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Les garibaldiens raniment la flamme

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LE MONDE | 09.10.2014 |

Portrait de Garibaldi réalisé avec les noms des Garibaldiens au Cercle des Garibaldiens à Paris. Portrait réalisé après guerre. | Lucile Chombart de Lauwe pour Le Monde

Chaque soir à 18 h 30, depuis le 11 novembre 1923, la flamme du soldat inconnu est ravivée sous l’Arc de triomphe lors d’une courte cérémonie. Ce mercredi-là, la municipalité de Garges-lès-Gonesse, des écoliers de la banlieue parisienne et des jeunes gens en uniforme venus d’un établissement public de réinsertion de Margny-lès-Compiègne se sont recueillis, tandis que des touristes massés derrière des barrières photographiaient cet étrange protocole.

Chaque soir à 18 h 30, et ce depuis 1999, Eugène Locatelli est présent, reconnaissable à sa moustache dont les torsades rebiquent en guidon de vélo. Ce mercredi-là, l’homme de 77 ans assurait un discret service d’ordre. Avec un fort accent italien, il dirigeait les néophytes, les alignait de chaque côté du tombeau, vérifiait les micros. Appel aux morts sous ces voûtes qui ont déjà tant entendu le clairon, brèves allocutions, garde-à-vous, dépôts de gerbes, Marseillaise. Puis les habitués ont retiré jusqu’au lendemain leurs gants blancs, les porte-drapeaux ont roulé les couleurs sur la hampe. On a serré des mains de connaissances. « Bon, on va boire un coup ? », a finalement lancé quelqu’un.

Eugène Locatelli n’a pas la nationalité française. Il n’a jamais cru nécessaire de la demander pour se sentir d’ici et pour se dire « patriote », fût-ce d’adoption. Il est de la poignée de fidèles, réunis au sein du Comité de la flamme, qui organisent l’hommage quotidien sur cette esplanade battue par les vents, présents sous le cagnard ou par un froid polaire. Chaque soir, figé devant le Soldat inconnu, il pense à un autre anonyme : « Je suis là pour faire honneur à mon grand-père ».

UN EXERCICE DE MÉMOIRE QUOTIDIEN

Pendant la première guerre mondiale, le grand-père d’Eugène a été tué sur le front italien, sur les bords du Piave, en 1917. Puis, durant la seconde guerre mondiale, le père d’Eugène fut envoyé par Mussolini sur le front russe, où il fut fait prisonnier par l’Armée rouge. Eugenio, lui, a émigré en France à 19 ans, en 1956, fuyant la misère. Il est devenu Eugène, métallo en région parisienne. Il a fait là son trou et puis sa vie, la tête toujours haute comme aujourd’hui au moment de l’hymne national.

Bref, une banale histoire italienne. Et une banale histoire française. Un peu identique et un peu différente de celle du porte-drapeau Michel Bernier, un ancien charcutier-traiteur originaire de Bretagne. Un peu identique et un peu différente de celle du vice-président du Comité de la flamme, au nom d’origine hispanique, Roland Palacio. Une histoire universelle finalement. Un destin d’humbles gens ballottés par les temps, de héros sans le savoir, comme le pauvre hère enterré sous cette arche qui aurait pu être le grand-père Maurizio. Qui l’est un peu d’ailleurs, aux yeux d’Eugène.

C’est cette proximité qu’il a ressentie la première fois qu’il a découvert cette cérémonie, dans les années 1960. Puis il a éprouvé le besoin de revenir, encore et encore, jusqu’à ce que cet exercice de mémoire devienne quotidien, arrivé à l’âge de la retraite. 14-18, ce conflit mondial, est ainsi une manière de rabouter deux parts de lui-même.

C’est aussi pour cela qu’Eugène Locatelli est membre du Cercle des garibaldiens. Il a adhéré à cette association, à Paris, en 1970. Mais Garibaldi a toujours fait partie de la famille. « Je suis originaire de Bergame », justifie l’ancien émigré. La ville fut libérée de la domination austro-hongroise en 1860 par le héros national. Elle lui fournit en retour les premiers contingents de « chemises rouges » qui participèrent à la campagne d’unification italienne.

Portfolio : De l’Arc de triomphe au cercle des garibaldiens

PASSERELLE ENTRE DEUX IDENTITÉS

Pour les membres du Cercle, comme Eugène Locatelli, Giuseppe Garibaldi, né à Nice et nourri des idéaux français, est une passerelle entre deux identités, entre deux nationalités. Le grand homme avait transmis sa francophilie à sa descendance. En 1914, alors que le jeune Etat italien allait se déclarer, pour un temps, neutre dans le conflit, des volontaires s’engagèrent dans l’armée française, conduits par six petits-enfants de Garibaldi. Ils intégrèrent, au sein de la Légion étrangère, le IVe régiment de marche qui fut baptisé « la légion garibaldienne ».

