AALEME

Légionnaire toujours...

  • Plein écran
  • Ecran large
  • Ecran étroit
  • Increase font size
  • Default font size
  • Decrease font size

Comment le racisme a traversé ma vie

Envoyer

vendredi 22 novembre 2013

Je ne suis pas une grande voix. Ni Christine Angot, ni Marie Darrieussecq mais une simple citoyenne, bien intégrée dans la société, comme on dit. Cadre supérieur dans un établissement universitaire parisien et pourtant…

 

Pourtant ce qui se passe dans la société française que notre garde des sceaux a cristallisé en quelques jours par des insultes imbéciles et d’un autre âge, bien que l’ayant vécu dans ma chair pendant plusieurs décennies, je croyais que cela était terminé.

Je ne suis pas blonde aux yeux bleus mais brune aux yeux noisettes. Grande comme mon père originaire du Nord de la France avec des ancêtres flamands. Brune comme ma mère, issue du Mellah, ou de la Juiverie de Tunis, d’un père tunisien et d’une mère algérienne, tous naturalisés suite au décret Crémieux et morts de la tuberculose à la fleur de l’âge. En pleine guerre d’Algérie, enceinte de mon légionnaire de père, c’est d’Alger qu’ils partiront, mariés, s’installer en banlieue parisienne.

C’est au début des années soixante que je suis née, dans le département de la Seine à l’époque- le 9-3 aujourd’hui stigmatisé- dans une cité HLM de la petite couronne que l’on appelait la banlieue rouge. Le maire communiste habitait également dans une cité HLM. Il animait sa commune et sa présence dans les rues de la commune et lors des évènements festifs, était une évidence. Les disparités sociales étaient effacées par le bon voisinage qui faisait se côtoyer l’aristocratie ouvrière et classe moyenne salariée grandissante.

ADVERTISEMENT

Vivre librement à cette époque était impossible. Le contrôle social faisait rage et les qu’en dira-t-on bloquaient toute initiative. Et pourtant…

Et pourtant ma mère, quasiment illettrée, veuve à trente ans de ce géant du Nord, acoquiné avec l’OAS, en décida autrement. C’est d’un grand noir, « noir comme hier soir »- comme je me suis habitué à dire- qu’elle s’est entichée et qu’elle a rapatrié dans son HLM vite trop petit pour accueillir la nouvelle famille métissée avant l’heure et recomposée avant la lettre. Il venait de la Martinique. C’est la France non ?

Lorsque, du haut de mes huit ans ma mère m’annonçait alors que je rentrais de l’internat le week end pour refaire une valise de linge propre et reconsidérer mon sac de douceurs – entendez par là des tablettes de chocolat et autres Palmito et Choco Bn à la fraise- que j’allais avoir un nouveau papa, mais noir, c’est par un dessin que je marquais ma désapprobation.

Ce fameux dessin faisait se côtoyer une petite fille « marron » et moi, curieusement devenue blonde la traitant de « noirotte ». Mon nouveau père n’apprécia guère. S’il eut l’intelligence de ne pas m’en vouloir et de me traiter comme sa propre fille, il entretint, sa vie durant ce fort complexe qui le faisait rentrer dans sa coquille dès que le regard du blanc se posait, inquisiteur ou méprisant sur lui, sur nous. Aussi, au gré des rencontres, nous ressentions fierté ou gène, mais jamais de honte. Parfois de la rage comme lorsque quand nous retrouvâmes un pochon en plastique rempli d’excréments sur le parebrise de la DS21, près du bois de Vincennes où nous pique-niquions. Souvent un regard surpris de la filiation que nous annoncions fiers l’un et l’autre de créer un effet surprise.

C’est un livre qu’il faudrait pour raconter les multiples insultes racistes que j’ai essuyées quand du haut mes dix ans, je sortais avec mes deux petites sœurs encore plus brunes que moi. Des crachats aussi sur mon passage mais le pire fut certainement les paroles de cette camarade de classe lorsque la rumeur selon laquelle ma mère allait se marier avec un noir fit le tour du quartier. Du haut de ses 10 ans, Colette me dit : « Ta mère va épouser un Noir c’est dégueulasse ! ». Elle tenta de me rassurer quand même en précisant « qu’un Noir c’était tout de même mieux qu’un Arabe ».

Nous étions au début des années soixante-dix et d’arabe je ne connaissais que Miloud, un camarade de classe, qui avec ses pitreries passait un bon moment de la journée debout sur une chaise avec des stylos dans ses cheveux bouclés. Tu veux faire le pitre Miloud, et bien assume criait Mme B… notre belle institutrice de CM2.

A aucun moment je ne considérais que ma mère fût concernée par cette « arabité ». Pour tout dire, il ne fleurait pas bon non plus d’être juif . Aussi mue par le contrôle social, ma mère, arabe et juive ne me parla jamais de ces origines que je découvris au fil du temps, entre deux leçons de catéchisme.

