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La longue histoire de Vohemar - 5ème partie : Vohemar, d’une guerre à l’autre...

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2 février 2015

Vohemar, la rue principale
Vohemar, la rue principale

Après la prise de Vohemar, le 21 novembre 1884, puis des deux forts d’Amboanio et d’Andraparany en décembre, la région de Vohemar passa sous l’autorité française. Elle n’allait pas y rester longtemps...

L’organisation de l’occupation de Vohemar

Après la prise d’Andraparany, les Hovas s’étaient retirés du district de Vohemar. Or, cette région étant alors considérée comme une des plus riches du Nord de Madagascar, les français décidèrent d’en organiser l’occupation. Considérant que Vohemar n’était « qu’un entrepôt » (Humbert), ils s’installèrent d’abord à Amboanio à environ 18 km de Vohemar. Le rova d’Amboanio, qui avait été pris aux troupes hovas, fut restauré. Ce fort, constitué d’une enceinte rectangulaire de 70 mètres de long sur 120 mètres de large, entouré de pieux très serrés, de 4 m de haut et de 20 cm d’épaisseur, en bois dur, représentait une place facile à défendre. On y installa donc des casernes pour deux compagnies et des magasins contenant trois mois de vivres. Sous le fort, se trouve le village dont le Père Cros, envoyé comme missionnaire le 1er février 1885 donne une description : « Ambouanio (sic) est un grand village situé sur un mamelon qui domine d’immenses vallées où coulent d’un côté le fleuve Tanambaka et de l’autre, la rivière Manambery. Il y a, dit-on, trois cents cases et treize à quatorze cents habitants ».
Dès le 8 janvier 1885, l’Amiral Miot vient visiter Vohemar et met en place un semblant d’organisation. D’après Huart dans son livre La guerre illustrée « quand nous (les français) avons pris ce village, cette localité comptait au maximum 300 habitants [...] La ville blanche, habitée par une dizaine de traitants européens ou créoles, une vingtaine d’indiens de Bombay et quelques arabes, était d’une simplicité rudimentaire, à ce point que la maison du vice-consul anglais (un mauricien) était couverte en paille...». La plupart des responsables sont évidemment militaires : le commandant en chef de la ville est le Commandant Escande, capitaine du Beautemps-Beaupré ; le commandant du port est le lieutenant de vaisseau Duvergé, le capitaine d’artillerie Brun commande le fort d’Amboanio. Mais des civils sont également nommés, notamment le « Directeur des Indigènes ». C’est quelqu’un dont nous avons déjà parlé : M. Guinet, ancien agent de la Compagnie de Madagascar, qui a l’immense avantage de parler couramment le malgache puisqu’il est à Madagascar depuis trente ans et qu’il est marié à une malgache. Le directeur du service de santé, M.Baustrion, est également un civil ainsi que le chef du service des douanes, M. Deltel. Par ailleurs, dès que l’Amiral Miot a appris, à Tamatave, la prise de Vohemar, il a décidé d’envoyer deux missionnaires catholiques dans le nouveau territoire occupé par la France : ils seront chargés d’y installer une école. « Le commandant supérieur nous a indiqué au fond du village un vaste terrain planté de grands arbres, et il nous en a fait la concession pour la future école. Les chefs étaient présents ; ils approuvèrent ce choix » (Père Cros).

