L’EXPERIENCE PERSONNELLE
Question : Une question un peu plus personnelle. Vous avez passé six mois dans la vallée de Surobi, à Tora, vous avez emmagasiné un certain nombre de connaissances, de renseignements, vous avez noué des relations. Six mois, ce n’est pas trop court pour un chef ? Et deuxièmement, comment l’institution capitalise votre expérience ?
Colonel Benoît Durieux : Sur la durée du mandat, je pourrais être assez clair, six mois, c’est évidemment trop court. Il faudrait être là plus longtemps. Mais il y a un compromis évident à trouver avec d’autres problèmes qui sont des problèmes d’organisation, des problèmes de rotation des unités, et des problèmes, par exemple de famille. Six mois, c’est très long pour les familles.
Pour la capitalisation, c’est un élément essentiel. J’y passe beaucoup de temps en ce moment, c’est tout à fait normal. Au sein de mon régiment, j’ai donné des directives pour qu’on puisse tirer partie au maximum de notre expérience : essayer de l’écrire, entraîner maintenant les jeunes légionnaires qui arrivent, les jeunes cadres, à la lumière de ce qu’on a appris là-bas. Et dans le cadre plus large de l’armée de Terre, il y a de très nombreux séminaires auxquels je vais participer, où on essaye de tirer toutes les leçons de cette expérience effectivement très riche.
Question : Qu’est-ce que vous, vous en avez retiré pour vous-même en tant que militaire ?
Colonel Benoît Durieux : Une très bonne question, très difficile. J’ai surtout mesuré en pratique des choses que je savais de façon purement théorique, j’ai mesuré en pratique à quel point elles étaient vraies.
J’ai mesuré qu’engager une opération militaire réelle, même si on se prépare à ça, même si, avant, on trouve ça exaltant, c’est l’aventure, c’est finalement difficile parce qu’on risque la vie des gens.
J’ai mesuré qu’il fallait monter les manœuvres les plus simples possibles parce que la malchance, la friction, ça existe partout.
J’ai appris que, en revanche, que je pouvais demander énormément aux légionnaires que je commandais et, souvent, ce qu’ils faisaient dépassait mes attentes.
J’ai découvert une société afghane extrêmement respectable, très attachante, avec une densité humaine très forte. J’ai mesuré à quel point il était difficile de décider quand est-ce qu’on va mener une action militaire et quand est-ce qu’on va décider de ne pas la mener. Il n’y avait pas de solutions très simples à des problèmes très compliqués et qui se résolvent dans le long terme.
Source : Point presse du Ministère de la Défense du 11 mars 2010 - Intervention du colonel Benoît Durieux, commandant le GTIA Surobi d'août à janvier 2010.