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Daniel Pottier: «Je suis certain qu'à Saint-Jean ils ont enterré des camarades»

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Publié le mercredi 05 février 2014

45 ans après, Daniel Pottier raconte l'enfer de Saint-Jean.

C'est le témoignage à la fois bouleversant et troublant de Daniel Pottier, cet ancien légionnaire interné durant trois mois au camp de la section d'épreuve. Il est un des rares à s'en être échappé.

La voix, parfois, s'étrangle un peu. « Excusez-moi, il me faut quelques secondes. Ce n'est pas toujours facile de raconter ».

Daniel Pottier s'en voudrait presque de perdre son fil. Celui qui déroule une histoire vieille de presque 45 ans, qu'il tente de dire de manière neutre et sereine. Une histoire qui s'est passée à Corte, « entre mai et août 1969 ».

À l'époque, le Breton d'origine s'appelait Didier Peynet et était monégasque, « parce que cela se faisait parfois, pour les Français, dans la Légion, de changer de nom et de nationalité. Mais ils conservaient nos initiales ». Âgé de 65 ans aujourd'hui, notre homme a fait partie de ces militaires envoyés pour quelques mois à la section d'épreuves, au domaine Saint-Jean, à quelques kilomètres du centre-ville, en direction de la Plaine orientale. Désormais, familles et sportifs fréquentent l'endroit, joli et réaménagé.

Pottier est l'un des rares à s'être échappé de Saint-Jean. Sans avoir été repris. « Certains, on ne les a jamais revus après avoir été rattrapés », lâche-t-il sans faire de mystère sur ce qui a pu leur arriver. « Je suis certain que, sur ce terrain, il y a des ossements, sûr qu'ils ont enterré des camarades ».

Ces quelques semaines de 1969, il avoue y avoir « relativement peu pensé pendant des années. Mais maintenant, sans que je sache réellement pourquoi, plein de souvenirs me reviennent et me réveillent la nuit ».

Des souvenirs assez douloureux. Tous ceux qui ont raconté ce camp ont dit sa dureté, le manque d'humanité de ses régisseurs : « Tout ce que je savais avant de partir, c'est que c'était très dur. Rien d'autre ».

À l'âge de 17 ans et demi, il rencontre un ancien légionnaire dans un bar. L'homme lui parle de son engagement, évoque avec lui les voyages, la vie de militaire.«Ça, et d'autres choses que je ne souhaite pas détailler, m'ont convaincu de m'engager à Paris ». Daniel est alors envoyé à Marseille pendant un mois, puis six mois à Bonifacio pour faire ses classes. Il revient en Provence, est affecté au régiment d'Aubagne, « et comme je n'étais pas vraiment familier de la discipline, j'ai eu pas mal d'absences illégales ». Le voilà envoyé un an à Madagascar, avant de revenir à Aubagne « où j'ai recommencé mes conneries d'absences ».

C'est pour cette raison qu'on signifie son départ pour Corte au printemps 1969. En bateau jusqu'à Bastia, puis en train pour rejoindre la cité paoline. Escorté par deux légionnaires. Très vite, les choses vont se gâter. Il raconte le 4x4 pour rejoindre le camp, le chemin sinueux de trois kilomètres « que j'ai fait à pied, sous les coups des hommes qui m'accompagnaient. On m'a dit« Maintenant, tu n'es plus un légionnaire, tu es une merde ». Et lors de ma présentation au responsable du camp, les insultes ont continué de plus belle. Quant aux coups… »

Echappé avant d'être repris puis viré

Le jeune homme de 21 ans découvre ce que le journaliste Henri Allainmat racontera en 1977, dans son livre L'épreuve. « Tout y est parfaitement conforme à ce que j'ai vécu en cellule d'abord, puis dans la section répression ». Les trous à creuser sans arrêt, les pierres à casser, les plaques de ciment à porter à même la peau, les déplacements à effectuer en courant… Ce qui n'était peut-être finalement pas le pire pour Daniel Pottier : « On venait nous observer quand nous faisions nos besoins. Histoire d'être sûr qu'on n'était pas en train de se reposer. On insultait quotidiennement nos parents, nos fiancées. C'était difficile de ne pas riposter par les coups. J'ai fini par le faire, et on m'a mis dans un état pas possible ».

Ce qui lui a permis de tenir ? Le mental, « parce qu'avec mon mètre 67 et mes 62 kg, je n'étais pas le mieux armé. C'est mon caractère qui a fait que je me suis relevé. Et quelque part, cette expérience m'a permis de me renforcer face aux difficultés que j'ai connues plus tard ». L'envie de s'échapper de Saint-Jean a été immédiate. Mais pas si simple à mettre en œuvre. « J'avais fini par repérer une maisonnette en pierre dans laquelle il y avait des vêtements. J'ai réussi à y aller, à me changer et je suis parti vers la route ». Là, il fait du stop, « mais je me cachais au moindre bruit ». Un automobiliste finit par le faire monter dans sa voiture. « Il a compris de suite d'où je venais. C'était un Corse d'environ 55 ans. Il m'a demandé s'il devait m'amener à la gendarmerie. J'ai dit non. Il m'a finalement permis de rejoindre la Plaine orientale ».

Daniel Pottier arrivera à Ajaccio en faisant du stop. « J'ai erré pendant plusieurs jours sans manger, mais je savais que ma seule chance était de me fondre au milieu des touristes pour qu'on ne me remarque pas ». À Ajaccio, il raconte son histoire à un groupe de jeunes qu'il rencontre sur une plage. Ils lui donneront de quoi payer la traversée pour rejoindre Marseille.

Il tente la même aventure de l'auto-stop une fois sur le Continent, « sauf que j'ai fini par être arrêté par les gendarmes et incarcéré aux Baumettes. À ma sortie, on m'a ramené à Aubagne. Je pensais être renvoyé à Corte et finalement, on m'a viré ».

Un soulagement pour Daniel. Il décide d'oublier les deux années qui viennent de s'écouler. Épouse sa fiancée, rentre à la SNCF « où j'ai fini conducteur de train ».

De la Légion, il en parle peu en famille. Son épouse connaît toute l'histoire, sa fille en grande partie, ses fils - « qui ont, tous les deux, été dans les paras » - beaucoup moins. Seule sa mère, âgée de 86 ans, ne sait rien de son passage en Corse. « Ma petite-fille a commencé à lire l'ouvrage d'Henri Allainmat. Elle a 18 ans, et peut comprendre maintenant. Je lui ai promis de répondre à toutes les questions qu'elle me poserait », explique-t-il, la voix nouée. Pas si simple de mettre des mots sur les souvenirs. Ce qui l'a poussé à témoigner ? La lecture d'autres témoignages sur le net. « J'ai découvert internet il y a peu, et je me suis mis à faire des recherches. J'ai retrouvé des histoires tellement semblables à la mienne que j'ai eu envie de raconter, moi aussi. »

Notre retraité, qui vit désormais dans un petit village du Calvados, insiste bien pour qu'il y ait sa photo : « Certains pourront peut-être me reconnaître. Sait-on jamais… »Des images de l'époque de son engagement, il n'en a aucune : « J'ai tout brûlé tellement j'étais en colère ».

Une chose est sûre : « J'en veux à la Légion. Bien sûr, nous avions fait des conneries. Mais ce n'était pas une raison pour nous faire ça ».


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