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Le Général Guignon à l’honneur

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Publié le

Avant de présenter la main du capitaine Danjou aux troupes le 30 avril à Aubagne, le général d’armée Michel Guignon a bien voulu répondre aux questions de Légion étrangère magazine. Retour sur un engagement hors du commun qui commence en 1956 à Saint Cyr… et qui se poursuit encore aujourd’hui aux côtés des plus jeunes légionnaires.
Propos recueillis par Jean-Luc Messager

Mon général, vous arrivez comme jeune lieutenant à la Légion étrangère, quelles sont vos premières impressions ?
En 1956, alors que la guerre d’Algérie bat son plein, le gouvernement décide de renvoyer dans leurs foyers quelques contingents de réservistes rappelés. Ma promotion de Saint-Cyr, qui est encore en école d’application, reçoit un beau matin l’ordre de partir pour l’Algérie remplacer les officiers rappelés. Corollaire : nous n’aurons de places que dans les unités comprenant des rappelés. Corollaire du corollaire : Adieu la Légion ! Grosse déception… Après un an comme chef de section dans le Constantinois, au bataillon de Corée, je demande et obtiens une mutation pour la Légion.
Le 1er octobre 1957, je réalise enfin mon rêve. En entrant au quartier Viénot, le nouvel arrivant ressentait ce que doit éprouver le jeune novice en franchissant les portes du couvent. À l’intérieur de la caserne une cour immense, tout est propre, net, peint à neuf. Il règne un silence de cathédrale, hommes et gradés se croisent et se saluent gravement, sans rien dire, en se regardant droit dans les yeux. Au fond de la cour, le monument aux morts, la voie sacrée, imposant… un autre monde. Un peu stressé quand même (j’avais vingt ans…), j’accède au saint des saints, le bureau du chef de corps. Le colonel me reçoit, aimable sans plus, pas de grands discours : « Vous êtes affecté au centre d’instruction n° 1 à Saïda, à cent kilomètres d’ici. Vous rejoindrez par le prochain convoi. »

À Saïda, l’ambiance est moins solennelle mais la discipline légionnaire s’exerce avec la même rigueur. Je prends le commandement d’une section d’instruction. L’effectif est «germanique» à 60 %, le reste est composé d’Italiens, d’Espagnols, de Hongrois et de Gaulois. L’instruction est dure. Il s’agit en quatre mois de transformer en combattants tous ces gens qui viennent des quatre coins d’Europe. Sport, marche, tir, actes élémentaires du combattant, un peu de français, un peu de règlement…
J’ai promis une caisse de bière à celui de ma section qui me battrait au parcours du combattant. Mes types vont s’entraîner le dimanche pour battre le lieutenant. Deux ou trois y arrivent. Super ! On trinque tous ensemble. Mes gars se transforment de jour en jour, ils deviennent plus costauds, plus sûrs d’eux, commencent à avoir de la gueule… Au bout de quatre mois, je les vois partir le coeur serré, vers les régiments opérationnels… Et moi je recommence avec une nouvelle incorporation. Ce boulot d’instructeur est passionnant mais j’enrage quand même : j’aimerais bien, moi aussi, aller faire la guerre. Fin 1958, je suis enfin exaucé. Affecté au 1er REP. Alléluia !

