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André Yché : "Ce n'est pas avec des troupes au sol qu'on fait progresser un modèle de civilisation"

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Publié le 01/08/2012

Le contrôleur général des armées considère que la fin des opérations en Afghanistan conduira à réduire le volume de l'armée de terre. Explications.

André Yché.

André Yché. © MEIGNEUX/SIPA


Auteur récent du livre Quelle défense pour la France (Economica), André Yché est un ancien élève de l'École de l'air et de l'US Air Force Academy. Il fut le délégué aux restructurations du ministère de la Défense avant d'être directeur adjoint du cabinet civil et militaire du ministre de la Défense Alain Richard. Il est aujourd'hui membre du comité de direction du groupe de la Caisse des dépôts et président du directoire du groupe SNI (Société nationale immobilière), filiale immobilière de la Caisse des dépôts.


Le Point.fr : Les Français entament un nouveau cycle stratégique : ils rentrent d'Afghanistan, un nouveau livre blanc se prépare. Des évolutions suivront. Quelles doivent-elles être, à vos yeux ?

André Yché : Je crois effectivement que la fin des opérations en Afghanistan est aussi celle d'une époque. D'abord pour des raisons de psychologie collective et de politique des États occidentaux. Les opinions publiques occidentales n'accepteront plus des engagements de plusieurs dizaines de milliers d'hommes sur des théâtres extérieurs, sans limite de durée. Les orientations prises aux États-Unis à l'initiative de Barack Obama soulignent cette évolution en indiquant très clairement que des opérations extérieures de maintien de la paix ne sont plus envisageables à des échelles comparables à ce qui s'est fait en Afghanistan et en Irak. La prise de conscience porte sur le fait que, pour l'essentiel, les opérations de ce type doivent avoir pour but de régler une crise rapidement, pour rétablir une situation dégradée et les flux d'échanges. Mais de multiples expériences en ce sens nous apprennent qu'on ne saurait utiliser les armées de façon durable pour "conquérir les esprits et les coeurs". La promotion de valeurs occidentales, comme le respect des droits de l'homme, appartient à ce qu'il est convenu d'appeler le soft power, théorisé par Joseph Nye. Ce n'est pas avec des troupes au sol, avec les moyens militaires appartenant au hard power, qu'on fait progresser un modèle de civilisation.


J'entends vos arguments sur les opinions publiques, mais nous n'avons pas connu dans notre pays des protestations de masse contre la présence en Afghanistan. En plus de dix années de présence, les intellectuels, les partis politiques ou les organisations syndicales ne se sont que très peu exprimés sur le sujet. Le retour des soldats n'a pas été décidé par François Hollande sous la pression populaire...

Sur le constat, vous avez raison. Mais cette absence de débat repose à mes yeux sur un consensus entre la droite et la gauche, d'accord pour estimer que les missions longues sont une idée révolue. Dans la culture militaire française, la priorité est donnée à la défense du territoire national. C'est très clair à toutes les époques de notre histoire. Si on compare notre posture à celle de nos amis britanniques, elle est l'inverse de la nôtre. William Pitt disait : "Dès qu'il s'agit de commerce, nous sommes sur notre dernière ligne de défense ; il faut vaincre ou mourir." Aucun homme politique français n'a jamais pris une telle posture ! Mais lorsqu'il s'agit de défendre le territoire national, nous sommes prêts à tous les sacrifices comme durant la Première Guerre mondiale, quand le sens du sacrifice des combattants a atteint un niveau inimaginable !


Quelles conséquences en tirez-vous pour la période de réflexion qui s'ouvre actuellement ?

Les rédacteurs des deux précédents livres blancs ont été confrontés à une profonde rupture avec nos fondements culturels : notre conception des opérations extérieures incluant ce volet de pacification, de contre-insurrection, etc. est en contradiction avec ces fondements. À travers la construction européenne et la mondialisation, nous sommes entrés dans une civilisation de l'échange. La priorité accordée au maintien des flux - qu'ils soient ceux de l'information, du commerce, de la culture - caractérise notre époque et l'attitude qui avaient été celles de l'empire steppique de Gengis Khan, dont les brigades de cavalerie turco-mongoles garantissaient la circulation sur les milliers de kilomètres de la route de la soie. En opposition avec la permanence et la sanctuarisation du territoire que l'on retrouve en Iran, en Chine ou en Inde. Le parallèle est saisissant entre le contrôle des flux terrestres par Gengis Khan et celui des grandes voies océaniques par l'US Navy.


Quelle conséquence en tirez-vous pour la France ? Cette accentuation sur les "contrôles de flux" que vous appelez de vos voeux exige moins d'hommes sur le terrain...

Nous, Français, ne pouvons nous trouver dans une posture d'ensemble déconnectée de nos ambitions économiques ou culturelles. Nous avons effectivement besoin d'un format resserré. Loin d'exclure l'éventualité de nouveaux affrontements terrestres, je dis que, lorsque nous interviendrons, nous devrons le faire pour trois ou six mois, atteindre nos objectifs totalement ou partiellement, puis nous retirer. Le maintien durable de troupes au sol impose des relèves excessivement lourdes. En revanche, nous devons être capables d'interdire par la force l'utilisation des espaces aéro-terrestres et aéro-maritimes en conservant une capacité de frappe à distance, de maîtrise de l'espace informationnel global. Nous devons être capables de restaurer le droit, puis de nous retirer. Notre stratégie diplomatique doit être mise au service de ces principes. Pour ne prendre que cet exemple, une éventuelle future intervention au Nord-Mali ne saurait se concevoir sans un appui des Algériens.


Vous souhaitez donc réduire le volume de l'armée de terre, mais pas celui de la marine nationale ni de l'armée de l'air ?

On peut se poser la question des formats. En préservant des capacités essentielles. La capacité d'intervention avec nos alliés américains, avec lesquels nous devons être parfaitement compatibles, y compris si cela passe par une réduction du nombre d'appareils de combat. Mais pour préserver la capacité de projection de puissance, il faudra probablement faire des sacrifices sur le format de l'armée de terre.


Pour l'amener à une dimension comparable à celle de l'armée britannique, autour de 80 000 hommes ?

Je me garderai d'évoquer des chiffres précis. Ce dont je suis persuadé, c'est que le modèle vers lequel nous devons nous diriger, c'est le modèle britannique, notre partenaire. C'est avec lui que nous serons en phase sur cette idée de projection de puissance adaptée à la civilisation de l'échange. Une approche sur laquelle les Britanniques ont deux siècles d'avance sur nous. Nous sommes les seuls à pouvoir jouer ensemble dans ce registre-là. Je crois aussi aux rapprochements avec eux dans le nucléaire.


Si le président de la commission du livre blanc, Jean-Marie Guéhenno, ne vous demandait qu'un seul conseil, quel serait-il ?

Je lui proposerais de ne pas se laisser piéger dans une approche de programmation budgétaire, que sa préoccupation majeure doit consister à développer une vision stratégique cohérente avec notre posture diplomatique et nos choix économiques tournés vers la civilisation de l'échange. Sans oublier, s'agissant de la stratégie nucléaire, que l'espace européen relève clairement de nos enjeux vitaux.


Traduction

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