LA HACIENDA DE CAMARON
Nous faisions partie des renforts de toutes armes envoyés à la suite du général Forey après l'échec de Puebla. Le régiment étranger, qui avait fait si souvent parler de lui en Algérie, allait trouver au Mexique de nouvelles occasions de se distinguer. Sitôt débarqués, nous avions été dirigés sur l'intérieur: notre 3e bataillon s'était arrêté à la Soledad, à huit lieues environ de Vera-Cruz; les deux autres, avec le colonel Jeanningros, avaient continué jusqu'à la chaîne du Chiquihuite, en bas duquel ils s'étaient établis, tenant ainsi la route qui de Vera-Cruz mène à Cordova. Le Chiquihuite est pour ainsi dire le premier gradin qui sépare les Terres-Chaudes des Terres-Tempérées. Vous connaissez déjà par la carte l'aspect particulier du territoire mexicain; on l'a comparé fort exactement à une assiette renversée qu'on recouvrirait d'une soucoupe également renversée; les deux rebords de l'assiette et de la soucoupe figureraient, l'un la zone des Terres-Chaudes, qui comprend tout le littoral et qui s'enfonce d'une vingtaine de lieues dans l'intérieur du pays; l'autre, la zone intermédiaire, dite des Terres-Tempérées; l'espace plan situé au sommet formerait la troisième zone, celles des Terres Froides ou hauts plateaux. Ainsi la plupart des noms de lieux au Mexique, Chiquihuite a un sens précis, et signifie en langue indienne une hotte ou mannequin comme en portent nos chiffonniers : par sa forme en effet, la montagne rappelle assez bien un de ces paniers retournés. Quoi qu'il en soit, dès notre arrivée le colonel s'était empressé d'établir à certaine hauteur, sur les premières pentes de la chaîne, un poste d'observation; de là on dominait une partie de la plaine, et principalement Paso deI Macho, -le Pas du Mulet, - où s'étendaient nos avancées. Une longue-vue, mise à la disposition des soldats du poste, leur permettait de fouiller au loin la campagne, alors infestée par les bandes mexicaines, et de signaler sans retard tout mouvement suspect. |