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2017




L’intérêt présenté par la guerre du Rif pour l’emploi des chars dans la contre-insurrection contemporaine

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L’intérêt présenté par la guerre du Rif pour l’emploi des chars dans la contre-insurrection contemporaine

Samedi, 25 Mars 2017 07:06


Le combattant rapproché comme priorité stratégique nationale-Intervention au colloque national de l'infanterie

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La voie de l'épée

vendredi 17 mars 2017

 

A l’été 2006, j’ai effectué une mission de retour d’expérience à Kaboul. A l’époque, la France venait juste de refuser d’envoyer son unique compagnie d’infanterie alors présente sur place en renfort des Canadiens qui venaient de s’engager dans la province de Kandahar et devaient y faire face à une résistance inattendue. En allant voir cette unité, je constatais qu’elle aurait eu, au regard de l’intensité des combats qui se déroulaient alors, de sérieuses difficultés et sans doute des pertes : le capitaine n’avait pas de véhicule de commandement, certains véhicules de la compagnie n’étaient pas blindés, les sections étaient réduites à 75% de l’effectif théorique, il n'y avait des munitions que pour un jour et demi de combat, il y avait très peu d’armes d’appui et pas de mitrailleuses 12,7 mm sur les VAB (Véhicules de l’avant blindés, qui, il est vrai, remplaçaient les camions depuis peu), etc. Tout avait été calculé au plus juste pour être présents  au moindre coût dans une opération de stabilisation. Je concluais mon rapport en disant que la foudre ne nous épargnerait pas éternellement et qu’il fallait se préparer beaucoup plus sérieusement à l’éventualité de combats violents. Je proposais notamment de regarder précisément ce que faisaient nos alliés alors engagés dans les zones de combat en Afghanistan. Quelques mois plus tard, le poste qui consistait justement à analyser ce que faisaient les autres fut supprimé par mesure d’économie.
Deux ans plus tard, alors au cabinet du Chef d’état-major des armées, je participais au groupe de travail analysant le combat de la vallée d’Uzbeen. Je constatais que rien n’avait vraiment évolué depuis. L’équipement et l’organisation de la section Carmin qui était tombée dans l’embuscade étaient les mêmes que celui des sections de 2006. Pire, cette section était quasi-identique à celle que je commandais quinze ans plus tôt à Sarajevo: même gilet pare-balles, conçu pour des missions statiques, même casque, même armement, même faible quantité de munitions, même nombre réduit.
Entre 1993 et 2008, la France avait pourtant produit pour environ 20 000 milliards d’euros de richesses nouvelles. Ne pouvait-on imaginer d’en consacrer un petit peu pour ses soldats de première ligne ? Alors certes, le programme Félin était en cours, j’avais même participé à certaines expérimentations dix ans plus tôt, et de nouveaux équipements avaient été demandés, en « urgence opérationnelle », comme les VAB téléopérés. Mais visiblement cela n’avait pas été assez urgent. Que de lourdeurs, de rigidités pour arracher quelques ressources. Ne pouvait-on imaginer d’équiper nos soldats plus vite de matériels plus performants ? Il suffisait bien souvent, comme nos ennemis, de les acheter sur le marché civil pour quelques centaines d’euros. Plus largement, ne pouvait-on imaginer de changer notre armement individuel ? Dix ans avant l’embuscade d’Uzbeen, j’avais assisté à une séance de tir où une section d’infanterie tunisienne nous avait humiliés avec ses fusils d’assaut à lunette Steyr AUG. Le tir avec cette arme, pourtant contemporaine du Famas, m’avait alors paru magique. En 2008, cela faisait déjà pratiquement trente ans que nous étions dotés du Famas. Trente ans, c’était le temps qu’il avait fallu justement pour passer la génération précédente -celle de la guerre d’Algérie : FSA 49/56, MAT 49, AA52- au fusil d’assaut.

Il n’était donc peut-être pas scandaleux d’envisager le remplacement de ce Famas dont par ailleurs l’entretien devenait si coûteux et l’approvisionnement en munitions de plus en plus dégradé. Si j’ai bien lu, son remplacement, en cours actuellement, va nous coûter environ 300 millions d’euros…300 millions d’euros, soit 0,68 % du programme Rafale (un total de 43 milliards d’euros de dépenses pour la France au dernier pointage lu). Avec le prix de deux avions Rafale, on pouvait rééquiper tous nos soldats débarqués. Pour la moitié du prix d’un avion, on pouvait remplacer le gilet pare-balles conçu dans l’urgence par ce qui se faisait de mieux au monde. Le Rafale est un merveilleux appareil mais la position stratégique de la France se serait-elle trouvée compromise avec quatre avions Rafale de moins, au profit d’une infanterie beaucoup mieux équipée ? La destruction de la section Carmin n’était pas seulement une question d’équipements mais avec des nouvelles armes individuelles dont un bon pistolet automatique en double dotation, une centaine de munitions en plus, des gilets plus ergonomiques, autant de soldats débarqués que la structure réglementaire, elle aurait peut-être pu tenir jusqu’à l’arrivée des renforts. Cela n’a pas été le cas, la section d’infanterie débarquée n’était pas une priorité pour la nation ou même le ministère de la Défense, comme bien souvent dans notre histoire.
Le fantassin oublié
La section d’infanterie française prend sa forme moderne dans les années 1916-1918. Elle est alors équipée de fusils-mitrailleurs, de fusils lance-grenades et parfois de fusils semi-automatiques (FSA) dont certains avec lunette. Chaque demi-section (puis tiers de section à la fin de la guerre) n’est alors pas très différente dans ses équipements, son organisation et son fonctionnement du groupe de combat actuel. Autour des sections d’infanterie, on invente aussi les sections et compagnies d’appui avec mitrailleuses, mortiers de 81 mm et canons de 37 mm. Le saut qualitatif a été énorme de 1914 à 1918. Le problème est qu’il n’avait pas besoin d’être réalisé car tous ces équipements existaient avant guerre à l’état de prototypes. Il suffisait de les développer. On ne l’a pas fait.
On ne l’a pas fait parce que tout cela n’est pas très valorisant, à tous les sens du terme. Dans le monde économique, l’intérêt des ingénieurs et des comptables se porte beaucoup plus facilement sur les grands et beaux systèmes. Les chantiers navals ou, plus tard, l’industrie aéronautique, ont plus de visibilité, de poids médiatique que les entreprises plus modestes qui servent l’armée de terre et parmi ces dernières, les producteurs de véhicules, l’emportent sur ceux qui fournissent les petits équipements des soldats à terre. Dans l’offre industrielle, le fantassin au sol est le plus mal servi, surtout lors des périodes de disette budgétaire lorsque les gros programmes maigrissent alors que les maigres meurent. Ce phénomène pousse d'ailleurs paradoxalement les armées à soutenir les premiers (les gros et coûteux) plutôt que les seconds pour mieux défendre leurs budgets. 

Du côté des politiques, là où se font les choix budgétaires, on est aussi évidemment plus sensible à ces grands industriels, pour des raisons parfois personnelles mais aussi pour soutenir l’activité et les exportations ou encore parce que ces grands engins sont plus utiles pour des effets démonstratifs. Avant 1914, on dépense des fortunes pour les dirigeables ou les cuirassés de type Dreadnought. Un simple transfert des ressources de ces projets vers les fantassins de 14 aurait sauvé des centaines de milliers de vie et changé l’Histoire.
Il est vrai aussi que le fantassin apparaît aussi bien petit voire simple. Considérée comme moins technique que les « armes savantes » où même la cavalerie, c’est bien souvent dans les rangs de l’infanterie que sont affectés les recrues les moins qualifiées. Recrutés « dans la partie la plus vile de la nation » selon l’Encyclopédie au XVIIIe siècle, tirés au sort tout au long du XIXe siècle (avec possibilité d’exemption pour la bourgeoisie moyennant finance), le fantassin français est réputé brave mais peu instruit. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, on considère généralement qu’il faut au minimum deux ans de service pour faire un soldat. La réduction du service militaire à un an en 1928 est considéré comme une catastrophe par l’Etat-major qui estime que l’on ne peut plus dès lors mener de grandes opérations offensives (jugées les plus complexes). Si, en 1934, le colonel de Gaulle demande des soldats de métier pour servir dans les corps blindés-mécanisés qu’il décrit dans Vers l’armée de métier, c’est parce qu’il ne croit pas que des appelés à un an de service puissent le faire. Au-delà des technologies, sur lesquels presque tous les regards se portent, c’est bien souvent dans le changement des perceptions que se trouvent les innovations les plus fertiles. En regardant les hommes différemment on aurait pu considérer avant 1914 que les fantassins pouvaient utiliser des armes automatiques sans gaspiller des munitions, l’argument premier de l’époque. L’invention du chef de groupe en 1917 est une innovation majeure qui permet de résoudre le problème que l’on se pose dans l’infanterie depuis l’apparition en masse des fusils à âme rayée (qui ont une portée pratique beaucoup plus importante que les armes précédentes). Pendant des dizaines d’années, on a hésité entre la dispersion des hommes qui protège du feu mais éloigne des officiers et la concentration, aux effets inverses. Il a fallu finalement changer de regard sur les sergents en 1917 et considérer qu’ils pouvaient aussi prendre des décisions tactiques autonomes pour résoudre le problème en créant des cellules semi-concentrées. Une des innovations majeures de l’infanterie durant ces deux derniers siècles a donc procédé d’un simple changement de perception.
On retrouve le même phénomène pendant la Seconde Guerre mondiale. Les sections d’infanterie de 1940 n’ont pratiquement pas bougé depuis 1918. Pas d’armement nouveau, hormis l’excellent fusil-mitrailleur FM 24/29. Il n'y a pas de fusil semi-automatique (le MAS 36 est encore à répétition manuelle et il ne sort qu’au compte-goutte au début de la guerre) et on est incapable de produire un pistolet-mitrailleur (PM) efficace. Non seulement, l’armement et l’équipement du fantassin ne constituent pas une priorité, mais on n’a pas réfléchi non plus à l’évolution des structures et des méthodes. Il y avait pourtant, là aussi, un potentiel caché qui ne s’est révélé que plus tard. Deux ans après le désastre de 1940, à Bir Hakeim, une brigade de cinq bataillons d’infanterie et de quelques unités d’appui tenait tête à une division blindée italienne puis à deux divisions allemandes tout en étant plus frappée par les Stukas que les forces soviétiques à Stalingrad. Cette 1ère brigade française libre (BFL) était pourtant encore largement équipée de matériels français ou d’équipements facilement disponibles avant 1939. Elle avait simplement inventé de nouvelles méthodes et de nouvelles structures. Avec sensiblement les mêmes moyens, elle se battait beaucoup mieux et plus durement que les unités équivalentes de 1940 et on se plait à rêver à ce qu’aurait pu être alors le combat en France ou en Belgique avec des centaines de 1re BFL.
Retenons bien ces leçons. Dans l’allocution des ressources le petit fantassin aura tendance à être le dernier servi, surtout lorsque ces ressources sont rares, jusqu'au moment où arrive le moment où il faut combattre. Comme l’air, on s’aperçoit alors que l’infanterie existe lorsqu’on en manque, qu’elle est vitale et finalement toujours trop rare et trop négligée. On s’aperçoit aussi, leçon interne de l’armée de Terre et de l’infanterie, que, focalisés aussi sur les ressources venues du haut dont il est toujours facile d’accuser le manque, qu’il y avait une productivité sous-exploitée.
Tâtonnements fantassins
Les choses ont-elles vraiment changé depuis ? L’infanterie à pied a bénéficié de deux grandes périodes d’effort après 1945 : pendant la guerre d’Algérie et dans les années 1980 au moment de la petite guerre froide. Il y avait alors un besoin urgent, pour faire une guerre en cours ou pour se préparer à une autre qui menaçait, et des ressources importantes étaient consacrées à l’outil de défense (y compris dans la situation économique difficile des années 1980). 

