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1908 - 1909 : Les colons de Diego Suarez contre le Gouverneur Augagneur

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12 octobre 2016

Caricature publiée lors de l'arrivée de Augagneur à Madagascar

Caricature publiée lors de l'arrivée de Augagneur à Madagascar

Les années 1908-1909 voient s’affronter – le plus souvent par journaux interposés – le Gouvernement général de Madagascar et ceux qui le représentent d’un côté et, de l’autre, la majorité des colons qui considèrent l’Administration comme un repaire de privilégiés détachés des contingences de la vie à Madagascar. Entre les deux camps, les Malgaches sont peu consultés, même lorsqu’ils sont l’objet des polémiques des antagonistes.

Un gouverneur haï

Victor Augagneur, gouverneur général de Madagascar, va très rapidement devenir la tête de turc des colons d’Antsirane et l’objet constant de leurs critiques et de leurs moqueries. Les nouveaux journaux d’Antsirane, La cravache antsiranaise (qui deviendra rapidement La cravache coloniale) et L’Impartial de Diégo-Suarez vont concentrer dans leurs colonnes la plupart des récriminations des colons de la ville, aidés en cela par Le signal de Madagascar et Le progrès de Madagascar qui, sur le plan national, se feront l’écho de ces attaques. Tous ces journaux ne manquent aucune occasion de tourner en dérision le Gouverneur Général : Dès son deuxième numéro, La cravache antsiranaise publie une « Silhouette d’Augagneur » qui, sur le ton de l’ironie va s’attaquer à la personne même d’Augagneur.

Que lui reproche-t –on ?

D’abord sa vanité : « Je suis le célèbre Augagneur/Du Commerce le Protecteur/Je fus le député d’élite/Dont nul n’égale le mérite. » Toutes les strophes (nombreuses) qui suivent vont reprendre cette énumération ironique des soi-disant talents du Gouverneur : « Je suis le parfait Augagneur » ; « Je suis le charmant Augagneur », « Je suis le savant Augagneur » ; « Je suis l’économe Augagneur » ; « Je suis l’excellent Augagneur » ; « Je suis l’érudit Augagneur » ; « Je suis le puissant Augagneur » ; « Je suis l’invincible Augagneur » etc. Toutes ces « qualités » vont être démenties par le texte et tournées en dérision : Augagneur serait l’assassin du commerce ; l’incapable qui ne peut mener à bien la « fameuse route » qu’attendent les antsiranais ; l’homme qui dépense l’argent public ; l’anti-clerical forcené ; le tyran autoritaire ; un ignorant ; l’affameur du peuple ; un politique corrompu… N’en jetons plus !
Quelle est donc la cause de cette véritable haine dont les journaux se font l’écho ?
Et que lui reproche exactement la population d’Antsirane ?

Les griefs des antsiranais

Le « harcèlement » des colons par l’administration
D’après une « lettre ouverte » destinée au Ministre des colonies et publiée dans La cravache « Monsieur Augagneur, depuis qu’il est parmi nous, n’a fait que nous embêter, nous canuler […] par des arrêtés sans nombre se démolissant les uns les autres, se contredisant, manquant de sens pratique ». Le pouvoir municipal dévolu à des administrateurs-maires nommés par le Gouverneur et non élus. C’est encore La cravache qui réclame, au nom de la liberté, un Conseil municipal et un maire élus par la population : « Quand un peuple a le juste sentiment de sa souveraineté, il réclame son émancipation, il secoue toute tutelle devenue surannée et intempestive […] Pétitionnons, peuple d’Antsirane, soyons unis d’esprit et de cœur et demain les édiles élus par vos suffrages formeront le Conseil Municipal, discutant, sous la présidence d’un Maire légitimement élu et reconnu, vos intérêts les plus sacrés ».

L’incompétence des administrateurs et des fonctionnaires
Toujours d’après le journal, le service de la voierie à Antsirane est d’une rare incompétence : « Existe-t-il un service de voierie à Antsirane ? Oui, mais il est si mal dirigé que son existence n’a aucune utilité. En effet, et je crois pouvoir l’affirmer, il doit n’exister nulle part une ville aussi sale, aussi mal entretenue que celle d’Antsirane. » Et d’accuser les responsables ; la Commune qui gère mal le budget de la Voirie ; l’ingénieur des travaux publics qui s’était signalé de façon tout à fait négative à Majunga…

