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Des Suisses dans les tranchées de 14-18

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04/04/2014

Des volontaires suisses à Paris, en août 1914. © Musée de l’histoire de l’immigration/DR

«Histoire vivante» - 100 ans • Alors que pendant la Grande Guerre, des pacifistes français venaient se réfugier dans notre pays, des milliers de Suisses ont au contraire décidé de s’engager. Ils ont laissé des récits poignants de leur vie de «poilus».

Des milliers de Suisses ont combattu côté français pendant la Grande Guerre, dont on célèbre cette année le centenaire. De Blaise Cendrars à Valdo Barbey, en passant par Edouard Junod, certains ont laissé des récits poignants de leur vie de «poilus».

La date du 28 septembre 1915, dans ce contexte d’engagement volontaire ou mercenaire, est emblématique. Ce jour-là, dans le nord de la Marne, le 2e régiment de marche de la Légion étrangère se lance à l’assaut de la ferme Navarin, tenue par les Allemands. Vers 15h30, sous une pluie battante, le caporal Sauser est mitraillé par les fantassins allemands. Il y perd son bras droit. «Un bras humain tout ruisselant de sang, un bras droit sectionné au-dessus du coude et dont la main encore vivante fouissait le sol des doigts comme pour y prendre racine», racontera Sauser, alias Blaise Cendrars, dans son livre «La Main coupée».

Foudroyé par les balles

Au moment où le poète Cendrars achève sa guerre dans la douleur, d’autres Suisses vivent l’enfer des plaines de Champagne. Ce même 28septembre, quelques tranchées plus loin, le capitaine Edouard Junod envoie un mot à sa sœur. «J’écris dans l’obscurité. La journée a été terrible. On avance lentement. L’adversaire est dur, son artillerie admirablement servie nous abrutit sans interruption avec du 140 asphyxiant. Trêve ni jour ni nuit. Il pleut. Quelques éclaircies. Soleil pâle; on grelotte. Moral excellent. Je ne comprends pas comment je suis encore debout.»

Dans l’après-midi, le Genevois Junod tombe «foudroyé par les balles de mitrailleuses allemandes dissimulées sous les bois», racontera le journaliste Paul Seippel. Il meurt à 40 ans, après une guerre courte mais d’une violence inouïe, lors de l’assaut de la butte de Souain. Sa fiche de décès, datée du lendemain, précise simplement: «Tué à l’ennemi.»

Amis de la France

Un monde sépare Cendrars de Junod. L’écrivain né à LaChaux-de-Fonds est engagé volontaire avant d’être versé dans la Légion étrangère. En août 1914, il rédige un appel, tragiquement prémonitoire, dans la presse parisienne. «Les amis étrangers de la France sentent le besoin impérieux de lui offrir leurs bras.» Cendrars s’engage, et part combattre en Artois, puis en Champagne.

Junod, lui, est un mercenaire, dans la vieille tradition militaire suisse. Officier dans l’armée helvétique, il prête ses services à la Légion et fait campagne au Maroc, au Tonkin et à Madagascar. Un dur. Son contemporain Albert Erlande décrit le phénomène en mai 1915, lors de la meurtrière bataille de l’Artois: «Le capitaine Junod, un pied sur la marche d’un escalier creusé à la pelle-pioche, sa cigarette russe à la bouche, cravache en main, son regard froid électrisant sa compagnie, commande d’une voix douce: «En avant, mes enfants! Courage!»

Junod meurt pour rien, ou presque. L’offensive de Champagne lancée par le général Joffre, commandant en chef des armées françaises, se solde par une avancée de… quatre kilomètres. Le bilan humain est terrifiant. L’armée française déplore 28'000 morts, 98'000 blessés, 53'000 prisonniers et disparus.

Romands et Alémaniques

Combien sont-ils, ces Suisses embrigadés dans la Légion? Ils ont «toujours formé un peu plus du tiers des régiments étrangers», écrit en 1916 Gauthey des Gouttes, qui préside le comité des Suisses au service de la France. Ce dernier évalue leur nombre à «environ 2500 à 3000 hommes».

Après la déclaration de guerre, des centaines de Suisses affluent à Paris, au café du Globe, boulevard de Strasbourg, qui fait office de lieu de recrutement. «Du pasteur protestant au garçon d’hôtel, de l’étudiant en lettres au vacher», les exilés suisses s’engagent en masse, s’enthousiasme Gauthey des Gouttes. «Je compte, pour ma part, sur plus de 800 volontaires avec lesquels j’ai été en correspondance, 300 Suisses allemands et 500 Suisses romands ou italiens.»

Pourquoi un tel engouement? Gauthey des Gouttes l’explique par «la violation de la Belgique» par l’armée allemande, «car c’était la violation de la Suisse en perspective». A ceux qui accusent ces volontaires d’avoir trahi la neutralité helvétique, le francophile répond: «Quelques-uns sont venus, écœurés par des menées germanophiles dans notre pays.»

