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Le soldat aujourd’hui.

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Place dans la Nation.

18 juin 2010.

 

Quelques réflexions à propos du prochain séminaire sur ce thème.

 

Comment et pourquoi le problème se pose.

 

            La deuxième guerre mondiale marque l’apogée d’une situation qui a prévalu tout au long des siècles passés : la Nation s’est forgée par les armes, le soldat a longtemps été « l’ultima ratio regis », les armées constituaient l’ultime garant de l’existence même de la Nation dont la vie ou la mort dépendaient de l’art du stratège et du courage du soldat. Le général vainqueur était honoré, le soldat mort au combat était un héros et non une victime, la guerre décidait du sort de la Patrie.

Bien au-delà de leurs fonctions militaires, de nombreux généraux siégeaient tout naturellement dans les institutions nationales les plus éminentes. La carrière militaire proposait un ascenseur social envié. Le lien entre le soldat et la société était naturel et solide, et la Nation était naturellement proche de son armée sur qui reposait ultimement son destin.

            La guerre froide et la dissuasion nucléaire, dont le service militaire obligatoire constituait, à travers les appelés du contingent, la composante humaine, a ensuite caractérisé le cadre de défense de la France, de l’Europe, et de l’Alliance Atlantique. Le caractère très heureusement resté virtuel de la dissuasion et le face à face inentamé des armées rouge et alliées, s’ajoutant aux derniers soubresauts douloureux des guerres de décolonisation d’Indochine et surtout d’Algérie, ont alors commencé à distendre le lien existentiel entre l’armée et la Nation.

            La fin de la guerre froide et le dégel géopolitique qui s’en est suivi, avec ses conséquences logiques qu’ont été la mise en sommeil du service militaire obligatoire et la professionnalisation de nos forces armées, ont depuis lors largement aggravé cette tendance. De très profonds bouleversements ont accéléré la transformation en profondeur de nos sociétés françaises, européennes et euroatlantiques. La mondialisation de l’économie, les progrès et les crises qu’elle a suscités et continue d’engendrer confortent nos opinions publiques dans l’idée que l’identité nationale n’est désormais plus garantie par le soldat, mais bien plutôt par le chef d’entreprise, et n’est plus symbolisée par l’armée mais par certaines élites de la société civile, que leurs émanations soient des personnalités politiques , syndicales, ou médiatiques, des sportifs, des stars du spectacle, des juges internationaux, ou des chercheurs prix Nobel.

            Parallèlement s’est développé le sentiment que la sécurité, valeur éminemment précieuse, désormais élevée au rang de principe primordial, reposait sur de multiples facteurs, économiques, financiers, juridiques, sociétaux, mais de moins en moins sur la défense armée confiée au soldat.

            Dans cette logique, de nombreuses évolutions sociales convergentes se sont produites, qui ont eu pour conséquence de banaliser la fonction du soldat et surtout de brouiller profondément son image.

Sans idée de chronologie ni de hiérarchie des phénomènes qui ont conduit à cette situation, on peut citer :

- La réticence à utiliser le terme et la notion de guerre en matière de conflits armés. On parle désormais de guerre économique, mais on a mis longtemps à appeler guerre les « évènements d’Algérie » et le pas n’a pas encore été franchi à propos de l’Afghanistan…

- La mise en sommeil de la conscription et du service militaire, et la rapide professionnalisation de nos armées décidées pratiquement sans débat démocratique approfondi.

- Le développement du concept de « soldat de la paix » : maintien de la paix, imposition de la paix, interpositions entre factions. La notion d’ennemi disparait, et donc aussi celle de victoire militaire. La doctrine du zéro mort transforme les pertes, désormais volontaires et non plus subies par des conscrits, en victimes d’accidents liés à une activité choisie.

- L’internationalisation de nos engagements où nos soldats sont perçus au moins autant comme soldats de l’OTAN, de l’Union Européenne, ou des Nations Unies que comme soldats français.

- Le développement de sociétés militaires privées de plus en plus lourdement équipées de matériels de guerre, qui remplissent, dans une logique marchande, des missions militaires de plus en plus larges, et évitent à ceux qui les missionnent de déplorer des morts dans les rangs de leur armée nationale.

