le blog tietie007 par Thierry Giraud
26 Août 2011
Pierre Gortchakoff vivait à Sretensk, en Transbaïkalie, près de la frontière chinoise, une vie plutôt douce dans les grands espaces sibériens, avec quelques plongeons dans la rivière Chilka, qui plonge dans le fleuve Amour, frontière d'eau entre la Russie et la Chine. En 1916, Pierre est mobilisé dans la 2e division d'artillerie sibérienne à Irkoutsk. Le 15 février 1917, il est rattaché à la 8eme batterie de la 2eme brigade spéciale d'artillerie, qui se dirige vers la grand port du nord-ouest de la Russie, Arkhangelsk,
pour appareiller vers Salonique, via la France, sur le paquebot Lorraine,
ancien transatlantique entre Le Havre et New-York, désormais transport de troupes ! Le jeune homme ne sait pas encore qu'il ne reverra jamais la mère-patrie !
Débarqué à Brest, le 23 juillet, la troupe prend le train vers Toulon, via Orange et Marseille.
Le 4 août, il embarque à Toulon sur le paquebot grec "Constantin". Après une escale à Bône et à Bizerte, après avoir été suivi par un sous-marin allemand, le bateau arrive à Salonique, le 17 août 1917. La cité portuaire de la Mer Egée, jadis ottomane, désormais grecque, et la porte d'entrée des troupes alliées allant combattre sur le front des Balkans, contre les bulgares et les allemands. Ici, la vie est chère, et les femmes turques renfrognées. Mais la ville plaît à Pierre, malgré sa saleté ! Les souks sont très vivants,
et les personnages grecs, pittoresques. Ici un pâtre grec,
là une curieuse femme à la hache !
C'est peut-être à Salonique que mon grand-père a pris ses photos,
de jeunes soldats russes arrachés de leur terre, emportés par la tourmente guerrière,
combattant sur des terres étrangères,
sur un front délétère !
Que sont devenus ces visages anonymes,
ces silhouettes martiales,
aux godillots usés ? Sont-ils retournés en Russie ? Ont-ils émigré en France comme beaucoup de russes ? Il ne reste de ces inconnus que de vieilles photos jaunies, exhumées de vieilles boîtes en carton, après un long sommeil de 90 ans !
Mais le périple balkanique n'était pas touristique, et Pierre monta sur le front, vers Florina, en Macédoine, où il va rester jusqu'en décembre 1917. Comme le précise Pierre Miquel, qui a narré ce front oublié dans "Les poilus d'Orient", plus que les combats, ce sont la malnutrition, les maladies et le climat malsain qui ont ravagé la troupe, et c'est certainement dans les montagnes près des lacs d'Ohrid et Prespa que mon grand-père a du attrapper le paludisme.
En Russie, depuis octobre 1917, la situation a changé et les bolcheviques ont pris le pouvoir à la faveur d'un coup d'état. Ils vont bientôt signer la paix de Brest-Litovsk, avec les puissances centrales, libérant la Russie de son alliance avec l'Ouest. A Salonique, l'écho de la révolution en Russie est très faible, mais en janvier 1918, on propose 3 solutions aux soldats russes, qui ont été désarmés :
- combattre avec les alliés.
- travailler pour les alliés.
- retourner en Russie.
Dans un premier temps, Pierre choisit de retourner en Russie, comme la majorité de ses compagnons. Puis, il changea d'avis, et décida de s'engager dans un bataillon de Marche de la Légion étrangère, en juin 1918.
Le 18 juin, à Salonique, il embarque sur le vapeur Tchikhatchev pour arriver à Marseille, le 3 juillet, où l'unité prend ses aises au camp Mirabeau. Le 12 juillet, son unité, arrivée à Paris, où elle va commencer l'instruction dans un camp à une trentaine de kilomètres de la capitale. Rattachée à la 1re division marocaine, le régiment de marche de la Légion étrangère, mosaïque de nationalités, dont un certain espagnol, Angel Boluda, de Barcelone,
se poste à Nancy. Le 27 octobre, après avoir beaucoup bu, les hommes se lancent à l'assaut des lignes allemandes, sous le feu nourri des mitrailleuses ennemies. C'est un échec, et les blessés seront nombreux.
(photo de Pierre Nieradovskij)
Le 7 novembre, c'est la permission, que Pierre va passer à Nice, reçu chez un certain Mr Soboliev. C'est sur la côte d'azur, qu'il apprendra l'armistice,
qu'il fêtera en assistant à un "Te deum", le 14 novembre, à l'Eglise orthodoxe de Nice. Le 20, sa permission s'achève et retour à Dombasle, le 23. La troupe va occuper la rive droite du Rhin, jusqu'à Oggersheim, le 8 décembre, via Kaiserlautern.
Le 22 décembre, certains russes parent pour la Russie, pour s'enrôler dans les armées de Denikine, qui combattaient les bolcheviques, mais mon grand-père n'a plus envie de combattre pour ses "Messieurs" les généraux !
Gardien de prison, en janvier et en février, le décret de démobilisation tombe, le 6 février. Pierre est bien décidé à descendre sur Marseille pour prendre un paquebot vers Constantinople, pour retourner dans sa chère Russie, rêve de tous les russes de la Légion, dont Basile Koutchenkoff, à gauche, à côté de mon grand-père,
Jean Sinitzki,
Paul Griaznoff, et tous les autres, les Zitchenko, Dudnikoff, Nesterenko, Kondatrenko, Kirnikoff, etc ...
La plupart ne reverront plus la Russie et feront souche en France. Mon grand-père aurait du se marier avec Alexandra, une jeune fille de Sretensk, mais la tourmente de la guerre les éloigna à jamais, puisqu'elle épousa un prisonnier autrichien, un certain Neunteufel et émigra à Vienne alors que mon grand-père rencontra une fille d'Emilie-Romagne, à Marseille, Irène Grisendi, qui deviendra sa femme.
Ainsi va le destin !