Biên Phu, où ils tiennent respectivement « Claudine » et « Béatrice ». Au soir du 13 mars 1954, après cinq assauts, « Béatrice » est submergée. Le 3e bataillon est mort et avec lui le lieutenant-colonel Gaucher, son chef de corps. Les survivants atteignent à peine l’effectif d’une compagnie et à la base arrière on s’efforce de reconstituer le bataillon, mais le temps manquera. Le 7 mai, tout est fini. Le camp de Diên Biên Phu est submergé et le 1er bataillon disparaît à son tour. Les fanions de ses unités sont détruits dans les dernières minutes. Seuls quelques fragments de celui de la 2e compagnie pourront être rapportés à Sidi bel-Abbès par les légionnaires qui l’ont partagés avant de tomber aux mains de l’ennemi. La guerre est finie. La 13e DBLE déplore 80 officiers, 307 sous-officiers, 2 334 légionnaires hors de combat.

Guerre d’Algérie

En 1955, la 13e DBLE retrouve le continent africain. Engagé dans les opérations de maintien de l’ordre en Algérie, le régiment débarque à Tunis le 28 juin 1955. Basé à Guelma, il rayonne dans le Constantinois, du Nord au Sud, dans les Nememcha. Il trouve des « caches », mais pas de combattants. C’est alors le temps de la « pacification » .

La 13e DBLE construit ou restaure des postes : Khsirane est le premier d’une longue série. La lutte se poursuit dans les djebels, marquée par des combats très durs : Zaouia, Bou Zakadane, Ouindj, djebel Seike… En juillet 1957, un groupe de combattants de l’ALN est détruit.

Laissant alors les Nemenchta, la 13e DBLE réduite à deux bataillons s’implante dans les Aurès. Aux pitons arides et désolés succèdent les massifs boisés. Au début de 1958, trois combats contre les combattants ALN de la bande d’Amrani, oblige ce dernier à refuser le contact et de réagir par la violence sur la population civile. Près de 800 familles viennent, en plein hiver, se masser autour du poste Bou Hamama[réf. nécessaire]. Le 7 mai 1958, à l’issue d’un accrochage à l’oued Kelaa, le cadavre d’Amrani, entouré de ceux de ses tireurs d’élite, est retrouvé sur le terrain.

En octobre 1958, la 13e DBLE devient un régiment d’intervention. Il est alors articulé en huit compagnies de combat, y compris la compagnie portée et la compagnie d’appui, employées, sauf exception, comme les compagnies de fusiliers-voltigeurs. Deux états-majors tactiques (EMT) coiffaient plusieurs compagnies à la demande. En général, les trois premières étaient subordonnées à FEMTI, la 4, la 5 et la 6 à FEMT2, la CP et la CA étant souvent en renfort de l’un ou l’autre EMT. L’effectif théorique est de 1 778 hommes, soit 57 officiers, 249 sous-officiers, 1 472 hommes de troupe. Il était réalisé pour les officiers grâce à une douzaine d’appelés, dont trois du Service de santé, mais inférieur de quelques dizaines pour les sous-officiers et les légionnaires. Il disposait d’une petite harka, qui sera dissoute le ler juin 1961.

Sa mission itinérante l’amène à travers toute l’Algérie, dans une série d’opérations : « Emeraude », « Dordogne », « Georgevie », « Isère ». De la Kabylie aux pitons de l’Atlas, d’Alger a la Ligne Challe appelé « Barrage est » à la frontière tunisienne, puis encore dans les Aurès où, le 10 février 1961, elle met hors de combat 49 combattants de la Willaya 1 et récupère 29 armes. Elle retourne alors dans le fameux « Bec de Canard », sur le Barrage est, où les opérations, les patrouilles et les embuscades se succèdent jusqu’à la fin des combats, en mars 1962.

À l’indépendance de l’Algérie, le régiment y laisse 214 tombes

En 1958, la société protectrice des animaux d’Angleterre décerne une médaille à la Harka de la 13e DBLE qui a recueilli un ânon famélique « Bambi », voué à une mort certaine. Une photo montrant un légionnaire portant Bambi sur son dos lors d’un déplacement de l’unité est publiée sur Paris Match et fait la une de plusieurs journaux.

1962-1977

Un premier détachement rejoint Bougie pour s’embarquer, à la fin d’avril 1962, à destination de la Côte française des Somalis (actuelle République de Djibouti). Progressivement, les autres unités vont suivre. Le drapeau arrive sur le territoire le 15 octobre de la même année. Les compagnies débarquent les unes après les autres sur leur nouveau lieu de séjour. N’ayant jamais connu la paix durant ses vingt-deux premières années d’existence, la « 13 » va enfin pouvoir justifier la réputation de bâtisseur qui existe en tout légionnaire.

Elle construit ou améliore des postes déjà existants.

La CCAS s’installe à Gabode,
la 1re compagnie à Dikhil
la 2e à Gabode (Compagnie de travaux)
la 3e à Ali Sabieh et
la 4e à Holl-Holl.
E.R. (Escadron de Reconnaissance) à Oueah

À cette époque, l’effectif du régiment atteint presque celui d’un gros bataillon. Le 1er octobre 1968, le régiment se dote d’un escadron de reconnaissance. La 1re compagnie lui cède son lieu d’implantation et part s’installer à Dikhil. La 2e compagnie quitte Obock, prend la dénomination de 2e compagnie de travaux (2e CT) et rejoint l’état-major et la CCAS à Gabode, quartier de Djibouti.

Le 25 août 1966, le président de la République, le général de Gaulle, visite le territoire. Les unités du régiment en tenue de parade lui rendent les honneurs. À la suite de l’apparition de banderoles réclamant l’indépendance du territoire, des manifestations sont déclenchées et trois sections de la 2e compagnie interviennent en tenue de parade vers 20 et 22 heures. Une dizaine de gradés et légionnaires sont blessés dans les affrontements qui causent officiellement trente-six blessés parmi les forces de l’ordre et dix-neuf chez les manifestants.
Le lendemain, après la mort de deux manifestants le matin, à 14 heures, le chef de corps reçoit l’ordre de faire évacuer la place Lagarde où le général de Gaulle devait prononcer un discours. Les 2e, 3e et 4e compagnies ainsi que deux sections de la CCAS sont désignées. La place est dégagée en vingt-cinq minutes à partir de 16h20. Les affrontements continuent au niveau du « Bender » bloqué par les forces de police renforcées par la Légion. Au total, il y aurait eu un mort et quarante-six blessés dans les forces de l’ordre, trois morts et deux cent trente-huit blessés parmi les manifestants.
Les jours suivants, un couvre-feu est instauré sur la « ville indigène », qui est quadrillée et fouillée par les patrouilles. À partir du 14 septembre, la « 13 » ainsi que le 5e RIAOM installent un barrage qui encercle la ville pour filtrer les entrées et sorties. Composé de rangées de barbelés (« ribard ») et de miradors sur 14 kilomètres de long, il est maintenu jusqu’à l’indépendance et même au-delà. Le nombre de personnes tuées en essayant de le franchir reste indéterminé.
Le 20 mars 1967, lendemain d’un référendum sur l’autonomie du territoire, des manifestations indépendantistes sont à nouveau réprimées par les hommes de la 3e compagnie. La fin de l’année 1967 et l’année 1968 seront encore l’occasion de nombreuses tensions et d’opérations de maintien de l’ordre.

En 1976 le régiment et notamment l’escadron de reconnaissance intervient lors de l’affaire de Loyada.

1977 à 2011

Après l’accession à l’indépendance de la République de Djibouti (1977), la 13e DBLE participe régulièrement à des missions militaires ou humanitaire au profit du territoire ou dans la Corne de l’Afrique.