- La judiciarisation croissante qui a gagné l’action du soldat, qu’elle se déroule sur des théâtres extérieurs (tribunaux pénaux internationaux) ou sur le territoire national. Elle s’inscrit dans une logique de recherche de responsabilités pour expliquer les pertes humaines et les « dégâts collatéraux », pour désigner des coupables, pour indemniser des victimes. Et même si des chambres spécialisées jugent les soldats, les tribunaux des armées ont disparu, signant une sorte de banalisation de la situation du soldat au regard du Droit

- L’externalisation de tâches de plus en plus diverses, autrefois assumées par des soldats, dans un contexte qui privilégie désormais la rentabilité financière à travers des ratios calqués sur des activités commerciales ou industrielles qui prennent difficilement en compte des impératifs de crise ou des considérations de culture ou d’éthique militaires. Aucune doctrine qui transcende les considérations économiques ne semble présider à la définition des tâches externalisables.

- La civilianisation des forces s’inscrit dans la même logique, très largement dominée par des impératifs économiques de court terme, et par la primauté du management sur la dimension opérationnelle. Elle s’impose, budget après budget, sans véritable réflexion sur les rôles respectifs du soldat et du civil.

- La disparition des lignes de front, dans les conflits asymétriques où nos forces sont désormais engagées. Elle ne permet plus guère de distinguer le fantassin de tête du logisticien qui court aujourd’hui des risques au moins aussi élevé que les unités dites d’élite. Et les populations civiles sont désormais les victimes les plus nombreuses des opérations militaires.

- La féminisation croissante de nos armées. Probablement aujourd’hui parvenue à un taux de croisière, elle a contribué à modifier l’image de nos unités combattantes et à banaliser le métier de soldat.

- Une certaine dégradation de la condition militaire contribue depuis plusieurs années, et malgré de réels efforts récents de « rattrapage », à « déclasser » les militaires, à diplômes égaux, par rapport à leurs homologues civils, et cette situation est encore aggravée par la fréquence des mutations des cadres des armées qui rend fragile l’accès des ménages au double salaire. Il n’est en outre désormais pas rare que le salaire du conjoint civil soit plus élevé que celui du militaire, ce qui ne contribue pas à valoriser l’image de ce dernier dans une société où chacun « vaut ce qu’il gagne », et explique le développement du célibat géographique, phénomène qui ne facilite pas l’insertion du soldat dans la communauté civile.

- L’émigration de la Gendarmerie, pour emploi, vers le ministère de l’Intérieur. Elle conforte le sentiment que le ministère de la Défense n’est pratiquement plus impliqué dans la protection quotidienne de nos concitoyens sur le territoire national, et que nos armées ne sont plus concernées que de loin dans leur sécurité quotidienne. Celle-ci est désormais assurée par des pompiers, des unités d’intervention d’urgence, et diverses structures et organisations qui ne sont pas perçues comme l’émanation du soldat sur les théâtres modernes d’action.

- Les plus brillants de nos jeunes qu’attiraient autrefois des carrières militaires s’orientent désormais vers des études et des formations qui les engagent dans des voies civiles où ceux qui sont sensibles à promouvoir le Bien commun et l’intérêt général ont le sentiment parfaitement compréhensible d’être ainsi plus utiles à leur pays et à la société que sous l’uniforme.

- Malgré la multiplication des Livres blancs et lois de programmation militaire, le sentiment que les budgets de défense finissent le plus souvent par être traités comme des variables d’ajustement en matière de finances publiques.

Par ailleurs le continuum sécurité-défense présenté par le nouveau Livre blanc n’aide pas à clairement distinguer ce qui caractérise la défense par rapport à la sécurité, et donc la place du soldat par rapport à celle des autres acteurs de la sécurité.

- Le thème de la Défense est d’ailleurs cruellement absent des débats électoraux, et donc des préoccupations de la représentation nationale, mais aussi de la presse écrite, parlée, et télévisée. Les journalistes de défense sont de ce fait de moins en moins spécialisés et entendus, même si les blogs spécialisés sur ce sujet se développent, mais avec un public captif et limité. Plus grave, ce thème est aussi cruellement absent de l’enseignement supérieur, et on peut désormais accéder aux plus hautes responsabilités civiles sans aucune connaissance sérieuse des problématiques de défense.

- La perte de substance des JAPD malgré la récente modification de leur appellation devenue journées défense et citoyenneté qui ne leur donne guère davantage de densité.

