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Haïti, c’était Beyrouth et Saigon… 18022010

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18/02/2010 

Catastrophe. Le témoignage exceptionnel d’un officier français en poste à Port-au-Prince.



Pris au piège le 12 janvier, le colonel Philippe Prévost est un miraculé. Chef des opérations des casques bleus à Port-au-Prince, il raconte. En soldat. Un témoignage exclusif.

Légionnaire parachutiste (il commanda le prestigieux 2e ré­giment étranger de parachutistes à Calvi), le colonel Phi­lippe Prévost est le chef des opérations de la Minustah (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti), forte de 7 000 militaires (18 nationalités), de 2 000 policiers et gendarmes (42 nationalités) et de 400 fonctionnaires civils de l’Onu (près de 90 nationalités). Présent à Port-au-Prince depuis octobre 2009, ce père de ­quatre enfants a vécu la tragédie. Malgré la perte de dizaines de ses camarades, il a contribué à maintenir opérationnelle la mission de l’Onu. Au 12 fé­vrier, le bilan officiel faisait état de 217 000 morts et 300 000 blessés (dont 4 000 amputés).

Quelle est la situation, un mois après le séisme ? Elle est calme, mais les in­grédients sont là pour que tout se complique très rapidement, avec des besoins alimentaires énormes, un million de sans-abri, de nombreux cas de corruption, la saison des pluies dès avril, puis celle des ouragans début août…

Le rythme fou de janvier a-t-il un peu baissé ? Oui, maintenant que les équipes de secours quittent ou ont quitté le territoire. Ici, avec le flux incessant des avions et hélicoptères, c’était Saigon au moment de l’évacuation (1975), et, avec l’afflux de centaines de blessés, l’arrivée des équipes de sauvetage, les envois à toute heure de patrouilles, d’escortes et de détachements, c’était Beyrouth, ville bombardée et détruite à 20 %.

Et les morts… Des dizaines de milliers de cadavres dans les rues. Ils n’ont commencé à être enlevés qu’à partir du 15 ou du 16 janvier. Il y a encore cette odeur perceptible, à cause des corps ensevelis sous les décombres.

Que font les contingents étrangers ? Les Français sont partis. Les Jamaïquains et les Japonais se sont installés dans Port-au-Prince, tandis que les Canadiens, les Espagnols, les Italiens et les Coréens sont en dehors. Les contingents étrangers partiront d’ici au mois de mai. Les Dominicains ont la mission d’assurer la sécurité du couloir humanitaire jusqu’à la frontière de leur pays. Nous attendons des renforts brésiliens, uruguayens, argentins, péruviens et guatémaltèques. L’effort est fait sur la distribution alimentaire, les hôpitaux de campagne, les travaux de déblaiement et de reconstruction d’urgence. La phase de “normalisation” durera jusqu’en décembre 2011.

Comment faire face aux besoins ? Ils sont énormes, notamment à Léogane, détruite à 80 %. L’Onu travaille avec les contingents étrangers pour la distribution de nourriture, le déblaiement et la remise en état du réseau routier. Ces opérations, totalement intègres, se font en présence de la Minustah, des contingents étrangers, de l’Onu et des ONG.

Comment évolue la situation sécuri­taire ? Sans surprise, elle se dégrade. La situation sanitaire devrait aussi devenir beaucoup plus difficile avec les pluies sur les immenses camps de dé­placés, privés d’hygiène, avec les cadavres encore sous les décombres. À la pluie s’ajouteront le froid et la sous-alimentation.

Vous sentez-vous en état d’insécurité ?
Pour l’instant, on peut se déplacer en véhicule de l’Onu sans problème. Mais il est à craindre que nous concentrions les rancœurs d’une population abandonnée par ses autorités, dont le palais présidentiel, le Parlement et les principaux bâtiments administratifs se sont effondrés.

Comment se sont passées ces journées terribles ? Je pourrais vous parler longtemps de ces trente-six heures très dures qui ont suivi le 12 janvier. Pas un jour d’arrêt depuis cette date, mes camarades et moi mobilisés de 6 à 22 heures. Maintenant, je peux arriver à 6 h 30 et je me permets de partir à 20 heures.

Et ce 12 janvier, 16 h 53… Sur le moment, le sol tremble de plus en plus fort. On se regarde avec mon adjoint, ne comprenant pas ce qui se passe. Puis, les ar­moires et les ordinateurs tombent. Le sol se met en translation d’une quinzaine de centimètres, de part et ­d’autre. On se retrouve au sol. Quelques se­condes interminables, sans bouger, dans un bruit assourdissant. Puis le silence, et les cris.