Les « richesses » de Vohemar

En France, la nouvelle colonie de Vohemar fait rêver. La Gazette géographique de 1885 en détaille les ressources – nombreuses d’après l’auteur de l’article : « Le port principal, dans le nord-est de Madagascar, au point de vue de la population et du commerce, est sans contredit la baie de Vohemar que nos troupes occupent depuis le 22 novembre dernier ». En effet, d’après l’article, la baie de Diego Suarez, elle aussi occupée « n’est pas un centre commercial ». Après avoir insisté sur l’excellent climat de Vohemar, l’article détaille les avantages de la région : « Vohemar occupe le centre du commerce qui se fait par voie de terre et par la voie de mer dans le nord-est de Madagascar ; tous les produits (caoutchouc, gomme copale, cire etc.) qui proviennent des villages de cette partie de la grande île, viennent de préférence sur le marché de cette province, où se trouvent, à part la Maison Française, les représentants de tous les commerçants indiens de Nossi-Be ». L’auteur donne ensuite, les ressources potentiellement exploitables, en dehors des produits de traite traditionnels dont il a parlé (caoutchouc, copal, cire) : d’abord, le cristal de roche dont on aurait trouvé « des blocs pesant près de 200 kg et mesurant 90 cm de long sur 60 de large, d’une limpidité parfaite, permettant de lire à travers » ; les bois de construction et d’ébénisterie : « l’ébène, l’acajou, le bois de rose, le bois de santal, les arbres à épices, le bois de cannelle » ; l’orseille « qui pousse à l’état sauvage » ainsi d’ailleurs que le coton ; le ricin ; le riz ; le cocotier ; le café « reconnu de très bonne qualité » ; la canne à sucre qui « pousse très bien à Vohemar » ; le sésame ; le tabac ; l’écaille de tortue... L’auteur de l’article souhaite qu’« aujourd’hui que cette province est occupée par nous, il serait à désirer que des industriels français vinssent s’y établir et fonder des usines qui donneraient d’excellents résultats ».
Bref, un vrai pays de cocagne.
Mais ce qui fait le plus rêver, dans la province de Vohemar, c’est l’abondance des bœufs qui « sont renommés comme les plus beaux de Madagascar » et que l’on trouve « en troupeaux considérables ». La qualité de ces bœufs et leur faible prix fait fantasmer les journaux français qui reprennent les informations données par Locamus, le fondateur de la conserverie d’Antongombato. Celui-ci évoque un prix de 4 sous (environ 75 centimes d’euro ou 2 600 ariary) pour diverses pièces de bœuf : un filet entier, une épaule ou une cuisse. La Gazette géographique parle, elle, de 52 à 55 francs ( environ 200 euros ou 700 000 Ar) pour le prix d’un bœuf entier. Aussi l’occupation française fait-elle affluer à Vohemar les commerçants, français, souvent venus de La Réunion, ou plus souvent indiens venus de Nosy Be. Pour favoriser le commerce, des crédits sont votés dès mars 1885 pour l’établissement d’une route entre Vohemar et Tamatave, et la vie sous l’occupation française s’organise à Vohemar.

La vie à Vohemar après 1885
Le général Digby Willoughby et son état-major
Le général Digby Willoughby et son état-major

Nous en avons une idée d’après les descriptions de François de Mahy qui fait escale dans le port en octobre 1885 (même s’il faut parfois se méfier de l’enthousiasme colonisateur de François de Mahy qui voyait en Madagascar une terre bénie pour les créoles réunionnais). Lorsqu’il arrive à Vohemar, le commandant Escande a été remplacé par le commandant Prouteaux qui offre l’hospitalité à De Mahy. Ses compagnons de voyage sont descendus chez M. Mathieu qui tient une « excellente auberge ». Mathieu est le représentant de la Maison Française (ancienne maison Roux de Fraissinet, de Marseille). Voici la description que fait François de Mahy de la petite ville : « Nous avons d’abord visité l’ambulance (l’hôpital) qui est parfaitement organisée[...]. Après l’ambulance, la douane dirigée par un de nos compatriotes Saint-Pierrois, un des fils de M. Casimir Deltel. Puis les magasins de l’Etat, le pavillon destiné aux médecins, le campement très bien ordonné de l’infanterie de marine, les boutiques de plusieurs marchands européens, indiens, créoles de Bourbon et de Maurice. Nous avons parcouru le village malgache sakalave, où nous avons dit bonjour au chef indigène, lequel rend aux Français les plus excellents services. Nous sommes entrés dans plusieurs cases. Depuis l’occupation, les mœurs des Sakalaves se transforment. La plupart ne couchent plus sur des nattes par terre ; ils ont des lits avec des moustiquaires, des chaises, de la vaisselle[...]. Nous avons ensuite fait visite à M.Guinet, puis à un créole de Saint-André[...] qui est parti de Bourbon avec sa femme, ses trois filles et son fils ». Après avoir décrit les français de Vohemar, François de Mahy s’extasie sur la ville et son brillant avenir : « Vohemar est une ville qui sort de terre et pousse comme un noble végétal dirigé par un horticulteur habile. Dans dix ans d’ici, ce sera un grand centre commercial[...]. Le port naturel de Vohemar est admirable. Les navires de grand tonnage y mouillent à toucher terre. En ce moment, sept beaux navires, dont cinq de commerce, y sont venus porter et prendre de la marchandise ». Mais malgré son enthousiasme, De Mahy redoute que « nos hommes d’Etat [...] n’étouffent dans son germe la colonie naissante ». Et, de fait, la domination française sur la région de Vohemar ne durera pas longtemps.
En effet, les troupes françaises de l’Amiral Miot n’ont pas les succès espérés, la résistance hova étant plus ferme que prévue et l’opinion française partagée sur l’idée d’un protectorat. L’Amiral Miot avait pu s’emparer de Tamatave et de Majunga, mais il dut se replier à Farafate où il se trouva confronté à plusieurs milliers de Hovas sous le commandement de l’anglais Willougby. Dans le combat les français eurent trois tués (dont le lieutenant Lubert dont un camp militaire de Diego Suarez porte le nom) et une trentaine de blessés. A la suite de ces opérations et alors que l’opinion française était lasse de ce conflit qui durait depuis deux ans, l’Amiral Miot fut sommé de reprendre les négociations, aidé par le nouveau Résident français à Madagascar, M.Patrimonio.