- L’absence de contenu réel de la réserve citoyenne qui reste un concept très flou et totalement dépourvu de moyens.

- La réduction drastique du nombre des implantations militaires, l’absence de troupes et de matériels disponibles en métropole pour rendre à la population des services qu’elle obtenait autrefois du soldat, la présence de plus en plus rare d’uniformes militaires dans les cités comme dans les manifestations publiques ou populaires. On note en outre que les plus attachés au port de l’uniforme militaire sont souvent des retraités, fiers de leurs toutes fraiches étoiles ou de leurs galons terminaux, mais leur âge et leur silhouette ne confortent pas toujours l’image du soldat, jeune et vigoureux.

- L’image le plus souvent donnée par les Anciens Combattants et par des commémorations qui visent à remplir un « devoir de mémoire » et à honorer des faits d’armes qui paraissent trop souvent liés à des défaites ou à des pertes humaines insupportables, imputées à l’absurdité de la guerre plutôt qu’à la promotion de l’engagement et de sacrifices qui méritent l’hommage de la Nation. Il est capital et urgent de vivifier les conditions dans lesquelles s’exerce ce devoir de mémoire.

- Le fait que la Loi ait accordé le statut de ressortissants du monde des Anciens Combattants et victimes de Guerre aux victimes du terrorisme, par nature victimes du hasard d’un destin qui les a placés au mauvais moment au mauvais endroit,. Pour compréhensible qu’elle soit, cette mesure contribue à privilégier le statut de victime par rapport à celui de blessé, volontairement engagé au service d’une cause nationale, et donc d’abord héros avant d’être victime.

- Le resserrement des armées sur leur « cœur de métier », imposé par les contraintes budgétaires et par une apparente rationalité qui veut mettre « chacun à sa place », a contribué à marginaliser les forces armées, et plus particulièrement les élites militaires, dans un rôle d’exécutant de missions décidées largement en dehors d’elles.

- L’absence de définition claire de l’identité spécifique profonde du soldat au sein de la Nation dans le récent statut général des militaires qui consacre de réelles avancées sociales et professionnelles, mais n’éclaire guère, au plan éthique et philosophique, ce qui différencie le soldat du civil de la défense, ou du fonctionnaire responsable d’une mission de sécurité.

- L’éloignement croissant entre les valeurs individualises et consuméristes secrétées par la société civile, et notamment par la jeunesse, et les vertus spécifiques d’esprit de corps et de sacrifice constitutives de l’état militaire.

            Bien d’autres évolutions sociétales récentes pourraient être citées qui manifestent le fait que l’image du soldat n’est aujourd’hui plus valorisée comme elle l’était hier, et que le lien entre la Nation et son armée est aujourd’hui assez ténu et artificiel. La bonne image des armées dont continuent à témoigner les sondages paraît ainsi davantage due à une large indifférence qu’à un véritable soutien d’une opinion publique qui accepterait de bon gré des sacrifices au bénéfice de nos armées.

 

Pourquoi et comment replacer le soldat à sa place au sein de la Nation.

 

            Il importe de remédier à une telle situation dont les effets pervers pourraient se manifester à différents niveaux, tant internes aux armées qu’externes.

A titre d’exemple, citons, là encore sans esprit de hiérarchisation et moins encore d’exhaustivité, les risques suivants :

- Banalisation de l’état militaire, ramené à une profession, à un métier, et traité en conséquence.

- Baisse quantitative et qualitative du recrutement

- Difficultés de fidélisation des engagés ne permettant pas un amortissement raisonnable des lourds investissements de formation.

- Attrait difficilement résistible d’une syndicalisation qu’appellerait inévitablement une banalisation excessive de l’état de soldat.

- Contestation des spécificités statutaires telles que le régime des retraites, ou celui des pensions militaires d’invalidité, comme des modalités de mise en œuvre du « Droit à réparation » déjà souvent insidieusement contesté.

