Une Armée ni de Droite ni de Gauche
C’était le Printemps, le temps du renouveau, des promesses, du changement. Un vrai temps de campagne électorale ! Mais ce soldat qui s’en allait voter hésitait. Dans sa poitrine battait en effet, en arythmie inquiétante, le cœur d’un citoyen et celui d’un soldat : « Suis-je un citoyen convaincu que le soldat est le garant de la survie et de l’indépendance de ma Patrie, et faut-il alors lui accorder, sans marchander, les moyens d’être toujours plus fort ? Ou suis-je un soldat persuadé qu’au nom du rétablissement des finances publiques, je me dois d’accepter de réduire ma voilure, au risque du déclassement, et même de l’impuissance ? »
La campagne des élections présidentielles s’est achevée, et les candidats ont répondu à la question. Pour le Président candidat sortant et battu, M. Sarkozy, la réponse était déjà inscrite dans le Livre blanc qu’il avait réécrit en 2008, imposant une réforme qui promettait, à partir de 2012, une croissance du budget de la Défense supérieure de 1% à l’inflation. Promesse aventurée que la « Crise » réduisait à néant. Pour le nouveau Président, M. Hollande, la réponse était assurément celle de la soixantième proposition de son programme, la dernière, car assurément la plus élaborée, la plus lourde de sens : « je veillerai à ce que les Armées disposent des moyens de leur mission, et d’une organisation performante». Comme aux petits oiseaux Dieu donne la pâture, le Prince subviendrait aux besoins du soldat : «Marchons, marchons… »
Pour marcher, vous le savez, le soldat pratique l’alternance mécanique du «gauche, droite, gauche, droite… ». Dans sa neutralité sereine, il imagine peut-être qu’il en est de même en politique. L’Armée n’est ni de Droite ni de Gauche, rappelle d’ailleurs à ce propos le nouveau Président ; elle est «l’Armée de la Nation ». Alors, l’alternance de la Droite et la Gauche ne saurait bien sûr entraver la marche du soldat, altérer le maintien d’une Défense crédible, à l’abri des volte-face et des incohérences.
Une lecture attentive de trois des engagements du candidat Hollande
C’est pourquoi il fallait se pencher avec attention sur la conception qu’avait de la Défense le candidat Hollande, exprimée dans son discours du 11 mars 2012. Et, maintenant que les jeux sont faits, que le candidat est devenu Président, et que les promesses risquent d’être tenues, il faut attentivement reprendre l’analyse de ce texte fondateur. La reprendre pour apprécier, dans le discours, ce qui est continuité et cohérence, et détecter ce qui risque d’être, - toujours possible en certaines circonstances tumultueuses -, l’éventuelle annonce d’un « changement de pas ». On constatera alors que l’appréciation des périls et des enjeux est parfaitement comparable à la vision du quinquennat précédent,- du « copié-collé » dirait M. Juppé -. Mais elle est envisagée de manière résolument nouvelle, par la mise en œuvre d’« engagements » en rupture radicale avec des errements passés sévèrement critiqués, parfois même condamnés.
La cohérence et la continuité sont effectivement bien présentes dans le discours du 11 mars. Il ne s’agit pas seulement de ces formules consacrées et de ces lieux communs qui émaillent joliment tous les discours sur la Défense, de Droite comme de Gauche. Il s’agit bien d’une vision du monde, et du rôle de la France, qui ne diffère pas vraiment de la vision du précédent Président. Situations au Proche et Moyen-Orient, en Afrique, en Méditerranée, y sont succinctement rappelées, dans le même esprit, avec la même prudence. Quant à la « menace », on retrouve dans la formulation nouvelle cette même habitude surprenante qu’avait le quinquennat précédent de lier en botte terrorisme, catastrophes naturelles, et même course aux armements. C’était là d’ailleurs la caractéristique première de ce Livre blanc de 2008, associant, - mélangeant disaient certains-, défense et sécurité. Toutefois, en rupture avec cette apparente continuité dans la vision, l’observateur attentif notera que l’objectif du candidat Hollande est de « Redonner à notre pays sa place et son rang ». Redonner ! Les avait-il donc perdus ? Est-ce alors cela qui conduit M. Hollande à prendre cinq « engagements » dont trois au moins, faisant du passé quelque peu « table rase », méritent analyse ?
Le premier consiste à déclarer vouloir « fixer un cap pour notre stratégie de défense » :
Un autre engagement sonne, lui, comme une condamnation sans appel :
Un troisième engagement est tout aussi critique : il s’agit de donner aux personnels de la Défense « la reconnaissance et la concertation auxquels ils ont droit » .
Un acte de foi à modérer à l’aune des réalités du terrain et des souhaits des militaires
Le discours magistral du 11 mars du candidat Hollande, affirmant sa volonté d’éradiquer les pratiques de son prédécesseur, d’annuler ou de modifier ses réformes et ses décisions - songeons au retrait d’Afghanistan, ou à la réévaluation de notre retour au sein de l’organisation militaire intégrée de l’OTAN -, est un acte de foi. Mais c’est aussi un discours de campagne. On sait que l’exercice du pouvoir, s’il n’éteint pas la foi, en modère souvent les transports. Le candidat, devenu Président, désormais mieux instruit de dossiers dont il pouvait ignorer le contenu véritable, et mieux au fait des réalités du terrain, nuancera-t-il ses engagements ? C’est l’espoir très ferme de nombre de soldats. Ils ont d’ailleurs déjà pu constater le changement d’attitude envers l’organisation militaire intégrée et la défense antimissile. Ils pensent aussi qu’en Afghanistan, les réalités du terrain conduiront très vite les responsables à comprendre que le retrait des « forces combattantes » ne peut être que progressif, accompagnant celui des matériels.
- que de réformes toujours inachevées en revirements incompréhensibles, en passant par des engagements jamais tenus, on risque de s’acheminer vers la paralysie du système, et la démotivation des personnels ;
- qu’ils sont au service de la France, et non d’idéologies partisanes dont ils n’épousent pas les querelles, et ne veulent pas subir les conséquences ;
- qu’ils ont des chefs militaires auxquels ils doivent le respect, mais dont ils souhaitent entendre, haute et claire, la voix et les avis. Particulièrement quand de façon directe ou indirecte leur responsabilité semble engagée, leur compétence mise en doute ;
- que la Défense étant, comme le rappelle le président de la République «l’instrument de préservation de notre bien commun, l’indépendance nationale », il convient de rappeler qu’en dessous d’un seuil que nous avons désormais atteint, c’est bien notre indépendance nationale qui sera menacée.
La Défense a donc une dimension prioritaire, elle est « intérêt vital ». Il faut, si l’on veut véritablement « redonner à notre pays sa place et son rang » maintenir un effort national de défense à la mesure de cette ambition. Pouvoir, ici ou là « entrer en premier » certes, mais aussi, parfois, pouvoir agir en toute indépendance.
La guerre peut être l’avenir
Dans sa lettre de mission à la commission de rédaction du Livre blanc de 2008, M. Sarkozy voyait notre politique de défense « à la croisée des chemins ». L’un de ces chemins a été choisi, avec la promesse d’une perspective d’une quinzaine d’années. Cinq ans plus tard, nous revoilà pourtant à un autre carrefour. Qu’est-ce donc qui a changé ?