Dans le premier cas, en Algérie, la priorité est donnée à l’infanterie à pied (« légère ») et à la puissance de feu antipersonnel. On refuse la solution du fusil d’assaut et on prolonge les concepts du début de la Seconde Guerre mondiale mais avec la génération des FSA, PM et fusil-mitrailleur AA52, on dote nos fantassins d’une puissance de feu nettement plus importante que celle de nos adversaires (il est vrai mal équipés). Dans le deuxième cas, en France et en Allemagne, l’accent est mis sur la mobilité et la capacité antichar. L’infanterie, portée sur VAB ou AMX10P est dotée de lance-roquettes, roquettes jetables de 112 mm et de toute une panoplie de missiles : Hot, Milan, Eryx. Pendant le même temps, la capacité antipersonnel évolue peu. En 1978, les soldats largués à Kolwezi et engagés au Tchad ou au Liban sont encore équipés comme à l’époque du plan Challe, face à des combattants équipés de fusils d’assaut FAL ou de la panoplie soviétique : AK47, lance-roquette RPG, fusil à lunette SVD, fusil-mitrailleur RPD. On achète alors en urgence des fusils suisses SIG 540 avant, dernière armée moderne à le faire, de se doter d’un fusil d’assaut avec le Famas.
La fin de la guerre froide nous surprend dans cette posture. Politique inconséquente et à très courte vue, on n’ose supprimer ou transformer aucun des grands programmes lancés à la fin de la guerre froide mais on s’empresse en même temps de réduire les moyens qui auraient permis de financer ces mêmes grands programmes. Depuis, les armées sont plongées dans une profonde crise organique. Autour des grands programmes, tout fond. Dans l’armée de l’air, tout tombe en ruines autour du Rafale, autour du groupe aéronaval la flotte perd des milliers de tonnes chaque année et dans l’armée de terre, le nombre de chars est divisé par six en vingt-cinq ans, les canons par quatre et les hélicoptères par deux. L’infanterie n’échappe pas au phénomène. Il y avait 48 régiments ou bataillons de chasseurs endivisionnés en 1986, il n’y en a plus que vingt aujourd'hui.
Pour autant, avec la multiplication des « gestions de crise » après la guerre froide, on s’aperçoit que l’on a besoin d’hommes sur le terrain, pas forcément de combattants, car on n’y combat que rarement et ponctuellement (à Sarajevo ou à Mogadiscio par exemple) mais plutôt de « gardiens de la paix » ou de « gardes internationaux ». Des unités d’infanterie sont évidemment capables de jouer ce rôle mais il est possible de faire appel aussi pour ce que l’on croit être des missions simples (jusqu’à ce qu’il faille combattre et là c'est plus compliqué) à des unités de marche ou Proterre. Dans ces conditions, finalement plus encombrée qu’aidée de cet armement antichars dont on continue à l’équiper malgré tout (pour quelques missiles tirés, le programme Eryx aura coûté deux fois le coût du remplacement du Famas), recevant au compte-gouttes des crédits de développement, l’infanterie évolue lentement parfois encore empêtrée dans des procédures interminables.
Il aura fallu quand même deux ans après le rapport du général Vezio en 1986 pour choisir entre la roue et la chenille pour le futur Véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI), puis encore dix ans pour ne pas se mettre d’accord avec les voisins européens sur un projet commun et enfin refuser en 2002 les déplorables premières maquettes proposées par l’industriel, avant de voir enfin arriver en 2008 le VBCI dans les unités (pour finalement un nombre inférieur à la commande initiale et pour un prix total du programme plus élevé). En 1916, il n’avait fallu que dix mois pour former la toute première unité de chars français de l’histoire en partant de rien. Il est vrai que dès la génération suivante, là où le général Estienne et l’infanterie demandaient un petit engin d’accompagnement à deux places et transportable par camions (le FT-17) le service automobile du ministère et l’industrie proposaient plutôt un monstre mécanique beaucoup plus sophistiqué, coûteux et lent à produire (et au bout du compte inutile).
Pour le fantassin débarqué, le combattant rapproché d’une manière générale, c’est l’urgence qui a commandé pour faire à la menace de tous les malfaisants qui s’acharnaient mystérieusement contre les soldats de la paix. On a assisté à une pulsion d’acquisitions au début des années 1990 : Minimi, fusil Mac Millan, gilets pare-éclats, pare-balles, casque, optronique ou des transferts, VBL, VAB canons de 20 mm. Cela a été bienvenu et a sauvé un certain nombre de vies mais pour le reste, hormis la professionnalisation complète de l’infanterie, on connaît peu d’évolutions dans les structures, les méthodes ou les perceptions jusqu’à l’engagement en Kapisa-Surobi en 2008, occasion d’une nouvelle pulsion réactive.
Le fantassin stratégique
Ce qui me frappait le plus en faisant le retour d’expérience de l’embuscade d’Uzbeen était ce décalage flagrant entre les effets, très clairement stratégiques, des combats, et la faible priorité accordée à nos fantassins. Il faut être cohérent : si l’engagement d’une seule section d’infanterie peut avoir des effets stratégiques, alors la section d’infanterie doit recevoir une attention stratégique, c'est-à-dire au niveau politico-militaire le plus élevé. Cela paraît relever de l’évidence biblique.
Ce sont les combattants rapprochés qui payent le prix fort. Il serait intéressant d’analyser qui étaient et comment sont morts précisément les 400 soldats tombés pour la France depuis 1962. Les Américains, eux, ont fait ce genre d’études. Ils ont établi que dans les conflits du XXIe siècle, les fantassins représentaient 81 % des pertes, que 90 % d’entre eux étaient morts à moins de 400 m d’une route et pour 52 % en cherchant l’ennemi. Les statistiques françaises doivent être assez proches. Une arme qui représente en France peut-être 5 à 6 % des hommes et des femmes en uniforme supporte au moins 70 % des pertes, les autres sont essentiellement des sapeurs (les sapeurs-combat peuvent revendiquer légitimement aussi l’appellation de combattants rapprochés) et des logisticiens.
Dans l’immense majorité des cas, ces hommes ont été tués dans des combats d’ampleur limitée par d’autres combattants rapprochés toujours irréguliers, soit par le feu d’armes légères, soit par des engins explosifs et obus. Dans ces combats, les soldats français sont presque toujours sortis vainqueurs, et c’est encore le cas finalement à Uzbeen au bout de deux jours, mais il suffit que quelque uns d’entre eux tombent pour que cela deviennent un événement à l’ampleur exponentielle par rapport au nombre de pertes. En Afghanistan, l’embuscade d’Uzbeen a provoqué une grande émotion, la sidération du ministre et le déplacement d’un Président de la République puis les deux attaques-suicide du 13 juillet 2011 et du 20 janvier 2012 (dix soldats français tués au total) ont provoqué à leur tour de telles mesures de prudence qu’elles ont largement paralysé l’action en Kapisa-Surobi avant de finalement provoquer un retrait anticipé. Ces opérations tactiques voire micro-tactiques apparaissent donc rétrospectivement comme de grandes victoires rebelles.
Cette très faible résilience politique incite à une réticence à l’engagement de troupes terrestres, surtout de soldats débarqués, apparemment si vulnérables. Le problème est que les effets décisifs ne peuvent être obtenus qu’au sol, là où vivent les gens, et par des combattants qui plantent des drapeaux et contrôlent des zones. Cela est d’autant plus vrai que l’on combat, ce qui est la norme depuis cinquante ans, surtout des organisations armées au milieu de populations. Ces organisations ont peut les bombarder pendant des semaines, des mois et même des années maintenant comme l’Etat islamique, s’il n’y a personne au sol pour les dominer au plus près et contrôler le terrain et la population, cela ne donne pas grand chose. On peut bien sûr faire confiance aux Alliés locaux pour cela mais en se souvenant que s’ils ont fait appel à nous, c’est qu’ils sont inférieurs à leur adversaire. Les résultats sont souvent très aléatoires. Nous voilà donc soumis à un dilemme fondamental : engager des combattants rapprochés, avoir plus de chances de l’emporter mais voir fatalement certains d’entre eux tomber, ou ne pas les engager, et donc imiter les pertes, mais voir les chances de succès diminuer.
Faire en sorte que le politique n’ait plus peur d’engager des combattants rapprochés au contact de l’ennemi.
Il n’y a qu’une manière de sortir de ce dilemme : faire en sorte que le politique n’ait plus peur d’engager des combattants rapprochés au contact de l’ennemi. On l’aura compris, cette ambition dépasse largement le cadre de l’infanterie. Le Livre blanc de 2008 expliquait qu’il fallait apprendre à la nation à être plus résiliente car les engagements à venir seraient plus durs. C’était une erreur, d’une manière générale l’opinion publique s’avère souvent bien plus prête à accepter les pertes que ne le croit l’échelon politique. C’est ce dernier qui soit apprendre la résilience, ou plutôt doit la réapprendre. En juillet 1961, le général de Gaulle engageait les forces françaises pour dégager la base de Bizerte, acceptant la perte de 27 hommes (pour 30 fois plus dans l’armée tunisienne). En 1978, le Président Giscard d’Estaing engageait quasi-simultanément deux opérations audacieuses au Tchad et à Kolwezi : 33 soldats français mourraient en quelques semaines mais nos ennemis étaient écrasés. Pendant la guerre du Golfe, on avait cru et admis qu’il y a aurait possiblement des centaines de victimes.
Et puis on a surtout hésité, dès l’engagement au Liban en 1978 en fait, à combattre directement pour finalement quand même perdre des hommes sans avoir beaucoup de résultats. Il faut l’engagement des forces spéciales dans le sud afghan en 2003, puis la Kapisa-Surobi et l’opération Serval au Mali pour renouer avec le combat…avant d'hésiter à nouveau. La guerre contre l’Etat islamique est ainsi la première de notre histoire ou, en presque trois ans, les pertes civiles sont très largement supérieures à celle d’une armée que l’on ne veut pas engager directement contre l’ennemi.
Cette ambition concerne aussi l’armée de Terre et l’infanterie. On peut, comme je l’entends dans ce colloque se satisfaire de tout et estimer que l'on fait le maximum. On peut considérer aussi qu’on peut aller beaucoup plus loin. Alors que, depuis la fin de la Guerre froide, nous avons une supériorité totale dans les airs et sur les mers, n’y craignant plus que les concurrents commerciaux, le combat des petites cellules tactiques terrestres n’a guère varié depuis des dizaines d’années. Malgré ses équipements électroniques ou de protection, une section d’infanterie française moderne aurait des difficultés à vaincre, sauf sans doute de nuit, une section de panzergrenadiers allemands de 1944 (et ses quatre à six MG-42 à 1000 coups-minutes). Dans les combats d’Uzbeen, une section a été détruite et une autre fixée par des combattants rebelles bénéficiant certes de la surprise et de la supériorité numérique mais sans gilets pare-balles et équipés d’armements des années 1960. On n’imagine pas une patrouille d’avions Rafale, même surprise, être battue par une escadrille de Mig-15 et encore moins de Focke-Wulf 190. C’est possible dans le combat terrestre et plus particulièrement le combat débarqué.
On peut rétorquer que cela ne s’est plus reproduit depuis 2008. C’est vrai et les combats, très intégrés entre le sol et les appuis, en Kapisa et plus encore au Mali ont été menés de manière remarquable mais en déployant des moyens importants et au prix de 200 000 euros par combattant ennemi tué. C’est certes inférieur aux coûts d’une campagne aérienne mais quand même. On se gargarise avec les principes de la guerre de Foch, mais parmi eux il y a « l’économie des forces ». Nous pouvons gagner tous les combats mais combien pouvons-nous gagner de combats de ce type quand les appuis-canons, hélicoptères d’attaque, chasseurs-bombardiers- se comptent en dizaines seulement et quand les Américains ne sont pas là pour les fournir ? On doit se féliciter de la réussite de Serval mais il ne faut pas oublier que nous avions en face de nous 3 000 combattants légers équipés de pick-up et d'armes légères soviétiques, et que nous avons (avec nos camarades tchadiens) tué 10 % de cet ensemble. La France seule face à l’Etat islamique, on fait comment ? C’est une superpuissance militaire, l’Etat islamique ? Il y a 99 ans, nous étions la première armée du monde, nous disposions de l’infanterie la plus forte et la plus moderne et pas seulement dans ses équipements. En 1924, la France épuisée par la guerre envoyait quand même 100 000 soldats au Maroc vaincre une force rebelle comparativement très supérieure à ce que représente l’Etat islamique aujourd’hui.
Révolution
A dépenser tellement d’énergie pour sauver les programmes en cours, à gratter quelques crédits, on en vient à se satisfaire de pouvoir gagner simultanément quelques combats de petite ampleur (qui, il est vrai, ne le sont jamais pour ceux qui les vivent) ? Ce qu’il faut atteindre, c’est la certitude qu’une section isolée soit invincible face à un adversaire équivalent en nombre, qu’elle soit capable de résister face à trois ou quatre fois plus de combattants jusqu’à ce que des renforts ou des appuis arrivent. Il faut bien sûr diminuer par tous les moyens le risque pour chacun de nos soldats mais aussi et surtout augmenter considérablement le risque pour nos ennemis. Pour chaque combattant rapproché qui tombe, 20 ennemis doivent mourir lorsque la section combat seule et 40 lorsqu'elle peut bénéficier d'appuis proches. C’était finalement la norme de Serval mais il faut atteindre cette norme avec les moyens de l’infanterie seule (ce qui n’empêche évidemment pas de faire parfois appel aux autres) et surtout la multiplier. Ce n’est pas 400 sections dont la France a besoin mais de 800 super-sections d'un standard se rapprochant de celui des Forces spéciales. C’est irréaliste ? De la même façon que les généraux de 1914 auraient considérés comme irréalistes ce que l’on a été capable de faire seulement quatre ans plus tard et que ceux de 1940 auraient jugés ridicule le compte-rendu de Bir Hakeim.