Votre bâtiment a tenu ?
Oui, par mi­racle. L’état-major était dans le seul bâtiment qui n’est pas tombé. Aujourd’hui, il est en passe de s’effondrer. Tous les autres… d’où la centaine de morts. Après, c’est l’évacuation par les fe­nêtres du deuxième étage, puis la décou­verte, totalement hébétés, de l’effondrement total de l’Hôtel Christopher, le bâtiment principal de la Minustah. Six étages effondrés ! Mon conducteur me dira plus tard qu’il a vu le bâtiment trembler, puis “danser”, ses occupants cou­rant, affolés, sur les coursives exté­rieures, certains basculant dans le vide, puis tout s’écrouler, ensevelissant tout le monde.

Qu’avez-vous fait pendant ces pre­mières minutes ? Avec trois ou quatre camarades, j’ai escaladé les décombres, en­tendant des gémissements très lointains sous les tonnes de béton. Le sauvetage de ce militaire canadien nous a pris une heure et demie pour le dégager des plaques de béton et de la ferraille qui l’emprisonnaient. Avec deux unités sta­tionnées au centre-ville, la zone qui a le plus souffert, le bataillon brési­lien déplore de nombreux morts et disparus.

Il y a eu d’autres secousses… Oui. Malgré cela nous avons participé à l’évacuation des camarades blessés vers un hôpital improvisé. Pour l’un d’eux, personne ne s’était rendu compte qu’on transportait un mort. Il a fallu envoyer le personnel non indispen­sable vers la base logistique, au nord de la ville. Puis on s’est occupés des blessés, des morts à envelopper dans des couvertures, de l’extinction des incendies sous les décombres qui ris­quaient d’asphyxier les survivants.

Et le lendemain ? Je quitte ma position le 13 dans l’après-midi, pour organiser le nouveau PC de la Minustah, avec mon adjoint. Pour permettre au com­mandant de la force de conduire les actions, toutes dans l’urgence, il a fallu reprendre contact avec les unités, uniquement à la radio car le télé­phone ne fonctionnait plus et nos ordinateurs étaient détruits.

Et votre appartement personnel ? Je fais partie des chanceux car il n’a pas été touché. À cause des risques de pillage, j’ai mis l’essentiel des affaires sensibles à l’abri dans mon bureau. Certains ont tout perdu car leur appartement s’est effondré. Ils ont dormi dans leur voi­ture pendant les dix premiers jours tout en assurant leur service, notamment les gars de l’Unpol (police de l’Onu).

Quand avez-vous pu aller chez vous ? La nuit suivante, le temps de prendre une douche, me raser et surtout me changer. Au retour, vers 23 heures, je me souviens d’un slalom fou au milieu de milliers d’Haïtiens affolés, fuyant vers l’intérieur des terres après une ru­meur de tsunami, avec quelques in­crédules campant au milieu de la rue et les très nombreux cadavres jon­chant les trottoirs.

Comment la vie s’est-elle ensuite organisée ? Ce fut du camping, avec des boîtes de ration froide, sur un lit de camp, entre un télé­phone et un ordinateur. Et la me­nace d’autres séismes…

Comment tenez-vous ? Je pense surtout et d’abord à nos 9 camarades disparus, aux tués (24 militaires, 24 fonctionnaires de l’Onu, 18 gendarmes et policiers), sans compter les très nom­breux personnels haïtiens morts et disparus. Je remercie l’institution militaire d’avoir su m’apprendre à travailler sous la pression, avec des chefs exigeants.

Et ceux de la Minustah ? Le commandant de la force est un général brésilien re­marquable, calme et hu­main. En permission le jour du séisme, il nous a rejoints le lendemain. Son adjoint, un Chilien, tout aussi remarquable, a dû nous quitter : sa femme était venue le voir pour quelques jours, elle est morte dans l’effondrement de son hôtel. Son corps n’a été retrouvé qu’après dix jours de re­cherches.

Comment votre métier militaire vous a-t-il aidé ? L’expérience de mes nom­breuses opérations extérieures et des grands exercices interarmées auxquels j’ai participé a été déterminante. Cela m’a aidé à tenir et à agir. Mes officiers n’étaient pas habitués à ce rythme, mais ils se sont adaptés. Le fait d’avoir vécu une épreuve commune aussi intense gomme les différences de culture et de formation, avec l’obligation quotidienne de continuer à planifier des opérations, le plus souvent pour les heures qui suivent. J’ai ­cumulé pas mal d’événements en peu de temps mais… c’est dur à porter. Même pour un soldat.   

Photo © ONU


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