Le traité franco-hova de 1885

Les négociations commencèrent à Tamatave le 23 novembre 1885 entre Patrimonio et Miot d’une part et les représentants de la Reine : le gouverneur de Tamatave, Rainandriamampandry, le fils du Premier ministre Rainizamamanga et l’anglais Wilhougby. Le traité fut signé le 17 décembre 1885. Si le traité accordait aux français le droit d’occuper le territoire de Diego Suarez, et de recevoir une indemnité de guerre de 10 millions de francs (jusqu’au paiement de laquelle les troupes françaises occuperaient Tamatave), par contre, il reconnaissait à la Reine la souveraineté sur toute l’île, c’est à dire qu’il renonçait aux droits français sur les places conquises dans le Nord, notamment sur Vohemar qui fut évacué par les troupes à la suite du traité. Mais, les français continuèrent à percevoir les droits de douane sur les marchandises entrant à Vohemar, jusqu’au paiement complet de l’indemnité de guerre. Cependant, les différences d’interprétation sur les clauses du traité et de nombreux incidents amenèrent à une nouvelle guerre, celle qui allait aboutir à l’annexion de l’Ile par la France.

Vohemar après l’annexion de 1895
Vohemar, la rue des commérçants indiens
Vohemar, la rue des commérçants indiens

Un certain nombre de commerçants français ou indiens avaient rejoint Antsirane après que le territoire de Diego Suarez ait été cédé à la France. Les Merina reprirent le contrôle de Vohemar, à la grande colère de Mahy, d’autant plus que c’étaient des bateaux français qui avaient ramené les anciens occupants ! Mais le traité ne fut respecté ni par un parti ni par l’autre. Une successions d’incidents allaient amener à une nouvelle guerre, celle de 1895 qui vit l’annexion de Madagascar par la France.
Après 1895, gouvernée par un résident français, Vohemar continua à être le premier port exportateur de bœufs, vers Maurice et l’Afrique du Sud notamment. La revue du Mouvement social évoque le Vohemar de 1900 : « Vohémar (ou Yarana) dans les environs de Diégo-Suarez, est, dit-on, une petite ville proprette, aux rues bien alignées, coquettement assise aux bords d’une jolie baie. Elle compte environ deux cents cases. Chacune a sa petite cour, son enclos, ses cocotiers. Vohémar est un centre de commerce : c’est là que s’approvisionne une partie de la côte orientale ; c’est là qu’à certains jours se rassemblent les immenses troupeaux de boeufs de la province. On les embarque pour Maurice, pour La Réunion, pour le Transvaal. Les Anglais viennent y faire leurs provisions et payer 145 francs par tête des bœufs qui, avant la guerre, se vendaient à peine 60 francs ». De grands travaux sont envisagés pour faciliter le commerce : « [Gallieni] a prescrit la mise à l’étude de la construction d’un quai maritime et d’un wharf à Vohemar, de manière à faciliter l’embarquement des bœufs exportés ; le balisage de la rade a été décidé et le matériel nécessaire est déjà commandé en France ; des sondages ont été effectués en vue de la construction du quai. Le centre de Vohemar sera relié par une route carrossable à Diego-Suarez ».
Cependant peu à peu le port de Vohemar perdit de son importance. Les bœufs, qui représentaient la presque totalité des exportations, commencèrent à se vendre moins du fait de l’augmentation considérable de leur prix et les expéditions vers l’Afrique du sud cessèrent totalement en 1905. Une autre époque commençait qui verrait le port de Diego Suarez remplacer celui de Vohemar comme port principal du nord de Madagascar.

■ Suzanne Reutt


Traduction

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