Au sein du 1er régiment étranger de parachutistes, vous êtes «au contact» et vous apprenez à connaître le légionnaire. Quelles sont, pour vous, ses premières qualités d’homme de guerre ?
Le jeune lieutenant qui arrive au 1er REP est dans ses petits souliers. Le 1er REP est un club, ce n’est pas parce qu’on est affecté au régiment qu’on devient membre du club ; pour ça, il faut faire ses preuves et on vous le fait bien sentir. Je suis affecté à la 4e compagnie, indicatif radio «gris» et je prends le commandement de la 3e section «gris 3». Premier départ en opération, vers Cherchell dans l’Ouest algérien. nous sommes trois nouveaux cadres affectés à la compagnie : un adjudant (Gris 4), un sergent-chef, adjoint à la 1re section et moi. Tout le monde nous observe du coin de l’oeil. Premier accrochage, ça tire au-dessus de moi, du côté de la 1re section. Soudain la voix du commandant de compagnie dans le poste radio : « Gris 4 – Ici Gris. Allez prendre la place de Gris 1 qui vient d’être tué. » Gris 4 tergiverse, discute. On sent bien qu’il n’a pas trop envie d’y aller. La voix de Gris coupe court : « Gris 4, terminé pour vous. Gris 3 allez prendre la place de Gris 1 qui vient d’être tué. » C’est une chance. Je fonce chez Gris 1, rassemble quelques légionnaires, on donne l’assaut et on règle l’affaire vite fait bien fait. Gris 1 n’est d’ailleurs pas mort mais simplement blessé. Fin d’opération, debriefing. Gris 4 qui a traîné des pieds : viré ! L’adjoint de Gris 1 qui s’est affolé en annonçant à tort la mort de son chef : viré ! Des trois nouveaux arrivants, je suis le seul à m’en tirer. Cette anecdote est révélatrice de l’esprit du 1er REP : une rigueur implacable dans l’exécution des missions opérationnelles.
En revanche, de retour à Zéralda, changement radical d’ambiance. À la dureté de la vie en opération succède une décontraction de bon aloi. À tous les échelons, chacun récupère, oublie les fatigues du combat et goûte à sa manière la repos du guerrier. Cette alternance, savamment dosée, de rigueur dans le service et de décontraction dans la détente faisait le charme du 1er REP. J’ai toujours essayé d’imprimer ce style dans les unités que j’ai commandées.

Blessure, citation, honneurs et dissolution de l’un des meilleurs régiments de l’armée française, vous découvrez une «autre» Légion après votre convalescence, Quelles sont vos impressions ?
Je me sentais tellement bien au 1er REP que je me disais; avec ma naïveté de lieutenant : « Je vais rester toute ma vie dans cette boutique. » Et tout d’un coup, tout s’effondre. À 25 ans, je me retrouve infirme dans un fauteuil roulant, le régiment dissous, mes chefs en «taule», les copains partis, les légionnaires dispersés, le camp de Zéralda vide et triste à mourir, l’Algérie quasiment perdue… J’ai vécu la mort du 1er REP comme un véritable deuil. Heureusement la Légion m’a récupéré et m’a permis de me refaire une santé. J’ai vécu à Sidi Bel Abbès les dernières heures du drame algérien, puis l’arrivée à Aubagne et l’installation au camp de La Demande. « Nous on avait rien demandé », que nous chantions sur l’air d’Eugènie… Le moral n’était pas au beau fixe.
J’ai repris espoir et confiance au 2e REI où je suis parti prendre le commandement d’une compagnie en 1963. Au Sahara, chargé de protéger les sites d’expérimentation nucléaire et les centres d’essai d’engins spatiaux, le «2» était un magnifique régiment, réparti sur une zone d’action plus grande que la France. Les compagnies étaient des petits sous-groupements interarmes parfaitement adaptés aux évolutions en milieu désertique. Deux cent cinquante légionnaires, des cadres «retaillés», 50 véhicules, une puissance de feu considérable avec un peloton d’automitrailleuses, trois mortiers de 81 mm, trois canons de 75 mm sans reçu, une autonomie complète, mon colonel à 200 kilomètres de là… le rêve ! Le style «saharien» était très différent du style 1er REP mais l’esprit Légion y soufflait avec la même intensité. Au bout de deux ans mes plaies physiques et morales étaient cicatrisées. J’avais retrouvé la foi.