En 1979, la 4e compagnie est dissoute. Son poste de Holl-Holl est cédé à l’AND (Armée nationale djiboutienne). Le régiment ne conserve alors que la 3e compagnie, la 2e CT, la CCAS, l’escadron et la compagnie tournante du 2e REP (compagnie détachée pour 4 mois), basée à Arta.

Les engagements opérationnels se succèdent. En mai 1991, le régiment assure le contrôle des frontières du pays, lesquelles sont submergées par un afflux massif de réfugiés en provenance d’Éthiopie et recueille, accueille et désarme une division éthiopienne (Opération Godoria). En mars 1992, ce sera l’opération Iskoutir. En décembre 1992, c’est l’opération Oryx, en Somalie, puis quelques mois plus tard, l’opération ONUSOM II, où les légionnaires de la 13 servent pour la première fois de leur histoire sous le casque bleu de l’ONU. En juin 1994, la 3e compagnie est dépêchée au Rwanda dans le cadre de l’opération Turquoise et le régiment participe aussi à l’opération Diapason au Yémen. Cette même année, en mai, la COMPARA (compagnie parachutiste), stationnée à Arta et armée par le 2e REP est dissoute.

Il convient d’ajouter à toutes ces opérations les aides ponctuelles apportées par le régiment à la jeune République lors des catastrophes naturelles qui la secouent régulièrement. Les légionnaires interviendront ainsi dans le cadre des mesures prises face aux inondations mais aussi face à la sécheresse, pour venir en aide à une population à chaque fois durement touchée. La 2e CT est régulièrement mise à contribution pour effectuer divers travaux et diverses constructions sur le territoire. Les stèles commémoratives de la Légion marquent les efforts d’une section ayant œuvré au profit de la collectivité sur les routes du territoire.

Outre cette dernière spécificité, la 2e CT prendra la dénomination de 2e CAT (compagnie d’appuis et de travaux) en se dotant de deux sections d’appui, l’une composée de 6 mortiers de 120 mm et l’autre de 8 postes de tir Milan.

Cette compagnie est dissoute en 1998 pour laisser place à une compagnie de génie tournante armée par des légionnaires du 1er REG puis du 2e REG.

En 2000, c’est au tour de la 3e compagnie d’infanterie de disparaître, remplacée elle-aussi par une unité "tournante" armée quant à elle alternativement par les unités des 2e REI et 2e REP. Cette dernière unité d’infanterie de la 13 avait pourtant un caractère unique. En effet, à l’instar des compagnies du 2e REP, chacune de ses sections avait une spécialité. La section de commandement disposait d’un groupe de mortiers de 81 mm. La 1re section perfectionnait ses savoir-faire dans le domaine du sabotage et de la manipulation des explosifs. La 2e section regroupait les nageurs de reconnaissance qui étaient chargés de missions d’infiltration par voie maritime utilisant le bateau pneumatique ou la palme. La 3e section regroupait les tireurs d’élites du régiment et disposait de Barret et de FRF2. Enfin, la 4e section, disposait de 5 VAB dont deux équipés de canons de 20 m/m.

En 2001, la compagnie de maintenance des FFD est rattachée à la Demi-brigade.

En 2002, des éléments du régiment sont projetés en République de Côte d’Ivoire dans le cadre de l’opération Licorne.

Après une intervention à caractère humanitaire, où une section du génie est projetée en Indonésie en 2005 (Opération Béryx), pour apporter assistance et aide aux victimes du tsunami, la 13 renoue avec l’opérationnel en mars 2007. L’état major tactique, la compagnie d’infanterie et un détachement du génie sont envoyés d’urgence au nord de la République centrafricaine pour sécuriser et endiguer la propagation de la violence dans la zone des trois frontières (Tchad, RCA, Soudan) à Birao.

En outre, les légionnaires de l’unité sont, depuis le début des années 2000, régulièrement engagés sous forme de DIO (détachements d’instruction opérationnels) au profit de pays voisins (Éthiopie, Ouganda, Émirats arabes unis, Qatar, Koweït, etc.)
de 2011 à nos jours

Le 31 juillet 2011, la 13e DBLE a quitté Djibouti pour s’implanter à Abou Dhabi dans l’Implantation militaire française aux Émirats arabes unis.

Ce déménagement a été l’occasion d’une profonde restructuration, l’unité passant du statut d’unité de combat opérationnelle interarmes à celui d’unité support de forces projetées. Elle continue néanmoins à être une tête de pont pour des opérations dans la région (Opération Tamour en 2012).

Traditions

Devise

More Majorum (À la manière des ancêtres)

Drapeau

Dans les plis du drapeau, sont inscrits les noms de batailles suivants :

CAMERONE 1863,
BJERWIK-NARVIK 1940,
KEREN MASSAOUA 1941,
BIR HAKEIM 1942,
EL ALAMEIN 1942,
ROME 1944,
COLMAR 1945,
AUTHION 1945,
INDOCHINE 1945 - 1954,
AFN 1952 - 196215.

Chant

Nos Képis Blancs (Sous le soleil brulant d’Afrique)

Décorations

Croix de la libération
Croix de guerre 39-45
Croix de guerre des TOE
Drapeau de la 13eDBLE
Fourragère aux couleurs du ruban de la Croix de la libération
Fourragère aux couleurs du ruban de la Médaille militaire

Le drapeau fait l’objet des citations et des décorations suivantes :

la Croix de la libération
4 citations à l’ordre de l’armée avec attribution de la Croix de guerre 1939-1945.
4 citations à l’ordre de l’armée avec attribution de la Croix de guerre des Théâtres d’opérations extérieurs
croix d’Officier dans l’Ordre du 27 juin (ordre de l’indépendance djiboutienne)16.

Ses hommes sont autorisés à porter :

la fourragère aux couleurs du ruban de la Médaille militaire en récompense des citations obtenues sur le Croix de guerre
la fourragère aux couleurs du ruban de la Croix de la libération17

Chefs de corps

février 1940 : Lieutenant-colonel Raoul Magrin-Vernerey
16 septembre 1940 : Lieutenant-colonel Alfred Cazaud
1er octobre 1941 : Lieutenant-colonel Prince Dimitri Amilakvari, MPLF
24 octobre 1942 : Chef de bataillon Gabriel Bablon
17 octobre 1944 : Chef de bataillon Paul Arnault
25 mars 1945 : Lieutenant-colonel Bernard Saint-Hillier
1er janvier 1946 : Lieutenant-colonel Gabriel Bablon
21 août 1946 : Lieutenant-colonel Gabriel Brunet de Sairigné, MPLF
4 mars 1948 : Lieutenant-colonel Paul Arnault
1er avril 1949 : Lieutenant-colonel René Morel
10 avril 1951 : Lieutenant-colonel Pierre Clément
1er septembre 1952 : Lieutenant-colonel Henri Guigard
1er septembre 1953 : Lieutenant-colonel Jules Gaucher, MPLF
19 mars 1954 : Lieutenant-colonel Maurice Lemeunier
13 mai 1954 : Lieutenant-colonel Ange Rossi
30 avril 1956 : Lieutenant-colonel Louis Marguet
6 janvier 1957 : Lieutenant-colonel Maurice Senges
8 décembre 1958 : Lieutenant-colonel Robert Roux
7 février 1961 : Lieutenant-colonel Albéric Vaillant
11 juillet 1961 : Lieutenant-colonel Claude Dupuy de Querezieux
24 août 1962 : Lieutenant-colonel Robert Lacôte
13 mai 1965 : Lieutenant-colonel Hugues Geoffrey
14 juillet 1968 : Lieutenant-colonel Gustave Foureau

