Un mois s'était déjà écoulé sans grave incident, et j'étais précisément de garde sur la montagne avec deux escouades de ma compagnie, commandées par un sergent, quand, le 29 avril, vers onze heures du soir, l'ordre nous vint de rallier aussitôt nos camarades qui campaient dans le bas. Dès que nous eûmes rejoint, on prit le café, et vers une heure du matin la compagnie se mit en marche. Juste au même instant, un immense convoi militaire concentré à la Soledad s'apprêtait à quitter ce point à destination de Puebla, dont le second siège était commencé depuis plus de deux mois; nous étions chargés d'aller à sa rencontre et d'éclairer tout le terrain en avant de lui, entre le Chiquihuite et la Soledad. Une belle compagnie que la nôtre, la 3e du 1er, comme on dit à l'armée, et qui passait à bon droit pour une des plus solides de la légion! Il y avait là de tout un peu comme nationalité, - c'est assez l'habitude du corps, - des Polonais, des Allemands, des Belges, des Italiens, des Espagnols, gens du nord et gens du midi; mais les Français étaient encore en majorité. Comment ces hommes, si différents d'origine, de moeurs et de langage, se trouvaient-ils partager les mêmes périls à tant de lieues du pays natal? Par quel besoin poussés, par quelle soif d'aventure, par quelle série d'épreuves et de déceptions? Nous ne nous le demandions même pas; mais la vie en commun, le voisinage du danger, avaient assoupli les caractères, effacé les distances, et l'on eût cherché vainement entre des éléments aussi disparates une entente et une cohésion plus parfaites. Avec cela, tous braves, tous anciens soldats, disciplinés, sincèrement dévoués à leurs chefs et à leur drapeau. Nous comptions dans le rang au départ 62 hommes de troupe, les sous-officiers compris, plus 3 officiers: le capitaine Danjou, adjudant-major, le sous-lieutenant Vilain et le sous-lieutenant Maudet, porte-drapeau, qui, bien qu'étranger à la compagnie, avait obtenu de faire partie de la reconnaissance. Notre lieutenant, malade, resta couché au camp du Chiquihuite. Nous avions la tenue d'été: petite veste bleue, pantalon de toile, et, pour nous garantir du soleil, l'énorme sombrero du pays en paille de latanier, dur et fort, qui nous avait été fourni par les magasins militaires. Nos armes, comme celles des autres troupes du corps expéditionnaire, étaient la carabine Minié à balle forcée, alors dans tout son prestige, et le sabre-baïonnette. Deux mulets nous accompagnaient, portant des provisions de bouche. Au bout d'une heure de marche environ, nous atteignîmes Paso del Macho, sur le bord d'un grand ravin sinueux, au fond duquel coule un torrent. Ce poste était occupé par une compagnie de grenadiers sous les ordres du Capitaine Saussier ; une vieille tour en ruines, dominant le ravin, pouvait servir tout à la fois de lieu d'observation et de refuge. Nous n'y demeurâmes qu'un instant; les officiers échangèrent quelques mots, puis se serrèrent la main, et après avoir franchi le torrent sur une passerelle, d'un pas relevé, nous continuâmes notre chemin. |