Vous découvrez également une autre armée que vous allez côtoyer, celle qui n’a pas «fait» l’Algérie, quel regard portez-vous sur cette «séparation»?
Après l’Algérie et le Sahara, l’heure est à la reconversion intellectuelle. Mes patrons me poussent vers l’École d’état-major. Je suis leurs directives avec un enthousiasme modéré mais il est vrai que, dans la vie d’officier, il faut savoir alterner les périodes consacrées à l’action et celles consacrées à la réflexion. L’inconvénient, c’est que lorsqu’on met le doigt dans l’engrenage des états-majors, il est difficile d’en sortir. Cependant dans un coin de ma cervelle, j’avais toujours deux objectifs : redevenir TAP et retrouver la Légion. Il me faudra dix ans pour y parvenir. En 1975, à la sortie de l’École de guerre, la DMPAT me propose soit le commandement d’un bataillon à Saint-Cyr, soit le Groupement opérationnel de la Légion étrangère. Pas d’hésitation, je rejoins le GOLE à Bonifacio. Un commandement difficile, des problèmes d’effectifs, des moyens limités, l’ambiance en Corse est assez morose après l’affaire d’Aléria. Heureusement la chance nous sourit. En février 1976, une prise d’otages à Djibouti provoque l’intervention d’un détachement Guépard. Le GOLE est en alerte. En 24h, nous voilà partis à 2 000 kilomètres de là. Nous resterons 4 mois à Djibouti. Retrouvant les grands espaces dans un environnement favorable, bénéficiant de moyens considérables, le GOLE deviendra en quelques semaines un remarquable outil de combat. Trois ans après le GOLE, je retrouve le REP : la boucle est bouclée, le bonheur est complet. Je m’efforcerai, pendant deux ans, de transmettre aux jeunes générations l’héritage que j’ai eu la chance de recevoir vingt ans plus tôt. En quittant Calvi, mon dernier ordre du jour commence ainsi : « En recevant, il y a deux ans, le commandement du 2e régiment étranger de parachutistes, j’avais conscience de réaliser un rêve ébauché il y a un quart de siècle, lorsque je faisais, à la Légion, mes premiers pas d’officier. J’ai réalisé le rêve, j’ai été votre chef ; quel que soit l’avenir, la vie militaire ne pourra plus me donner pareille joie. » C’est bien vrai.

Après une carrière au cours de laquelle vous êtes chargé de hautes responsabilités, vous conservez le lien avec «vos» anciens en adhérant à l’Amicale des anciens légionnaires parachutistes, un lien extrêmement fort pour quelles raisons ?
À vrai dire mes liens avec l’Amicale se sont noués beaucoup plus tôt. En 1980, alors que je commandais le 2e REP, j’ai compris qu’il fallait resserrer les contacts avec mes anciens. C’était une nécessité pour les jeunes qui avaient besoin de références, c’était une obligation morale vis-à-vis de nos anciens à qui nous devions tant. Le drame algérien avait laissé quelques traces douloureuses et il était nécessaire de réunir tous les membres de la famille : ceux du 1er REP et ceux du 2, ceux qui avaient quitté l’armée et ceux qui y étaient restés, ceux qui étaient allés en «taule» et les autres. Compte tenu de mon passé, j’étais bien placé pour fédérer les différentes sensibilités. En 1981, nous avons fait à Calvi une saint Michel extraordinaire. Autour du général Caillaud, du commandant Morin, du commandant de Saint-Marc et d’une centaine d’anciens, le régiment au complet a manifesté sa fidélité à ceux qui avaient forgé la gloire des paras-légion. La ferveur et l’émotion de ces journées sont gravées dans la mémoire de ceux qui ont eu la chance de les vivre. Depuis, je suis resté en relations constantes et suivies avec l’Amicale et j’y ai adhéré dès que j’ai quitté la Légion. Ce qu’il y a de remarquable dans l’AALP, c’est que les générations s’y suivent sans altérer l’esprit de la communauté. La génération d’Indochine sous la présidence du général Caillaud et du commandant Morin a passé la flambeau à la génération d’Algérie avec le colonel Lhopitalier, ceux des Opex ont pris la relève sous la remarquable présidence du général Soubirou. Je suis et je reste très attaché à l’AALP, c’est une façon d’exprimer à la Légion mon infinie reconnaissance pour tout ce que je lui dois.

Il y a deux mois, les légionnaires du 2e REP sautaient sur Tombouctou, vous qui les connaissez bien, qu’ont-ils de différent par rapport à ceux que vous avez commandés ?
Je ne suis pas le laudator temporis acti et les vieux «choses» qui passent leur temps à dire « c’est plus comme avant » m’énervent au plus haut point ! Lorsque j’ai appris que le régiment avait sauté sur Tombouctou, j’ai éprouvé un indicible sentiment de fierté, sentiment encore renforcé lorsque j’ai vu les stocks d’armes récupérés. Les légionnaires d’aujourd’hui ? Ils sont aussi beaux que nous l’étions à 20 ans (et aussi modestes), ils sont mieux habillés, mieux équipés, sans doute plus «techniques» que nous l’étions, peut -être plus costauds aussi. Par-dessus tout, je pense qu’ils ont la même ardeur au combat que celle que nous avions. Au total, les légionnaires changent mais la Légion reste aujourd’hui ce qu’elle a toujours été : une troupe d’une solidité sans égale qu’un esprit de corps amène à se surpasser dès lors que la réputation de la «maison» est en jeu.


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