« Plus de la moitié de ces hommes étaient des Italiens installés en France », explique Hubert Heyriès, historien à l’université Montpellier-II et auteur de plusieurs ouvrages de référence sur cette épopée. Une première vague, plusieurs centaines de milliers de personnes, peut-être 1 million, selon les sources, avait déjà émigré en France. Ces nouveaux venus étaient souvent l’objet de la vindicte et parfois de la haine, comme en témoigne le massacre des ouvriers des salines d’Aigues-Mortes en 1893, rappelé par Hubert Heyriès, lui-même d’origine piémontaise.

Parmi ces engagés de 1914 figurait Lazare Ponticelli, mort en 2008 à près de 111 ans. Ironiquement, ce rital fut le der des ders, l’ultime poilu français à passer l’arme à gauche. L’ancien immigré eut droit à des funérailles nationales en présence du président de la République, dans la cour des Invalides.

Lazare Ponticelli et la légion garibaldienne eurent leurs lots de coups durs, principalement dans l’Argonne, durant l’hiver 1914-1915. Deux petits-fils de Garibaldi, Bruno et Costante, moururent au combat. Leurs corps furent rapatriés à Rome et enterrés en grande pompe, leur sacrifice devenant un outil de propagande du camp interventionniste. La légion garibaldienne fut pourtant dissoute par l’état-major français, qui ne goûtait guère l’indiscipline de ces recrues. Quand l’Italie entra à son tour en guerre, les garibaldiens combattirent l’armée austro-hongroise, au sein notamment du bataillon des Alpes. En 1918, ces hommes revinrent en France quand le bataillon intégra un corps expéditionnaire italien, fort de 41 000 soldats. L’un d’eux s’appelait Curzio Suckert, qui changea son nom par trop germanique en Malaparte. Il fut gazé sur le chemin des Dames.

« LES MACARONIS SE SONT BIEN COMPORTÉS »

Les Italiens s’illustrèrent notamment à Bligny, près de Reims, lors de la seconde bataille de la Marne. Ils y montrèrent de la bravoure, de l’avis même des Français qui se battirent à leurs côtés. « Les macaronis se sont bien comportés », écrit ainsi à sa famille un soldat, cité par Hubert Heyriès. « Ils se sont fait tuer sur place », ajoute le professeur. Au total, près de 5 000 soldats transalpins succomberont sur le sol français.

Au-dessus de Bligny, le cimetière italien témoigne de ce tribut. Giovanni Facella, Domenico Vigo, Michele Forese, Vincenzo Vitale, Giuseppe Boero, autant de noms de voyageurs sans retour relevés parmi 3 040 croix ; 400 corps non identifiés sont également entassés dans un ossuaire. Autour du cimetière, dans d’autres rangs tirés au cordeau, des hommes et des femmes s’activent : c’est le temps de vendanges en Champagne.

Michel Sicre, 63 ans, le maire de Bligny, veille sur ses 128 administrés et sur les milliers d’ombres, françaises, allemandes, anglaises, italiennes, qui hantent encore les alentours et peuplent les cimetières. Son village fut pris et repris une demi-douzaine de fois, entre le printemps et l’automne 1918. A ses côtés, dans la petite mairie, un vieil habitant féru d’histoire, Fernand Truchon, 85 ans, sort des photos d’époque montrant le village totalement rasé par les combats. Cet ancien agriculteur a eu ses deux grands-pères tués en 14-18. La ferme familiale fut détruite. « Dans mon enfance, je n’ai entendu parler que de la guerre », dit-il. Plus tard, sa charrue comme celles de ses voisins remonteront des munitions mais déterreront aussi des corps oubliés, italiens ou autres.

Encore aujourd’hui, Michel Sicre est appelé cinq ou six fois par an quand on retrouve des obus non explosés et, parfois, une dépouille. « La guerre a imprégné le sol et les mémoires », résume-t-il. Régulièrement, des touristes transalpins ou des enfants d’immigrés viennent lui demander des renseignements, bien que le cimetière italien soit officiellement situé sur la commune voisine de Chambrecy.