Son anti-clericalisme forcené
Augagneur est de ceux que l’on appelle les « mangeurs de curés ». Député, il a proposé un amendement tendant à la mise sous séquestre des biens mobiliers et immobiliers ecclésiastiques. A Madagascar où de nombreuses écoles sont tenues par des religieux, ses positions contre le clergé sont très mal perçues, surtout à Diego Suarez où beaucoup de colons sont des créoles réunionnais catholiques. Mais ce que l’on reproche surtout à Augagneur et à son administration c’est la montée de l’insécurité à Diego Suarez. Les « graves évènements à Diégo-Suarez » (Le Signal de Madagascar de janvier-février 1909). L’insécurité à Diego Suarez n’est pas une nouveauté : en 1902-1903, toute une série de crimes et d’agressions visèrent les « vazaha » mais aussi les malgaches ; crimes souvent dus à des vengeances d’employés particulièrement mal traités. Après 1907, avec la ruée vers l’or une nouvelle vague de criminalité s’abat sur la région. « 24 assassinats en deux ans, tel est le bilan dressé, pour la région de Diego Suarez, par notre confrère le commandant Nicolas ». (Le Signal). Commandant en retraite installé à Sakaramy, Nicolas avait fait de la criminalité son cheval de bataille, accablant le Général Gallieni de réclamations et proposant de rendre les chefs de village responsables des troubles provoqués par les « tontakely », les bandits qui opèrent dans la zone. Cette revendication, qui sera d’abord refusée, sera finalement satisfaite par l’arrêté du 31 décembre 1904. Mais les choses ne s’amélioreront pas pour autant et, avec la ruée vers l’or, on assiste à une montée en flèche de la délinquance, d’autant plus que de nouvelles formes de criminalité apparaissent. Les statistiques sont éloquentes : en 1904, 289 affaires sont traitées ; 550 en 1905 ; 863 en 1906 ; et 1167 en 1907. C’est à cette criminalité que veut s’attaquer Nicolas, devenu directeur de L’impartial de Diégo-Suarez. En mars 1909, dans un article de L’Impartial repris par Le signal de Madagascar c’est une longue énumération des attentas commis aux biens et aux personnes et qui se termine par le bilan suivant : « En résumé sur les 17 fermes, 3 cantines et un commerçant indien échelonnés entre Antsirane et le Pic Badens, soit sur 21 habitations, il y en a eu 19 d’attaquées, mais plusieurs l’ont été deux fois et, à cela, il faut ajouter les assassinés sur la route et les attaqués. ». C’est à une autre sinistre évaluation que se livre Le signal de Madagascar en février 1909 : « Du 15 au 26 janvier, soit en l’espace de onze jours, on compte, non compris l’attaque dont nous avons parlé hier matin :
- 2 vols qualifiés accomplis la nuit, en bande, à main armée, dans des maisons d’habitation, et accompagnés d’effraction extérieure et intérieure.
- 3 assassinats
- 4 attaques nocturnes, par des bandes armées de fusils sur des fermes, des villages ou des immeubles isolés. Sur ces 4 attaques, deux ont été accompagnées de pillage et d’incendie
- 1 tentative d’incendie.
En tout, dix crimes relevant de la cour d’assises. Un par jour… »

Qui sont les responsables ?

Pour les journaux de Diego Suarez, il n’y a pas de doute, c’est l’Administration. L’Administration, qui paye mal les policiers ! « Dans ces conditions, tout en flétrissant la conduite de certains agents qui sont la honte du corps auquel ils appartiennent, nous concluons que la police est mal payée » (La cravache 7/2/1909). L‘Administration qui ne fournit pas aux colons la protection policière qu’ils réclament et qui ne punit pas suffisamment les rares coupables appréhendés. Bref, d’après La cravache : « Nous accusons l’Administration ! C’est elle le fauteur principal de tout ce qu’on peut reprocher à certains agents de police […] Elle, toujours –Sainte-Administration – la seule responsable de tout ce qui va mal ou même de ce qui ne va pas. » Mais, au-dessus de l’Administration, et coupable de tout, il y a le détesté Gouverneur, Victor Augagneur, que les journaux surnomment « Pou-Yi » du nom de l’Empereur de Chine. C’est lui, d’après ses opposants, le responsable de l’insécurité dans le Nord « La conspiration du silence inaugurée par le gouvernement général à l’occasion des actes de banditisme signalés dans le nord est incompréhensible. Les fusils parlent, il faut se taire. Il faut se taire parce qu’un despote orgueilleux refuse d’accepter pour exacts les faits qui ne sont pas conformes à ses prévisions » (Le signal de Madagascar, février 1909). En fait, cette haine d’Augagneur exprimée par certains colons (pas tous : le célèbre Mortages ne participe pas à cette campagne contre le Gouverneur Général) est due essentiellement à certaines de ses prises de position en faveur des malgaches, ceux que La cravache appelle ironiquement « Nos frères noirs ».