Pour y arriver, il faut bien sûr commencer par dépasser le seul cadre de l’infanterie, de l’armée de Terre et même des armées pour secouer plus haut et placer le politique devant ses responsabilités et ses contradictions. On ne peut impunément déclarer être en guerre et ne pas sérieusement la faire. On peut se féliciter de la modification de la loi de programmation mais cela est encore loin d’être suffisant, ne serait-ce que pour résoudre la crise en cours. Imagine-t-on par ailleurs le général de Lattre entendre avant de débarquer en France que seul le tiers du surcoût des opérations de la Première armée serait financé et qu’une partie de son budget serait gelé, car vaincre l’armée allemande c’est bien mais réduire les dépenses publiques, c’est mieux ? Imagine-t-on le général Pétain à Verdun recevoir des directives de l’Union européenne lui rappelant l’obligation de créer des représentations professionnelles et de faire respecter strictement les temps de repos des fonctionnaires ? C’est aberrant, c’est pourtant ce que nous faisons. En face, l’Etat islamique, al-Mourabitoune, AQMI ou Boko Haram ne sont pas soumis au code des marchés publics, n’ont pas mis en place des bases de défense et n’ont pas adopté le logiciel Louvois. Cela leur donne de gros avantages que l’on n’est pas obligé de leur accorder éternellement.
Mais on peut se regarder aussi. N’y-a-t’il rien à faire en attendant les sacro-saints Scorpion et Félin V2 ? Attention, ces programmes sont remarquables mais il ne faut pas qu’ils nous hypnotisent. Peut-être que dans le futur Félin nous permettra d’établir enfin d’établir la suprématie en combat rapproché mais ce n’est encore le cas et pour l’instant le bilan est négatif puisque, effet d’éviction, avec les 42 000 euros que coûte chaque panoplie on aurait pu faire mieux et surtout beaucoup plus vite en en se contentant d’acheter sur étagères. Peut-être faut-il d'ailleurs accorder et de ressources plus de liberté aux brigades et régiments pour acheter (et même revendre) dans le marché civil ce dont elles ont besoin, hors armement bien sûr ? Les tenues ne seront pas forcément tout à fait toujours les mêmes mais quelque chose me dit que nos soldats seraient sans doute mieux équipés, plus vite et pour un coût global inférieur pour le budget du ministère.
Dans cette journée, j’ai entendu dire plusieurs fois qu’il ne fallait jamais oublier l’homme. C’est très bien mais concrètement, cela signifie quoi ? Si on se souciait vraiment des hommes, on ne se réjouirait pas de l’opération Sentinelle. Peut-être qu’on si on maintenant un peu plus de stabilité dans nos unités au lieu de conserver la même gestion des mutations que pendant l’armée de conscription on obtiendrait plus de cohésion et d’efficacité sans dépenser un euro de plus (en fait en en dépensant moins). 

On sait que les meilleurs soldats ont entre 28 et 32 ans. Ils ont peut-être un peu moins de souffle qu’à 20 ans mais ils ont en revanche beaucoup plus de maturité. Un général israélien m'a confié un jour que ce qu'il nous enviait le plus, c'était nos vieux caporaux-chefs qui restent calmes dans les situations difficiles. Il m'expliquait que pour les missions les plus complexes ils préféraient engager des réservistes que des unités d'active, où la moyenne d’âge, cadres compris, tourne autour de 21 ans. Les hommes des forces spéciales sont plus âgés que les autres, ce n’est pas pour rien. Les unités d’intervention de la police et de la gendarmerie recrutent aussi des hommes déjà formés et avec quelques années d’ancienneté. Pourquoi ne pas faire de la spécialité de combattant rapproché, une spécialité de deuxième temps de carrière ? On aura des hommes mûrs, expérimentés et qui auront acquis d’autres compétences utiles. 

Ces hommes et ces femmes précieux, notre trésor national, ne doivent pas non plus être gaspillés. Leur temps doit être partagé entre entraînement-alerte, opérations et repos. Tout le reste, le gardiennage, les gardes d’honneur, les servitudes diverses, etc. doit être réduit au maximum ou effectué par d’autres. Peut-être alors que l’on considérera que l’on se soucie vraiment des hommes et que le temps moyen d’engagement des militaires du rang sera supérieur à six ans.
Est-on par ailleurs obligé d’avoir des structures différentes de section pour chaque théâtre d’opération ? Pourquoi faut-il une organisation différente pour le 9e RIMa ou le 3e REI sur le même territoire guyanais ? Pourquoi avoir conçu une section à 40 hommes pour ne jamais l’utiliser et, à la place, bidouiller, parfois pour respecter à l’homme près un chiffre politique (« ne pas dépasser 4 000 hommes en Afghanistan ! », comme si on demandait au porte-avions Charles de Gaulle de ne fonctionner qu’avec 1 000 hommes) ? Outre que ces changements de structure sont « déstructurants », on en arrive ainsi à avoir seulement 23 hommes à terre à Uzbeen au lieu de 31.
Puisqu’on parle de structures, pourquoi, hormis le retour (heureux) du troisième tireur de précision, n’avons-nous pas fait évoluer la structure décrite dans l’INF 202 de 1999 (qui lui-même ne modifiait la version de 1986 qu’avec le chapitre consacré au groupe ACCP) ? Il y a douze ans, les fantassins israéliens m’expliquaient avoir abandonné le trinôme par son incapacité à absorber les pertes. En ajoutant un seul homme, l’équipe devenait plus résistante et plus souple. Il y a un consensus international et historique là-dessus, nous persistons pourtant. Pourquoi attendre encore avant de constituer des groupes d’appui dans les sections, avec du 7,62 mm, des tireurs de précision avec fusils HK417 et pourquoi pas des lance-roquettes Carl Gustav au lieu (ou en plus) des AT-4 ? J’ai expérimenté de 1993 à 1999, une organisation de la section directement inspirée des sections d’assaut allemandes de 1944 avec un groupe appui-feu, regroupant les armes tirant à 600 m, et deux ou trois groupes d’assaut équipés simplement de Famas. Dans la majorité des cas, cela fonctionnait beaucoup mieux qu’en les répartissant dans les groupes (dans l’embuscade d’Uzbeen, hormis un tireur de précision et une seule grenade LGI lancée, les armes portant à 600 m n’ont fourni aucune plus-value réparties dans les groupes).
Pourquoi conserve-t-on douze cadres d’ordre réglementaires pour le chef de groupe ? Lorsque j’étais chef de groupe, je les ai remplacés par un cadre d’ordre unique : OPAC (objectif-observation/position/action), inspiré des modes de communication entre équipages de chars. Ce simple changement, expérimenté de multiples fois, a eu pour effet d’accélérer considérablement à la fois la vitesse et la qualité de fonctionnement du groupe et des équipes. Dans un combat d’infanterie où l’initiative du feu et la vitesse de commandement sont essentielles, cela apportait un avantage énorme (et là encore sans dépenser un euro). Pourquoi persiste-t-on dans la lourdeur quand on peut faire mieux ?
L’homme n’est pas seulement un être obéissant, c’est aussi un être pensant. La « section fantôme », celle qui pourrait être plus efficace sans dépenser beaucoup plus, voire rien, elle se crée par l’expérimentation, les idées, les débats. On a modifié la politique de tir grâce à l’initiative (et l’opiniâtreté) de quelques-uns. On peut faire mieux. Où sont, hormis en partie le site Pensée Mili-Terre, les centres de réflexions, les espaces critiques, les Forum, où on peut s’exprimer librement (c'est-à-dire sans censure préalable ou convocation) ? Je me souviens avoir lu de vigoureux et passionnants débats tactiques dans des revues militaires soviétiques (traduites). Les Américains font ça plutôt bien. Où est l’équivalent français ?
En conclusion, il est essentiel pour la France qu’une section (ou n’importe quelle autre unité tactique élémentaire que l’on définira) d’infanterie ou de combat rapproché si on préfère (intégrant aussi des sapeurs, des cavaliers ou des observateurs) soit capable d’écraser n’importe quel adversaire équivalent. Il est essentiel pour la France de disposer en plus grande nombre de telles unités de choc. Si nous parvenons à cela, le politique aura moins peur d’engager des soldats français au combat direct et s’il engage des soldats au contact, les probabilités de victoire augmenteront considérablement. C’est ainsi que l’on retrouvera vraiment des effets décisifs dans les guerres que nous menons réellement et pas dans celles que nous fantasmons. Tout cela demande un effort considérable, financier, matériel mais ainsi et peut-être surtout de l’imagination. Il y a un potentiel stratégique énorme dans nos combattants rapprochés, il faut l’exploiter si nous voulons rester une puissance.