14 juillet 1970 : Lieutenant-colonel Alexis Buonfils
18 juillet 1972 : Lieutenant-colonel Jacques Petré
12 août 1974 : Lieutenant-colonel Paul Lardry
16 août 1976 : Lieutenant-colonel Jean-Claude Coullon
17 juillet 1978 : Lieutenant-colonel Ghislain Gillet
17 août 1980 : Lieutenant-colonel Jean-Claude Loridon
19 août 1982 : Lieutenant-colonel Jean Vialle
17 août 1984 : Lieutenant-colonel Robert Rideau
31 juillet 1986 : Lieutenant-colonel Claude Champeau
31 juillet 1988 : Lieutenant-colonel Bruno Le Flem
1990 : Colonel Antoine Ibanez
1992 : Colonel Jean-Pierre Pérez
1994 : Lieutenant-colonel Emmanuel Beth
1996 : Lieutenant-colonel Daniel Nougayrède
1998 : Lieutenant-colonel Debleds
2000 : Colonel Jean Maurin
2002 : Colonel Chavancy
2004 : Lieutenant-colonel Henri Billaudel
29 juillet 2006 : Colonel Marchand
31 juillet 2008 : Colonel Thierry Burkhard
du 27 juillet 2010 au 21 juillet 2011 : Colonel Cyril Youchtchenko
du 21 juillet 2011 au 30 juillet 2013 : Colonel Tony Maffeis
depuis le 30 juillet 2013 : Colonel Nicolas HEUZE

Faits d’armes

Seconde Guerre mondiale
Bataille de Narvik
El-Alamein
Bir Hakeim
Libération d’Autun
Poche de Colmar
Réduction des poches allemandes dans le massif de l’Authion
Guerre d’Indochine
Bataille de Ðien Biên Phu
Guerre d’Algérie
Interventions en Somalie en 1992-1993, (Opération Oryx et Opération Restore Hope)

Organisation en juin 2001

Avant de changer de format et de s’implanter aux EAU, la 13e Demi-brigade de Légion étrangère était une unité combattante à vocation interarmes composée d’environ 800 hommes dont 320 permanents.

La CCS ou Compagnie de Commandement et de Soutien, est mixte, composée de légionnaires en MCD et de permanents. Elle regroupe tous les services projetables, nécessaire au commandement du régiment (transmissions, bureau opération, infirmiers, section transport, etc.). Elle arme aussi le CECAP (Centre d’entraînement au combat d’Arta Plage) qui organise les stages d’aguerrissement au milieu désertique et enseigne les savoir-faire tactiques propres au combat en zone désertique. Il forme les unités des FFDJ (Forces Françaises Stationnées à Djibouti), mais aussi les officiers de l’école d’application de l’infanterie ainsi que des unités étrangères.

La CM ou Compagnie de Maintenance. Cette compagnie est doublement mixte puisqu’elle compte en son sein à la fois des légionnaires et des soldats de l’arme du matériel, en MCD ou en poste permanent. Elle assure la maintenance de toutes les unités de l’armée de Terre présentes sur le territoire.
L’ER ou Escadron de Reconnaissance (unité élémentaire permanente). L’escadron, formé essentiellement de légionnaires en provenance du 1er REC est stationné en poste isolé, au poste Brunet de Sairigné, à Oueah, à 40 km de Djibouti depuis 1968. Il est équipé de blindés légers à roues de type ERC-90 Sagaie et de véhicules légers tout-terrains P4. Il est autonome sur le plan de la vie courante, de l’entretien de ses matériels et de son infrastructure.

La Compagnie d’Infanterie. Armée alternativement par une compagnie du 2e REI ou du 2e REP, elle est équipée de VAB (véhicules de l’avant blindé) et de VLRA (véhicules légers de reconnaissance et d’appui). Elle est constituée d’une section commandement, d’une section d’appui (un groupe de mortier de 81 mm et un groupe de missiles Milan) et de trois sections de combat.
La Compagnie de Génie. Provenant du 1er ou du 2e REG elle est composée d’une section de commandement, de trois sections de génie combat, d’une section appui et d’une section travaux. Cette dernière est en général chargée de le remise en état des routes ou pistes d’aérodromes sur le territoire. Il arrive qu’une de ces sections passe toute sa MCD dans le désert, sous tente, à tracer une piste, dans la plus pure tradition des légionnaires bâtisseurs.

Organisation depuis 2011

L’unité est devenue, en 2011, le corps support du Groupement terre de l’IMF EAU. Elle se décompose en une unité de support (noyau dur de l’unité) ainsi que d’unités envoyées sur place en missions de courte durée (4 mois) décomposées comme suit :

entre 80 et 100 hommes issus des unités de Légion étrangère au titre des éléments supports
une compagnie d’infanterie Légion (fournie alternativement par le 2e REP et le 2e REI)
une unité d’artillerie armant les CAESAR
une unité d’infanterie armant les Véhicule blindé de combat d’infanterie

Personnalités ayant servi au sein de l’unité

Général Marie-Pierre Kœnig, élevé à la dignité de Maréchal de France à titre posthume en 1984, capitaine à la 13e DBLE au début de la Seconde Guerre mondiale.
Général Raoul Magrin-Vernerey, premier commandant de la demi-brigade, puis de la brigade française libre d’Orient en Érythrée et du bataillon français de l’ONU durant la guerre de Corée.
Général d’armée Jean Simon, capitaine à la 13e DBLE au début en 1940, chancelier de l’ordre de la Libération, médaillé militaire comme général.
Prince de Géorgie Dimitri Amilakvari, tué à la tête de la demi-brigade le 4 octobre 1942.
Pierre Messmer, Premier ministre, ministre de la défense, académicien, capitaine au début de la Seconde Guerre mondiale
Jacques Pâris de Bollardière
Bernard Saint-Hillier
Susan Travers
Roger Barberot
Général André Lalande, nommé chef de bataillon du 1er bataillon de la Phalange magnifique en juin 1943, Compagnon de la Libération
Général Hugues Geoffrey alias Hugo Gottlieb (ancien légionnaire), chef de corps de 1965 à 1967
Général René Imbot, lieutenant et capitaine à la 13e DBLE
Sergent-chef Siegfried Freytag, as de l’aviation allemande (102 victoires) sert à la 13e DBLE à Djibouti
lieutenant-colonel Jacques Hogard


Octobre 1950 le désastre de la R.C.4 au Tonkin

Envoyer

Le Vietminh lance une grande offensive sur le Haut Tonkin.

Le corps de bataille du Vietminh peut compter sur la division 308, créée le 6 juin 1948, forte de trois régiments d’infanterie complets, et d’un quatrième en formation, d’un bataillon de transport et d’un de D.C.A. Au total, 22 000 hommes qui gravitent entre la R.C. 4 et la frontière chinoise.

18 septembre : la chute de Dong Khé.

            Dong Khé, à 40 kilomètres au sud-est de Cao Bang, est dominé à l’est et au nord par des sommets calcaires. Cinq postes périphériques, plantés sur les hauteurs, contrôlent les accès de la plaine. La citadelle, bâtie sur une butte, accueille le P.C. de la défense, aux ordres du capitaine Allioux, adjudant-major du II/3e R.E.I., la 6e compagnie, quelques artilleurs et les canons. La 5e compagnie occupe une vieille enceinte fortifiée dans le village.
            Le 14 septembre, les Viets isolent Dong Khé.
            Le 16 septembre, l’attaque se déclenche avec un bombardement intensif de la citadelle.
            Au lever du jour, la citadelle et les défenses immédiates tiennent toujours.
            Le 17 septembre, les survivants se regroupent dans la citadelle.
            Le 18 septembre, vers 4 heures, c’est la ruée. Par centaines, les Viets montent à l’assaut.
            Les légionnaires opposent une résistance farouche à leurs assaillants avant d’être anéantis. Au terme de 48 heures d’une résistance héroïque, le poste succombe. Seul un officier et quelques légionnaires réussissent à rejoindre That Khé.
            Dong Khé est tombé. 85 légionnaires ont été tués. Plus de 150 légionnaires, presque tous blessés, prennent le chemin des camps de prisonniers pour y connaître souffrances et mort.
            Le fanion du II/3e R.E.I. reçoit la croix de guerre des T.O.E. avec palme.
            La R.C. 4 est désormais coupée à Dong Khé par les Viets.