Pour ou contre Augagneur

Quand il arrive à Madagascar, ayant démissionné de son mandat de maire de Lyon, Augagneur, a déjà une solide réputation d’autoritarisme. Les journaux de Paris le surnomment le roi Victor ou Victor Ier. Les caricaturistes ne vont pas manquer de l’appeler « Empereur de Madagascar ». Il manque indiscutablement de diplomatie, ce qui ne facilitera pas les contacts avec ses nouveaux administrés. Mais qu’en est-il réellement des critiques qui lui sont adressées à Madagascar en général et à Diego-Suarez en particulier ? En ce qui concerne les « arrêtés sans nombre » qui émaneraient du gouvernement général ou de l’Administrateur-Maire (que la Cravache surnomme « Barbapoux » !), il est certain que, dans la multitude d’arrêtés qui sont pris, certains peuvent prêter à sourire (ou à ricaner !). Comme celui qui réglemente la circulation à une époque où il n’y a encore pratiquement pas de véhicules automobiles et qui comprend tout de même 9 articles. Ou le souci excessif de la légalité qu’exprime la nouvelle suivante : « Une poule trouvée errant au jardin de la Résidence a été capturée et mise en fourrière » (20/12/1908). On aurait plutôt tendance, actuellement, à la mettre au four ! Autre arrêté surprenant, celui qui interdit la cohabitation avec une femme dans les bâtiments de l’Etat (notons que, quelques années plus tard Augagneur votera, à l’Assemblée Nationale française, contre le droit de vote aux femmes !). En ce qui concerne le manque de démocratie qui résulte de la présence d’administrateurs nommés et non élus, on ne peut que se ranger à l’avis de La cravache qui demande des élections. Mais La cravache reste discrète sur le corps électoral qui, si l’on en croit la tendance éditoriale du journal, ne semblerait pas prêt à inclure les malgaches. Alors qu’un timide effort pour faire entendre la voix de ces derniers a été fait par le Gouvernement Général en adjoignant à l’Administrateur-Maire une Commission municipale composée de 8 membres, dont un malgache ! En fait, en dépit de ses défauts, de sa vanité et de son autoritarisme, le républicain-socialiste Augagneur a essayé, dans la mesure du possible de protéger la population indigène contre les excès de certains colons. Ce sont ces excès qui, dans une certaine mesure, peuvent expliquer (sans les excuser) la montée de la criminalité. Si certains colons ont été victimes d’un simple banditisme, d’autres – et cela est reconnu par de nombreux autres colons plus honnêtes – ont été victimes de la vengeance d’anciens employés mal traités. D’ailleurs, à Madagascar même, certains journaux ramèneront le problème à sa juste place : Le Progrès de Madagascar publiera un article du Lyon républicain sous le titre : « La Vérité sur les prétendus troubles de Diégo-Suarez ». Et le principal accusateur, Nicolas, sera lui-même l’objet de vers satiriques : « Le voila, Nicolas/ Quelle est la mission de ce noble étranger/Qui bruyamment vient d’Antsirane ? /Tremblez, libres penseurs ; il vient vous égorger/C’est un Fracasse ; il est très crâne./Le voilà, /Nicolas ! /Ah ! Ah ! Ah ! » Augagneur fit de nombreux voyages à Diego Suarez où il fut chaleureusement reçu même s’il ne put pas donner entièrement satisfaction aux revendications des colons. Lors d’un de ses voyages, un échange de propos entre Nicolas et Augagneur résume pleinement l’essentiel des positions qui opposent les colons au Gouverneur Général. Alors que Nicolas lui fait part de la difficulté qu’ont les colons à trouver des employés malgaches à cause « de la désinvolture avec laquelle ils rompent leurs engagements. Il est difficile sinon impossible de les contraindre en utilisant la voie judiciaire, parce que, ajoute Monsieur Nicolas, ils s’éloignent du lieu où ils étaient employés. Il demanderait la création d’un livret établi sur le modèle de l’ancien livret d’ouvrier qui fut autrefois en usage en France, etc.etc. » La réponse d’Augagneur est sans appel : « Le Gouverneur général répondit que l’indigène possédant un passeport mentionnant qu’il avait régulièrement acquitté l’impôt, et quelque argent pour vivre, était libre de travailler ou de se reposer. […] Il a formellement déclaré qu’il ne ferait rien dans le sens de la contrainte au travail. Il y a des tribunaux pour les européens et pour les indigènes ; l’on doit s’y adresser ». Tout était dit.
■ Suzanne Reutt

 


Traduction

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