Publié par à 3/17/2017


ENTRE VRAIES ET FAUSSES VALEURS : LE NOUVEAU PRINCE

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PROCHE&MOYEN-ORIENT.CH

13 mars 2017

 

L'envers des cartes.

« Ce sont les actes qui décident de la valeur des hommes et des institutions » (Henri Lacordaire, 1854). Que constate-t-on de nos jours dans un monde chahuté par l’inculture et par la répétition pavlovienne des certains mots ? A la bourse des éléments de langages, forgés par des communicants affairés, ces mercenaires contemporains de la propagande enrichie, si l’on peut dire, grâce à quelques recettes empruntées au marketing, les valeurs sont désormais au plus haut. Les valeurs, c’est follement actuel et tendance. Pas un homme ou une femme politique qui ne juge indispensable de déclarer haut et fort son attachement aux valeurs, et la nécessité impérieuse de les défendre avec ténacité, voire de les exporter aux quatre coins du monde, y compris à la pointe de l’épée.

L’ensemble se doit d’être prononcé sur un ton grave, d’un air pénétré et le regard fixé au loin afin de lester le ronflement sonore des formules creuses employées d’une hexis corporelle indispensable à leur crédibilité espérée1. Il est vrai que lorsque l’on essaie de définir précisément ce concept, la tâche se révèle ardue (Cf. ses différentes définitions dans le petit Robert, pas moins de six ou sept). Sa signification est floue, pour ne pas dire incertaine. Nous vivons, aujourd’hui, dans un monde de la religion des valeurs, nouvelle bible de temps modernes. Mais quelle est la réalité de ces valeurs, sorte de vieille lune de la démagogie.

LA RELIGION DES VALEURS : LA NOUVELLE BIBLE DES TEMPS MODERNES

Aujourd’hui, chacun y va de son couplet sur les valeurs pour s’arroger une sorte de monopole de la vertu et discréditer l’autre. Nous sommes confrontés à une réalité incontournable, un tsunami linguistique tant sur le plan national (français) que sur le plan international (surtout du côté occidental).

Sur le plan national : la bataille des valeurs.

En cette période de démagogie pré-électorale et d’invective permanente d’autrui, la machine à défendre et à promouvoir les valeurs tourne à plein régime à droite comme à gauche.

A l’issue de sa victoire aux primaires de la droite et du centre, l’ex-premier ministre de Nicolas Sarkozy, François Fillon son « attachement aux valeurs françaises ». L’un de ses lieutenants, Thierry Mariani, donne un coup de chapeau à celui qui, à ses yeux, incarne le mieux les « valeurs occidentales » ; celles-là mêmes qui seraient en péril et qu’il est nécessaire de promouvoir sans relâche pour protéger « notre mode de vie et notre civilisation ».À gauche, on a aussi recours au thème des valeurs, sorte de bouée de sauvetage pour candidat à la dérive. Certains se font les hérauts des valeurs républicaines qu’ils affirment incarner face aux menaces nationales et internationales qui pèsent sur l’Hexagone.

Ce pays à nul autre pareil où la liberté, l’égalité et la fraternité s’épanouissent depuis les glorieuses révolutions de 1789 et 1793. Quand les impératifs de la compétition partisane l’exigent, quelques-uns, soucieux de restaurer leur image de progressistes respectueux de principes généreux, en appellent au respect « des valeurs d’accueil » de la France pour tenter de faire oublier leurs compromissions passées avec le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, qu’ils ont activement soutenu dans sa bataille pour parvenir à Matignon. Sans oublier, Emmanuel Macron qui défend de vieilles idées, s’égosille à en perdre la voix pour vanter « la valeur travail », « l’attachement au progrès et au risque », comme en témoignent les objectifs de son mouvement

D’une façon générale, nous assistons à une inflation langagière que soutient la prolifération des hyperboles. Le plus souvent ces valeurs sont précédées de l’adjectif possessif « nos. » Celui-ci est nécessaire à l’efficacité de cette rhétorique de l’importance et de l’autorité grâce à laquelle le locuteur se grandit et construit sa stature.

Ce possessif lui permet d’entretenir l’illusion de l’originalité, de s’élever au-dessus de la mêlée en renvoyant ses adversaires à la médiocrité de leurs préoccupations politiciennes et d’établir ainsi une verticalité symbolique qui le distingue de ces derniers. A lui, les beautés éthérées et désintéressées des valeurs, et les perspectives grandioses qu’il convient de tracer pour « redonner à la France la place qu’elle mérite, et à ses habitants fierté et dignité ». Aux autres les petits calculs partisans, la vulgarité des ambitions personnelles et les trivialités de la compétition électorale2. Les médias de la bien-pensance ne jouent pas chez les chiens de garde pour traquer les démagogues et autres affabulateurs de tout poil

Souvent, de l’intérieur à l’extérieur, il n’y a qu’un pas que nos dirigeants franchissent allégrement.

Sur le plan international : l’exportation des valeurs

La doxa officielle fonctionne à jet continu. Elle lance la chasse à courre contre Donald Trump, l’accuse de tous les maux avant qu’il n’ait franchi le seuil mythique de la Maison-Blanche3. Elle lance un cri d’alarme : « Défendons nos valeurs », celles qui fondent la démocratie : élections, respect de la constitution, des lois, d’une conscience civique, du sens commun, protection des minorités, attachement à une certaine dose d’empathie… Elle nous informe que l’élection de Donald Trump nous montre cruellement que les valeurs qui ont fondé nos sociétés modernes n’ont pas été assez promues, ni défendues4. Bigre ! Ces deux excellents plumes ont oublié que nous devrions balayer devant notre porte, aujourd’hui avant de nous occuper de ce qui se passera Outre-Atlantique, demain5.

A deux jours de son départ, Barack Obama affirme le 18 janvier 2017, lors de son ultime conférence de presse (sorte de grand guignol) qu’il se fera discret pour laisser Donald Trump gouverner mais souligne qu’il prendrait la parole si les « valeurs fondamentales » de l’Amérique – immigration, liberté de la presse, droit de vote – (Il ne parle pas de Guantanamo, des assassinats ciblés, des écoutes de la NSA, de la peine de mort dans son pays) étaient en danger. Le prix Nobel de la paix, gardien de la patrie en danger ! Nous voici rassurés…

Fauteur de trouble universel (en se trouvant un nouvel ennemi pour justifier de son existence), l’OTAN se fait moralisatrice par la voie de la ministre de la Défense allemande : « Plus important encore, l’OTAN n’est pas seulement une alliance militaire ; c’est une organisation fondée sur notre combat pour la liberté, la démocratie et les droits de l’homme. Et ces valeurs, nos valeurs communes sont plus actuelles que jamais »6. Idiot utile de Washington, son secrétaire général n’est pas en reste à l’occasion pour dénoncer le tyran russe et ses visées impérialistes en Europe. L’Union européenne (qui ne croit pas opportun de sanctionner les fautes déontologiques lourdes de ses anciens dirigeants), le Conseil de l’Europe (qui perd de plus en plus pied tant ses préoccupations sont décalées par rapport à la réalité) psalmodient à longueur de journée la liturgie des porteuses de valeurs. Évangiles, bibles, épitres, versets, prières…. sont récitées à longueur de journée. Tels des perroquets, diplomates, fonctionnaires internationaux, médias n’ont que le mot valeurs à la bouche.

À y regarder de plus près, tout ce galimatias est impressionniste, souvent à géométrie variable (ce qui vaut pour la Syrie, la Russie ou l’Iran ne vaut pas pour les pétromonarchies du Golfe). Toutes ces références à « nos valeurs » émaillent bien évidemment tous les brillants discours de nos dirigeants incapables de remettre de l’ordre dans le désordre mondial, dans ces temps de sérieuse remise en cause de la mondialisation7.

Voilà qui éclaire d’un jour pour le moins singulier la beauté et la supériorité prétendues des valeurs du monde libre. Le succès n’est souvent que le faux nez qui dissimule mal l’échec de la réalité des valeurs en ce début de XXIe siècle.

LA RÉALITÉ DES VALEURS : LA VIEILLE LUNE DE LA DÉMAGOGIE

Analyser la réalité du concept éculé des valeurs, conduit à se poser deux questions essentielles : la première au sujet de son objectif réel (le cache-sexe de son impuissance) et la seconde au niveau de son résultat objectif (la démocratie martyrisée).

L’objectif réel du discours sur les valeurs : le cache-sexe de l’impuissance

A y regarder de plus près, le roi est nu aussi bien dans notre douce France que chez nos principaux partenaires occidentaux. Il ne lui reste, en désespoir de cause, que la religion des valeurs pour se vêtir.

Plus les dirigeants français nous assomment avec leur couplet sur les valeurs, plus ils mettent en évidence leur duplicité, leur impuissance pour relever les multiples défis qu’ils doivent relever. Comment parler du primat de la souveraineté du peuple et contourner son vote négatif sur le projet de traité constitutionnel européen par la réunion d’un Congrès aux ordres à Versailles dans les ors de la royauté ? Comment, dans ces conditions, ne pas comprendre la défiance généralisée à l’égard du projet européen ? Comment parler de « République exemplaire » dans un pays où l’ex-ministre des Finances de Nicolas Sarkozy, Christine Lagarde est condamné mais exemptée de peine en raison de sa réputation internationale (sa qualité de directrice générale du FMI qui ne fait pas d’ombre aux Américains contrairement à son très sulfureux prédécesseur) ?