            Pour pallier de tels risques, il paraît essentiel et urgent de définir clairement la spécificité du soldat au regard de la société civile, et d’en tirer les conséquences. Il importe notamment de situer le soldat par rapport aux métiers de la sécurité pour le distinguer précisément non seulement du gardien de la paix, mais aussi du policier, ou même du pompier, voire du vigile. Le soldat n’est pas spécifique seulement par le fait qu’il porte les armes de la Nation : le policier les détient également. Le soldat a certes la caractéristique exorbitante de donner la mort au nom de la République, et de risquer sa vie à son service, mais telle est aussi la situation de ce même policier, voire du douanier, ou du gardien de prison

Un premier effort de réflexion doit porter sur la distinction essentielle entre la Force, vertu cardinale au service du Droit et du Bien commun, et la Violence qui est un usage dévoyé de la force. Le soldat est à l’évidence détenteur de la Force qu’il utilise avec maîtrise. Mais il partage ce privilège exorbitant avec quelques autres professions civiles déjà citées.

Ses caractéristiques me semblent résider dans le fait que son action armée s’exécute au profit de l’intérêt national au sens le plus large. Le policier agit, certes les armes à la main et au risque de sa vie, mais il défend l’ordre public local et réagit contre des intérêts particuliers localement menacés.

Le soldat au contraire agit « pour le succès des armes de la France » au service d’intérêts définis par la plus haute autorité de l’Etat qu’est le président de la République, Chef des armées, élu au suffrage universel. Son comportement engage donc l’honneur de la Nation. Il est irremplaçable pour susciter puis préserver un silence des armes, et au moins des armes lourdes, suffisant, sur le théâtre où la Nation l’a engagé pour que les autres artisans de la paix puissent exercer leur art : diplomates, entrepreneurs, industriels, financiers, juristes, etc. Le soldat ne gagne plus les guerres, et est exacte la maxime souvent affirmée selon laquelle les crises ne comportent plus de solution militaire. Mais il reste vrai que les guerres ne se gagnent pas sans le soldat, et que la plupart des crises ne se résolvent pas sans son engagement initial.

            En résumé, il me semble que l’essentiel est de redonner tout son sens à la vocation du soldat qui n’exerce pas seulement un métier, ne remplit pas seulement une fonction, mais doit incarner la Nation dans l’usage maîtrisé de la Force qui s’impose lorsque ses intérêts, vitaux ou majeurs, sont menacés.

            Dans cet esprit, les actions à conduire que le colloque du 9 décembre 2010 au Sénat pourrait contribuer à proposer devraient, à mon sens, aborder notamment les volets suivants :

- Quelle est la spécificité fondamentale qui distingue le soldat d’autres serviteurs de la sécurité et d’acteurs civils du champ de bataille ?

- Quelles sont les conditions requises pour que la France confie une mission à ses soldats ? La première semble évidemment être que la cause que défendront ces soldats mérite que des vies de soldats français y soient éventuellement sacrifiées. Les pertes devront donc être accueillies non d’abord comme une occasion de compassion et d’émotion, mais comme le tribut versé, dans l’honneur et la fidélité, et honoré comme tel, à une cause dont la défense justifie que des vies humaines y soient consacrées.

- Comment former l’opinion publique à ces notions de respect de l’engagement, du sacrifice, de l’usage maîtrisé de la Force ? Rôle de l’éducation nationale, du monde associatif, des réserves, des mouvements de jeunesse, des média, de la Justice, des corps constitués.

- Quelles doivent être les conséquences incontournables de ces spécificités du soldat, en matière de condition militaire et de statut ?

- Comment redonner vigueur et force à l’exercice du Devoir de Mémoire ?

            A toutes les questions que pose une claire définition de la place que doit avoir le soldat au sein de notre communauté nationale, et des conséquences qui doivent s’en déduire, les réponses ne peuvent être que politiques, au sens noble du terme. Il est donc particulièrement heureux que la représentation nationale s’implique dans ce colloque de décembre 2010, et il est éminemment souhaitable qu’il débouche sur des conclusions opératoires à court, moyen, et long terme.

            Il faut enfin souligner qu’il serait non moins souhaitable que la réponse ne soit pas strictement nationale mais s’inscrive dans une démarche partagée par nos principaux alliés. A cet égard, on ne peut que se féliciter que l’Assemblée européenne de Sécurité et de Défense, suivant l’exemple de l’association CIDAN, ait récemment demandé au Conseil Européen de contribuer à promouvoir le lancement d’un nouveau prix européen annuel pour le Civisme, la Sécurité, et la Défense.

Bertrand de LA PRESLE.


Traduction

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