17 septembre : le 1er B.E.P. saute, en deux vagues (le 17 à 18 heures 15 et le 18), sur That Khé, à 25 kilomètres au sud, où se rassemble la colonne Lepage, groupement Bayard. Le 1er B.E.P., est sensiblement au complet avec 500 hommes dont 23 officiers et 53 sous-officiers aux ordres du commandant Pierre Segrétain, handicapé par une sciatique.

    That Khé n’est qu’une modeste cuvette baignée par un arroyo, le Song Ky Cong. La bourgade s’étire le long d’une rue principale, avec une petite église catholique. Deux compagnies du II/3e R.E.I., commandées par le capitaine Labaume, tiennent les lieux.


L’évacuation de Cao-Bang est décidée.

18 septembre : ayant décidé le 16 septembre, en plein accord avec Pignon le Haut-commissaire, le repli de Cao-Bang, le général Marcel Carpentier se rend à Langson pour conférer avec le colonel Constans, chef de corps du 3e R.E.I., pour préparer le repli de Cao-Bang où se trouve son adjoint, le lieutenant-colonel Pierre Charton.

            Face au Vietminh, est prescrit le repli sur Lang Son des garnisons de Cao Bang et des postes disséminés le long de cette artère infernale, la R.C.4., l’opération Thérèse.
            Les civils et inaptes sont évacués de Cao-Bang par avions, qui amènent un Tabor en renfort ; le lieutenant-colonel Pierre Charton dispose pour sa colonne de retraite de trois bataillons : le III/3e R.E.I ; du commandant Forget, un bataillon de partisans et le Tabor.
            La colonne montant en appui et recueil est confiée au lieutenant-colonel Lepage, artilleur. Elle est constituée par deux Tabors, 1er et 11e, et un bataillon de marche du 8e R.T.M. Le 1er B.E.P. lui est affecté en renfort.

20 septembre : le lieutenant-colonel Lepage envoie les légionnaires sonder les crêtes proches. Manifestement il y a du monde, notamment sur la cote 703, qui domine le col de Lung Phai où s’insinue la RC 4 avant la descente sur Dong Khé.

22 septembre : le groupement Bayard, fort de quatre bataillons avec le 1er B.E.P., lance une reconnaissance en force, en direction de Poma, à 12 kilomètres au nord-est de That Khé. L’endroit est plus que fréquenté. Les goumiers occupent les crêtes, les légionnaires les objectifs signalés. L’opération se solde par des stocks de munitions détruits, quelques prisonniers et de nombreux documents. Le repli s’effectue sous des tirs nourris de mortiers de 81 qui occasionnent des blessés.

24 septembre : le lieutenant-colonel Charton reçoit du général Alessandri l’ordre de repli de Cao Bang ; par la R.C. 4 la colonne Charton devra faire sa jonction avec le groupement Lepage qui viendra à sa rencontre.


Du 23 septembre au 4 octobre : la bataille de Sin Ma Kay.

            La situation s’est aggravée à l’est de Lao-Kay où les garnisons évacuent. Celle de Hoang Su Phi, à base de tirailleurs Thaïs et de partisans Méos, avec le capitaine Paul Bazin, pique vers l’ouest pour rejoindre le poste de Muong Khuong, via Pha Long ; la garnison de Pa Kha, le III/4e R.T.M. remonte vers le nord car les Viets au sud et une barrière montagneuse à plus de 1500 mètres à l’ouest, lui interdisent de progresser vers Lao Kay.
            Le sous-groupement du capitaine Dussert saute sur Sin Ma Kay pour aider le III/4e R.T.M.
            Prévenu par des partisans Méos d’une présence Viet au sud-est de Sin Ma Kay, le capitaine Dussert dépêche la 2e compagnie du lieutenant Bernard Cabiro avec les sections des lieutenants Gervet et Yvon Neveu et la section du lieutenant Rollin de la 1re. Le Cab a les réflexes rapides et la surprise joue à plein ; 15 Viets tués, un F.M. et une vingtaine d’armes individuelles saisies. Une fois de plus, le grand Bethery s’est mis en exergue.
            Ordre est donné au III/4e R.T.M. d’accélérer son regroupement.
            Le 27, à 23 heures, la colonne s’ébranle en direction du bac de La-Heu sur le Song Chay qu’il faut impérativement franchir pour se retrouver sur le versant de Lao Kay.
            Le 27, vers deux heures du matin, les éléments de tête atteignent La-Heu ; le Song Chay roule des flots impétueux avec des remous et des tourbillons. Au cours d’une première tentative avec le radeau, le lieutenant Yvon Neveu disparaît entraîné par les flots ainsi que les deux passeurs ; le sergent Simonot, le caporal Klimper sont les seuls rescapés.
        Le 28, le radeau est remis en état et le Song Chay amorce une décrue sensible : une journée et demie est nécessaire pour achever les transvasements.
        Le 29, en fin d’après-midi, Pha Long est atteint. Pha Long possède un poste d’importance ; cette position se situe en pays Méo de population francophile.
        Le 30, le capitaine Paul Bazin, replié de Hoang Su Phi via la Chine, rallie Pha Long.
        Le 3, vers 17 heures, une trouée dans la couche nuageuse, permet le ravitaillement en vivres et en munitions sur la DZ de Pha Long.
        Le 4 à 9 heures, le sous-groupement du capitaine Dussert se remet en route en direction de Lao Kay, à 90 kilomètres : trois étapes de 30 kilomètres avec bivouac nocturne à Muong Kuong et Ban Lao. Le 2e B.E.P. a accompli sa mission après un crapahut difficile.


Le groupement Bayard du lieutenant-colonel Lepage se met en route.

30 septembre 1950 : à 5 heures du matin, c’est le vrai départ du groupement Bayard pour l’opération Tiznit ? Sa mission est de porter le gros des forces sur Dong Khé.

            Goumiers et tirailleurs ouvrent l’itinéraire et occupent la cote 703.
            Le 1er B.E.P. est parti avec deux jours de ration.
            Dans la descente du col, les légionnaires doublent les tirailleurs. Le commandant Pierre Segrétain veut jouer la rapidité et la surprise. A  cinq kilomètres de Dong Khé, la 1ère compagnie du capitaine Garrigues, suivie par le P.C. du bataillon, le peloton des élèves gradés, la C.C.B. aux ordres du lieutenant Deborde, et la 2e du capitaine Bouyssou, déboîte et part s’installer sur le Na Kéo, hauteur à environ un kilomètre de la R.C. 4. La 3e compagnie du capitaine de Saint-Etienne reste en réserve d’intervention.
            Le peloton des élèves bradés avec le lieutenant Roger Faulques avance vers Dong Khé ; il rencontre une patrouille de quatre Viets ; les P.M. français tirent les premiers. Trois hommes boulent à terre, le dernier disparaît sous les couverts. L’alerte est donnée.
            Le peloton fonce vers Dong Khé mais son élan est bloqué par le tir d’une mitrailleuse et une salve d’obus de 81. Un élève caporal est tué. Deux autres sont légèrement blessés.
            Rapidité et surprise sont les seuls atouts des légionnaires parachutistes. Le 1er B.E.P. est prêt à donner l’assaut mais le lieutenant-colonel Lepage en décide autrement.