Céline Goncz et Michel Bernier, porte-drapeau de l'Association des Garibaldiens. Les Garibaldiens font parti du comité de la Flamme qui ravive la flamme tous les soirs de l'année.
Céline Goncz et Michel Bernier, porte-drapeau de l'Association des Garibaldiens. Les Garibaldiens font parti du comité de la Flamme qui ravive la flamme tous les soirs de l'année. | Lucile Chombart de lauw

TENTATIVE DE RÉCUPÉRATION PAR LE DUCE

Une fois par an, le Cercle des garibaldiens organise une cérémonie à Bligny. Les membres se recueillent devant la plaque en l’honneur des volontaires de 1914, dressée à droite de l’entrée. Chaque année aussi, ils se rendent devant le monument dressé en hommage à la Légion garibaldienne qui se trouve dans le cimetière du Père-Lachaise, à Paris. Il fut inauguré en 1934, en présence notamment du maréchal Pétain et de l’ambassadeur de Mussolini en France. Des photos montrent les représentants italiens faisant le salut fasciste devant la stèle. Parmi eux, Ezio Garibaldi, un des volontaires de 1914, qui s’était rallié au pouvoir totalitaire.

Etrange époque où le Duce tenta de récupérer la mythologie garibaldienne, ainsi que le raconte Hubert Heyriès. Il y avait alors en France trois associations garibaldiennes concurrentes, l’une fasciste, l’autre mémorielle et la troisième antifasciste. Cette dernière fournit de forts bataillons aux Républicains espagnols puis de nombreux Résistants. Cette mouvance était incarnée par un autre petit-fils de Garibaldi, Sante, qui se battit dans l’Argonne, s’engagea à nouveau dans l’armée française en 1940 puis devint résistant, fut déporté à Dachau et s’éteignit près de Bordeaux. Après la guerre, le Cercle garibaldien, encore très influent, s’illustrera dans les combats de gauche et aidera de nombreux immigrés italiens à s’installer en France.

Philippe Guistinati, l’actuel président du cercle, tente de gérer cet héritage. A 54 ans, cet artisan du Gard remonte chaque semaine assurer une permanence au siège de l’association, rue des Vinaigriers, dans le 10e arrondissement. C’est un drôle d’endroit, à la fois chaleureux et hors du temps, peuplé de photos et de bustes de Garibaldi, mais aussi de la Pasionaria (Dolores Ibárruri, 1895-1989) ou de héros italiens de la Résistance qui ont été fusillés. Un tableau dans un style un rien pompier se veut une allégorie des garibaldiens et de la France à travers les âges. Chaque samedi, les anciens viennent y jouer aux cartes, parties qui dégénèrent régulièrement en débats politiques passionnés.

SOUTIEN AUX LUTTES CONTEMPORAINES

Philippe Guistinati est le petit-fils d’un antifasciste italien, Tancrède, qui dut fuir son pays quand Mussolini arriva au pouvoir. Un jour, des « chemises noires » entrèrent dans son bar, près de Brescia, lui firent avaler de force de l’huile de ricin et, après l’avoir allongé sur une table, le flagellèrent avec une morue séchée. Tancrède s’installa en Lorraine, à Blénod-lès-Pont-à-Mousson, avec sa famille. Pendant la seconde guerre mondiale, son fils Gelsomino se fit faire des faux papiers pour ne pas être incorporé de force dans l’armée italienne. Tancrède et Gelsomino participèrent à la Résistance française, comme passeurs. « Dans la cuisine familiale, trônait le portait de Garibaldi », raconte Philippe Guistinati.

Privilège rare, le Cercle des garibaldiens possède son local. Il fut offert dans les années 1960 par Cino del Duca, patron de presse et producteur de cinéma. Heureusement, car les cotisations de la centaine de membres ne pourraient suffire à payer un loyer. Revêtant des chemises rouges, ils participent aux cérémonies, à Bligny ou au Père-Lachaise. Mais au-delà de ces rendez-vous mémoriels, au-delà d’un aspect qui pourrait être jugé folklorique, ils tentent d’entretenir les vertus prêtées aux garibaldiens. Ils soutiennent des luttes contemporaines, contre Dieudonné ou pour les sans-papiers. « Nous perpétuons le combat antifasciste », explique Philippe Giustinati qui a adhéré au cercle à 12 ans. C’est au même âge que s’est inscrite sa fille Olivia. « J’essaie de perpétuer les valeurs d’humanisme, de solidarité, de les faire entendre par la nouvelle génération », explique cette étudiante infirmière, aujourd’hui âgée de 20 ans.

Pour autant, la mémoire garibaldienne, qui fut si forte dans la communauté immigrée italienne, s’étiole. Peut-être faut-il y voir le signe d’une intégration réussie. Des centaines de milliers d’émules qui étaient recensés en France dans l’entre-deux-guerres, il ne reste plus que ce dernier carré, un peu chenu. Et aussi des tombes, du côté de Bligny.


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