Le journal de Barbey

Parmi les Suisses qui combattent côté français, il y a aussi les naturalisés. Ils ont perdu le passeport à croix blanche mais gardent avec leur pays d’origine des liens puissants. Valdo Barbey a 34 ans quand la guerre éclate. Né près d’Yverdon, parti faire les beaux-arts à Paris, le jeune peintre est chargé en septembre 1914 de dessiner les uniformes de l’ennemi. La routine de l’«arrière» l’oppresse. Il veut se battre. Fin octobre, son vœu est exaucé. Barbey est envoyé au front, dans le Pas-de-Calais. Son journal, qu’il publie en 1917 sous le pseudonyme de Fabrice Dongot, raconte au quotidien le terrible face-à-face des tranchées.

26 octobre 1914: «A un mètre devant notre abri sont creusées quatre tombes avec une croix sur laquelle se balance un képi. Ce sont quatre malheureux tués tout près d’ici dans la cave d’une maison par un obus qui a pénétré par le soupirail…»

2 novembre: «Les mitrailleuses boches nous arrosent; les balles passent au-dessus de nous. A ma gauche j’entends crier: «Ah maman!» Puis silence.»

1er décembre: «L’ordre est donné de rompre les faisceaux, de mettre la baïonnette et de partir à l’attaque […] Nous voilà dans la zone balayée par les balles… Dzing, dzing, dzing… Il y en a qui tombent. On court, on bondit, il y en a qui crient, il y en a qui rient…»

Enterrer les corps

Dans cette lutte à mort pour quelques mètres de terrain, les valeurs humaines n’ont pas totalement disparu. Pénétrant dans une tranchée remplie de cadavres ennemis, la section de Barbey enterre les morts, malgré les obus qui pleuvent. «Creuser n’est rien. C’est de transporter ces pauvres corps tout mutilés qui est le plus dur.»

Atteint par deux balles à la tête et à l’épaule, Valdo Barbey est évacué des zones de combat, puis réformé en 1916. Quand, à la fin des années 20, l’ex-«poilu» et historien Jean Norton Cru recense les témoignages de la Grande Guerre, il s’enthousiasme pour le récit du Vaudois. «Un pur joyau (…) A lire ce journal, je me demande toujours s’il a été égalé dans la peinture de la vie du soldat au jour le jour.» Avec PFY

 

***

Appel pacifiste venu de Suisse

Alors que pendant la Grande Guerre, des milliers de Suisses s’engagent sous les drapeaux tricolores, des Français antimilitaristes viennent se réfugier dans notre pays. Parmi eux, des intellectuels comme Romain Rolland. L’écrivain français y mène à distance, dès août 1914, un combat en faveur de la paix. S’engageant auprès de l’agence des prisonniers de guerre de la Croix-Rouge, il se met à écrire, dans «Le Journal de Genève» et d’autres publications, de vibrants articles contre la «fatalité de la guerre», véritable «suicide» de l’Europe. Restant «au-dessus de la mêlée», il appelle les «âmes fraternelles et libres du monde entier à se ressaisir».

Les pamphlets de Romain Rolland sont peu à peu reproduits, traduits et distribués sous le manteau. Largement diffusés par des camarades socialistes et syndicalistes, ils contribueront à relancer le mouvement pacifiste international. Une lutte qui se concrétisera, dès 1917, par des manifestations, des grèves, des mutineries et des désertions massives sur tous les fronts. Jusqu’à l’armistice du 11novembre 1918… PFY

=> Voir le documentaire «14-18, refuser la guerre», ce dimanche sur RTS 2.

 

***

L’engagement des «amis de la France»

Le nombre de Suisses ayant rejoint les rangs de l’armée française durant la Première Guerre mondiale n’est pas clairement établi. Selon le «Dictionnaire historique de la Suisse», environ 14'000 volontaires suisses auraient combattu dans les régiments de la Légion étrangère et 8'000 d’entre eux seraient tombés sur les champs de bataille. Mais d’autres sources donnent des chiffres moins élevés. Selon une étude sur les «Neutres en 1914»*, environ 6'000 soldats suisses auraient servi sous les drapeaux tricolores, dont 1'500 à 2'000 Suisses résidants à Paris. Le site internet «Mémoire des hommes»** recense 1893 combattants nés dans notre pays, qui seraient «morts pour la France». Les cas de Suisses volontaires en Allemagne seraient plus rares.

Les Suisses qui s’engagent avec les alliés en 1914 sont principalement des expatriés bien intégrés en France. Ce sont majoritairement des jeunes gens nés dans l’Hexagone de parents suisses, mais aussi des ressortissants helvétiques, déjà libérés de leurs obligations militaires dans notre pays, mais qui veulent faire la preuve de leur attachement pour la France. Certains sont des chômeurs attirés par la solde. A Paris, un «appel aux amis de la France» est placardé dès la fin juillet 1914 sur les murs de la ville, puis relayé par divers journaux.

Cet appel, et son relatif succès, ont inquiété la Légation suisse à Paris et le Conseil fédéral, soucieux de la neutralité suisse. En cas de devoirs militaires, les Suisses expatriés en France se sont toutefois montrés très clairement fidèles au pays. Sur les 1'600 premiers hommes rappelés en Suisse lors de la mobilisation générale, seuls deux ont préféré rejoindre le Corps des volontaires français… PFY

* «Neutres en 1914», Stéphanie Leu, publié sur le site de l’Académie de Paris (www.ac-paris.fr)

** www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr


Traduction

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