1er octobre 1950 : le Morane d’observation signale de nombreuses files de Viets, dévalant des massifs à l’est de la R.C. 4, progressant par de petites pistes en direction de l’ouest, voulant encercler les P.A. avec le 1er B.E.P. du commandant Segrétain et du Na Kéo avec le 11e Tabor du commandant Delcros.

2 octobre 1950 : un message du colonel Constans précise au lieutenant-colonel Lepage sa mission : Cao-Bang décrochera cette nuit ; le groupement Bayard doit se porter au devant du lieutenant-colonel Pierre Charton. Le lieutenant-colonel Lepage renonce à enlever Dong Khé ; il bascule sur sa gauche pour retrouver la colonne de repli qui, devant le verrou tiré devant elle, sera contraint d’adopter un autre itinéraire. Mais il s’affaiblit en scindant sa troupe. Le B.E.P. sur la cote 615 et 11e Tabor sur le Na Kéo le couvriront face à l’est tandis que lui-même avec le 8e R.T.M. et le 1er Tabor s’avancera vers la colonne de repli. A 15 heures, la bataille fait rage sur le Na Kéo ; les Viets pilonnent le 11e Tabor sans cesser de lancer des assauts ; le 1er B.E.P. entame son mouvement pour contourner Dong-Khé. Sur les nerfs depuis le matin, les légionnaires sont déchaînés et passent littéralement sur le ventre des bo-doï, submergés par cette hargne trop longtemps contenue. Le 11e Tabor passe une nuit d’enfer sur le Na-Kéo ; les goumiers se battent au corps à corps. Les Viets sont près du sommet.


Le groupement du lieutenant-colonel Charton quitte Cao-Bang.

3 octobre 1950 : la chasse intervient sur le Na Kéo pour soulager les goumiers. Le 1er B.E.P. délaisse la cote 615 pour se porter à la rescousse du 11e Tabor. Le 11e Tabor n’est plus qu’une troupe laminée par les combats menés depuis 48 heures. Les rescapés se replient vers Na Pa et la R.C. 4. Vers le 1er B.E.P. convergent deux régiments de la brigade 308, l’unité phare du général Giap. Les légionnaires aménagent au mieux les tranchées existantes et creusent de nouveaux abris. Le lieutenant Meyer de la 2e compagnie est tué par une balle de mitrailleuse.

            A 15 heures, c’est l’assaut au sifflet. L’adversaire à moins de 50 mètres, les légionnaires ouvrent le feu avec des MP 40 et des grenades défensives ; un straffing des King Cobra contribue à refouler les assaillants. De son côté le lieutenant-colonel Lepage est accroché sur l’autre versant de la cuvette de Dong Khé. Le Viet en force est partout disséminé.
            Le jour décline. Précédée d’une intense préparation de 75, une nouvelle vague arrive en hurlant suivie aussitôt par une autre. La 3e compagnie supporte le choc principal. Le P.E.G. du lieutenant Roger Faulques intervient et rétablit une situation un moment compromise. L’attaque est brisée. Les pertes des Viets sont lourdes. La situation est grave : les chargeurs de F.M. net de P.M. sont presque tous vides. Grenades et obus de mortiers manquent. Une centaine de blessés, légionnaires et goumiers, alourdit la position. Le médecin-capitaine Pédoussant et le médecin-lieutenant Levy sont débordés ; ils se dépensent au mieux avec les infirmiers pour soulager temporairement les blessés.
                Sur ordre, le groupement du lieutenant-colonel Charton quitte sa position fortifiée de Cao Bang : il comprend le III/3e R.E.I., le 3e Tabor marocain, un bataillon de partisans thôs ; en tout 1 600 hommes, auxquels se joignent 500 civils. La colonne emprunte la R.C.4 et marche lentement. Des groupes de partisans, dont celui du 1er B.E.P. du caporal Constant et du sergent Hoï, éclairent la colonne. Mais la colonne avance au massacre. Le général Giap dispose d’une gigantesque embuscade sur la R.C.4 avec 30 000 hommes, dix fois l’effectif total des forces françaises.

4 octobre 1950 : le décrochage de Na Kéo vers la R.C. 4 commence vers 3 heures du matin. Une mauvaise pluie rend la pente excessivement glissante ; les légionnaires qui portent les brancards de fortune évitent difficilement les chutes ; les blessés précipités à terre se taisent.

            Les retrouvailles avec la R.C. 4 redonnent espoir. Tirailleurs et goumiers rescapés du Na Kéo progressent en tête. Le 1er B.E.P. suit. Mais dans le défilé dit de la 73/2, dans la montée vers le col de Lung Phai, une embuscade se dévoile. Les Viets essaient de tronçonner la colonne Delcros. L’embuscade provoque une panique chez les goumiers et les tirailleurs traumatisés. Une intervention énergique des légionnaires du capitaine Garrigues fait refluer les Viets. Mais colonne est bloquée par un à-pic de 100 mètres.
            Le lieutenant-colonel Lepage est installé sur la cote 765, point culminant du massif, sur la ligne faîtière séparant la cuvette de Dong Khé de la vallée de Quang Liet par laquelle doit déboucher la colonne de repli. Il demande au 1er B.E.P. de le rejoindre. Mais il décide de partir vers l’ouest en direction de Coc Xa, un hameau dans la vallée de Quang Liet, afin de se rapprocher de la colonne de repli. Mais la compagnie du 8e R.T.M. qui doit attendre le 1er B.E.P. sur la cote 765 décroche. Lorsque les légionnaires se présentent, ils sont reçus par des feux nourris de mitrailleuses. La piste descendant vers Coc Xa s’avère impossible.
            Le commandant Pierre Segrétain a l’obligation de faire demi-tour. Il cherche un autre itinéraire. Avec les brancards et les blessés, tout en se gardant des Viets, la tâche devient inhumaine. Finalement, à minuit, le commandant Pierre Segrétain et son adjoint, le capitaine Pierre Jeanpierre, décident d’attendre le jour et d’exploiter une faille éventuelle.

5 octobre 1950 : les officiers du 1er B.E.P. peuvent faire le point. Ils découvrent, sur leur droite et sur leur gauche, les arêtes rocheuses qui leur barraient le chemin durant la nuit. La fameuse vallée de Quang Liet, étroite bande de rizières entre les hauteurs, s’allonge nord-est en contrebas de leur position. La cote 533 domine le thalweg. Le hameau de Coc Xa doit se trouver à trois bons kilomètres. Le P.E.G. utilise la faille : la voie vers la vallée est ouverte. La 1re compagnie dépêche sur la 533 la section du lieutenant Tchabrichvili.  

    Vers midi, un convoi muletier venant du P.C. Lepage se manifeste. Pas de quoi réveillonner mais, pour des affamés, cette manne calme un peu les ventres creux. Le lieutenant Lefebure, chef du détachement, a risqué gros en s’aventurant sans grande protection. En milieu d’après-midi, le convoi repart avec les blessés et une section de légionnaires comme escorte.
    Vers 17 heures la liaison avec le P.C. Lepage s’établit ; Segrétain et Jeanpierre veulent quitter cette position indéfendable : les ordres attendus arrivent ; le 1er B.E.P. doit s’implanter sur la cote 477, qui domine la vallée de Quang Liet sur l’ouest.
    Le 1er B.E.P. commence son mouvement quand une intense fusillade éclate sur la cote 533. La 1re compagnie marche au canon. Trop tard. Une nuée de bo-doïs, s’est ruée sur la section Tchabrichvili. Le combat a été bref. La section est balayée. A cet assaut répond le rush des légionnaires balayant tout sur son passage. Au sommet, ils retrouvent les rares rescapés de la section. Le sergent Antonoff se demande quelle baraka l’a inscrit avec trois camarades au nombre des rescapés.
    Cette attaque remet en cause tout le déroulement de la bataille. Les Viets se manifestent en force dans la vallée de Quang Liet. Les groupements Lepage et Charton sont encerclés.
    Le 1er B.E.P. se met sur la défensive, à court de munitions, dans un terrain truffé de Viets. Il doit désormais rejoindre le colonel à Coc Xa dès que possible.
    La marche s’amorce sur une piste étroite. Les voltigeurs de pointe se méfient de l’embuscade : elle survient sur les arrières. A la 3. Les sections des lieutenants Marce et Berthaud sont coupées du gros. Marce rejoindra le lendemain mais Berthaud isolé sera piégé trous jours plus tard.
    De son côté, le convoi de Cao Bang parcourt en deux jours une vingtaine de kilomètres. La chaussée devient inutilisable. Cependant, le Vietminh ne manifeste que rarement sa présence. Le gros de ses forces s’oppose au groupement Lepage qui se trouve en grande difficulté. Dès lors le plan prévu ne peut être suivi et la colonne Charton doit modifier sa marche. Evitant la R.C.4 et Dong Khé, elle emprunte la vallée du Quang Li.