L’auteur de la mandale de Lamballe n’a pas eu cette chance. François Hollande, pour sa part, n’a pas tenu sa promesse de 2012 visant à supprimer la cour de justice de la République. Sans parler du Penelopegate. Comment comprendre le rejet des hommes et femmes politiques qui refusent régulièrement le non-cumul de leurs mandats plus pour protéger leurs privilèges que pour défendre l’intérêt général ? Comment expliquer tous ces recasages honteux de membres des cabinets ministériels auxquels nous assistons à la veille d’échéances électorales importantes pour éviter de se retrouver sur le bord de la route tout en bloquant l’ascenseur social pour les plus défavorisés ?8 Que dire du règne indécent du pantouflage, véritable valeur française ?9

Plus les dirigeants et autres personnalités importantes du monde globalisé, qui exercent des fonctions importantes, se révèlent incapables de résoudre les problèmes politiques, sécuritaires, économiques et sociaux de leur pays et, à plus forte raison, ceux du monde, plus ils pérorent sur les valeurs ; ces chevilles rhétoriques destinées à occulter leur impuissance, leurs compromissions parfois sordides et dangereuses, et leur absence de principe (Cf. la corruption sous toutes ses déclinaisons qui gangrènent nos sociétés porteuses des divines valeurs10).

Plus ils veulent exporter les valeurs occidentales, plus elles sont rejetées, y compris par la violence (Cf. le terrorisme et la mondialisation). Comment expliquer cette politique des assassinats ciblés conduites par Washington et Paris au nom des « valeurs occidentales » (pas de peine sans procès) ? Ce ne sont pas les grandes conférences internationales avec photo de famille et communiqués insipides sur la défense des valeurs à la clé qui résoudront les crises du Proche et du Moyen-Orient, bien au contraire, elles les attiseront. « Ce n’est plus l’Occident qui souligne, ce sont les non-Occidentaux qui décident » (Nina Berberova). Les Occidentaux découvrent qu’ils ne tirent plus les ficelles du théâtre de marionnettes qu’est le monde. C’est la Chine qui se fait l’avocat de la mondialisation à Davos alors que les Occidentaux la renient. Hier, ils la vénéraient comme l’une de leurs principales valeurs ! Ils ne sont plus que les spectateurs du spectacle d’un monde chamboulé en dépit de l’imposition de leurs valeurs. Ils paient leur surexposition stratégique au prix fort.

Mais en poursuivant notre raisonnement, nous parvenons à la révélation d’une contradiction ontologique entre l’objectif du discours sur les valeurs et ses résultats catastrophiques sur l’objet qu’il est censé défendre et promouvoir, la démocratie.

Le résultat objectif du discours sur les valeurs : la démocratie martyrisée

Au niveau de chacun des États occidentaux, les tensions, les contradictions – jusqu’ici habilement dissimulées – entre le contenu du discours et la réalité des choses sont de plus en plus béantes. Pire encore, les citoyens ne sont plus dupes de ces discours grandiloquents sur les valeurs qui n’ont plus prise sur eux. La démagogie, cela ne paie plus. Ils ne croient plus aux textes melliflus, aux promesses jamais tenues, aux coups de menton des rhéteurs de foire que sont les dirigeants. L’irrespect amène l’irrespect. La violence incite à la violence. Comment les citoyens manifestent-ils leur mécontentement et leur désarroi face à cette situation ?

Jusqu’à présent plus dans les urnes que dans les rues. Ils votent contre l’Europe avec le « Brexit ». Ils votent contre les partis traditionnels, plébiscitant les partis des extrêmes qualifiés de populistes dans un nombre de plus en plus important de pays. Aux Etats-Unis, ils renvoient Hillary Clinton à ses chères études, lui préférant celui auquel les médias « mainstream » ne donnaient aucune chance lorsqu’il annonça sa candidature à la magistrature suprême en 2015. Ils ne savent pas aller au-delà de la sidération. Aujourd’hui, l’impensable est possible, probable tant les dirigeants avancent aveugles tels des somnambules sans cap ni boussole.

Au niveau de l’Occident, comme dans le monde, l’année 2016 marque un net recul de la démocratie. La démocratie est mal en point. Il n’est qu’à voir la situation qui prévaut dans les États où les Occidentaux sont intervenus pour imposer la démocratie au nom de leurs valeurs : Afghanistan, Libye, Irak, Syrie… Après avoir salué l’arrivée au pouvoir de Mohamed Morsi, ils ne jurent plus que par celui qui l’a renversé, le maréchal Al-Sissi, peu scrupuleux en matière de valeurs en Égypte. L’esquive par le procès d’intention démontre ses limites. Quand on se sert d’une cause, celle des valeurs, on la dessert. Les dimensions de la « dé-démocratisation » se dessinent de plus en plus clairement. Les choix de sociétés et de valeurs qui se présentent à nous, d’un continent à l’autre, ont des enjeux redoutables, non seulement mondiaux mais « globaux » en ce sens que, de proche en proche, ils se contaminent les uns les autres et semblent parfois former comme une condition d’impossibilité pour un traitement rationnel de leurs propres données11.

Les Occidentaux sont pris à leur propre piège, celui des valeurs qu’ils ont voulu imposer au monde et qu’ils ne parviennent pas, en dernière analyse, à faire respecter chez eux. À trop vouloir imposer une prétendue paix des valeurs, ils sont parvenus au tour de force de faire régner la guerre des anti-valeurs et, au passage, à se faire détester par le plus grand nombre.

UN NOUVEAU REMAKE DE « L’ÉTRANGE DÉFAITE »

« Le langage politique consiste principalement en euphémismes, pétitions de principe et imprécisions nébuleuses ». (George Orwell, 1946). Cette formule n’a malheureusement pas pris une seule ride en ce début d’année 2017 dans cette période de dictature de la démagogie, du bobard permanent sur le thème des valeurs qui serait l’émanation de la volonté de la communauté internationale (concept qui ne veut rien dire). Plus grave encore qu’une défaite militaire, cette soi-disant bataille des valeurs est en réalité une grave défaite morale à l’instar de « L’étrange défaite » de Marc Bloch. Sauf à dépasser durablement ce monde médiatique de la « post-vérité »12, les Occidentaux risquent de s’effacer durablement de la scène internationale, vérifiant la règle selon laquelle tout empire périra sous ses propres coups de boutoir. En ont-ils conscience ou bien se font-ils intoxiquer par leurs propres mensonges ?

Chacun apportera sa réponse. Une chose est certaine. Avec ce mantra des valeurs, les Occidentaux sont les héros d’une mauvaise fable, d’une ridicule farce qui n’est qu’une pâle copie de cette suite pastichée et imaginaire du film les Tontons flingueurs de Georges Lautner (dialogues de Michel Audiard), qu’est le bal des faux-derches… mais en moins amusant et distrayant.

Guillaume Berlat
13 mars 2017

1 Olivier Le Cour Grandmaison, « Défendre nos valeurs », Médiapart, le Blog, 19 janvier 2017.
2 Olivier Le Cour Grandmaison, précité.
3 Michael Dorf, Contrôler Trump, Le Monde des idées, Spécial USA, 21 janvier 2017, p. 2.
4 Dominique Simmonet/Nicole Bacharan, Défendons nos valeurs, Le Monde, 20 janvier 2017, p. 27.
5 Guillaume Berlat, France patrie des droits de l’homme ou de l’homme sans droits ?, www.prochetmoyen-orient.ch , 15 août 2016.
6 Ursula von der Leyen, En Europe, « c’est notre société qui est attaquée », Le Monde, 19 janvier 2017, p. 3.
7 Sylvie Kauffmann, À Davos, les élites redoutent « la fin de la mondialisation », Le Monde, 20 janvier 2017, p. 2.
8 Jean Daspry, Le fabuleux destin d’Alice Rufo, www.prochetmoyen-orient.ch , 16 janvier 2017.
9 Hervé Nathan, Le règne du Pantouflage, Marianne, 20-26 janvier 2017, p. 8.
10 Corruption au sommet, Dossier, Le Monde des livres, 20 janvier 2017, pp. 2-3.
11 Ebalibar, Populisme et contre-populisme au miroir américain, Le Blog de Ebalibar, www.mediapart.fr , 19 janvier 2017.
12 Alain Cambier, La post-vérité, creuset des négationnismes. La raison du plus fou, Le Monde des idées, Spécial USA, 21 janvier 2017, p. 6.


Pourquoi nous commémorons le 5 décembre et non le 19 mars !

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mercredi 15 mars 2017

A la veille de la commémoration de la fin de la guerre d'Algérie nous souhaitons expliquer pourquoi nous choisissons le 5 décembre et non le 19 mars !

Le 19 mars 1962 n'a pas marqué la fin de la guerre d'Algérie !

Non seulement parce que la date du 19 mars est celle d'une défaite. Mais parce qu'elle n'a même pas marqué, sur le terrain, la fin de la guerre: bien plutôt la fin de l'engagement des autorités françaises dans la défense de leurs ressortissants et le début des terrifiantes violences dont furent victimes les Français d'Algérie et les supplétifs engagés aux côtés de la France.

«On peut choisir n'importe quelle date sauf le 19 mars!» : François Mitterrand

Sur le plan diplomatique, la «défaite» française en Algérie est de fait incontestable. Mais il est également vrai qu'elle était inscrite dès le début dans le processus des négociations. Et ce, pour une raison simple: l'Elysée était demandeur et pressé…

C'est le 20 février 1961 que, dans le plus grand secret, Georges Pompidou et Bruno de Leusse prennent contact en Suisse, à l'hôtel Schweitzer de Lucerne, avec les représentants du GPRA (Gouvernement provisoire de la République française), Ahmed Boumendjel, Taïeb Boulahrouf et Saad Dalhab. Selon les instructions reçues, il ne s'agit pour les représentants français que d'une mission d'information sur les objectifs à long terme du FLN et sur les voies et étapes qu'il compte emprunter pour y parvenir.

Immédiatement, Pompidou donne le ton en affirmant que la France a la situation bien en main, que l'Algérie n'est pas l'Indochine -«Il n'y aura pas de Dien Bien Phu»-, que les menaces de Khrouchtchev ou de tout autre ne font pas peur à De Gaulle et, pour finir, que la France ne craint pas l'indépendance algérienne. Elle exige donc un arrêt des combats avant d'entreprendre des pourparlers avec toutes les tendances sur les conditions de l'autodétermination, dont elle a accepté, depuis le référendum du 8 janvier 1961, le principe. Mais tout de suite aussi, les Algériens font connaitre leur refus de bouger d'un pouce sur la question du cessez-le-feu qui, disent-ils, doit résulter d'un accord politique.

C'est l'impasse. Et la situation n'évolue guère lorsque les mêmes se retrouvent pour une nouvelle réunion, le 5 mars suivant, à Neuchâtel. «Les contacts secrets confirmaient l'absence complète d'accord sur les liens à établir entre les éventuels pourparlers officiels et la cessation des violences», écrit Bernard Tricot, qui assurait alors le secrétariat de la Direction des affaires algériennes à l'Elysée.

A la «trêve statique» des Français, les Algériens opposent leur «cessez-le-feu dynamique» qui serait fonction des progrès de la négociation…

Que va décider De Gaulle?

Le 8 mars, un communiqué du chef de l'Etat appelle à l'ouverture de discussions «sans conditions préalables». En bref, le cessez-le-feu n'en est pas un. Il sera l'objet de négociation comme un autre… De Gaulle vient d'en passer par la première des quatre volontés du FLN.

