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José Bové : «On se retrouve piégé dans des règles absurdes»

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Actualités

Publié le 05/03/2016

José Bové, l'une des figures de l'Aveyron et du monde agricole./Photo DDM
 

Agriculture, écologie, climat régnant actuellement dans le pays, dossiers aveyronnais : c'est à un véritable tour d'horizon des sujets du moment que José Bové, figure du département, s'est livré hier matin, au téléphone, pendant une heure. « ça va être une interview de quatre pages ! », s'est-il amusé au milieu de l'entretien, après avoir confié son opinion à propos d'un des nombreux thèmes qui font l'actualité. Une opinion souvent justifiée de façon ordinale, révélant une prise en compte de tous les aspects certainement liée à la vision globale que lui offre son statut de député européen.

José Bové, vous avez choisi, cette année, de ne pas vous rendre au Salon de l'agriculture. Pourquoi ?

La raison est très simple. Aujourd'hui, les paysans sont dans une situation de crise absolument incroyable et ceux qui en sont principalement responsables sont les transformateurs et la grande distribution. Or, il se trouve que le Salon de l'agriculture est une vitrine pour toutes ces entreprises, qui sont là pour faire bonne figure alors que, par leur politique, ce sont elles qui ont capté la plus-value due aux agriculteurs. En dix ans, la part qui revenait à ces derniers est passée de 30 à 20 %. Alors en pleine crise, aller dans un endroit qui fait la part belle à ces gens-là et qui met en avant l'agro-industrie, dont le moteur est le groupe Avril, dirigé par Xavier Beulin, qui porte également la casquette de président de la FDSEA, m'est insupportable.

Comment jugez-vous les dégradations commises par certains agriculteurs contre les stands du ministère ou de Bigard ?

Il était évident que le Salon allait être le lieu d'expression de la contestation. Moi-même, lorsque j'étais syndicaliste, j'avais organisé un certain nombre d'actions. Cibler le ministère paraît logique dans la mesure où c'est lui qui apportera des réponses à la crise, qui permettra de débloquer certains points, même si plusieurs des solutions vont également passer par la Commission européenne. En ce qui concerne Bigard, j'en reviens à ce que j'ai dit auparavant, à savoir que cette entreprise fait partie de celles n'offrant aucune transparence au sujet de leurs comptes, ce qui empêche les producteurs de vérifier ce qu'elles font réellement.

Comment analysez-vous la crise agricole actuelle ?

D'abord, ce qu'il faut dire, c'est qu'elle n'est pas franco-française mais européenne. Ensuite, il y a plusieurs raisons qui l'expliquent. La première est que nous nous trouvons en situation d'excédent de production, notamment en ce qui concerne le lait. Après la fin des quotas laitiers, le 31 mars 2015, la production a augmenté dans la plupart des pays, et particulièrement en Irlande, Allemagne et aux Pays-Bas. Cette hausse des volumes a débouché sur un effondrement des prix. Il y a une corrélation permanente en agriculture : dès que l'on dépasse un niveau cohérent d'offre et de demande, les prix s'écroulent. Comme on est également dans un contexte excédentaire sur le marché mondial, qui est caractérisé par un libéralisme sauvage et une absence de régulation, on bascule dans une spirale négative à l'échelle de l'Europe et de la planète. Dans le cas du lait, son prix à l'international est construit par un seul pays, la Nouvelle-Zélande, qui exporte plus de 99 % de sa production. Elle représente moins de 1 % de la production mondiale mais elle en détermine le prix ! On se retrouve face à ce que nous dénonçons depuis des années, à savoir qu'il est impossible d'avoir une stabilité des prix sans obtenir celle de la production. Il y a une illusion totale entretenue par les industries de la viande et du lait, qui consiste à faire croire qu'à l'échelon français et européen, on va pouvoir augmenter la production pour conquérir les marchés mondiaux. La situation étant la même partout, il n'y aura pas de gain. Deuxièmement, depuis que l'Europe est entrée de manière très volontariste dans la logique du marché mondial, avec la naissance de l'OMC, tous les prix intérieurs sont alignés sur ceux pratiqués à l'international, mais ces derniers ne couvrent pas les coûts de production ; ils ne les intègrent même pas. Et lorsque l'on vend à l'étranger, on ne gagne pas d'argent, on fait juste du dégagement, ce qui fait chuter les prix. Au final, on se retrouve piégé dans des règles absurdes.

Quelles solutions voyez-vous pour en sortir ?