6 octobre 1950 : le colonel Lepage n’est pas à Coc Xa, au fond de la vallée, mais un peu plus haut, ‘’dans la cuvette de Coc Xa’’, une large dépression, un bon kilomètre au sud de la cote 649, traversée par la piste menant de la cote 765 à Coc Xa.

    Le 1er B.E.P. ne compte plus guère que 350 valides quand il amorce la montée vers la cuvette. La piste, enserrée dans une végétation intense, se glisse entre deux parois calcaires. Aux deux tiers du parcours, sur un palier, elle offre une source ; ce point de passage quasi obligé verrouillant la descente de la vallée est gardée par des tirailleurs du 8e R.T.M. Le site est dominé de toutes parts. ‘’Un vrai trou à rats’’ grommelle Jeanpierre.
    Un parachutage à moitié réussi permet aux légionnaires de compléter leurs chargeurs et de se partager une boîte de rations pour deux. Les partisans du lieutenant Stien, l’O.R., font cuire des tubercules de manioc sous la cendre. Un festin de roi !
    Segrétain et Jeanpierre sont partis aux informations. Lepage compte sur Charton pour se dégager. De Langson, Constans ne cesse de dire ‘’Décrochez, décrochez’’.
    En début d’après-midi, une éclaircie ; la colonne de Cao Bang a été retardée mais demain matin, elle se portera sur la cote 477. Lepage voit dans sa cuvette un havre de paix.
    Des salves de 81 tombent ; les Viets ont parfaitement localisé les Français. Leur étau se resserre. Vers 17 heures, Les Viets sont à la source et verrouillent l’issue de la cuvette.
    Dans son P.C., Lepage est conscient d’avoir séjourné trop longtemps dans sa cuvette. Il n’a qu’un recours : le B.E.P. A Segrétain et ses légionnaires de forcer le passage pour gagner la cote 477 avec une attaque de nuit. Les blessés resteront sur place avec le médecin-capitaine Pédoussant, les médecins lieutenants Lévy, Rouvière et Ensalbert du 11e Tabors, du 1er B.E.P. et du 8e R.T.M., volontaires pour rester, et quelques infirmiers.
    De son côté, exténuée de fatigue, la colonne Charton arrive à proximité du secteur où le combat fait rage. Vers 18 heures, en débouchant sur la cote 590, le III/3e R.E.I., arrière-garde du groupement, est durement accroché. A l’avant, le 3e Tabor subit des attaques violentes sur la cote 477. La colonne Charton passe la nuit entre ces deux points.
    Durant la nuit, les Viets tentent de s’emparer des positions tenues par le III/3e R.E.I. Ils sont repoussés avec des pertes sévères. Mais les harcèlements aux armes lourdes continuent de plus belle. La puissance de feu des Viets est impressionnante.

7 octobre 1950 : il n’est pas encore 4 heures du matin lorsque le B.E.P. commence à s’engager vers le fond de la cuvette en direction du goulet et de la source : la 2e compagnie du capitaine Gilbert Bouyssou, le P.E.G. du lieutenant Roger Faulques, le P.C., puis la 1re compagnie du capitaine Pierre Garrigues, la 3e compagnie du capitaine Robert de Saint-Etienne et la C.C.B. du lieutenant Deborde.

    La section Chauvet est en tête de la colonne ; les légionnaires avancent un par un ; soudain la section se heurte à des centaines de Viets qui ne lui laissent pas le temps de réagir. En un instant, elle est anéantie.
    Les élèves-gradés et les survivants de la 2e compagnie font plier l’ennemi. Ils ont presque réussis mais ils sont aussi décimés. Faulques est blessé et avec lui, son adjoint. A deux, ils tentent l’impossible, avant de tomber. Bouyssou s’élance à son tour, sans plus de succès.
    Plus haut, la 1re compagnie du capitaine Garrigues a réussi à atteindre le bord de la falaise, au prix de lourdes pertes, dont la capitaine. De Saint-Etienne et la 3e foncent en criant. Comme ses camarades Garrigues et Bouyssou, et tout à l’heure Deborde, Saint-Etienne tombe au milieu de ses légionnaires.
    A 5 heures 30, la source est atteinte et les bo-doïs bousculés décrochent. Mais à quel prix ! Les quatre commandants de compagnie, plus de la moitié des chefs de section tués et avec eux la majorité de leurs légionnaires. Avant de foncer vers la vallée, Pierre Segrétain lance un dernier message à Lepage : ‘’Je n’ai plus de bataillon’’. Une centaine de chanceux avec les lieutenants Marcé, Roy et Cornuault, s’extraient de la cuvette de Coc Xa, et réussissent à se glisser au bord du ravin ; certains blessés mais encore capables de marcher.
    Le B.E.P. ouvre la marche ; derrière lui, goumiers et tirailleurs se pressent pour sortir. Les ultimes résistances Viets sont emportées par ce torrent humain qui s’écoule. Mais si les Viets ont cédé à la source, ils dévalent par le haut. Le groupement Bayard file vers la vallée, qui par la piste, qui par les falaises, à l’aide de lianes. Les rescapés des sections des lieutenants Hippert et Auboin descendent le long des parois verticales ; au sud de la faille, le lieutenant Stien et le groupe des partisans effectuent la même démarche. Il y a des chutes mortelles.
    L’objectif est toujours la cote 477 où la colonne de Cao-Bang est arrivée, plus éprouvée que prévu ; à l’aube le 3e Tabor est submergé et perd son piton ; mais, arrivant sur les lieux, les légionnaires du III/3e R.E.I. contre-attaquent avec succès. Poursuivant leur action, ils se heurtent à une résistance acharnée sur ce piton escarpé. L’ennemi est nombreux et tenace ; l’assaut doit être renouvelé plusieurs fois ; alors qu’il enlève la position dans une lutte au corps à corps, le commandant Michel Forget du III/3e R.E.I., l’une des plus grandes figures du 3e R.E.I., est tué.
    Les débris des deux colonnes se mêlent ; rares sont les unités encore à peu près constituées ; seul le miracle légionnaire permet à une centaine du B.E.P. à se présenter en sections, avec armes. Malgré ses lourdes pertes, le III/3e R.E.I. est encore le plus cohérent. Il est désigné pour fixer l’ennemi en queue de colonne. Il reçoit le choc du régiment 209, venu de Dong Khé. Isolé, affaibli par les combats précédents, le bataillon remplit sa mission d’arrière-garde et disparaît en entier dans la tourmente.
    Tout autour de 477, l’étau se referme et se durcit ; le salut est à That Khé vers les cotes 680 et 703 où le capitaine Labaume et ses légionnaires se sont portés en recueil.
    Charton en force et Lepage en souplesse tentent le passage et se font intercepter.
    Jeanpierre donne les ordres : les légionnaires constituent des groupes de 15 ; ils partent ensemble en colonne par un, sans matériel. En cas d’accrochage, les groupes prennent leur autonomie et s’efforceront de s’infiltrer entre les positions adverses. Objectif That Khé à 20 kilomètres d’ici.
    La colonne tombe dans une embuscade près de la rivière ; elle éclate non sans pertes ; le commandant Pierre Segrétain est très grièvement touché au ventre. L’héroïque commandant du 1er B.E.P. reste sur la piste avec deux sous-officiers blessés. Le soir même, il est emmené à l’hôpital Viet de Dong-Khé où il décède de ses blessures..
    Au départ, dans la nuit du 7 au 8 octobre, ils étaient une petite centaine ; au terme d’une odyssée infernale, ils ne seront qu’à peine un quart à rallier un poste de la Légion au nord de That Khé le mardi 10 octobre. Le capitaine Jeanpierre en tête, le lieutenant Marce en serre-file, le groupe formé après l’embuscade de la rivière rallie le poste.
    Au total, ils sont 23 rescapés du 1er B.E.P. : trois officiers, le capitaine Jeanpierre et les lieutenants Marce et Roy, les sous-officiers Hartkopf, Antonoff et Becker, 17 légionnaires.
    Dès leur arrivée à That Khé, ils sont évacués par avion sur Langson et Hanoï. Sinon ils auraient partagé le sort des derniers défenseurs de That-Khé.
    Au profit de la R.C.4, le commandement désigne le 3e B.C.C.P. du capitaine Paul Cazaux qui n’aligne qu’un effectif squelettique de 270 parachutistes, renforcé par la compagnie du lieutenant Daniel Loth avec ses 130 légionnaires, arrivée de Sétif à Bach Mai, la base arrière, en renfort du 1er B.E.P.. Le bataillon saute sur That Khé vers 16 heures.