Le 8 mars, lors d'une nouvelle réunion, Bruno de Leusse lit devant les émissaires du GPRA un communiqué du chef de l'Etat appelant à l'ouverture de discussions «sans conditions préalables». En bref, le cessez-le-feu n'en est pas un. Il sera l'objet de négociation comme un autre…

Ce 8 mars 1961, De Gaulle vient donc d'en passer par la première des quatre volontés du FLN.

Les trois autres exigences du mouvement révolutionnaire sont claires: 1) le FLN doit être considéré comme le seul représentant qualifié du peuple algérien; 2) l'Algérie est une, Sahara compris (ce qui n'a aucun fondement historique: le Sahara n'a appartenu à l'Algérie que sous la souveraineté française); 3) le peuple algérien est un, et ce que décidera la majorité du peuple vaudra pour tout le territoire et pour tous ses habitants. Il ne doit donc y avoir aucun statut particulier pour les Européens. C'est le futur gouvernement algérien qui, une fois installé, décidera avec son homologue français des garanties dont ils jouiront, des modalités de la coopération et des questions de défense. En attendant, il convient de discuter des garanties de l'autodétermination.

Le 15 mars, un communiqué du Conseil des ministres «confirme son désir de voir s'engager, par l'organe d'une délégation officielle, des pourparlers concernant les conditions d'autodétermination des populations algériennes concernées ainsi que les problèmes qui s'y rattachent». Tricot constate: «Les commentateurs les plus avertis se doutèrent bien que si le cessez-le-feu n'était pas mentionné séparément, c'est qu'il faisait désormais partie des problèmes qui se rattachaient à l'autodétermination et qu'il ne constituait pas un préalable.»

Le 30 mars, le gouvernement français et le GPRA annoncent simultanément que les pourparlers s'ouvriront le 7 avril à Evian. Mais le lendemain, interrogé par la presse sur ses contacts avec Messali Hadj, le leader du Mouvement national algérien (MNA), rival du FLN, Louis Joxe, le ministre en charge des Affaires algériennes, déclare qu'il consultera le MNA comme il consultera le FLN. Aussitôt la nouvelle connue, le GPRA annule les pourparlers.

Que va faire de Gaulle?

«Le gouvernement s'en tient, pour ce qui le concerne, à l'esprit et aux termes de son communiqué du 15 mars.» Le FLN sera donc l'interlocuteur unique et le représentant exclusif du peuple algérien. Ce 6 avril 1961, De Gaulle vient d'en passer par la deuxième des quatre volontés du FLN.

Le 6 avril, le Conseil des ministres publie un communiqué prenant acte de l'ajournement de la conférence d'Evian et conclut sobrement: «Le gouvernement s'en tient, pour ce qui le concerne, à l'esprit et aux termes de son communiqué du 15 mars.» Le FLN sera donc l'interlocuteur unique et le représentant exclusif du peuple algérien.

Ce 6 avril 1961, De Gaulle vient donc d'en passer par la deuxième des quatre volontés du FLN. Cette double capitulation en l'espace d'un mois explique peut-être les termes un peu crus de sa déclaration du 11 avril: «L'Algérie nous coûte, c'est le moins que l'on puisse dire, plus qu'elle nous rapporte (…) Et c'est pourquoi, aujourd'hui la France considérerait avec le plus grand sang-froid une solution telle que l'Algérie cessât d'appartenir à son domaine.»

Sur ce, le 21 avril, éclate le putsch des généraux dont l'échec entraîne la création de l'OAS par Pierre Lagaillarde et Jean-Jacques Susini. La violence atteint vite un seuil insoutenable et De Gaulle avoue à Robert Buron ne plus rien maîtriser. «Il n'y a plus, dit-il, que deux forces en présence: le FLN et l'OAS.»

C'est dans ce contexte que, le 20 mai, les négociations s'ouvrent à Evian. Du côté français, outre Louis Joxe, la délégation comprend, entre autres, Bernard Tricot, Roland Cadet, Claude Chayet et Bruno de Leusse. Tous des professionnels de la négociation. Du côté algérien, le chef de file n'est autre que Krim Belkacem, dont l'instruction se résume à un passé de maquisard. Pour marquer sa bonne volonté, le chef de l'Etat annonce une trêve unilatérale d'un mois (l'action des troupes françaises sera limitée à l'autodéfense), la libération de 6000 prisonniers et le transfert au château de Turquant, en Indre-et-Loire, des chefs du FLN capturés en 1956.

De Gaulle déclare, le 5 septembre, accepter la souveraineté du FLN sur le Sahara, dont il disait quelque temps plus tôt à Louis Joxe: «Le pétrole, c'est la France et uniquement la France!» Il vient d'en passer par la troisième des quatre volontés du FLN.

Après une première interruption des pourparlers le 13 juillet due, notamment, à des divergences sur le Sahara, une reprise des négociations au château de Lugrin, le 20 juillet, et un nouveau capotage pour la même raison.

Ne reste plus en suspens que le sort des pieds noirs et des musulmans fidèles à la France, qu'il évoque d'ailleurs dans la suite de son discours, en parlant de «dégagement». Le mot résonne douloureusement à leurs oreilles, même si De Gaulle assure qu'en cas de rupture brutale avec l'Algérie, l'Etat entreprendra de «regrouper dans une région déterminée les Algériens de souche européenne et ceux des musulmans qui voudraient rester avec la France», donnant ainsi un début de réalité au thème de la «partition» lancé à sa demande par Peyrefitte.

Dans le camp d'en face, Benyoucef Ben Khedda, un marxiste, succède à Ferhat Abbas à la tête du GPRA.

Le 11 février 1962, les négociations reprennent aux Rousses. Elles s'achèvent une semaine plus tard sur un ensemble de textes qualifiés d'«accords de principe» que les Algériens doivent soumettre au CNRA, l'instance suprême de la Révolution, réuni à Tripoli.

Le 7 mars s'engage la seconde conférence d'Evian qui traîne trop aux yeux de l'Elysée. Robert Buron décrit un De Gaulle «moins serein, moins souverain» au téléphone. Le 18 mars, juste avant la signature, Krim Belkacem fait valoir une exigence: que les délégués français lisent à voix haute les 93 pages du document. Ces derniers s'exécutent en se relayant, article après article, tandis que les délégués algériens suivent attentivement chaque mot et que De Gaulle, à l'Elysée, attend. Le rituel imposé une fois terminé, les accords d'Evian sont paraphés par les deux délégations. Ils prévoient l'organisation d'un référendum sur l'indépendance. Il aura lieu le 1er juillet. Dans l'intervalle, le pouvoir sera exercé par un exécutif provisoire, sous la direction de Christian Fouchet.

Dans son Journal, à la date de ce 18 mars, Buron reconnait que sa signature figure au bas d'un «bien étrange document». Et il note: «Les jours qui viennent vont être des jours de folie et de sang».

Si le texte des accords d'Evian assure en principe aux Français d'Algérie «toutes libertés énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme», l'Elysée a renoncé à tout statut particulier pour nos nationaux et aucune clause ne concerne précisément les supplétifs. C'est la quatrième des exigences du FLN.

Car si le texte assure en principe aux Français d'Algérie «toutes libertés énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme», ainsi que la possibilité de «transporter leurs biens mobiliers, liquider leurs biens immobiliers, transférer leurs capitaux», l'Elysée a renoncé à tout statut particulier pour nos nationaux et aucune clause ne concerne précisément les supplétifs. C'est la quatrième des exigences du FLN.

Le lendemain 19 mars, le cessez-le-feu est proclamé du côté français par le général Ailleret, du côté algérien par Ben Khedda. Or, ce même 19 mars censé instaurer la paix, le directeur de la police judiciaire, Michel Hacq, patron de la mission «C» (C pour choc) qui supervise les barbouzes (ces «éléments clandestins» chargés depuis décembre 1961 de la lutte contre l'OAS), rencontre secrètement le chef fellagha Si Azzedine, patron de la Zone autonome d'Alger, pour lui remettre une liste d'activistes. Tout y est: les noms et les pseudonymes, les âges et les adresses. «Le marché est clair, écrit Jean-Jacques Jordi: les commandos d'Azzedine peuvent se servir de cette liste pour leurs actions contre l'OAS et ils peuvent “bénéficier” d'une certaine impunité d'autant que les buts du FLN et de la mission “C” se rejoignent (…) Cependant, force est de constater que ces mêmes commandos FLN ne s'attaquaient pas réellement aux membres de l'OAS mais poursuivaient une autre stratégie: faire fuir les Français par la terreur.»

Ce nettoyage ethnique qu'évoque sans fard dans ses Mémoires, l'ancien président du GPRA, Ben Khedda, en se vantant d'avoir réussi à «déloger du territoire national un million d'Européens, seigneurs du pays», était en germe depuis longtemps puisque les négociateurs du FLN à la conférence de Melun, Boumendjel et Ben Yahia, en avaient fait la confidence à Jean Daniel dès le 25 juin 1960: «Croyez-vous, leur avait demandé le journaliste, originaire de Blida, qu'avec tous ces fanatiques religieux derrière vous, il y aura dans une Algérie indépendante un avenir pour les non-musulmans, les chrétiens, les juifs auxquels vous avez fait appel?» Les deux responsables FLN ne s'étaient pas dérobés: «Ils m'ont alors expliqué, témoigne Jean Daniel, que le pendule avait balancé si loin d'un seul côté pendant un siècle et demi de colonisation française, du côté chrétien, niant l'identité musulmane, l'arabisme, l'islam, que la revanche serait longue, violente et qu'elle excluait tout avenir pour les non-musulmans. Qu'ils n'empêcheraient pas cette révolution arabo-islamique de s'exprimer puisqu'ils la jugeaient juste et bienfaitrice.»

Sur le terrain, le cessez-le-feu ne change rien à la poursuite de l'offensive menée de concert par le pouvoir gaulliste et le FLN contre «leur ennemi commun» selon l'expression de Krim Belkacem.

Détail important: la livraison au FLN par Hacq, ce 19 mars, de la liste des activistes n'est pas une nouveauté. Elle fait suite à une première liste de 3000 noms adressée au FLN par l'intermédiaire de Lucien Bitterlin, l'un des chefs des barbouzes, dès janvier 1962… C'est-à-dire trois mois avant les accords d'Evian, qui vont voir les relations entre Hacq et Si Azzedine se renforcer. Force est donc de constater que, sur le terrain, le cessez-le-feu ne change rien à la poursuite de l'offensive menée de concert par le pouvoir gaulliste et le FLN contre «leur ennemi commun» selon l'expression de Krim Belkacem.

Lors de la crise des Barricades, (la première révolte des pieds-noirs après le discours de De Gaulle annonçant, en septembre 1959, l’autodétermination) en janvier 1960, le chef rebelle a en effet affirmé à l'ambassadeur américain à Tunis, Walter Walmsley, que si De Gaulle avait besoin de soutien, le GPRA se mobiliserait à ses côtés contre tous ceux qui s'opposent à l'indépendance de l'Algérie. Et donc, par extension, contre tous les Français d'Algérie à quelque confession qu'ils appartiennent.