Aussi, lorsque qu’à vingt ans, je montrais une photo de mon petit copain à ma mère, elle me demanda s’il était français. C’est vrai que ce brun ténébreux aux cheveux bouclés pouvait être portugais, italien mais aussi colombien, argentin, brésilien…. Mais non il était marocain. Musulman me questionna-t-elle ? Assurément, du moins dans sa famille l’Islam était présent et rythmait les journées sans pour autant fermer la porte aux autres, bien au contraire.

Tu vois Colette, je ne t’ai pas écouté. J’ai, après maman, laissé mon cœur me porter vers un Arabe.

De cette relation avec Ahmed, un mariage plus tard, naquirent deux enfants. Et à mon tour de réaliser une famille re-métissée, puis re-composée… avec, vingt ans plus tard, un Ardéchois pur châtaignes… qui a passé la moitié de sa vie à courir le monde.

Le mimétisme familial me direz-vous. Peut-être, mais avec des diplômes universitaires en poche, une carrière réussie je me sens heureuse dans ma vie où le monde, les cultures se côtoient, s’entrecroisent sans jamais se choquer. Et, je suis très reconnaissante à ma mère d’avoir fait ce premier pas vers ma mondialisation à moi.

Heureuse d’avoir comme horizon intellectuel, culinaire, vestimentaire et amical, toutes ces facettes culturelles. D’apprécier autant Eugène Monin, qu’Oum Keltoum. De me délecter en lisant Raphaël Confiant ou Abdelkébir Khattibi. De parler l’arabe et le créole et de vivre cette diversité avec tous mes sens. D’apprécier sans limite, aucune, les lectures intimes de Virginia Woolf ou le Joueur d’échec de Stefan Zweig. J’aime la pastilla marocaine mais aussi les caillettes, la crème de marrons et la saucisse de Morteau. Pourquoi devrais-je me priver de cette richesse du génie humain ? 

Parce que cette ouverture au monde que l’on appelle mondialisation n’est contrairement à ce que l’on veut nous faire croire pas une expérience contemporaine. Beaucoup de femmes de roi de France, voire de reines n’étaient pas françaises, et les plus célèbres, qui ont donné de fameuses descendances, venaient d’ailleurs. Dans d’autres pays, même dans les dynasties arabo-musulmanes, les Oum Ouled (les mères des enfants dans les harems) étaient le plus souvent des captives venant d’Ukraine, de Germanie ou de France. Les grands médecins, historiens, géographes, architectes furent aussi persans, arabes et indiens.

Ce qui est nouveau c’est la démocratisation de la mondialisation qui permet aux individus de sortir non plus seulement du clan, mais de la région, voire du pays pour aller choisir son alter ego dans le monde entier. Cette ouverture fait peur parce qu’elle a cessé d’être l’apanage des plus grands qui en faisaient un raffinement. Nous faire croire que le peuple n’en est pas capable est une idiotie.

Ce parcours qui est le mien a été traversé par des grands faits historiques qui ont façonné les mentalités et fait se replier certains groupes sur eux- mêmes créant le communautarisme auquel correspond pour les « Français dit de souche » le repli identitaire fondé sur des valeurs soit disant locales, héritées du passé.

Mon beau-père- noir comme hier soir- a aujourd’hui 91 ans, il s’éteint lentement dans un service de gériatrie d’un hôpital parisien. Son voisin de chambre, en apparence un « français de souche », semblait refuser la cohabitation en restant dans un mutisme que nous associions à de la désapprobation. Hier soir, alors que ma « belle-cousine » Maire-Denise, âgée de 80 ans, rendait visite à son oncle, avec sa compagne bretonne Nicole, de 15 ans sa cadette, ce monsieur sortit de ce qui n’était, au fond, que de la réserve.

« Moi dit-il, je suis heureux de voir une famille qui s’entend si bien. J’ai une seule fille, mais quand elle vient me voir, c’est pour m’enquiquiner ».

Ma fille à moi vient d’avoir 20 ans. Le monde lui est grand ouvert.

Enfin si j’ai la banane c’est que je l’aime sous toutes ses formes : jaune, mais aussi cuite ou frite, avec de la morue et du piment zoiseau, avec du Nutella ou flambée au rhum.

Le racisme est le refuge dans lequel les grands de ce monde veulent enfermer les peuples, pour mieux les exploiter. C’est plus simple pour garder dans l'entre soi les merveilles culturelles du monde façonné par le génie humain.


Traduction

aa
 

Visiteurs

mod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_counter
mod_vvisit_counterAujourd'hui5776
mod_vvisit_counterHier2652
mod_vvisit_counterCette semaine12445
mod_vvisit_counterSemaine dernière24288
mod_vvisit_counterCe mois98995
mod_vvisit_counterMois dernier347580
mod_vvisit_counterDepuis le 11/11/0919838424

Qui est en ligne ?

Nous avons 1867 invités en ligne

Statistiques

Membres : 17
Contenu : 14344
Affiche le nombre de clics des articles : 42457980
You are here BREVES 2013 Comment le racisme a traversé ma vie