8 octobre 1950 : au matin, le bataillon Cazaux reçoit mission de se porter à hauteur du groupement Labaume qui occupe la cote 608. Une fois sur la crête, Cazaux s’installe en position défensive, la compagnie Loth étant placée en réserve. Au soir du 8, Labaume décroche et c’est à Cazaux de couvrir son repli et de contenir les Viets. Ce qu’il exécute le 9 et dans la matinée du 10. La colonne des rescapés se disloque. Epuisés, abattus, les survivants se frayent un chemin à travers les Viets, marchant vers le nord. Embuscades devant et derrière. Des cris et des rafales d’armés déchirent la nuit. Beaucoup d’hommes, valides ou blessés sont fait prisonniers, souvent achevés sur place. S’ils sont épargnés, comme les lieutenants-colonels Charton et Lepage, ils connaîtront les souffrances de la captivité.

Au soir du 8 octobre, la presque totalité des forces françaises est hors de combat, tuées, disparues ou prisonnières.

    Malgré leur bravoure, le III/3e R.E.I. du commandant Michel Forget et le 1er B.E.P. du commandant Pierre Segrétain disparaissent dans la tourmente.

9 octobre 1950 : au petit jour, les rescapés arrivent par la R.C.4 à un kilomètre au nord de That Khé, où des camions viennent les chercher. Mais le repli tragique ne s’arrête pas là.

Dans la nuit du 10 au 11 octobre 1950, sur ordre du colonel Constans, toujours à Langson, That Khé et tous les postes de la R.C.4 sont évacués. Des centaines d’hommes se pressent devant le Song Ky Cong car les Viets ont fait sauter le seul pont et la traversée du fleuve s’effectue par des bateaux M2 du Génie. Commence la longue route en direction de Na Cham, à 30 kilomètres de là, encore défendue par la 4e compagnie du capitaine Mattéi du I/3e R.E.I. Les paras assurent l’arrière garde du repli de That Khé tandis que les Viets serrent de près et ne cessant d’harceler la R.C.4.

    Le repli s’effectue sans trop de pertes grâce au sacrifice de la 4e compagnie du I/3e R.E.I. et des parachutistes du 3e B.C.C.P. et du 1er B.E.P. Des fuyards, rebroussant chemin, signalent que les Viets viennent d’occuper le défilé de Déo Cat. Les postes qui gardaient ce passage délicat ont été abandonnés prématurément par leurs garnisons. La R.C.4 est barrée vers le Sud. Poursuivre implique livrer bataille et de déloger les Viets. La compagnie Loth à plusieurs reprises avec l’appui de trois King Cobra tente de faire sauter le verrou. Loth, blessé, transmet le commandement au lieutenant de Labrouhe.
    En fin d’après-midi et sur ordre formel, le capitaine Cazaux du 3e B.C.C.P. abandonne sur la R.C.4 tués et blessés dont le lieutenant Loth du 1er B.E.P.
    Hormis quelques isolés, les paras n’atteindront jamais Na Chan. Le 3e B.C.C.P. disparaît dans la retraite de That Khé ; son chef de corps, le capitaine Paul Cazaux est tué. La compagnie de renfort du 1er B.E.P. du lieutenant Loth disparaît également aux côtés du 3e B.C.C.P. dans une nature hostile face à un adversaire omniprésent.
    Malgré leur bravoure, le 3e B.C.C.P. du capitaine Paul Cazaux et la compagnie de renfort du 1er B.E.P. du lieutenant Loth disparaissent dans la tourmente.

L’évacuation de Langson est décidée.

Du 10 au 16 octobre, conformément à un ordre du général Alessandri, le colonel Constans organise des convois d'évacuation du matériel entreposé à Langson, notamment son artillerie.

Le 17 octobre, la garnison de Langson évacue la ville et rejoint le delta du Tonkin, sans pertes. Les dépôts de munitions laissés sur place sont détruits à 80 % par l'aviation.

Octobre 1950 : le désastre de la R.C.4 et de Langson, en Indochine, n’améliore pas le climat politique français. La retraite des forces françaises le long de la R.C.4 n’a été rendue possible que par le sacrifice du 1er B.E.P. et du 3e Etranger qui, à travers la jungle, ont combattu jusqu’au bout pour retarder l’avance ennemie. Les deux unités de la Légion sont exterminées.

    Partis 500, ils ne sont que 23 légionnaires du 1er B.E.P. à revenir. Leur chef de corps Pierre Segrétain est tué. Sont officiellement déclarés disparus, c'est-à-dire tués ou prisonniers, 14 officiers, 59 sous-officiers, 404 caporaux et légionnaires.
    Du III/3e R.E.I., partis 635, ils reviennent 32. Leur chef de corps, le commandant Michel Forget est tué.
    Dans les autres unités de la colonne Lepage, le pourcentage des rescapés est de un sur trois. Il chute à un sur sept pour la colonne Charton.
    Après négociations menées par le professeur Huard, les Viets rendent 52 blessés dont le lieutenant Roger Faulques, quatre fois touché, regardé comme condamné, l’adjudant Bonnin et le sergent Janos Kemencei.
    Plus de la moitié des prisonniers mourront en captivité, faute de soins, de nourriture, victimes des mauvais traitements.

Jean Balazuc P.P.P.

LIBRE OPINION du Général (2s) Vincent DESPORTES « Nous sommes en guerre, et pour longtemps »

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Posté le mercredi 10 juin 2015

« Nous sommes en guerre, et pour longtemps »

Cinq mois après les attentats de janvier à Paris, le général Vincent Desportes, professeur associé à Sciences Po, décrypte les nouvelles formes de guerre et appelle à l’élaboration d’une doctrine sur l’usage des forces au sein de la société

Ancien directeur de l’Ecole de guerre, le général Vincent Desportes est professeur associé à Sciences Po Paris et enseigne les questions stratégiques à HEC. Diplômé en sciences sociales, il travaille sur les thématiques de défense et publie à la rentrée un ouvrage chez Gallimard, « un cri d’alarme sur le très dangereux épuisement des armées », selon ses termes.