Message entendu à l'Elysée.

«On n'allait bientôt plus savoir qui tuait qui -et pour le compte de qui! On tuait, voilà tout», écrit Bitterlin.

Ce 19 mars 1962, la guerre n'est donc pas finie: seuls les alliés et les adversaires ont permuté en fonction des développements successifs de la politique gaulliste. Elle va même prendre un tour extrême quelques jours plus tard.

Le 26 mars, rue d'Isly, une manifestation interdite mais pacifique de Français d'Algérie se dirigeant vers le quartier de Bab-el-Oued, foyer de l'OAS, encerclé par l'armée, se heurte à un barrage de tirailleurs venus du bled. Elle est mitraillée à bout portant. Bilan: près de 49 morts et 200 blessés. Le drame n'a rien d'un dérapage: Christian Fouchet s'en est justifié plus tard lors d'une confidence à Jean Mauriac: «J'en ai voulu au Général de m'avoir limogé au lendemain de Mai 68. C'était une faute politique. Il m'a reproché de ne pas avoir maintenu l'ordre: “Vous n'avez pas osé faire tirer [sous-entendu: sur les manifestants étudiants]-J'aurais osé s'il avait fallu, lui ai-je répondu. Souvenez-vous de l'Algérie, de la rue d'Isly. Là, j'ai osé et je ne le regrette pas, parce qu'il fallait montrer que l'armée n'était pas complice de la population algéroise.”»

Le 3 avril 1962, De Gaulle déclare qu'«il faut se débarrasser sans délai de ce magmas d'auxiliaires qui n'ont jamais servi à rien» et donne l'ordre de désarmer les harkis. Le 4 mai, il déclare que «l'intérêt de la France a cessé de se confondre avec celui des pieds-noirs.» Les uns et les autres font partie du «boulet» dont il avait avoué à Peyrefitte, le 20 octobre 1959, qu'il faudrait s'en «délester».

Dans la folie meurtrière qui, sous les coups conjugués de l'OAS, du FLN, des barbouzes et du «Détachement métropolitain de police judiciaire» (couverture officielle de la fameuse mission «C» constituée de 200 policiers, et d'une trentaine de gendarmes aux ordres du capitaine Armand Lacoste), s'empare de l'Algérie et menace la métropole, la figure de l'«ennemi commun» se précise: le 3 avril 1962, lors d'une réunion du Comité des affaires algériennes, De Gaulle déclare qu'«il faut se débarrasser sans délai de ce magmas d'auxiliaires qui n'ont jamais servi à rien» et il donne l'ordre de désarmer les harkis. Le 4 mai, en Conseil des ministres, il déclare que: «L'intérêt de la France a cessé de se confondre avec celui des pieds-noirs.» Les uns et les autres font donc partie du «boulet» dont il avait avoué à Alain Peyrefitte, le 20 octobre 1959, qu'il faudrait s'en «délester». Cette disposition d'esprit du chef de l'Etat a une traduction concrète sur le terrain: en vertu de l'ordre donné à l'armée de rester l'arme au pied quoi qu'il arrive à nos nationaux, la politique d'abandon de l'Algérie se double d'une politique d'abandon des populations qui se réclament de la France et dont le sort est désormais lié au seul bon vouloir du GPRA.

Le rapport de Jean-Marie Robert, sous-préfet d'Akbou en 1962, adressé à Alexandre Parodi, vice-président du Conseil d'Etat, donne une idée détaillée des massacres auxquels se livre alors le FLN sur les supplétifs de l'armée française mais aussi sur les élus (maires, conseillers généraux et municipaux, anciens combattants, chefs de village, etc.) «promenés habillés en femmes, nez, oreilles et lèvres coupées, émasculés, enterrés vivant dans la chaux ou même dans le ciment, ou brûlés vifs à l'essence».

Aux massacres de harkis qui atteignent bientôt des proportions et une horreur inimaginables, s'ajoutent les enlèvements d'Européens: de l'ordre de 300 à 400 entre novembre 1954 et mars 1962, ils se multiplient brusquement à partir de cette date pour atteindre selon les travaux de Jordi le chiffre de 3000 -dont 1630 disparus. Dans l'indifférence la plus totale de la part du gouvernement français que n'émeut pas davantage le massacre du 5 juillet (jour officiel de l'indépendance algérienne après la victoire du oui au référendum du 1er juillet) à Oran, qui va coûter la vie à 700 Européens.

Aux massacres de harkis qui atteignent bientôt des proportions et une horreur inimaginables, s'ajoutent les enlèvements d'Européens: ils se multiplient brusquement pour atteindre le chiffre de 3000 dont 1630 disparus. «Pour la France, à part quelques enlèvements, les choses se passent à peu près convenablement», déclare De Gaulle le 18 juillet.

«Pour la France, à part quelques enlèvements, les choses se passent à peu près convenablement», déclare même De Gaulle le 18 juillet.

Devant l'exode, dont il nie la réalité jusqu'au dernier moment, le chef de l'Etat ne se soucie que de la «concentration» des réfugiés dans le sud de la France. L'ordre qu'il donne alors, le 18 juillet, est d'obliger les «repliés» ou les «lascars» (c'est ainsi qu'il appelle les pieds-noirs selon son humeur du jour) à «se disperser sur l'ensemble du territoire». S'attirant cette réponse de Pompidou, nouveau Premier ministre: «Mais à quel titre exercer ces contraintes, mon général? On ne peut tout de même pas assigner des Français à résidence! Les rapatriés qui sont autour de Marseille ne créent aucun problème d'ordre public. On ne peut pas les sanctionner!» il réplique: «Si ça ne colle pas, il faut qu'on se donne les moyens de les faire aller plus loin! Ça doit être possible sous l'angle de l'ordre public.»


Soldats de France N° 1

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Hommage à l’adjudant BUSSE Gunter

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"Les réformes, on a déjà donné, pour ne pas dire qu’on a déjà tout donné" (Général de Villiers)

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Posté le samedi 25 février 2017

 

Le contexte actuel n’incite guère à l’optimisme, étant donné la dégradation accélérée de la sécurité internationale, avec notamment le terrorisme inspiré par les thèses islamistes radicales et le retour de la menace dite de la force, c’est à dire l’affirmation militaire de certains États puissances qui, selon le général Pierre de Villiers, le chef d’état-major des armées (CEMA), « n’hésitent pas à tutoyer la ligne rouge ».

Bref, si on ajoute les changements politiques observés ces derniers mois, nous sommes entrés dans un ère d’incertitudes et de doutes. Alors que la France va entrer en campagne électorale, il serait irresponsable d’écarter ce sujet ô combien important pour se concentrer sur l’accessoire. Car cette dégradation de la sécurité internationale a évidemment des conséquences sur la politique menée en matière de défense, dans la mesure où les armées sont extrêmement sollicitées, que ce soit sur le territoire national (Sentinelle, posture permanente de sûreté) ou à l’extérieur.

Aussi, pour le général de Villiers, qui s’est exprimé devant les députés de la commission de la Défense, il est impératif de porter l’effort de défense à 2% du PIB d’ici 2022. Impératif pour au moins trois raisons.


La première est qu’il fait « boucher les trous », c’est à dire récupérer au plus vite les capacités qui ont été abandonnées temporairement à cause des contraintes budgétaires. Il s’agit, comme l’a expliqué le CEMA, de « redonner à nos soldats les conditions de soutien et de vie en cohérence avec les efforts demandés, que ce soit au plan logistique, de l’infrastructure ou des équipements individuels – et ce dès 2018. »

S’agissant des équipements, il y a urgence. « Les besoins sont multiples et vont croissant. Je pense aux drones, aux avions ISR (intelligence, surveillance, reconnaissance), aux ravitailleurs – avions et bâtiments –, à la flotte de transport ou aux hélicoptères. Pour l’ensemble de ces capacités, nous sommes au bord de la rupture. Parfois, en tant que chef des opérations, je renonce à certaines cibles par incapacité, c’est-à-dire par insuffisance de capacités », a dit le général de Villiers. Et comme des exemples valent mieux que de longues phrases, il en a donné plusieurs.
Ainsi, actuellement « plus de 60 % des véhicules de l’armée de Terre engagés en opérations ne sont pas protégés ». Il n’est pas possible de continuer comme cela, a souligné le CEMA, qui a aussi cité l’âge canonique des avions-ravitailleurs, dont la disponibilité « conditionne notre aptitude à tenir la posture de dissuasion nucléaire, comme à projeter nos forces et à soutenir nos opérations aériennes. »
Le général de Villiers n’a pas oublié la Marine nationale, qui « voit le nombre de ses patrouilleurs outre-mer s’effondrer. » En effet, d’ici 2020, hors Guyane, « six sur huit auront été désarmés, et ne seront remplacés que plusieurs années plus tard. » Enfin, au-delà de cette échéance, d’autres réductions (ou ruptures) capacitaires sont à craindre, comme au niveau des « hélicoptères légers embarqués, dont le remplacement est prévu en 2028 seulement, les missiles air-air ou les camions lourds. »

Toujours au sujet des équipements, le CEMA a plaidé pour une hausse de 300 millions d’euros par an des crédits alloués à la recherche et au développement. « Sans cela, nous ne serons pas compétitifs, et nous ne serons pas au rendez-vous des évolutions technologique », a-t-il dit, après avoir cité la modernisation des deux composantes de la dissuasion nucléaire. Modernisation aussi indispensable que coûteuse, même si, in fine, elle bénéficiera à l’économie française.

