mort à vingt ans, le 16 décembre 1951 dans un camp de prisonnier du Viet-Minh de la Haute Région (TONKIN)
Oh Georges, mon ami, camarade, mon frère. Garderai-je toujours gravé dans ma mémoire Le souvenir amère du baiser fraternel, qu'un matin Mes lèvres ont déposé sur tes paupières mortes. | |
La vie et ses souffrances nous avaient réunis Apportant chaque jour, ses peines, ses espérances. Ensembles, le quotidien devenait supportable. Chaque épreuve fortifiait notre amitié. | |
Chaque jour, nous retrouvait vers le ruisseau chantant Pour chasser de nos âmes, les cauchemars, les tourments. Et nous tentions en vain d'arracher de nos corps La vermine et les poux qui dévoraient nos chairs | |
Jouant avec la brise sur nos corps frémissants Le soleil éclaboussait ta chevelure dorée. Mon coeur se réchauffait en écoutant ta joie. Tes mains sur mes plaies, allégeaient mes souffrances. | |
Quand la nuit enveloppait nos squelettes étranges Blottis l'un contre l'autre, près du feu, nous rêvions Nos lèvres murmuraient nos souvenirs d'enfants Confiant de retrouver nos rêves d'adolescents. | |
Je me souviens encore de ces heures troublantes, De ces regards complices et de ces longs silences Je me souviens toujours où des heures durant Tu parlais de ton père, de ta soeur, de ta mère. | |
Nous doutions parfois d'un avenir meilleur. Notre ardeur, notre foi avaient été brisées. Dans cette dure bataille, nous avions tout perdu Et nous ragions aussi, d'être si délaissés. | |
Les jours s'en sont allés, aussi notre jeunesse. Nos forces s'amenuisaient, aussi nos espérances. Un matin, tu as cessé de venir au ruisseau, Déjà dans le bleu de tes yeux, se reflétait la mort. | |
A l'aube d'un matin, je t'ai pris dans mes bras Sans plainte, sans reproche, tu t'es mis à prier Depuis longtemps déjà les ayant oubliées Mes lèvres ont répété les prières murmurées. | |
Quand sur ton front glacé, j'ai déposé ma main Tes yeux déjà voilés imploraient mon soutien. Je rageais d'impuissance à vaincre ton destin Et j'ai fermé les yeux pour cacher mon chagrin. | |
Dans l'ombre, j'ai senti ta main qui me cherchait N'entendant plus ton coeur, le mien battait si fort, Quand soudain dans mes bras, je t'ai senti plus lourd. Pour toi, le jour s'était levé pour la dernière fois. | |
En te fermant les yeux, j'ai baisé tes paupières Laissant avec ma peine éclater ma douleur. Deux larmes ont coulé sur ta poitrine éteinte impuissant que j'étais à retenir ta vie. | |
Désespéré, seul, je suis allé vers la rivière Crier mon désespoir comme un enfant abandonné J'ai pleuré, Georges, comme on pleure un frère mort J'ai pleuré sur la vie et sur notre amitié. | |
Alors, je t'ai revu, les yeux remplis de larmes Le jour où tu reçus dans tes bras charitables Mon pauvre corps meurtri, écorché par la haine Que tes mains ont soigné et rendu à la vie. | |
Oh Dieu, Pourquoi as tu permis cette injustice ? Il avait à vingt ans, à peine connu la vie Le jour qu'il me prit dans ses bras, il savait Toutes les représailles qu'il encourait demain. | |
Aujourd'hui, je vais seul, perdu au gré du vent Je vais seul, le cœur meurtri et pour longtemps. Je n'entends plus ta voix, ni ta joie derrière moi, Pour trouver ta présence, je vais seul au petit bois. | |
Jamais plus, je ne pourrai oublier ton sourire Il m'apportait la force, le courage de vivre. Un jour, peut-être, dans la paix retrouvée Mon cœur s'apaisera comme tu l'avais souhaité. |
à Nha-trang, le 20 février 1952