Avec les attentats de janvier, la France est elle entrée en guerre ?

Oui, et bien avant cela. Avec près de 10 000 soldats en opérations extérieures, autant sur le territoire national, nous sommes engagés dans une guerre à l’échelle du monde, et pour longtemps.

Avec ces attentats, les Français ont seulement pris conscience que l’ennemi a traverse les frontières, qu’il est chez nous. Il faut s’adapter à cette évolution durable de l’espace stratégique.

Qui est aujourd’hui notre ennemi ?

Ceux qui viennent commettre des attentats en France menacent nos vies et nos intérêts : le terrorisme militarisé. Un jour il s’appelle Al- Qaida, un autre un djihadiste de retour d’Irak. Ce n’est pas parce que les guerres d’hier opposaient des Etats que les guerres actuelles ne sont pas des guerres. Le principe de la guerre est d’échapper à ses modèles.

La présence militaire dans les rues contribue-t-elle au retour de la guerre ?

Les Français imaginent que parce qu’ils ont tue la guerre chez eux depuis soixante-dix ans, la guerre est morte. C’est faux ! Ils doivent prendre conscience de la montée des périls. Le feu a pris autour de l’Europe, de l’Ukraine à la Mauritanie. Si le seul effet de la présence de nos soldats dans les rues est de faire comprendre que la sécurité n’est pas donnée, alors on aura progressé.

Mais ces militaires sur le territoire ne doivent pas être employés comme des supplétifs de la police. Leur entraînement onéreux serait gaspillé s’ils ne sont que les sentinelles de la tour Eiffel. Alors qu’ils peuvent apporter des savoir- faire exceptionnels : renseigner, contrôler des zones, des frontières, intervenir, bref remplir des missions spécifiques. Ils doivent apporter leurs compétences selon une doctrine qui reste encore à définir.

En supprimant le service national, notre société ne s’est-elle pas privée d’un élément essentiel de la fabrique de l’identité nationale ?

Une société fonctionne sur des piliers qui la structurent. Or ces piliers s’affaiblissent. Le sentiment d’appartenance de notre société se dilue.

La conscription rendait ce service de socialisation complémentaire de la famille et de l’école.

Mais les armées demeurent un de ces piliers : tout affaiblissement de l’armée est celui de l’Etat, mais aussi de la société.

Assistons-nous à un retour de la guerre en Europe ?

On ne peut rien exclure. Nous avions écarté de notre horizon le choc entre Etats sur le continent européen. La crise ukrainienne nous ramène à la réalité. Or, dans la conception actuelle de nos forces, cette hypothèse a été évacuée. Elles sont trop réduites pour conduire ce genre de guerre. Si Vladimir Poutine équipe ses forces de milliers de chars ultramodernes, ce n’est pas juste pour les défilés ! Son vice-premier ministre, Dmitri Rogozine, n’a-t-il pas déclaré : « Les chars russes n’ont pas besoin de visa pour entrer en Europe » ?

De l’Europe au Sahel, la guerre peut prendre toutes les formes, y compris celles que nous n’imaginons pas. Jusqu’au dernier avatar en date, Daech. Car l’Etat islamique associe le meilleur de la symétrie et le pire de l’asymétrie, avec d’un côté l’affrontement conventionnel (les chars Abrams volés aux forces irakiennes), et de l’autre la plus haute sophistication dans l’horreur.

L’UE n’est-elle pas démunie face à des acteurs qui ont recours à la force ?

Nous devons lui être reconnaissants d’avoir préservé la paix depuis 1945. Mais cette idée joue désormais contre elle. Les Européens ont évacué la guerre de leur horizon et s’en sont affaiblis sur les plans moral et matériel. L’Europe nous rapproche désormais de la guerre parce qu’elle a détruit chez nous la conscience de la guerre. Les meilleures idées ont des effets pervers.

N’a-t-on pas tendance à recourir trop facilement à l’outil militaire dans la gestion des crises ? Ainsi, on lance une opération navale pour endiguer l’afflux de migrants en Méditerranée : le migrant est-il un ennemi ?

Le problème est celui de l’équilibre. Les capacités d’intégration des sociétés sont limitées. Au-delà d’un certain taux, elles s’effondrent. Il est du devoir des politiques de faire en sorte que l’équilibre ne soit pas brisé. Faut-il utiliser la force militaire ? Je ne sais pas. L’emploie-t-on trop souvent ? Probablement. Elle ne peut pas tout régler. Même quand c’est le cas, il faut l’utiliser avec responsabilité, car la guerre possède une dynamique propre qui la fait toujours échapper à son initiateur. Ce n’est pas parce qu’on possède la force que l’on domine la guerre. Le fossé entre la force et la puissance n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui ! La force des Occidentaux est considérable, mais elle ne se transforme plus que difficilement en puissance. Le modèle américain dysfonctionne depuis vingt-cinq ans, et nous conservons les mêmes modèles de forces qui peinent à produire un résultat stratégique

Que faut-il faire ?

Cette problématique de l’utilité de la force est centrale. Nous continuons à investir dans des systèmes portés par l’idée fausse que la guerre consiste à détruire au mieux des cibles. Au lieu de penser les solutions du monde réel, nous utilisons notre force en nous disant qu’elle va bien finir par devenir puissance. Résultat : soit nous entrons par obligation dans des conflits que nous sommes incapables de gagner, comme au Sahel, soit nous les fuyons piteusement comme en Irak, voire en Afghanistan.

Les cyberattaques entrent-elles dans les missions de l’armée ?

Les missions de l’armée évoluent. Il y a cent ans, on aurait pu se demander si avoir des avions en était une ! La mission de l’armée, c’est de proposer une défense militaire là ou il y a des attaques militaires. La guerre s’empare des espaces que l’homme conquiert : terre, mer, air, espace et cyberespace. Les militaires ne doivent donc pas en être absents.

La cyberguerre menace-t-elle les Français ?

Les risques sont importants. Un jour, cette cyberguerre sera capable de prendre les commandes d’un avion pour le précipiter au sol. Chacun est menacé (comptes bancaires, médias…) mais la menace ne peut être collective, car si c’est un Etat qui la conduit on peut la faire cesser par des moyens conventionnels. Ces cyberattaques, tant qu’elles demeurent diffuses et ponctuelles, peuvent désorganiser mais pas détruire.

Ne surestime-t-on pas cette menace ?

On a toujours tendance à surestimer un nouvel outil de guerre. Mais cette phase de sensibilisation est très utile : elle va réduire notre vulnérabilité face à cette menace de contournement de notre force. Prenons garde que l’effort fait sur la cyberdéfense ne se traduise pas par un affaiblissement ailleurs.

Le rapport des militaires au combat a changé, du soldat au drone puis du drone au robot. Cette évolution participe-t-elle de la dématérialisation de la guerre ?

N’ayez aucune illusion ; la guerre, c’est l’affrontement des volontés humaines. Les hommes vont toujours chercher à contourner la force de l’ennemi et l’attaquer par d’autres voies, mais il s’agit toujours de la guerre des hommes. La prochaine pourrait bien débuter par un combat de robots, mais une fois qu’ils auront été détruits, les hommes reprendront les armes. Quand on a détruit tous les navires, il n’y a plus de guerre navale.

Quand on a détruit tous les avions, il n’y a plus de guerre aérienne. Quand on a détruit tous les chars, alors la guerre commence. Cela fait longtemps que l’époque des Horaces et des Curiaces est révolue, celle des héros auxquels les nations confiaient leur destin. C’est pour cela que la guerre est désormais au sein des populations et qu’elle y restera.

Propos recueillis par gaïdz MINASSIAN


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