Premièrement, il faut mettre en place une règle interdisant de vendre en dessous du coût de production. Tous les éléments sont présents, en France et en Europe, pour fixer aux industriels ou à la grande distribution des prix d'achat couvrant les coûts de production et permettant de dégager un revenu. Deuxièmement, il faut instaurer de vrais outils de régulation à l'échelle européenne afin de diminuer les volumes quand on s'oriente vers une surproduction et les appliquer de manière concertée. Troisièmement, il faut avoir à l'esprit que le fait de concentrer la production, comme on est en train de le faire avec ces crises, élimine des paysans et entraîne une fuite en avant vers une logique agro-industrielle qui tourne le dos à l'emploi, aux règles environnementales et à la qualité des produits. Il a été démontré qu'accroître la production ne faisait pas baisser les coûts. Ce n'est pas en doublant les surfaces ni les quantités de lait qu'on arrivera à quelque chose. Au contraire, il faut fixer des règles de cohérence, instaurer une politique agricole beaucoup plus liée aux territoires et à l'intérêt du monde rural. 85 % des consommateurs veulent une agriculture de proximité, avec des exploitations petites ou moyennes et non polluantes. Or, à l'heure actuelle, ce n'est pas vers ça que l'on s'oriente et je soupçonne les grands opérateurs économiques et certains défenseurs de la logique libérale en agriculture de vouloir profiter de la crise pour faire diminuer le nombre de paysans et agrandir les exploitations.

La tension présente dans le monde agricole se retrouve dans bon nombre d'autres pans de la société. Êtes-vous inquiet par le climat qui règne en France ?

J'ai le sentiment qu'on se retrouve dans une logique de crises multiples et que toutes se chevauchent. On voit beaucoup de personnes en situation de désarroi et parfois, elles répondent à ça sous la forme d'un coup de sang. Or, la colère peut mener au populisme, avec tous les dangers que cela représente et que l'on voit pointer actuellement. Le problème est que sur le plan européen, les chefs d'état, de gouvernement ou les ministres n'ont pas de volonté commune ; c'est plutôt du chacun pour soi. On le voit avec les Anglais et les pays de l'Est, et même en France, avec la question de l'accueil des réfugiés. Tout cela crée une tendance à l'individualisme, au repli sur soi, au lieu de susciter une volonté de bien vivre ensemble. Pour moi, oui, c'est inquiétant.

Vous étiez présent en première ligne à Notre-Dame-des-Landes, samedi dernier. Le lendemain, une forte mobilisation a eu lieu à Barjac, dans le Gard, contre la recherche de gaz de schiste. Que traduit, selon vous, l'élan populaire qui a caractérisé ces deux événements ?

La première chose est que l'on est en présence de deux mobilisations différentes mais convergentes car elles ont en commun d'être issues d'un territoire et de s'opposer à la destruction de l'environnement et à la fuite en avant liée au réchauffement climatique. Le transport aéronautique et la production de gaz de schiste ou d'autres types de produits pétroliers ont une influence très forte sur le réchauffement de la planète. La deuxième chose qui me paraît importante est qu'avec Notre-Dame-des-Landes, on est typiquement dans l'exemple de l'incapacité française, depuis plus de cinquante ans, à construire une discussion autour de l'aménagement du territoire. Cela me rappelle le cas du Larzac : toutes les fermes étaient expropriées et il n'y avait plus qu'à expulser les gens. Pour cet aéroport, beaucoup de dossiers sont restés secrets, de nombreux éléments ont été cachés et plusieurs recours ont été déposés, notamment auprès de l'Europe. Je les ai appuyés parce que la France ne respecte pas, dans ce dossier, les règles en matière d'impact pour les grands projets. La ville de Nantes est déjà dotée d'un aéroport, qui peut se développer sans changer de place. Le processus a été mené à charge, en s'abritant derrière la déclaration d'utilité publique, mais ça, personne n'en veut plus. Il faut repenser la façon d'élaborer les projets, en prenant en compte leur faisabilité, leur cohérence et leur impact social et environnemental. Souvent, les gens se sentent impuissants par rapport aux questions de l'emploi ou de la situation économique mais là, ils ont un rôle direct à jouer car c'est leur village qui est mis en cause. On parle de la destruction de leur milieu de vie, ce qui explique cette mobilisation.


Dans l'aveyron

«Il faut mutualiser les projets d'installation d'éoliennes et ne pas faire n'importe quoi»

Toujours au sujet des gaz de schiste, la justice a abrogé, en fin d'année dernière, le projet de recherche concernant la commune de Nant. Jugez-vous le dossier définitivement clos ou craignez-vous qu'il soit rouvert d'ici quelque temps ?