Ces 2% du PIB doivent permettre de faire un effort « indispensable » au niveau des ressources humaines. Là, les armées peinent à se remettre des déflations de 50 000 postes planifiées entre 2008 et 2014. Et l’arrêt des suppressions d’effectifs, décidé en novembre 2015 par le président Hollande, ne suffit pas « à restaurer la résilience de certains domaines, qui restent sous le seuil critique ». Là encore, le général de Villiers a pris quelques exemples édifiants.
« 20 % des pilotes de l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT) ne sont pas aptes ‘mission de guerre’, faute d’heures de vol; 40 % des sites de l’armée de l’Air sont dépourvus d’escadron de protection.
La population des fusiliers marins est sous extrême tension »
, a-t-il détaillé. Selon lui, il faudrait recruter environ 2 500 personnels de plus par an d’ici 2022, notamment pour « renforcer le domaine du soutien qui se trouve, désormais, en butée. »

Les infrastructures sont un autre domaine où il faudra investir. Ces dernières années, elles ont souffert des contraintes budgétaires. Résultat : « Si aucun chantier n’était entrepris, 79 centres de restauration sur 350 devraient fermer pour cause de non conformité dans les trois ans qui viennent », a souligné le CEMA. Pour remettre les choses d’aplomb, il faudrait, en plus, « 120 millions d’euros en 2018, 300 millions en 2019, et 500 millions en 2020. »

Ensuite, au vu du rythme opérationnel, le général de Villiers a estimé nécessaire de revoir les contrats opérationnels des armées, dépassés actuellement d’environ 25% à 30%. L’armée de l’Air, pour ne prendre qu’un seul exemple, devait être en mesure de ne déployer que 12 avions en permanence en opération extérieure : actuellement, une vingtaine sont engagés. Aussi, le CEMA souhaite une accélération du programmes Scorpion, BATSIMAR (patrouilleurs de la marine, ndlr) et FLOTLOG. Et, a-t-il ajouté, il est « indispensable de renforcer la composante ‘aviation de chasse’ de l’armée de l’Air. »

En outre, revoir à la hausse les contrats opérationnels suppose aussi d’en faire de même avec l’entraînement. Le nombre de jours de préparation opérationnelle est en baisse pour les trois armées, celui de la Marine nationale ayant chuté de 25%… Et moins de 60% des pilotes de transport sont « sont qualifiés à l’atterrissage sur terrain sommaire – mode d’action pourtant essentiel en premier mandat. » Aussi, pour le CEMA, il « y a désormais urgence à rétablir la cohérence entre engagement et préparation opérationnelle. »

À ces impératifs viennent d’ajouter des « points de vigilance », comme le moral (celui des militaires ET de leurs familles) ou la fidélisation des personnels, en particulier ceux ayant une spécialité de pointe ou traditionnellement déficitaire. Le CEMA en a cité un troisième : la sécurité et la protection. « Compte tenu de l’élévation du niveau de la menace qui pèse sur nos emprises militaires, qui sont nombreuses, il faut veiller à garantir la résilience de nos armées en protégeant nos infrastructures. Ceci concerne la sécurité de nos pistes aéronautiques, la résilience des data centers et des alimentations électriques, la sécurisation de nos stocks de munitions en France et à l’étranger, ou encore la disponibilité des quais et des bassins portuaires. En réalité, toutes les emprises susceptibles d’être considérées comme des cibles de choix par les terroristes sont concernées », a-t-il énuméré.

En ces temps de campagne électoral, le général de Villiers a averti ceux qui, éventuellement, seraient tentés de penser que les armées auraient à faire de nouvelles économies pour trouver les ressources financières nécessaires à leur modernisation. « Pour ceux qui croient que nous pourrions encore réaliser des économies, que nous sommes en pleine réforme, que nous l’avons été sans discontinuer depuis 2008. Je conduis cette réforme depuis 2010, date de mon arrivée comme major général des armées, et nous allons continuer jusqu’en 2020, voire au-delà », a rappelé le CEMA. « Je serai franc : on a déjà donné, pour ne pas dire qu’on a déjà tout donné », a-t-il lancé. Et refuser cet effort de défense, ce serait « revoir nos ambitions à la baisse et accepter que nos priorités stratégiques ne soient bientôt plus que des prétentions stratégiques. »

 

Laurent LAGNEAU
Adressé par André Dulou


3 février 1982

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ORDRE DU JOUR DU COLONEL GUIGNON

 

COMMANDANT LE 2E REGIMENT ETRANGER DE PARACHUTISTES

 


Dans l'histoire du 2e régiment étranger de parachutiste alternant les joies et les peines, mais le régiment, triomphant ou souffrant, marche d'un pas égal dans la gloire ou dans le malheur.

 

Le 04 février 1976, à Djibouti, cent légionnaires du 2e R.E.P. s'élançaient dans un assaut de trois cent mètres pour libérer trente enfants français détenus en otages par des terroristes.

 

Six ans plus tard, jour pour jour, vingt-neuf officiers, sous-officiers et légionnaires du 2e R.E.P. tombent, pratiquement au même endroit, en service commandé.

Cette nouvelle page tragique de l'histoire du régiment, cette page de sang, de peine, de douleur, de sacrifice, c'est vous qui en êtes les héros.

Vous, capitaine Chanson, ancien commandant de la 2e compagnie, figure marquante du 2e R.E.P. et de la 13, seigneur de la montagne au regard plein d'infini.

Vous Eric Philipponnat, futur commandant de le 4e compagnie, vous qui gardiez en capitaine votre enthousiasme, votre sourire, votre fraîcheur de Saint-Cyrien. Vous incarniez tous deux, dans des genres différents, l'officier de Légion dévoué corps et âme à sa troupe, une troupe au milieu de laquelle, ici à la demande des vôtres, vous reposerez désormais à jamais.

Vous les sous-officiers : sergent-chef STRORAÏ, vétéran de Loyada, revenu mourir six ans plus tard sur les lieux se son baptême du feu, sergent WOUTIER cité à Kolwezi, Doré dont j'avais guidé il y a sept ans les premiers pas de légionnaire, POMIER le benjamin, frais émoulu du peloton, qui étrennait à Djibouti ses galons de sergent. Une équipe solide, soudée, efficace : une équipe de sous-officiers du R.E.P.

Et vous les vingt-deux caporaux et légionnaires qui formiez le bloc de la 2e section de la 4e compagnie : vous nous aviez rejoints, il y a six mois ou six ans peu importe, isolés, perdus pour la plupart, poursuivis par certains, rejetés par tous. Et nous, a qui on donnerait parait-il des leçons de moral, nous vous avons accueillis dans notre confrérie. Vous les travailleurs émigrés du baroud, nous vous avons ouvert nos coeurs, spontanément, sans ostracisme, sans racisme, sans esprit partisan.

Sous le képi blanc vous êtes devenu soldats d'élite – sous le képi blanc, nous vous avons rendu dignité et fierté en vous donnant une patrie : la Légion et une règle d'or "Honneur et Fidélité"

Tous ici, couchés sous le même drapeau tricolore, vous représentez la Légion d'aujourd'hui, nouvelle armée des cent nations issue des quatre coins du monde : d'Allemagne fédérale comme Hoelmann et Burgraff, de Madagascar comme Luang et Buzut, de Belgique comme Senders, d'Algérie comme Zasser, des Etas-Unis comme Léon. Beaucoup nous arrivaient tout simplement de France : Oletta, Pelton, Simonet, Beautemps, Kerty, Beton, Depierre, Falaut, Gordon, Devaux, Lauriol. Gamins de vingt ans, venus vivre avec nous l'aventure exaltante des hommes des troupes d'assaut.

En revoyant vos silhouettes de guerriers, si jeunes, si souples, si décidés, me reviennent lancinantes; les paroles de notre vieille chanson légionnaire :

"combien sont tombés, au hasard d'un bon matin,

de nos camarades qui souriaient au destin"

Mes légionnaires, mes soldats, mes enfants de la 4ème compagnie, en vous conduisant aujourd'hui à votre dernière demeure, moi, votre colonel je reprends avec tout le régiment, la suite de ce chant de guerre :

Nous aussi : "nous tomberons sans doute

Nous tomberons ou vaincrons au combat?"

Oui, nous continuerons sans relâche à nous préparer à vaincre au combat et nous vaincrons partout où le pays nous enverra. Oui, nous resterons des soldats de France, irréprochables à votre image.

Mes compagnons, mes légionnaires de tous grades, confondus dans ce carré de terre calvaise, j'ai fait le serment, nous resterons toujours dignes de vous. Au-delà de l'adieu que je vous adresse aujourd'hui, ce sera notre façon à nous, de vous rendre l'hommage permanent que vous méritez.


27 janvier 1967 : mort d’Alphonse Juin, dernier maréchal de France

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Georges Michel  Publié le 26  janvier 2017

Pied-noir, il appartenait à ce petit peuple qui s’était consacré « à cette tâche de faire de l’Algérie un prolongement de la France ».

Il y a cinquante ans, le 27 janvier 1967, mourait Alphonse Juin, « duc du Garigliano », dernier maréchal de France à avoir joui de son vivant de cette dignité héritée de l’ancienne monarchie. Alphonse Juin, duc du Garigliano, c’est le titre d’une biographie que le général Chambe (1889-1983), qui servit auprès de Juin en Italie, publia en 1968.

Pour expliquer le titre de son livre, Chambe raconte ce dîner d’adieux du 22 juillet 1944 alors que Juin allait quitter le commandement du corps expéditionnaire français en Italie (CEF) pour rejoindre Alger et se voir confier de nouvelles fonctions par de Gaulle. Un officier de la popote lance à la cantonade : « Sous l’Empire, les généraux victorieux ramenaient dans leurs bagages les noms de leurs victoires sous forme de lettres de noblesse. C’était l’usage. Pourquoi pas les nôtres, les vainqueurs du CEF ?» Masséna, duc de Rivoli, Ney, prince de la Moskowa, Davout, duc d’Auerstaedt… Après l’évocation des noms de batailles napoléoniennes, c’est au tour de celles de ce printemps 44 en Italie : Castelforte, San Appolinare, Monte Majo… pour finir sur le Garigliano. Et voici donc Juin, duc du Garigliano par acclamation !

Car en effet, deux mois auparavant, le CEF, fort de 125.000 hommes, après d’âpres combats, notamment à Cassino, débordait cette ligne Gustave que les Allemands avaient constituée dans la partie la plus resserrée de la péninsule italienne pour barrer la route aux armées alliées débarquées en septembre 1943, ligne qui longeait la rivière Garigliano. La route de Rome était ouverte aux Alliés. Rome où, le 4 juin, les troupes françaises et américaines défilaient devant Juin et le général américain Clark.

Dans son discours de réception à l’Académie française, le 25 juin 1953, le maréchal Juin résuma ce que fut pour la France le rôle du CEF.

« Et s’il est vrai, comme on a bien voulu le reconnaître, que cette Campagne a marqué la résurrection de l’Armée française et sa réapparition dans le Corps de bataille de nos Alliés, avec un rôle nettement prépondérant au moment de l’offensive sur Rome, il faut savoir que le mérite en revient au magistral outil de guerre qu’était cette Armée française d’Italie. Elle provenait, en majeure partie, de la petite Armée d’Afrique de transition que le général Weygand avait reformée et retrempée après l’Armistice, dans une intention qu’il n’avait dissimulée à personne… »

Alphonse Juin n’était pas né duc. Loin de là ! Fils, petit-fils de gendarme, pied-noir, il appartenait à ce petit peuple qui s’était consacré « à cette tâche de faire de l’Algérie un prolongement de la France », comme l’écrivait Chambe. Et toute sa vie, il resta fidèle à ses origines. Âgé de 22 ans, il franchit les portes de Saint-Cyr en 1910 (promotion de Fès), en même temps que de Gaulle, de deux ans son cadet. Aussi, Juin fut l’un des rares privilégiés à tutoyer de Gaulle, jusqu’au bout. Sa première partie de carrière s’écoula principalement au sein de cette « petite Armée d’Afrique » qu’il conduisit sur les chemins de la gloire en Italie. Le 15 mars 1915, en Champagne, alors qu’il est lieutenant, une balle, tirée à bout portant, lui fracasse le bras droit dont il perd définitivement l’usage. Juin saluera alors de la main gauche. Maréchal de France, sa main droite portera le bâton étoilé.

Les dernières années d’Alphonse Juin furent un véritable crucifiement, partagé qu’il était entre sa loyauté de soldat et la fidélité à sa terre natale.

Les ultimes paroles du dernier maréchal de France, sur son lit du Val-de-Grâce, furent « Garigliano… Cassino… que c’est beau ! »


Régiment d'Algérie - Campagne de Madagascar - 1895

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