En 2011, une loi avait été votée, qui interdisait la fracturation hydraulique. On voit que certains, grâce à ce texte, aimeraient dire : «On peut essayer de nouvelles techniques et relancer le gaz de schiste en France». Cela signifie que la loi n'est pas assez protectrice pour les territoires et qu'il faut aller plus loin afin d'interdire toute prospection ou exploitation de produits pétroliers sous forme liquide et gazeuse sur le territoire national, terrestre comme maritime. La seule façon de freiner et d'inverser la courbe du réchauffement climatique est d'arrêter d'aller chercher toujours plus d'hydrocarbures.

D'autres batailles juridiques se déroulent actuellement en plusieurs points du département à propos des éoliennes. Quelle est votre position ?

Dans le cadre de la cohérence par rapport à la Cop 21, la transition énergétique a été réaffirmée. Elle est basée sur trois piliers. Le premier concerne la diminution du gaspillage énergétique. 40 % de l'énergie que nous consommons part dans l'atmosphère. C'est aberrant ! On peut diminuer ce taux grâce à des améliorations en matière de construction et d'isolation. Le deuxième est lié à l'efficacité énergétique, avec la cogénération (1), et le dernier a trait aux énergies renouvelables. C'est dans ce schéma-là qu'il faut placer la construction d'éoliennes. Qu'elles soient terrestres ou maritimes, elles contribuent, avec le photovoltaïque, à sortir des énergies carbonées et du nucléaire. Cela étant, il ne faut pas faire n'importe quoi. On a laissé des industriels privés prendre le dessus depuis des années car la mise en œuvre de l'éolien sur le territoire national s'est faite sans cadre clair ni participation de la population. Je crois qu'il faut mutualiser les projets, en définissant la part de financement et de retour sur investissement pour les citoyens et les collectivités territoriales.

Vous avez dressé un parallèle entre Notre-Dame-des-Landes et la lutte du Larzac, entre 1971 et 1981. Le camp militaire va accueillir la treizième demi-brigade de la Légion étrangère et les responsables politiques locaux ont souligné leur volonté de faire en sorte que le département et les populations locales retirent les bénéfices de cette installation, notamment au travers de la création d'un collège. Êtes-vous satisfait par la tournure des événements ?

En 1981, nous étions parvenus à empêcher l'extension du camp. Depuis cette victoire, le camp est toujours là. S'il avait disparu et si l'on avait pu rendre les 3 000 hectares à la vie civile, j'aurais été le premier satisfait. Nous n'y sommes pas parvenus car ce n'était pas l'objectif cette année-là. Il y a eu des projets en ce sens par la suite mais il n'y a pas eu la volonté de les faire aboutir. Il y a un an, le ministère de la Défense et l'état-major des armées ont décidé de changer les choses à l'intérieur du camp et de passer du Ceito, le centre national de tir, à l'installation de la légion. Nous n'avons pas participé à ce choix mais il s'est fait dans le cadre du camp militaire actuel et comme ce n'est pas chez nous, nous n'avons pas de droit de regard. Des gens m'ont d'ailleurs reproché de ne pas me mobiliser contre ça mais ce sont des affaires internes et à ce que je sache, je ne suis ni ministre de la Défense, ni chef d'état-major, et je ne peux donc pas décider. à partir de là, mon objectif est que l'activité reste cantonnée aux limites actuelles du camp et que tout ce qui s'organise autour, avec les communes, se fasse de la meilleure des façons. à ce titre, il est positif qu'un certain pourcentage des travaux à effectuer soit réservé aux entreprises locales. Cela étant, ça fait partie du cadre classique et assez bien défini des travaux d'État. Le point concernant le collège est, en revanche, un peu différent. Ce projet a pas mal d'années derrière lui et la construction de l'établissement est demandée à la fois par la population et les élus de l'Aveyron, du Gard et du nord de l'Hérault, toutes tendances politiques confondues. Il y a un collectif qui a travaillé là-dessus depuis quatre ou cinq ans, soit bien avant la décision de faire venir la légion. On ne sait pas, à l'heure actuelle, combien de légionnaires viendront avec leur famille mais il ne faut pas rêver, ce ne sera pas une centaine. L'intérêt est que les enfants de la zone aient un collège à côté de chez eux et ne soient pas obligés de faire une heure de transport pour aller à Millau ou Saint-Affrique, pas que les légionnaires aient un collège pour leurs enfants. Il faut resituer les choses car chacun essaye de les présenter dans le sens qu'il souhaite. Ce que je préfère retenir, c'est que c'est l'intérêt de tous les enfants de ce territoire qui l'a emporté.

(1) : production simultanée de deux formes d'énergie différentes dans la même centrale.

Recueilli par Romain Gruffaz.

Traduction

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